Comment Rome s’est-elle retrouvée en Syrie ?
La conquête de la Syrie par Rome semble presque accidentelle. Rome était fortement gênée par la piraterie qui sévissait en Méditerranée. Pour y mettre fin, les Romains décident d’une campagne énergique qui, de fil en aiguille, va les mener jusqu’en Syrie intérieure.
Voyons ça dans le détail. 🙂
La piraterie en Méditerranée : un problème pour Rome
La piraterie : un problème qui est particulièrement gênant pour Rome aux alentours de 70 av. J.-C. Pourquoi ?
C’est l’époque de la guerre mithridatique (74-63). Mithridate, roi du Pont, est en guerre contre Rome. Pour gêner le transport de ses adversaires, il encourage la piraterie.
Pendant toute une première partie du conflit, jusqu’en 67, les communications avec Rome sont compliquées à cause de ces pirates. On voit même apparaître ces derniers à Ostie ! Excédés, les sénateurs finissent par donner l’imperium infinitum à Pompée sur toute la Méditerranée et les régions littorales. C’est la Lex Gabinia.
Pompée se met aussitôt en action. Il fait quadriller toute la mer en même temps et poursuit systématiquement les pirates dans leurs refuges terrestres. Grâce à sa campagne énergique, il nettoie à peu près la Méditerranée de ce brigandage. À la fin de l’année 67, la question est quasiment réglée sur la mer.
Il reste la question du brigandage intérieur syrien, qui est toutefois moins directement menaçant pour Rome.
Les Romains arrivent en Syrie
Des légats romains face au brigandage syrien
En 66-65, Pompée envoie des légats en Syrie pour qu’ils luttent contre la piraterie et le brigandage :
- Metellus Nepos, chargé en 67 des côtes depuis la Lycie jusqu’à la Phénicie
- Lucius Lollius, qui le rejoint un peu après
- Afranius, qui libère les passes de l’Amanus des brigands
Mettelus Nepos et Lucius Lollius sont à Damas en 65. On ne sait pas trop ce qu’ils font là. Ils sont rejoints ensuite par Aemilius Scaurus. Rien n’indique qu’ils aient alors des troupes sous leurs ordres. D’ailleurs, ils ne font rien de spécial contre les brigands de Syrie centrale ou méridionale : Pompée va devoir nettoyer le pays à son arrivée.
Mais qui gouverne la Syrie à ce moment-là ?
Juste avant la conquête de la Syrie par Rome, c’est un peu le bazar, disons-le tout net.
Antiochos XIII, le roi qui a perdu contre les Arméniens
Il est temps de parler des Séleucides, car ce sont eux qui, normalement, gouvernent la Syrie.
En réalité, ils ne semblent pas gouverner grand-chose : le roi d’Arménie Tigrane II a conquis la Syrie en 79.
Attention, c’est un peu compliqué alors restez concentré. 🙂 Tigrane était un allié de Mithridate et il l’a protégé des Romains en l’accueillant dans son royaume. Lucullus, le général romain qui menait la guerre contre Mithridate, s’est en quelque sorte « vengé » en rétablissant sur le trône le roi séleucide défait par les Arméniens : Antiochos XIII.
Antiochos XIII et son rival, Philippe II
Mais une partie des Antiochiens se sont soulevés contre ce roi vaincu par les Arméniens. Antiochos XIII a maté la rébellion et les chefs se sont enfuis en Cilicie en proclamant roi Philippe II, fils de Philippe Ier et petit-fils d’Antiochos VIII Grypos.
Les deux prétendants sont soutenus par des chefs arabes plus puissants qu’eux :
- Antiochos XIII par Sampsigéramos d’Émèse
- Philippe II par un émir de Syrie du Nord, Aziz, qui l’a couronné
En fait, selon Diodore de Sicile, les deux émirs se sont entendus pour tuer leurs protégés et se partager la Syrie. Philippe II apprend les projets d’Aziz et s’enfuit. Il arrive à Antioche en 67 et y disparaît, peut-être dans une émeute en 66-65.
Antiochos XIII, lui, est étroitement tenu en tutelle par Sampsigéramos. On comprend pourquoi il ne réagit pas quand les légats romains s’installent à Damas, qui fait pourtant partie de son royaume.
Pompée en action : la conquête de la Syrie par Rome
Pompée désavoue Antiochos XIII
Pompée a été très efficace contre les pirates. Pendant l’hiver 67-66, le Sénat romain lui donne cette fois tous pouvoirs pour en terminer avec Mithridate (c’est la lex Manilia). Il désavoue donc l’homme qui jusqu’alors menait la conduite de cette guerre, Lucullus.
Pompée va poursuivre Mithridate (je ne détaille pas ici car ce n’est pas le sujet qui nous occupe dans cet article). Finalement, au bout de quelques années de guerre, il descend en Syrie pendant l’été 64 pour s’attaquer au problème des pirates.
