L’armée romaine en Syrie pendant le Haut-Empire, ce sont plusieurs légions :
- la IIIe Gallica
- la VIe Ferrata
- la Xe Fretensis
- la XIIe Fulminata
- la IVe Scythica
- la XVIe Flavia Firma
On trouve aussi entre 10 000 et 20 000 auxiliaires.
Les Romains sont donc très présents militairement en Syrie. Quelle est leur mission ? Sont-ils très occupés ? Nous allons voir ici que, hormis quelques épisodes intenses, ils se tournent plutôt les pouces. 😀
Les légions romaines en Syrie
Sous les Julio-Claudiens
Il y a d’abord 4 légions en Syrie sous les premiers Julio-Claudiens :
- la IIIe Gallica est sans doute stationnée en Syrie du Nord (mais on ne sait pas où ni depuis quand) ;
- la VIe Ferrata campe d’abord autour de Laodicée, puis elle remplace la XIIe Fulminata à Raphanée en Syrie centrale ;
- la Xe Fretensis se trouve à Cyrrhos ;
- la XIIe Fulminata est installée à Raphanée jusqu’en 70.
Vers 56, une nouvelle légion arrive : la IVe Scythica. Elle s’installe à Zeugma en Syrie du Nord, près de la frontière de la Commagène. C’est un point de franchissement de l’Euphrate.
Nous avons donc 5 légions en Syrie à partir de cette date. Toutes ces légions sont dirigées par leur propre légat. C’est toujours ainsi que cela se passe lorsqu’une province abrite plusieurs légions. Le gouverneur, qui commande traditionnellement la légion de sa province, ne peut pas diriger plusieurs légions en même temps.
Sous les Flaviens
Pendant la révolte juive, la Xe Fretensis est envoyée à Jérusalem. Elle y reste en garnison après 70.
La XIIe Fuminata est déplacée à Mélitène en Cappadoce. On suppose que c’est une punition pour son échec au début de la guerre juive, quand elle était sous les ordres de Cestius Gallus.
Peu après 75, l’armée romaine en Syrie est complétée par la XVIe Flavia Firma, qui s’installe à Samosate, dans l’ancienne capitale de la Commagène. Ce royaume vient d’être annexé et transformé en province.
Finalement, sous les Flaviens, on a 4 légions. La Judée en abrite une en permanence.
Il y a aussi, quelquefois, des escadres qui s’abritent dans le port de Séleucie de Piérie. Vespasien a fait réaliser des travaux pour éviter l’ensablement de ce port. Visiblement, il n’y a pas encore d’escadre permanente au Ier siècle (la classis Syriaca).
Les unités auxiliaires romaines en Syrie
Les sources
On compte aussi de nombreuses unités auxiliaires. Plusieurs documents nous aident à préciser leur nombre durant presque un siècle :
- un diplôme militaire à la fin du règne de Claude (54)
- les informations de Flavius Josèphe dans les années 60
- plusieurs diplômes militaires datant de 88 et 91
- divers documents du milieu du IIe siècle ap. J.-C., dont une liste d’unités stationnées en Syrie sous le commandement unique de M. Valerius Lollianus durant une campagne qui se situe sûrement sous le règne d’Hadrien
Les chiffres
L’historien polonais Edward Dabrowa a analysé tout ça et donne des chiffres :
- Vers 60, il y a 7 ailes de cavalerie et 7 cohortes, donc au minimum 7 000 hommes si toutes ces unités sont composées de 500 hommes. Il faut ajouter 2 000 hommes si quelques-unes d’entre elles sont milliaires.
- En 88-91, il y a 12 ailes, dont au moins une milliaire, et 22 cohortes, dont au moins 2 milliaires. Ça fait 18 500 hommes.
- Au milieu du IIe siècle, on compte 6 ailes, dont 2 milliaires, et 22 cohortes, dont 3 milliaires, soit 16 500 hommes.
Les effectifs ont fortement augmenté après la révolte juive, mais ce n’est pas probablement pas à cause de celle-ci. On pense plutôt que c’est pour sécuriser la frontière orientale. En 80, un certain Terentius Maximus se faisant passer pour Néron noue une alliance avec les Parthes.
Ensuite, les effectifs de l’armée romaine en Syrie sont stables entre la fin du Ier siècle et le milieu du IIe siècle.
Voici les sources :
Diplôme de Durostorum (Silistrie) daté du 18 juin 54 :
« Tibérius Claudius César Auguste Germanicus, grand pontife, investi de la puissance tribunicienne pour la 14e fois, salué du titre d’imperator 27 fois, censeur, consul pour la 5e fois, aux cavaliers qui ont servi dans les 5 ailes nommées ueterana Gallorum et Thracum, et Gallorum et Thracum Antiana, et Gallorum et Thracum……… pour eux-mêmes, leurs enfants et leurs descendants j’accorde le droit de cité et le droit de mariage.
