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Histoires d’argent en Syrie hellénistique : les monnaies

La monnaie en Syrie hellénistique, c’est une histoire plurielle. Il y a plusieurs monnaies qui circulent, selon les endroits et les époques :

  • les alexandres de poids attique
  • les drachmes et tétradrachmes des Séleucides
  • les monnaies des Lagides
  • les étalons phéniciens
  • les étalons épichoriques des cités

Voyons toutes ces monnaies et ces étalons ensemble. 🙂

La monnaie en Syrie avant Alexandre

Utilise-t-on la monnaie en Syrie avant la conquête d’Alexandre ?

En Syrie maritime, oui. Plusieurs cités ou communautés battent monnaie, comme les ports phéniciens, Gaza, les Juifs au IVe siècle.

Le plus souvent, c’est à l’imitation d’Athènes. Parce qu’on a l’habitude de la monnaie grecque qui circule jusqu’ici, en tout cas quand on commerce avec les Grecs.

En Syrie intérieure, par contre, c’est une autre histoire. Damas, par exemple, ne frappe pas monnaie (en même temps, ce n’est pas une entité autonome, comme les ports phéniciens ou même les Juifs).

Bien sûr, on a retrouvé beaucoup de trésors avec des monnaies en Syrie intérieure, mais ça ne prouve pas grand-chose. Par exemple, le trésor de Jordanie, enfoui vers 445 dans le Haurān jordanien, près de la frontière syrienne. Il contient des monnaies, des fragments de lingots, des bijoux. De toute évidence, les monnaies sont là parce qu’elles ont une valeur métallique. C’est tout.

La monnaie quand Alexandre conquiert la Syrie

Quand Alexandre arrive, les villes comme Tyr continuent à frapper monnaie. Par contre, désormais, on frappe des « alexandres » de poids attique. L’étalon attique, c’est la drachme d’argent de 4,30 grammes et le tétradrachme de 17,20 grammes. Il est plus lourd que l’étalon phénicien.

Ça se passe dans des ateliers royaux situés à Arados, Tyr, Posidéion… C’est parfois une frappe massive.

Cette frappe continue jusqu’en 316, jusqu’à ce que les Lagides s’installent au sud et les Séleucides au nord de l’Éleuthéros.

Les monnaies des Séleucides en Syrie du Nord

Les Séleucides règnent sur l’Asie Mineure et en Orient. Dans ces régions, l’étalon attique s’est répandu ou a cours directement (Asie Mineure) : les territoires du royaume séleucide ont rejoint le grand ensemble monétaire égéen. On voit des ateliers se créer à Babylone, Bactres, Ecbatane, Suse et Séleucie du Tigre et utiliser l’étalon attique.

Logiquement, les ateliers crées en Syrie du Nord à partir de 300 font la même chose. La monnaie en Syrie hellénistique est profondément grecque.

À partir de 173-172, le tétradrachme d’étalon attique de 17,3 grammes est allégé autour de 16,8-16,5 grammes. 2 raisons possibles à cette dévaluation :

  • on dévalue peut-être à cause des difficultés des Séleucides à payer l’indemnité de guerre aux Romains
  • on veut mettre en harmonie la monnaie séleucide avec les étalons de Pergame, de Macédoine et d’Athènes

Il y a encore une dévaluation sous Antiochos VII (138-129) et sous le premier règne d’Antiochos VIII (121-113). Le tétradrachme d’argent est désormais officiellement à 15,5 grammes. Le poids fin (le poids réel de matière précieuse dans la monnaie) diminue aussi. La dévaluation est donc plus sensible que ne le laissent penser les seules baisses pondérales.

Les monnaies des Lagides en Phénicie

Une monnaie différente en Syrie lagide

Quand la Phénicie tombe aux mains des Lagides, les ateliers phéniciens de Sidon, Tyr, Akko, Joppé continuent leur travail : désormais, ils frappent monnaie au nom des Lagides.

Or, traditionnellement, la Phénicie utilise un système plus léger que l’étalon attique. Et les Lagides décident de ne pas faire comme Alexandre et les Séleucides.

En Égypte où ils règnent désormais, il n’y a pas de tradition monétaire propre, contrairement à l’Asie Mineure séleucide. Ptolémée tâtonne un peu, puis il adopte un étalon léger très proche de ceux de Cyrène et de la Phénicie. C’est une drachme de 3,6 grammes et un tétradrachme de 14,10 grammes.

Bien sûr, ça isole l’Égypte et ses possessions extérieures (dont la Syrie lagide) du système attique qui fonctionne presque partout ailleurs.

Mais, dans le monde grec ancien, le change des monnaies est une pratique courante. La Grèce classique connaissait de nombreux étalons différents. Ptolémée considère donc cet « inconvénient » comme minime par rapport à l’avantage qu’il vise.

Pourquoi : la ruse de Ptolémée

Ptolémée a un but : se faire de l’argent sur le change ! Pour ça, il déclare que la monnaie lagide est la seule autorisée dans son royaume. Le roi est donc maître de la frappe et de la monnaie et il gagne de l’argent lors du change et de la refrappe.

En contrepartie, la monnaie lagide ne circule pas en dehors du royaume, sauf exception, comme dans les garnisons lagides d’Asie Mineure ou de la côte sud (on en a retrouvé dans le trésor de Maydancikkale).

En Syrie du Nord, on a trouvé des monnaies lagides uniquement près de la frontière et dans le trésor de Hüseyinli, près d’Antioche.

La monnaie en Syrie hellénistique varie donc en fonction des territoires jusqu’en 200, quand les Séleucides récupèrent la Phénicie… mais aussi, en réalité, bien au-delà.

La monnaie en Phénicie séleucide

Le triomphe de l’étalon « phénicien »

Quand les Séleucides prennent la Phénicie aux Lagides en 200, on peut penser qu’ils vont y introduire l’étalon attique.

Dans un premier cas, c’est ce qui semble se passer. Les souverains reprennent les ateliers royaux lagides et y frappent des monnaies à leur nom avec l’étalon en vigueur dans leur royaume, ce fameux étalon attique.

Mais cette unification monétaire ne dure qu’entre 200 et 160 environ.

Très vite, des séries d’étalons « phéniciens » réapparaissent, dès Antiochos V et Démétrios Ier et surtout à partir d’Alexandre Balas. À tel point qu’après 150, les séries d’étalon attique deviennent exceptionnelles en Phénicie.