Il arrive en passant par la Cilicie et va à Antioche.
Antiochos XIII est sous la coupe de Sampsigéramos. Il parvient quand même à demander officiellement à Pompée d’être reconnu roi. L’imperator refuse. Le roi se réfugie alors auprès de Sampsigéramos. Celui-ci ne veut pas déplaire à Rome et le fait disparaître.
Les motivations de Pompée en Syrie
Bref, Pompée dénie la royauté séleucide. Il a décidé de la supprimer et d’annexer la Syrie. Pourquoi ?
Désavouer un rival politique, Lucullus
Pompée veut désavouer la politique menée par son prédécesseur, Lucullus.
Lucullus a rétabli Antiochos XIII sur le trône en 69. Pompée, lui, décide d’annexer le territoire parce que « la Syrie ne possédait pas de rois légitimes » (Plutarque, Pompée, 39, 3). On a vu que c’était faux, il y a encore des descendants séleucides. Mais cela permet à Pompée d’aller à l’encontre des décisions prises au nom de Rome par Lucullus.
Agrandir le territoire romain avec les restes d’un royaume prestigieux
Pompée a envie de donner à Rome les restes d’un empire prestigieux : le royaume séleucide.
Il veut aussi tirer le maximum de bénéfices de sa victoire sur Tigrane. Non seulement il a vaincu Mithridate et les pirates mais, en plus, le roi d’Arménie s’est rendu à Pompée en 66.
« Pompée prétendit qu’il n’était pas légitime que ce soit les Séleucides, détrônés par Tigrane, qui gouvernent la Syrie, plutôt que les Romains qui l’avaient emporté contre Tigrane » (Appien, Syr. 49).
Pompée invoque le droit de la guerre pour justifier sa volonté de conquête de la Syrie par Rome et il met en avant un souci d’efficacité. Pour lui, Antiochos XIII est un fantoche. Pompée refuse de rendre le trône à « un roi qui, pendant les dix-huit ans que Tigrane avait régné sur la Syrie, était resté caché dans un coin de la Cilicie et qui, voyant Tigrane vaincu par les Romains, réclamait le bénéfice du travail fait par d’autres ; que, par conséquent, ne l’ayant pas dépossédé, il ne lui donnerait pas un sceptre qu’il avait cédé à Tigrane et qu’il n’avait pas su défendre, de peur qu’il ne laissât la Syrie de nouveau en butte aux brigandages des Juifs et des Arabes ». (Justin, XL, 2, 3-4)
« Pompée s’avança et plaça sous l’autorité romaine sans combat ces parties de la Cilicie qui n’étaient pas encore sujettes et le reste de la Syrie qui se trouve le long de l’Euphrate et les pays appelés Koilè-Syrie, Phénicie et Palestine, ainsi que l’Idumée et l’Iturée, et toutes les autres parties de la Syrie quel que soit leur nom. Non qu’il ait eu quelque sujet de plainte à l’encontre d’Antiochos fils d’Antiochos Eusébès, qui était présent et réclamait son royaume paternel, mais parce qu’il pensait que, attendu qu’il avait lui-même dépossédé Tigrane, le vainqueur d’Antiochos, le pays appartenait aux Romains par droit de guerre. » (Appien, Mithridateios polèmos, 106)
Faire barrage aux Parthes
Rome et les Parthes ont des relations compliquées dans les années 70-63. Cela ne débouche pas sur la guerre car l’autorité du roi parthe est mal établie à l’époque. Mais Pompée peut craindre une volonté des Parthes de s’étendre vers l’ouest en profitant de la faiblesse du roi séleucide. Après tout, on avait vu jadis des rois séleucides se réfugier chez les Parthes, comme Démétrios III Eukairos, vaincu par Philippe Ier.
Protéger Rome des pirates
La Syrie a déjà été un foyer d’insécurité pour Rome : c’était une base pour les pirates. Pompée a tout nettoyé. Il n’a pas envie que ça se reproduise. Rome a besoin de circuler librement dans la Méditerranée.
Assurer des intérêts économiques ?
Il y a sûrement des marchands romains avant la conquête de la Syrie par Rome. Il y a aussi des milieux d’affaires qui sont en relation avec la Syrie. Peuvent-ils avoir eu de l’influence sur l’imperator ? C’était une bonne chose pour eux que la Syrie devienne romaine.
D’autant plus que Délos avait été détruite pendant la guerre contre Mithridate. Or, les Italiens commerçaient avec les hommes d’affaires syriens à Délos depuis 167-166.
