Atalante et ses prétendants : nus ou vêtus ?

Aujourd’hui, nous entrons dans le vif du sujet avec la course d’Atalante contre ses prétendants ! C’est la suite directe des épisodes que vous avez lus jusqu’ici.

 

Nous allons aussi parler des détails vestimentaires de l’athlétisme dans l’antiquité grecque. C’est un élément très intéressant, et qui a donné lieu pour moi à quelques recherches, car on imagine souvent que les athlètes couraient et luttaient complètement nus. Alors, comment devais-je vêtir mon Atalante dans ce contexte ? Il va de soi qu’à l’époque antique, les femmes ne se mêlaient pas aux hommes dans le stade.


Voyons ça ensemble !

La nudité chez les athlètes grecs

D’abord, un fait étymologique : le gymnase (gumnãsion) est le lieu où les hommes s’entraînent nus (gumnõi). Mais sont-ils vraiment tout nus ? Ou presque nus ? Un pagne peut peser quelques grammes de tissu tout au plus, il change la symbolique de l’athlète lorsque celui-ci le porte… ou pas.

Cette question m’a un peu poursuivie. Dans les représentations iconographiques, les athlètes grecs sont nus. Chez les Étrusques et les Romains, ils portent un pagne. On sait très bien que les Romains avaient un rapport à la nudité plus pudique que les Grecs : à leurs yeux, c’était une habitude barbare que de s’exhiber en public. Les Grecs anciens n’ont au contraire aucune réticence à se montrer dans le plus simple appareil. D’un point de vue moral et philosophique, donc, rien ne s’opposait à ce qu’ils s’entraînent nus.

Mais d’un point de vue pratique ?

Décor d'un vase grec. Les coureurs sont nus ici, pas de doute !

Est-ce qu’il n’y a pas un risque à pratique la lutte ou le pancrace nu ? Un coup égaré dans l’entrejambe ne doit pas être très agréable. Moi, je n’ai jamais pratiqué le pancrace, le pugilat et l’orthepale. 😉 Mais certaines associations comme l’ACTA en ont une expérience beaucoup plus sensible et savent les risques que peuvent encourir des lutteurs en termes de coups.

De manière très ponctuelle, ce risque est sans doute minime. On peut se dire par exemple que, pour les jeux d’Olympie, les athlètes devaient concourir sans rien sur le dos pour mieux honorer les dieux. Mais des hommes qui luttaient souvent n’avaient pas intérêt à prendre un tel risque. C’est d’autant plus vrai que les Grecs antiques étaient très intéressés par la médecine et prenaient grand soin de leurs corps et de leur santé. Je pense qu’ils se souciaient aussi de l’état de leurs parties génitales. 🙂

On peut donc raisonnablement supposer que les athlètes portaient des pagnes ou d’autres espèces de suspensoir qui limitaient les accidents. L’iconographie, qui montre des hommes qui luttent dans une complète nudité, serait à cet égard plus symbolique que réaliste.

La nudité dans la course d’Atalante contre ses prétendants

Je n’ai pas trouvé grand-chose sur la nudité chez les coureurs. Je pense raisonnablement qu’ils étaient vêtus comme les lutteurs. Cependant, j’ai préféré la version « artistique » à la version réaliste et j’ai complètement dévêtu les prétendants challengers d’Atalante. Sans remords !

Dans les mythes d’Atalante, la nudité est en effet omniprésente. On la voit dans les épisodes de sa lutte contre Pélée, dans la course contre les prétendants (avec Hippomène), dans celui de la métamorphose ou encore lorsqu’elle affronte les centaures.

La lutte entre Atalante et Pélée. Vases à figures noires, Collections d'Antiquités de l'État de Munich.

Dans les représentations imagées de la course, ainsi que dans certains textes (comme celui d’Ovide), Atalante et ses prétendants sont nus et il m’a donc semblé intéressant de reprendre cette nudité pour les hommes. En revanche, j’avais quand même envie de renverser un peu les valeurs et, cette fois, de poser les yeux sur le corps masculin et non sur celui de la femme. J’ai donc habillé Atalante d’une robe qui dévoile seulement l’un de ses seins. C’est l’une des tenues que l’on voit parfois sur l’héroïne sur les vases et autres objets de l’iconographie grecque.