Quand des cités se détachent du royaume et frappent à nouveau pour leur propre compte, comme Tyr en 126 et Sidon en 107-106, elles reprennent aussi l’étalon « phénicien ».

Pourquoi cette disparition de l’étalon attique en Phénicie ?

Il y a plusieurs théories :

  • Selon Élias Bikerman, spécialiste américain de l’histoire hellénistique (1897-1981), ça montre l’influence des Lagides dans les conflits dynastiques séleucides qui commencent avec l’usurpation de Démétrios Ier et surtout avec Alexandre Balas. Les usurpateurs accepteraient implicitement le rattachement économique de la Phénicie à l’Égypte.
  • Pour Maurice Sartre, spécialiste français de l’Orient antique (né en 1944), ce n’est pas ça, car les séries d’étalon léger commencent dès Antiochos V, c’est-à-dire avant les conflits. Par ailleurs, il n’y a pas de monnayages « rivaux » pendant cette période de luttes entre les prétendants : l’étalon phénicien est quasiment le seul à circuler.
  • Georges Le Rider (1928-1914), spécialiste français de la numismatique grecque, pense que les séries de poids attique ont été des exceptions en Phénicie. Les rois séleucides ont gardé le système lagide pour faire des bénéfices sur le change (comme les Lagides le faisaient chez eux).

La monnaie en Syrie hellénistique propre aux cités

Des cités ou des groupes de cités avaient leur propre étalon. On les appelle les « étalons épichoriques ».

Entre 138 et 44-43 av. J.-C., Arados a son tétradrachme avec un étalon de 15,3 grammes, à mi-chemin entre l’étalon attique allégé des Séleucides (environ 16 grammes) et l’étalon phénicien de 14,3 grammes adopté à Marathos, Tripolis et Laodicée.

Il y a aussi l’étalon de Tyr, sur lequel s’alignent les monnaies d’Ascalon et de Sidon.

D’une ville à l’autre, on remarque de légères différences de poids. Ça permet aux cités de réaliser des bénéfices tout en profitant du crédit attaché à une monnaie d’une valeur reconnue. Ces étalons régionaux circulent, mais ils ne sont pas recherchés ni thésaurisés hors de leur zone d’émission. Ce sont des monnaies qui ne voyagent pas beaucoup en dehors de cette zone. Celle de Tyr domine largement le Levant-Sud, mais ne va pas au-delà.

Un exemple de monnaie en Syrie hellénistique : la monnaie civique d'Arados - Sources : SARTRE, Maurice, D’Alexandre à Zénobie - Histoire du Levant antique - IVe siècle av. J.C. - IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, 2001, page 234
Un exemple de monnaie en Syrie hellénistique : la monnaie civique d'Arados - Crédits photos Maurice Chéhab, Monnaies gréco-romaines et phéniciennes du Musée national, Beyrouth, Liban, Librairie d'Amérique et d'Orient, Adrien Maisonneuve, 1977 © DR

J’espère que cet article sur la monnaie dans la Syrie hellénistique vous a plu. Pour plus d’informations sur l’antiquité grecque et romaine, rejoignez-moi dans ma newsletter !

Sources : SARTRE, Maurice, D’Alexandre à Zénobie – Histoire du Levant antique – IVe siècle av. J.C. – IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, 2001

Image d’en-tête : Monnaies civiques de Tyr et Sidon – Crédits photos Maurice Chéhab, Monnaies gréco-romaines et phéniciennes du Musée national, Beyrouth, Liban, Librairie d’Amérique et d’Orient, Adrien Maisonneuve, 1977 © DR

À qui appartient la terre dans la Syrie hellénistique ?

La règle de base pour la propriété en Syrie hellénistique est celle-ci : toute la terre appartient au roi.

Toutefois, cette terre est partagée entre une terre royale administrée directement par le souverain séleucide et une terre concédée par lui à des personnes ou des groupes qui paient une redevance… ou pas.

Dans cet article, on va voir successivement tous les types de propriétés :

  • les propriétés royales gérées directement
  • les terres exploités par les paysans
  • les terres possédées par des particuliers
  • les lots concédés à des colons militaires
  • les lots concédés à des colons dans les cités
  • les propriétés des communautés
  • les terrains des villes autochtones (non grecques)
  • les propriétés des sanctuaires

Point de départ : en Syrie, la terre appartient au roi !

Le roi est le propriétaire éminent de tout le royaume par « droit de lance » (droit de conquête). Il peut en faire ce qu’il veut, y compris en donner une partie à des communautés ou des individus (lesquels, parfois, possédaient déjà une terre au moment de la conquête : ils sont alors confirmés dans cette propriété).

Le tableau ci-dessous reprend la classification de Heinz Kreissig, historien allemand (1921-1984). Heinz Kreissig s’est appuyé sur la documentation d’Asie Mineure pour montrer le fonctionnement du régime des terres (Wirtschaft und Gesellschaft im Seleukidenreich, Berlin, 1978).

Tableau montrant le fonctionnement de la propriété dans la Syrie hellénistique - Classification de H. Kreissig - Extrait D'Alexandre à Zénobie - Histoire du Levant antique - IVe siècle av. J.C. - IIIe siècle ap. J.-C.
Tableau montrant le fonctionnement de la propriété dans la Syrie hellénistique - Classification de H. Kreissig - Extrait D'Alexandre à Zénobie - Histoire du Levant antique - IVe siècle av. J.C. - IIIe siècle ap. J.-C. de Maurice Sartre

La terre « retranchée » est une terre concédée à titre définitif, qui sort donc du giron royal, contrairement à la terre « concédée » qui peut-être reprise.

Dans les faits, ces deux types de terres n’étaient peut-être pas si différents. Après tout, toute concession royale est révocable. Il n’y avait peut-être pas tellement de différences entre les terres concédées à titre temporaire et celles concédées à titre définitif. Tout dépend de la volonté et de la capacité du roi à les récupérer.

Les domaines royaux séleucides

Il y avait sûrement des domaines royaux exploités directement par des intendants, même si nous n’en avons aucune trace.

Avant Alexandre : les paradis perses

Avant l’installation des Grecs, la dynastie Achéménide avait ce qu’on appelle des « paradis ». Le Grand Roi, et aussi des membres de sa famille et des nobles perses possédaient des domaines de ce type.