Les Romains ont été massacrés à Délos en 88, puis l’île a été dévastée par Mithridate à la fin de cette même année. Sulla l’a libérée en 87, mais elle a à peine eu le temps de se restaurer. Un raid de pirates alliés de Mithridate l’a anéantie en 69. Elle n’est jamais redevenue ce qu’elle était jadis.
On peut être tenté d’imaginer les marchands romains autour de Pompée, le manipulant pour conquérir la Syrie et commercer directement à la source. Mais on n’a aucune preuve en ce sens.
Ce qui est sûr, c’est que les hommes d’affaires romains vont profiter de la conquête.
Pompée remet de l’ordre en Syrie
Face aux brigands
Le légat Afranius a combattu contre les brigands dans l’Amanus. Mais à part ça, c’est encore le bazar en Syrie. Comme on l’a vu, les légats Scaurus, Lollius et Nepos n’ont pas l’air d’avoir fait grand-chose.
Pompée va se mettre au travail.
Il quitte Antioche au début de 63 et se dirige vers Damas. Au passage, il détruit des repaires de brigands qui menacent les cités de la région, comme celui du Juif Silas à Lysias.
Face aux grands chefs
Il fait exécuter des tyrans locaux, comme Dionysos de Tripolis. Face aux plus puissants, il adopte diverses stratégies :
- il soumet et rançonne Ptolémée de Chalcis (1 000 talents) et l’Émésien Sampsigéramos dans sa capitale d’Aréthuse
- il épargne l’Arabe Abgar II, maître d’Édesse, car celui-ci a aidé Afranius dans l’Amanus
- il reconnaît Antiochos Ier et certains chefs qui ont réussi à s’imposer
En fait, lors de sa conquête de la Syrie pour Rome, Pompée mesure l’exact pouvoir de chacun. Il conforte des principautés érigées sur les dépouilles du royaume séleucide et accorde des statuts quasiment officiels à certains chefs. Il ne veut pas s’enliser dans des combats qu’il n’est pas sûr de gagner et dans des territoires qui n’ont pas un intérêt majeur pour Rome.
Face au royaume hasmonéen
Pompée arrive à Damas et retrouve ses légats. À cette époque, deux prétendants de la dynastie hasmonéenne s’affrontent : Pompée va devoir livrer un dernier combat autour de Jérusalem avant d’organiser définitivement la nouvelle province romaine. Ceci est encore une autre histoire !
« Pompée déclara donc : « Je vais laisser à Mithridate un ennemi plus fort que moi, la faim », et il fit croiser des vaisseaux pour arrêter les marchands naviguant vers le Bosphore, en décrétant la peine de mort pour ceux qui seraient pris. Puis, emmenant avec lui le gros de son armée, il se porta en avant. Il rencontra sur sa route les corps restés sans sépulture de ceux qui, sous les ordres de Triarius, étaient tombés dans un combat malheureux contre Mithridate, et les enterra tous avec honneur et avec éclat, ce que Lucullus avait négligé de faire, omission qui semble avoir été la principale cause de la haine dont il fut l’objet. Après avoir fait soumettre par Afranius les Arabes de l’Amanus, il descendit lui-même en Syrie et, comme ce pays n’avait pas de rois légitimes, il le déclara province et possession du peuple romain. Puis il conquit la Judée et fit prisonnier son roi Aristobule. Il fonda des villes et en libéra d’autres en punissant les tyrans qui y régnaient. Mais sa principale occupation était de rendre la justice et d’arbitrer les conflits des villes et des rois : là où il n’allait pas lui-même, il envoyait ses amis. C’est ainsi qu’aux Arméniens et aux Parthes, qui s’en étaient remis à sa décision au sujet d’un territoire qu’ils se disputaient, il envoya trois arbitres pour juger l’affaire. En effet, si sa puissance était en grand renom, sa vanité et sa mansuétude ne l’étaient pas moins. C’est ce qui lui faisait tenir cachées la plupart des fautes commises à son égard par ses amis et ses familiers : il n’était pas naturellement porté à empêcher ou à punir les mauvaises actions, et ceux à qui il avait affaire le trouvaient disposé à supporter de bonne grâce leur rapacité ou leur dureté. » (Plutarque, Vie de Pompée, 39)
J’espère que cet article sur la conquête de la Syrie par Rome vous a plu ! Je vous invite à me retrouver dans ma newsletter pour plus de balade dans l’antiquité grecque et romaine. À bientôt !
Sources : SARTRE, Maurice, D’Alexandre à Zénobie – Histoire du Levant antique – IVe siècle av. J.C. – IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, 2001
Image d’en-tête : Buste de Pompée – Copie d’antique en marbre réalisée au XVIIe siècle en Italie pour orner le Grand Salon du château de Vaux-le-Vicomte – Crédits : Jean-Pol Grandmont, via Wikimedia
À PROPOS DE L'AUTEURE
Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.
Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.
Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.