Dans tous les cas, la nudité n’est pas source de gêne chez les Grecs anciens, même si elle peut attiser le désir. C’est aussi cela, le mythe d’Atalante : l’ambivalence autour d’une héroïne vierge, que l’iconographie et les textes chargent toutefois souvent de sensualité et d’érotisme.

Atalante Chasseresse – Partie VII

 

La course n’était qu’une diversion pour Atalante. Un moyen grâce auquel elle comptait bien clouer le bec à son père et aux chefs des géné, les grandes familles qui entouraient et conseillaient l’anax dans sa conduite de la cité. Ils la jugeaient tous égoïste de ne point sacrifier au bien de la communauté en refusant de se marier et de leur pondre un héritier. Mais quel sacrifice étaient-ils tous prêts à faire pour ce bien commun ? Pas celui de leur liberté, en tout cas, ni celui de leur pouvoir. Au contraire, c’était bien de leur influence qu’il s’agissait. Si Schœnée mourait sans descendance, résisteraient-ils à la tentation de s’écharper pour prendre sa place ? Et s’ils se montraient loyaux les uns envers les autres, un aventurier venu d’ailleurs ne parviendrait-il pas à leur damer le pion ? Bien commun ! Quelle plaisanterie !


Elle ne laisserait triompher aucun d’eux.


Son père lui avait laissé la liberté de décider de l’épreuve et de toutes ses modalités. Son stade, ce serait la forêt, ce serait la montagne, peuplée de ses ours, de ses sangliers et de ses lions. Elle n’avait pas du tout peur de perdre dans cet environnement. Elle marchait d’un pas vif sur le sentier qui quittait la grande route et prenait déjà de l’altitude en se dirigeant vers les piémonts boisés.

De là, on voyait au nord le lac de Copaïs, au sud la mer irradiante sous le soleil. Il était très tôt, mais déjà l’astre royal projetait tous ses feux sur eux en faisant étinceler intensément la moindre goutte de rosée. Sous la chape de sueur qui l’imprégnait, Atalante sentait s’animer chacun de ses muscles.


Ils en étaient tous là. Ses prétendants. Ils la suivaient, et l’anax, et les chefs des clans familiaux, dont beaucoup d’entre eux étaient les pères de ses adversaires. Tout comme elle, ils ruisselaient de transpiration. Ils restaient à la hauteur de son père en la laissant seule, isolée, toujours solitaire. Du reste, quoiqu’ils eussent accepté les termes de son défi, ce n’était pas à elle qu’il leur fallait plaire : c’était à son père… C’était toujours le tuteur, le kyrios, l’homme qu’il convenait de séduire. Pas la kourè, pas la fille.


Une foule de gens du peuple, des artisans, des esclaves, des gardes, des serviteurs, des paysans, les suivait en apportant au sous-bois un brouhaha dont celui-ci n’avait pas l’habitude. Les oiseaux fuyaient dans la ramée, les renards, les hermines, les lynx déguerpissaient en abandonnant derrière eux des feuillages frémissants. De tous les chemins qui s’ouvraient à main gauche ou à main droite jaillissaient d’autres spectateurs curieux, d’autres admirateurs. Ils l’appelaient, ils criaient « Atalante ! » avec joie et impatience. Souvent, ils l’avaient vue courir dans le stade, dans ces courses lors desquelles la jeunesse faisaient aux dieux l’offrande de sa force et de son adresse. Toujours, ils l’avaient vue triompher de ses adversaires. Eux ne doutaient pas d’elle. Eux ne faisaient pas de calcul sordide, ni ne pariaient sur sa défaite pour l’enchaîner.