Quelques exemples de paradis ou de suppositions de paradis :

  • Le Grand Roi avait un paradis à Sidon.
  • La reine Parysatis, mère de Cyrus le Jeune, possédait des villages en Syrie du Nord « pour sa ceinture » (Xénophon, Anabase, I, 4-9)
  • La « vallée royale » citée par Strabon (XVI, 2, 20) et située dans le sud de la Beqā, aux sources du Jourdain, s’appelait peut-être ainsi parce qu’il y avait là un domaine royal.
  • Apamée s’appelait autrefois Pharnakè : en souvenir de son propriétaire perse ?

La récupération des paradis par les Grecs ?

En 332, à leur défaite face à Alexandre, ces terres n’avaient plus de détenteur. On peut supposer que les rois séleucides (et lagides) en ont récupéré au moins une partie pour se constituer une propriété propre en Syrie hellénistique.

Ainsi, il y avait peut-être un domaine royal dans les trois districts de la Samarie (Lydda, Aphéréma et Ramathaim) réclamés par des Juifs. Ces districts deviennent ensuite un domaine hasmonéen.

Georges Tchalenko, historien et archéologue russe (1905-1987), pensait qu’il y avait de vastes domaines royaux dans le Massif Calcaire de Syrie du Nord, laissés à l’abandon par les derniers Séleucides. Les Romains les divisent en lotissements à l’époque julio-claudienne (Villages antiques de la Syrie du Nord, Paris, 1955).

L’administration des domaines royaux séleucides

S’ils ont existé, les domaines royaux étaient gérés comme des domaines privés, c’est-à-dire avec la force de travail des villageois qui y résidaient.

Ces domaines ont pu être plus ou moins importants au fil du temps. On n’en sait décidément pas grand-chose et les domaines impériaux romains ne sont pas beaucoup plus connus pour le Haut Empire.

Les terres de Syrie hellénistique concédées aux paysans

L’exploitation de la terre en échange d’une redevance

La plus grande partie de la terre royale est occupée par des villages dont les paysans exploitent le sol « pour eux-mêmes ». Le roi leur concède la terre en échange d’une redevance versée à l’administration séleucide.

Le roi peut aussi concéder ces villages de la chôra à des individus ou des communautés, à titre temporaire ou définitif. Les paysans doivent alors verser cette redevance au nouveau propriétaire.

Des paysans plutôt indépendants ?

Il faut noter qu’en Syrie, on n’a aucune mention de laoi basilikoi, ni de paysans royaux, bref aucun terme évoquant une sujétion quelconque (contrairement à l’Asie Mineure). Les paysans sont installés dans leur village depuis longtemps. Ils restent largement maîtres des cultures et de la répartition du travail. D’ailleurs, on remarque que, dans la partie lagide de la Syrie, il n’y a pas du tout trace d’une exploitation centralisée comme en Égypte.

À la limite, les villages payaient peut-être une partie de leur redevance en nature : ils devaient alors adopter certaines cultures plutôt que d’autres. Mais, même là, c’est une supposition.

On ne sait pas non plus si chaque village est un ensemble de petits paysans autonomes ou si la collectivité contrôle la répartition des terres, les cultures, etc. Peut-être que la situation change localement, selon les contraintes du climat et de l’hydraulique

Attention : il existe aussi des communautés qui ont passé un contrat avec le roi et qui ne sont pas soumises à la redevance. Ce contrat les reconnaît comme des alliées libres de s’auto-administrer dans certaines limites. Ces communautés sont les symmachia.

La propriété en Syrie hellénistique pour les particuliers

La dôrea, cadeau aux grands nobles

Dans des textes d’Asie Mineure, on voit la pratique de la dôrea (« cadeau ») pour de hauts personnages du royaume. On connaît aussi cet usage en Égypte : Apollônios reçoit la dôrea dans le Fayoum.

On connaît aussi la pratique du cadeau en Syrie, et ce dès l’époque achéménide. Les bénéficiaires sont des membres de la famille royale ou de grands personnages de la cour. La dôrea existe encore sous les Séleucides.

La terre est concédée à titre gracieux, sûrement temporairement. En fait, c’est le salaire d’un homme qui rend service au roi.

Les différents types de terres des aristocrates

Toutefois, tous les domaines aristocratiques ne sont pas des cadeaux temporaires. L’inscription d’Hefzibah nous parle du domaine de Ptolémaios, fils de Thraséas, en Galilée. On voit que ce domaine est constitué de trois types de terres :

  • des terres héritées
  • des terres achetées
  • des terres concédées par le roi Antiochos III
La stèle d'Hefzibah - Musée d'Israël à Jérusalem - Elle nous en dit long sur l'administration séleucide
La stèle d'Hefzibah - Musée d'Israël à Jérusalem - Elle nous en dit long sur l'administration séleucide - Pour les crédits image, suivre ce lien : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hefzibah_stela.jpg

Les terres concédées

Les terres concédées sont des dôreai. Ce sont sûrement des récompenses : Ptolémaios a changé de camp en 200, il a rejoint celui d’Antiochos III. Ce sont aussi les revenus normaux que le roi concède toujours aux membres de son entourage.

Les terres achetées

La mention des terres achetées montre qu’il y a un marché de la terre et que des domaines changent de mains. Il y a peut-être des ventes quand un petit paysan est endetté, un aristocrate ruiné, et entre les sanctuaires et les communautés. Ce qui est sûr, c’est qu’un individu peut acheter des terres : les fortunes sont mobiles.

Les terres héritées

Les terres héritées de Ptolémaios montre que sa famille est implantée dans sa satrapie depuis longtemps.

Son père a peut-être constitué son domaine comme l’a fait son fils. Une dôrea est sûrement à l’origine du domaine et ce cadeau s’est transmis d’une génération à l’autre.

Bien sûr, le roi pourrait le reprendre. C’est ce qui se passe en Égypte en 253 : Apollônios le dioikètès (gérant des finances des rois lagides) est disgracié. Mais, pour en arriver là, il faut de graves raisons politiques ou l’absence de tout héritier mâle.

Dans la plupart des cas, les grands du royaume ont ancré leur propriété en Syrie hellénistique dans une région donnée d’où ils étaient originaires.