« Avec les épouses qu’ils ont en ce moment, lorsque la citoyenneté leur est donnée ou, s’ils sont célibataires, avec celles qu’ils épouseront par la suite, à condition que chacun n’en épouse qu’une. Le 14e jour avant les calendes de juillet, Marcus Asinius Marcellus et Manius Acilius Aviola étant consuls. De l’ala Gallorum et Thracum Antiana que commande Marcus Milonius Verus Iunianus, au cavalier Romaesta Spiurus (sic) fils de Rescens. »
(S. Lambrino, « Un nouveau diplôme de l’empereur Claude », CRAI, 1930, p. 131-137 [le vétéran est thrace d’après l’onomastique].)
Diplôme militaire de Mukhovo (Bulgarie), 7 novembre 88 (abrégé) :
« —- aux cavaliers et fantassins qui servent dans les 3 ailes et 17 cohortes suivantes : (1) II Pannoniorum, (2) III Augusta Thracum, (3) veterana Gallica, (4) I Flauia ciuium Romanorum, (5) I milliaria, (6) I Lucensium, (7) I Ascalonitanorum, (8) I Sebastena, (9) I Ituraeorum, (10) I Numidorum, (11) II Italica ciuium Romanorum, (12) II Thracum ciuium Romanorum, (13) II classica, (14) III Augusta Thracum, (15) Thracum Syriaca, (16) IIII Bracaraugustanorum, (17) IIII Syriaca, (18) IIII Callaecorum Lucensium, (19) Augusta Pannoniorum, (20) Musulamiorum, au temps de Publius Valerius Patruinus –. »
(AE, 1927, 43 = CIL, XVI, 35 ; R. CAGNAT, « Nouveau diplôme militaire relatif à l’armée de Syrie », Syria, 9, 1929, p. 25-31 ; F. GROSSO, « Aspetti della politica orientale di Domiziano, II. Parti e Estremo Oriente », Epigraphica, 17, 1955, p. 64-68 – Texte presque identique d’un second diplôme chez A. ALFÖLDI, « Dacians on the Southern Bank of Danube », JRS, 1929, 1939 (= AE, 1939, 126), considéré comme un faux par H. NESSELHAUF, CIL, XVI, p. 216)
Diplôme militaire de provenance inconnue, 7 novembre 88 :
« L’empereur César, fils du divin Vespasien, Domitius Augustus Germanicus, grand pontife, investi de la puissance tribunicienne pour la 8e fois, imp. XVII, consul XIIII, censeur perpétuel, père de la Patrie, aux cavaliers et fantassins qui servent dans les 5 ailes et les 2 cohortes suivantes : (1) praetoria singularium, (2) Gallorum et Thracum Constantium, (3) Phrygum, (4) Sebastena, (5) Gallorum et Thracum Antiana ; (1) I Gaetulorum, (2) I Augusta Thracum, et sont en Syrie sous Publius Valerius Patruinus, accorde la démobilisation à ceux des ailes et des cohortes qui ont servi pendant 25 ans ; à ceux dont les noms sont inscrits ci-dessous, à eux-mêmes, à leurs enfants et à leurs descendants, il a donné la citoyenneté, et le droit de mariage avec les femmes qu’ils ont au moment où la citoyenneté leur a été donnée, ou, s’ils sont célibataires, à celles qu’ils épouseront par la suite, à condition qu’ils n’en épousent qu’une seule.
Le 7e jour avant les ides de novembre, Manius Otacilius Catulus et Sextus Iulius Spareus étant consuls.
De l’ala Phrygum, que commande Marcus Helenius Priscus, au soldat Dassius fils de Dasens, Pannonien. Recopié d’une table de bronze qui est fixée à Rome au Capitole, sur le côté gauche des archives publiques. »
(R. MELLOR et E. HARRIS, « A New Roman Military Diploma », ZPE, 16, 1975, p. 121-124 (= AE, 1974, p. 655) = M. ROXAN, Roman Military Diplomas 1954-1977, I, Londres, 1978, p. 32-33, n° 3. Nouveaux diplômes identiques de provenance inconnue : P. WEISS, ZPE, 117, 1997, p. 229-231, n° 2 et p. 232-233, n° 3 [mutilé] [d’où AE, 1997, 1761-1762])
Diplôme de Suhozem (Bulgarie), du 12 mai 91 – Liste des unités :
Aux cavaliers des trois ailes : (1) III Thracum Augusta, (2) Flavia praetoria singularium, (3) Gallorum et Thracum Constantium.
Aux cavaliers et fantassins des sept cohortes : (1) I Thracum militaria, (2) I Gaetulorum, (3) I Lucensium, (4) I Sebastena, (5) II Thracum civium romanorum, (6) II Thracum Syriaca, (7) II Italica civium Romanorum, qui sont en Syrie sous Aulus Bucius Lappius Maximus.