Enfin, ils parvinrent en l’endroit qu’elle avait choisi. C’était le départ d’un ru qu’abreuvait une cascadelle descendue de l’Helicon. En se déversant, les flots dégageaient une écume blanche et diffusaient dans l’air une sensation de fraîcheur agréable. Atalante fit volte-face. Des gouttelettes se déposèrent sur la peau moite de son dos. Elle planta sa lance dans le sol avec autorité.


« Le départ est ici ! »


Schœnée s’arrêta et croisa les bras sur son large torse sans rien ajouter. Ainsi qu’il le lui avait promis, il la laissait mener tout à sa guise. Son regard d’aigle se planta toutefois dans le sien et, pendant quelques secondes, père et fille s’affrontèrent avec la même pugnacité. « Celui-là qui te vaincra à la course, tu l’épouseras ! » avait-il dit. Mais lequel parmi tous ces jeunes hommes posséderait une foulée assez longue pour échapper à celle d’Atalante aux pieds agiles ? Elle les observa tandis qu’ils se dévêtaient et confiaient leur chlamyde à des serviteurs ou l’abandonnaient à des branches pour les plus modestes d’entre eux. Ils avaient le torse lisse, les cuisses longues et musclées, les fesses fermes : des corps d’athlète, tous. Les heures passées en plein air, à la chasse et au stade, avaient ombré leur peau et quelques d’entre eux exhibaient des cicatrices qui témoignaient d’un passé frais de guerrier. Leurs yeux étaient vifs, et enflammés lorsqu’ils se posaient sur elle. Elle croisa les bras, avant de réaliser qu’elle adoptait instinctivement la même posture martiale que son père. Ah ! Tant pis !


« Nous montreras-tu le parcours entier à réaliser pour gagner ta main, Atalante ? » demanda l’un d’eux.


Il s’avança et se planta à seulement quelques pas d’elle, les poings sur les hanches, en une attitude pleine d’orgueil. Elle reconnut le fils cadet de l’un des plus proches conseillers de Schœnée. Lorsqu’ils étaient enfants, elle lui avait fait mordre la poussière.


« Suis-moi, Polychronios, et vous tous aussi ! Je vais vous montrer ce qui vous attend. »

Amphore panathénaïque (qui contient l'huile d'olive offerte aux vainqueurs des jeux panathénaïques). On peut imaginer que les prétendants d'Atalante ressemblaient à cet athlète.

La course d’Atalante contre ses prétendants ne va plus tarder à commencer ! Mais que fait donc Hippomène ? Vous le saurez dans le prochain extrait.  Vous pouvez aussi lire le roman Atalante dans sa version papier intégrale : elle est disponible dans toutes les librairies.

Bonne journée !

Sources :

LECLANT, Jean (dir.), Dictionnaire de l’Antiquité, Presses Universitaires de France, 2005, Paris

LOPEZ, Brice, Les Jeux olympiques antiques. Pugilat, orthepale, pancrace, Budo Éditions, 2010

DRUILHE, Émilie, Farouche Atalante. Portrait d’une héroïne grecque, Presses Universitaires de Rennes, 2016

Crédits image d’en-tête : Devanath

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

2 réflexions sur « Atalante et ses prétendants : nus ou vêtus ? »

  1. Bonjour Marie,

    Un petit message pour vous dire que c’est une initiative très intéressante d’écrire sur Atalante. C’est une héroine assez méconnue de la mythologie et j’ai remarqué que les romans ou les livres mettent toujours en scène les mêmes personnages comme Achille, Hélène, Ulysse, les Dieux de l’Olympe, ou encore Oedipe… Merci à vous.
    En tout cas, j’attends la suite de l’histoire parmi les extraits 😉 Bonne continuation.
    Manon.

    1. Bonjour Manon,
      Merci pour votre commentaire. 🙂
      La mythologie grecque fourmille de tant de héros et de héroïnes à exploiter, et pourtant, en effet, l’attention est focalisée sur une poignée d’entre eux. J’ai pour projet d’écrire plus tard sur Pandore, Prométhée, Médée et Cassandre. 🙂
      J’espère que la suite des aventures d’Atalante et d’Hippomène vous plaira !
      Belle journée à vous,
      Marie

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