Voici l’inscription d’Hefzibah qui parle des terres de Ptolémaios :

« A. Le Roi Antiochos à Ptolémaios, salut….. d’ordonner que les lettres soient inscrites sur des stèles de pierre….., qu’on les dresse dans les villages concernés. Nous avons écrit aussi à ce sujet à Cléon et à Héliodôros, les dioecètes, afin qu’ils agissent en conformité avec ceci. L’an 117, le.. du mois Hyperbérétaios.

B. le Roi Antiochos à Cléon, salut. Que ce qui a été écrit par nous aux stratèges [———-].
La même lettre à Héliodôros.

C. le Roi Antiochos à Cléon, salut. Ci-joint une copie du mémorandum qui nous a été remis par Ptolémaios le stratège et grand-prêtre. Qu’il en soit désormais comme il le propose. L’an 114….

D. Au roi Antiochos, mémorandum de Ptolémaios, stratège et grand-prêtre concernant les litiges éventuels. Je demande que soient données des instructions pour que ceux qui opposeront dans mon village les paysans entre eux puissent être réglés par mes agents, que ceux qui les opposent à des paysans d’autres villages soient examinés par l’économe et par mon régisseur sur place, que s’ils portent sur un meurtre ou paraissent d’assez d’importance, l’affaire soit renvoyée devant le stratège de Syrie et Phénicie ; que les phrourarques et les préposés à l’administration territoriale ne se désintéressent d’aucune façon de ceux qui demandent leur intervention.

E. Le roi Antiochos à Cléon, salut. Ci-joint une copie du mémorandum qui nous a été remis par Ptolémaios le stratège et grand-prêtre. Qu’il en soit comme il le propose. L’an 114, le 4 du mois Audnaios.

F. Au Grand Roi Antiochos, mémorandum adressé par Ptolémaios, stratège et grand-prêtre. Je propose, si tu es d’accord, Roi, d’écrire à Cléon et à Héliodôros, les dioecètes, au sujet des villages qui m’appartiennent par acquisition ou comme propriété héréditaire et ceux que tu as ordonné de m’assigner : personne n’aura le droit d’y établir ses quartiers, sous aucun prétexte, ni en installant d’autres gens, ni en réquisitionnant les biens et en expulsant les villageois. La même lettre à Héliodôros.

G. le Roi Antiochos à Marsyas, salut. Il nous est annoncé par Ptolémaios le stratège et grand-prêtre que beaucoup de ceux qui traversent la région logent en usant de violence dans ses villages et commettent beaucoup d’autres actes d’injustice en ne se préoccupant pas des consignes que nous leur avons données. À ce sujet, prends soin désormais qu’ils ne soient pas seulement empêchés d’agir ainsi, mais qu’ils soient aussi punis au décuple s’ils ont commis des dommages. La même lettre à Lysanias, Léon, Dionikos.

H. le roi Antiochos à Héliodôros, salut. Ci-joint une copie de la lettre que nous avons écrite à Marsyas. Tu agiras désormais conformément à cela. L’an 117, au mois de Xanthicos.

I. Ci-joint était la même lettre à Marsyas ; à Théodotos, une copie de la lettre à Lysanias ; à Apollâphanès une copie de la lettre à Léon ; à Ploutogénès une copie de la lettre à Dionikos. »

(Y.H. LANDAU, IEJ, 16, 1966, p. 54-70 ; J. et L. ROBERT, Bull. Épigr., 1970, 627 ; 1971, 73 ; 1974, 642, 642a ; 1979, 619 ; Th. FISHER, ZPE, 33, 1979, p. 131-138 ; J. E. TAYLOR, Seleucid Rule in Palestine, PhD Duke University, 1979, p. 108-168 ; J.-M. BERTRAND, ZPE, 46, 1982, pp. 167-174)

Une propriété individuelle fréquente

On ne connaît pas de cas de propriété en Syrie hellénistique aussi précis que celui de Ptolémaios, mais on est sûr que ce n’est pas une situation isolée. Il y a d’autres exemples de particuliers possédant des terres, et pas seulement de grands personnages du royaume.

  • Apollônios le dioikètès dont on a parlé plus haut possède des domaines en Galilée. On les connaît grâce aux archives de Zénon, qui travaille pour lui. Apollônios fait venir son vin de ces domaines.
  • Dans l’inscription des privilèges de Baitokaikè, un roi Antiochos rappelle que le village entier appartenait autrefois à Démétrios, fils de Mnaséas, du bourg de Tourgôna (lecture incertaine), dans la satrapie d’Apamée. Démétrios n’a pas de titre particulier, ce n’est pas un fonctionnaire ni un noble comme Polémaios. C’est probablement juste un colon enrichi.
  • Dexandros d’Apamée, premier grand-prêtre du culte impérial en Syrie sous Auguste, est un autre exemple de colon enrichi. Un texte de l’époque de Trajan dit qu’il était tétrarque dans un secteur proche d’Apamée, comme plusieurs autres notables avec lesquels il a noué des relations matrimoniales. Ces grands notables citadins ont sûrement été promus par les Romains parce qu’ils possédaient de vastes domaines fonciers.
  • Les aristocrates de la classe sacerdotale de Jérusalem semblent avoir reçu des Lagides, soit comme cadeau, soit en les achetant, des domaines situés notamment dans les trois districts samaritains autour de Lydda. Ils voulaient garder leurs domaines et c’est sûrement pour ça qu’une partie de cette aristocratie juive s’est ralliée à Antiochos III en 200.
  • Des Juifs hellénisés du temps du grand-prêtre Jason sont propriétaires dans les mêmes secteurs. Leurs villages sont attaqués par Judas Maccabée lors de la révolte contre les Séleucides.

Les terres des colons militaires en Syrie séleucide

Ce sont les clérouques : les colons militaires qui reçoivent une terre pour solde.

On a deux attestations de leur existence : l’une dans le domaine séleucide, l’autre en Syrie lagide.

  • Chez les Séleucides, un édit royal fixe les règles de successions chez les colons de Doura-Europos en l’absence d’héritier direct. Quand il n’y a plus d’héritier potentiel, le roi peut récupérer la terre et l’attribuer à qui il veut. C’est un indice précieux sur la dévolution de la propriété en Syrie hellénistique en ce qui concerne les colons.
  • En Transjordanie lagide, les archives de Zénon (chez Apollônios, voir ci-dessus) montrent des clérouques placés sous le commandement d’un Tobiade (grande famille juive hellénisée). Ces clérouques sont cités explicitement en tant que tel alors qu’ils sont témoins dans un contrat de vente. On ne sait pas s’ils ont les mêmes avantages que les clérouques d’Égypte, mais ils ont sûrement reçu des lots de terre pour leur entretien.