[le bénéficiaire est un Thrace, Quelse, fils de Dola, de la III Thracum Augusta]
(L. BOTOUSHAROVA, « Römisches Militärdiplom aus Suhozem/Bulgarien », Izledvanija v cest ne akad. D. Detchev, Sofia, 1958, p. 318 (= AE, 1961, 319 ; M. ROXAN, Roman Military Diplomas 1954-1977, Londres, 1978, p. 34, n° 4 – Un second exemplaire quasi illisible provient de Gradishte (Bulgarie) : B. GEROV, « Zwei neugefundene Militärdiplome aus Nordbulgarien, 2. Ein neues Militärdiplom Domitians », Klio, 37, 1959, p. 210-216 (AE, 1962, 264 bis) = M. ROXAN, Roman Military Diplomas 1954-1977, Londres, 1978, p. 35, n° 5. mais le seul nom d’unité lisible, celui à laquelle appartenait le vétéran, est l’ala ueterana Gallica ; le vétéran est un Thrace, Seuthès).
Que fait l’armée romaine en Syrie ?
Et d’abord, pourquoi autant d’hommes ? La Syrie est la province de l’est de l’Empire qui contient le plus de troupes à cette époque.
Surveiller la frontière de l’Euphrate
La priorité des légions, c’est d’abord de protéger la frontière de l’Euphrate avec l’empire parthe.
La Syrie est un territoire très ouvert. Il y a beaucoup de voies de passage possibles entre l’empire parthe et l’empire romain. Sur les hautes vallées de l’Euphrate et du Tigre, il suffit de contrôler quelques passages. Mais quand l’Euphrate sort des montagnes, il faut garder toute la rive. Il y a donc des troupes à la frontière, en dehors des zones désertiques, comme à Samosate et à Zeugma.
Pour autant, les Romains ne stationnent pas tout le long du fleuve. La pression des Parthes n’est pas permanente. Et puis, on ne peut pas faire vivre des troupes dans le désert.
Les soldats ne campent donc pas directement dans les zones désertiques. Au sud, ils s’installent dans les régions qui peuvent les faire vivre, et pas dans la steppe, où l’armée envoie simplement des patrouilles. C’est par exemple le cas de Cyrrhos, située à l’arrière, mais non loin de l’Euphrate.
Surveiller les villes de Syrie
Les légions quadrillent la province. Selon l’historien israélien Benjamin Isaac, l’armée romaine est une armée d’occupation qui maintient l’ordre. C’est certainement le cas, en partie.
Dans les faits, pourtant, il n’y a pas grand-chose à surveiller : l’agitation n’est pas bien grande, à part quelques troubles dans les villes de Phénicie sous Auguste.
Il n’y a même pas de légion dans le sud de la province, près de ce foyer permanent d’agitation qu’est la Judée depuis la mort d’Hérode. Rome aurait pu en installer une à Ptolémaïs ou à Damas.
Être présent rapidement en cas de besoins militaires
Des soldats prêts « au cas où »
La légion à Laodicée et celle qui se trouve à Raphanée sont loin du front de l’Euphrate et même de toute frontière. En plus, Laodicée communique difficilement avec l’intérieur des terres, donc sa légion n’est pas faite pour surveiller la province. À quoi servent ces unités de l’armée romaine en Syrie ?
On pense que ces légions sont là pour le cas où on aurait besoin d’opérer sur un axe nord-sud (plutôt qu’est-ouest). Raphanée, par exemple, se trouve à égale distance entre Apamée et la trouée de Homs. Grâce à cette position, Rome peut intervenir rapidement aussi bien sur la côté nord de la Phénicie qu’à Émèse.
Finalement, ces légions sont un corps expéditionnaire disponible en cas d’intervention romaine à l’est, dans le royaume parthe ou en Arménie. Elles servent conjointement avec les troupes de Cappadoce après la conquête du royaume d’Archélaos en 17 ap. J.-C.
Quelques temps forts et de longues périodes d’indolence
Mais ces opérations militaires de grande envergure n’ont pas lieu tous les jours. On remarque 3 temps forts :
- une longue période d’agitation entre 65 et 36 av. J.-C.
- la lutte entre Rome et les Parthes pour le contrôle de l’Arménie (52-63)
- l’expédition parthique de Trajan en 112-117
En dehors de ces moments-là, les légionnaires vivent un peu dans l’indolence, l’inactivité et la routine. Tacite évoque cette situation à la veille de l’expédition d’Arménie (Annales, XIII, 35).
Je voudrais conclure cet article avec une pensée pour tous ces hommes venus de tous les coins de la Méditerranée (au sens très large) et réunis dans ce territoire du Levant, la Syrie, sous l’étendard romain. Parfois pour s’y tourner les pouces, parfois pour se battre : je trouve l’image saisissante. 🙂
J’espère que cet article sur l’armée romaine en Syrie vous a plu. Retrouvez-moi dans ma newsletter pour plus de voyage en antiquité grecque et romaine. À bientôt !
Sources : SARTRE, Maurice, D’Alexandre à Zénobie – Histoire du Levant antique – IVe siècle av. J.C. – IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, 2001
Image d’en-tête : Inscription sur un autel dédié à Jupiter Sérapis par une vexillation de la Legio III Cyrenaica, vers 116/117 à Jérusalem.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.
Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.
Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.