Les Lagides perdent la Transjordanie vers 200. On n’a plus aucune mention des clérouques d’Ammonitide après cette époque.

Ci-dessous, l’inscription de Doura-Europos :

« Les successions des défunts sont déférées à ceux qui sont les plus proches par le sang. Les plus proches sont :

1. Si le défunt n’a pas laissé de postérité ou s’il n’a pas adopté de fils conformément aux lois, le père ou la mère à condition qu’elle ne soit pas remariée ;

2. À défaut du père ou de la mère, les frères consanguins du père ;

3. À défaut de ceux-ci, les frères consanguins [du défunt] ;

4. S’il n’existe aucun de ceux-ci, mais que le père du père ou la mère du père vivent, ou un cousin du côté du père, c’est à eux qu’appartient la succession ;

5. À défaut d’aucun de ceux-ci, c’est au roi que sont dévolus les biens.

Le même ordre sera suivi aussi pour les [autres] droits et obligations des plus proches. »

(Bernard HAUSSOULLIER, « Loi grecque sur les successions », RHDE, 1923, p. 526 (Fragment de parchemin trouvé en 1922 à Doura-Europos), C. B. WELLES et alii, Dura Final Report, V, New Haven, 1955, p. 76-79, n° 12)

Les terres concédées aux colons des cités hellénistiques

Contrairement à toutes celles qu’on vient de voir, les concessions de terres faites aux colons qui s’installent dans des cités anciennes ou nouvelles sont vraiment irrévocables.

La création des lots lors de la fondation de la cité

Quand un roi fonde une cité, il y installe des colons. Il leur donne alors des lots de terre pour leur entretien. Les parcellaires antiques des fondations comme Antioche et Damas le confirment. Ils ont la même orientation que les axes principaux de la ville : tout a été fait en même temps, le tracé des rues et celui des parcelles, même si on n’a pas donné tout de suite les lots à des individus.

Le but des souverains séleucides est de développer un certain type de propriété en Syrie hellénistique : une classe de petits et moyens propriétaires fonciers.

La conservation de la propriété autochtone

Ce processus a eu lieu aussi dans des villes anciennes comme Damas. Mais il n’a pas fait disparaître la propriété indigène.

Damas, par exemple, est une ancienne ville autochtone. Elle a été refondée comme cité grecque assez tard à l’époque hellénistique. Bien sûr, elle comptait déjà des propriétaires, qui étaient installés depuis longtemps aux abords de la ville. Ils sont restés en même temps qu’on installait des colons grecs :

  • le cadastre hellénistique au nord-est de la ville est orienté dans le même sens que les quartiers est
  • le parcellaire indigène montre de petits lots aux formes très irrégulières au nord-ouest

Le cas de Damas a dû se reproduire dans la plupart des villes de Phénicie. L’installation de colons grecs ou macédoniens y est restée marginale.

Bref, partout dans les cités de Syrie, il y a une propriété foncière privée, de taille variable, entre les mains d’immigrants ou dans celles des anciens habitants, quel que soit leur statut.

Les terres de Syrie hellénistique des communautés, des villes indigènes et des sanctuaires

Les communautés

Certaines communautés possèdent des terres, comme les Juifs. En Judée, la propriété du sol est répartie entre la communauté, les individus (propriété privée) et le Temple. C’est la situation traditionnelle des cités grecques où la communauté possède des terrains communaux et administre aussi ceux des sanctuaires civiques. Ces terres sont souvent louées à des particuliers. On a peut-être la même chose en Syrie.

Les villes indigènes

Les villes autochtones de Hama et de Damas deviennent des cités assez tardivement. Avant ça, elles comptaient sûrement des notables non grecs dont la fortune reposait en partie au moins sur la terre.

Elles sont représentatives de toutes les villes qui ne sont jamais devenues des cités.

Les sanctuaires

On a aussi les sanctuaires grecs ou indigènes, qui possèdent des propriétés sacrées. Une partie de ces propriétés vient des époques antérieures. Les rois grecs ont construit, eux aussi, des propriétés sacrées en donnant des terres à de nouveaux sanctuaires. C’est le cas à Baitokaikè, où le roi concède un terrain pour Zeus :

« J’ai décidé de lui concéder pour tout temps à venir… le bourg de Baitokaikè… avec tout ce qui lui appartient. » (IGLS, VII, 4028 C)

Autre exemple : à Hiérapolis-Mambīdj, le grand-prêtre gère une principauté constituée par les domaines fonciers du dieu.

Un sanctuaire ne peut pas survivre sans terre. Il y a donc sûrement eu d’autres cas. Mais nous n’avons pas de documentation pour l’époque hellénistique. La mention de hierodouloi (esclaves des sanctuaires) est rarissime même à l’époque impériale.

La propriété en Syrie hellénistique vient certes du roi. Mais, comme on le voit, dans certains cas, cette possession royale devient une abstraction (les cités – les propriétés privées tellement ancrées dans le temps qu’elles rentrent dans le marché de la terre – etc.). Dans d’autres situations, au contraire, le roi affirme sa prééminence, comme lorsqu’il disgrâce un aristocrate (Apollônios) ou qu’il récupère la terre à la mort d’un propriétaire dépourvu d’héritier.

J’espère que cet article a répondu à toutes vos questions ! Sinon, n’hésitez pas à commenter. 😉 Je vous invite aussi à me retrouver deux fois par mois dans ma newsletter pour plus de balade en antiquité grecque et romaine.

Sources : SARTRE, Maurice, D’Alexandre à Zénobie – Histoire du Levant antique – IVe siècle av. J.C. – IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, 2001

Image d’en-tête : Vue aérienne de Sepphoris, en Galilée (Israël) – Ruines antiques – Crédits Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International

Balade dans l’administration séleucide

« Balade » bien particulière puisqu’on ne va pas visiter les hauts lieux architecturaux de la Syrie hellénistique, mais l’administration séleucide. On va surtout parler de :

  • fiscalité
  • défense du territoire
  • culte d’État

et globalement de tout ce qui relève de l’administration territoriale, que ce soit au niveau des cités ou du royaume : fonctionnaires, taxes, impôts, prélèvements, forts, garnisons, religion, etc. C’est parti ? 😉

État des lieux : il y a des fonctionnaires en Syrie hellénistique ?

Pour le royaume séleucide, on a beaucoup moins de sources écrites que pour le royaume lagide, qui regorge de papyrus.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, la Syrie était certainement aussi contrôlé que l’Égypte. En témoigne l’inscription de Hefzibah, sur laquelle je vais revenir plusieurs fois. Elle cite beaucoup de fonctionnaires royaux.

Le territoire gouverné par les Séleucides était quadrillé par des fonctionnaires fiscaux et économiques, par des militaires et par des administrateurs territoriaux.

Nous allons parler de cette administration secteur par secteur.

La fiscalité à l’époque séleucide

Les types de fiscalité

La fiscalité séleucide n’est pas bien connue mais, d’après ce qu’on en voit, elle est plutôt diversifiée.

Les impôts

  • Le tribut. C’est une marque de dépendance envers le roi. Il est payé par la collectivité : village, cité, ethnie. Tous les membres de cette collectivité sont solidaires entre eux pour payer le tribut. Sauf privilège spécial accordé à un individu, tout le monde doit payer.
  • La capitation. À l’inverse du tribut, c’est un impôt personnel par tête. On sait qu’il a existé car, d’après les sources, certains Juifs en sont exemptés par Antiochos III. Sa collecte se faisait peut-être par le biais des collectivités locales.
  • Les couronnes ou l’impôt coronaire. À l’origine, il s’agit d’un « impôt volontaire ». Les communautés versent une somme à l’occasion d’un évènement joyeux concernant le roi ou sa famille (victoire, naissance, mariage, avènement…). Il devient ensuite un véritable impôt, assez lourd d’ailleurs, dans tous les royaumes hellénistiques. Il est irrégulier : le roi l’exige quand il a besoin de fonds.

Les taxes

L’administration séleucide récupère aussi des revenus grâce à de nombreuses taxes indirectes :

  • L’Halikè ou tôn halôn. Elle est mal connue. C’était peut-être une obligation de payer un prix fixe (et sûrement élevé) pour une quantité donnée de sel. Il ne faut pas le confondre avec l’impôt en nature que paient les Juifs, qui doivent fournir une certaine quantité de sel extrait de la mer Morte.
  • La taxe d’enregistrement existe partout, pas seulement chez les Séleucides. Mais on ne sait pas ce qui est soumis à enregistrement dans le royaume.

Les taxes sur les échanges

Les taxes sur les échanges sont classées en 3 catégories :

  • Les droits de douane. Ce sont des taxes appliquées à l’entrée et à la sortie des marchandises. Il y en a aux frontières du royaume et dans les ports de la côte syrienne, mais pas seulement ! Tout le royaume est divisé en districts douaniers. Quand les marchandises passent de l’un à l’autre, il faut payer des droits de douane. On sait qu’Antiochos III dispense les Juifs de payer pour les bois, « qu’ils soient pris dans la Judée elle-même et chez les autres peuples du royaume au Liban ».
  • Les droits d’octroi ou de péage. Ils s’appliquent à l’intérieur d’un même district douanier (comme pour le bois de Judée lorsqu’il est transporté à Jérusalem) et pour tous les transports (comme le droit de navigation sur l’Euphrate). Ce sont des taxes ad valorem. Démétrios Ier et Démétrios II font remise de ces « dîmes » aux Juifs. Dans le mémorandum de Ptolemaois (inscription d’Hefzibah), celui-ci demande divers avantages pour ses paysans, dont l’exemption de ces péages.
  • Les droits de mutation. Ce sont des taxes sur la vente et l’achat. Les marchés de Baitokaikè et peut-être le troc fait par les villageois de Ptolémaios en Galilée en sont dispensés.
La stèle d'Hefzibah - Musée d'Israël à Jérusalem - Elle nous en dit long sur l'administration séleucide
La stèle d'Hefzibah - Musée d'Israël à Jérusalem - Elle nous en dit long sur l'administration séleucide - Pour les crédits image, suivre ce lien : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hefzibah_stela.jpg

Les autres types de revenus pour le roi

Le roi encaisse sûrement des revenus de la terre, ce qu’on appelle une rente fonctière. Mais nous n’avons aucune information là-dessus.

En revanche, on sait qu’il a un monopole sur certaines ressources du territoire syrien, comme des mines et des carrières. Par exemple, l’administration séleucide exploite les jardins balsamiques de Jéricho et l’asphalte de la mer Morte (que revendiquent aussi les rois de Pétra). Il a également le monopole de l’exploitation des forêts du Liban.

À côté de ça, on ne connaît pas de domaines royaux en Syrie, tels que les forêts possédées par Antiochos III près de Sardes. Peut-être que les domaines impériaux ultérieurs des Romains en sont les descendants.

Les fonctionnaires chargés de la fiscalité

Qui prélèvent tous ces impôts et toutes ces taxes ? Ce sont les dioikètai.

Ils sont chargés de prélever la part du roi sur tous les revenus : les impôts sur les récoltes, les taxes sur les marchés, sur les exportations et les importations, etc.

Ils n’interviennent pas directement dans l’organisation du commerce. Ils sont juste là pour récupérer une part des ressources générées par toutes ces activités.

Les dioikètai sont assignés à un district en particulier. Dans l’inscription d’Hefzibah, on voit deux dioikètai recevoir des instructions royales. Ce sont sans doute les fonctionnaires locaux qui gèrent les circonscriptions sur lesquelles se trouvent les villages de Ptolémaios cités dans l’inscription.

On connaît aussi les chréophylaques. Ce sont les agents de l’enregistrement : ils sont garants du respect des contrats privés, moyennant une taxe payée au roi.

L’administration militaire séleucide

La Syrie a un potentiel militaire important car elle est au centre du royaume séleucide — et, en plus, elle fait face au royaume lagide.

Le roi surveille donc le pays et il en assure la tranquillité et la protection. Il tire aussi de Syrie les hommes et les équipements dont il a besoin.

Les garnisons et les troupes

On trouve des garnisons importantes dans plusieurs villes. Apamée a ainsi la réputation d’être la ville militaire par excellence, peut-être parce que les éléphants du roi sont gardés là-bas. C’est l’élément le plus spectaculaire de l’armée séleucide jusqu’à la paix d’Apamée.

L’administration séleucide dispose également de troupes à Antioche, Samarie, Cyrrhos, Doura, Beth-Sour, Sidon, Gaza, Larissa-sur-l’Oronte…

Il y a aussi des fortins en des points stratégiques, comme dans la haute vallée du Jourdain. Les postes de Brochoi et de Gerrha, d’abord lagides, sont sûrement occupés ensuite par les Séleucides. De même, les clérouques lagides d’Ammonitide, des soldats paysans chargés de contrôler la région, passent sous contrôle séleucide en 200-198 en même temps que l’ensemble de la région.

Dans l’inscription d’Hefzibah, on parle des chefs des garnisons de Galilée. Il y en a quatre dans un espace qui est sûrement assez peu étendu. Les passages de soldats semblent fréquents : Ptolémaios demande que ses villageois soient exemptés de réquisitions et de l’obligation de loger les troupes.

Les prélèvements sur les populations

L’administration militaire s’occupe de toutes sortes de prélèvements faits sur les sujets du roi. Les chefs de garnison et les préposés à l’administration territoriale réquisitionnent des logements, du fourrage et des transports.

Et aussi des hommes.

Les soldats issus des colonies et des cités

On a l’exemple de Doura-Europos. La loi sur les successions montre le fonctionnement du système des lotissements. Le roi donne un lot — en échange, le titulaire doit faire un service militaire.

On connaît aussi le système des clérouques en Égypte. Il s’est vite transformé, mais l’obligation du service est resté. Si une femme devient titulaire du clèros, elle doit trouver un homme pour effectuer le service militaire au roi. En Syrie, on n’a rien retrouvé au sujet d’un tel système, mais il a pu exister.

Une partie des troupes est peut-être constituée de descendants de soldats, ceux qui peuplent les colonies militaires. Mais il semble que les villes fournissent aussi, assez régulièrement, des contingents.

  • Larissa sur l’Oronte, par exemple, donne des cavaliers. Lors des fêtes de Daphné en 166, 3 000 cavaliers politikoi (fournis par la cité) défilent.
  • Les Antiochiens participent à l’effort de guerre d’Antiochos VII en Mésopotamie et en Iran : Diodore (XXXIV, 17) dit que pas une seule famille n’y perdit un membre.

Les soldats issus des peuples non grecs

L’administration séleucide réclame aussi des troupes aux peuples non grecs, comme les Juifs et les Arabes. Antiochos III installe 5 000 Juifs babyloniens en Phrygie. Il y a aussi sûrement des soldats juifs originaires de Judée dans les armées séleucides, plus ou moins régulièrement. Hyrcan, grand-prêtre d’Israël, est obligé de fournir des troupes et de les diriger lui-même lors de l’expédition d’Antiochos VII contre les Parthes. Quand à Démétrios Ier, d’après la Bible (1Macc., X, 38), il « propose » à Jonathan d’embaucher 30 000 mercenaires juifs.

On trouve aussi des Arabes dans les armées royales. Zabdibèlos mène 10 000 Arabes à la bataille de Raphia en 217, qui oppose Séleucides et Lagides.

Le roi peut recruter des troupes adaptées à la surveillance des marges désertiques du royaume dans les tribus proches. Antérieurement, il existait déjà une longue tradition militaire de ce type chez les Assyriens et les Achéménides. Des accords devaient existaient entre le roi et ses alliés. L’envoi de cavaliers ou de méharistes est probablement un signe d’allégeance de la part des tribus nomades.

Les populations face à l’administration séleucide

La fiscalité, les prélèvements en hommes et en fournitures et les garnisons marquent la présence royale. On ne sait pas vraiment comment les populations la supportent, mais on a quelques manifestations d’opposition.

La révolte des Samaritains

Dès Alexandre, les Samaritains se révoltent violemment. Ils brûlent vif le satrape Andromachos.

Les révoltes à la mort de Séleucos Ier

À la mort de Séleucos Ier, on dirait qu’il y a des troubles, notamment en Syrie du Nord. Une inscription officielle d’Ilion mentionne des troubles qui ont ravagé les cités de Seleukis. Cela confirme un passage de Mémnon d’Héraclée disant qu’Antiochos Ier a eu du mal à récupérer l’héritage de son père.

L’atelier d’Apamée est quasiment inactif au début du règne d’Antiochos Ier. Cette ville a-t-elle été le foyer de la révolte ? Les Lagides ont-ils influencé les troubles ? Rien dans les textes ne parle de la responsabilité de soldats révoltés. Il peut y avoir de nombreuses raisons à cette révolte.

En tout cas, certaines villes subissent des destructions. Peut-être les révoltés les visent-elles parce qu’elles sont considérées comme fidèles au roi ou qu’elles sont des symboles de la présence grecque. Peut-être aussi sont-elles ravagées par les combats entre factions ennemies.

La naissance du culte royal d’État

La révolte contre Antiochos Ier à la mort de son père montre la difficulté de tenir un empire aussi immense. Le roi est le seul facteur d’unité entre toutes les provinces et tous les peuples. Finalement, la fin de la révolte coïncide avec l’obligation imposée à tous par Antiochos Ier de décerner des couronnes en son honneur et en l’honneur de son père décédé.

Il exige la manifestation d’un loyalisme qui préfigure la naissance d’un culte royal d’État. Celui-ci commence plus tard, on ne sait pas trop quand exactement.

Les prémices en Grèce, Asie Mineure et Égypte

Le culte officiel de la dynastie et du roi vivant est un moyen de gouvernement pour l’administration séleucide. Les souverains sont divinisés dès l’époque d’Alexandre dans les villes d’Asie Mineure. Après la proclamation des nouvelles monarchies en 306-305, les cités grecques offrent les honneurs divins aux Diadoques. Démétrios est déjà traité comme un dieu par les Athéniens en 307.

Assez vite, l’administration royale prend en charge ce culte officiel qui devient culte d’État. Le phénomène est bien connu en Égypte. Le culte des morts s’organise progressivement, puis c’est celui du roi et de la reine vivants dès le règne de Ptolémée II.

L’institution du culte chez les Séleucides

L’évolution est la même au royaume séleucide. On ne sait pas si Séleucos Ier et Antiochos Ier sont divinisés de leur vivant, mais Antiochos II reçoit l’épithète de Théos de la part de Milet.

Le culte royal d’État est organisé au plus tard sous Antiochos III. On a trouvé partout dans l’Empire une série d’inscriptions à peu près contemporaines : ce sont des lettres royales organisant le culte de la reine Laodice.

Le culte officiel est institué dans la capitale locale de chaque satrapie et dans les subdivisions administratives sous la direction d’un grand-prêtre pour le roi et d’une grande-prêtresse pour la reine. Ces prêtres et prêtresses sont choisis parmi les plus grands personnages de la région : membre de la famille royale en Médie, fille d’un dynaste local en Asie Mineure, le stratège Ptolémaios en Koilè-Syrie.

Ce culte cohabite avec les cultes locaux et civiques. On retrouve des sanctuaires ou des témoignages de ce culte dans plusieurs villes de Syrie : Séleucie en Piérie, Samarie, Scythopolis.

Des séries de légendes consacrées à l’origine divine de la dynastie parlent de signes divins fondant le culte.

Un culte pour les Grecs ?

Les témoignages disponibles

D’après les témoignages, les fidèles de ce culte sont d’abord de hauts fonctionnaires et des individus issus de milieux grecs ou très hellénisés. Antiochos III est honoré par Ptolémaios, fils de Thraséas, stratège de Koilè-Syrie et de Phénicie, et Antiochos VII par un « premier ami », archi-secrétaire des armées.

On a la même chose en Égypte : les offrandes faites en l’honneur de Ptolémée IV à Tyr et à Joppé viennent respectivement d’un haut fonctionnaire, hipparque, l’Étolien Doryménès, et d’un prêtre du roi, Anaxiclès.

Toutefois, il faut se rappeler que les indigènes écrivent peu à cette époque. De plus, le nombre d’inscriptions hellénistiques est dérisoire. Les marques de dévotion sont donc globalement rares.

Pour autant, on a un exemple de dédicace indigène à Wasta, en Phénicie. C’est Pimilkas, fils de Nabousamo, qui honore le roi Ptolémée et Aphrodite Secourable.

Une idéologie ancestrale de soumission au roi

Avant l’arrivée d’Alexandre et des Séleucides, le roi achéménide bénéficiait de la désignation d’Ahura-Mazda et de la protection des dieux. Il avait répandu une idéologie de soumission au roi et d’un effort de production perçu comme un acte de piété.

Le culte royal séleucide est dont certes d’un usage grec, mais il s’inscrit dans la continuité d’une image de puissance du roi. Il renforce ainsi la dépendance et le respect des indigènes. L’adhésion au culte favorise la loyauté. C’est un instrument de domination des Grecs sur la Syrie, indispensable pour eux puisqu’ils ne sont présents qu’en petit nombre face à une population majoritairement autochtone.

Vous avez aimé cet article sur l’administration séleucide ? Retrouvez plus d’histoire antique dans ma newsletter !

Sources : SARTRE, Maurice, D’Alexandre à Zénobie, Histoire du Levant antique. IVe siècle av. J.-C. – IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, 2001

Image d’en-tête : Deux pièces de monnaie séleucides représentant à gauche le profil d’Antiochos VIII et à droite un aigle avec un sceptre – Crédit image : site web cgb.fr

La chôra, territoire des cités en Syrie

Quand on fonde une cité, dans le monde grec, il y a un premier impératif. Lui donner un territoire : une chôra.

Qu’est-ce que c’est, la chôra en Syrie hellénistique ? Je vous explique :

  • d’où elle vient et à qui elle appartient
  • son étendue et sa répartition entre les cités

La terre au Levant antique : qu’en fait-on ?

Il y a des terres agricoles en Syrie du Nord. À qui appartiennent-elles, juridiquement, à l’époque hellénistique ?

Au roi. Alexandre et ses successeurs séleucides sont propriétaires de la terre par droit de conquête (droit de la lance). Ça concerne toutes les terres du royaume. Le souverain peut donner ces terres à qui il veut : ses amis comme sa famille. Ainsi, Antiochos III donne la Koilè-Syrie, la Samarie, la Judée et la Phénicie en dot à sa fille Cléopâtre lorsque celle-ci épouse Ptolémée V, le roi lagide.

Le souverain peut aussi donner de la terre aux cités qu’il fonde.

Ces terres ne sont pas vides, évidemment. Il s’y trouve sans aucun doute déjà des villages qui exploitent le sol. Et c’est tant mieux pour le roi et les cités, car la chôra, ce territoire civique, doit répondre dès le départ aux besoins des colons et aussi du fisc royal !

La perpétuation des villages indigènes

On n’a pas intérêt à confisquer toutes les terres aux paysans indigènes pour les donner aux colons grecs et macédoniens. Les paysans connaissent leurs terres et savent la cultiver. Ils peuvent donc produire des ressources pour la cité. Ils lui apportent également de l’argent via un impôt.

Les rois ont sûrement alloué les terres proches de la fondation à des colons, mais il s’agit d’une part restreinte du territoire de cette cité nouvelle. Les villages qui étaient déjà là avant la conquête restent en place. La seule différence, c’est que, désormais, ils font partie de la chôra de la cité.

Selon Pierre Briant, historien spécialisé en antiquité perse et grecque, les paysans indigènes deviennent des « périèques » des villes nouvelles et lui paient un tribut. C’est une sorte d’application des recommandations d’Isocrate, Xénophon et Aristote, qui recommandaient de transformer les « Barbares » en « périèques » ou « hilotes » des Grecs.

Quelle taille pour la chôra en Syrie ?

On ne sait pas trop quelle taille avaient les territoires des fondations séleucides, mais on peut faire des suppositions.

Comparaison avec le territoire colonial

D’abord, on peut comparer l’étendue de la chôra à celle de la cité proprement dite, ce qu’on appelle le territoire colonial. Les rois prennent des terres pour installer la ville et y lotir les nouveaux citoyens-colons. En général, ce territoire est très grand par rapport à sa population. On n’a pas besoin de tant de place que ça pour lotir les colons, mais on est prévoyant.

Antioche, par exemple, aurait été constituée de 5 300 lots de 5 ou 10 hectares au commencement. Séleucie, quant à elle, avait 6 000 habitants en 220 (ce nombre ne comprend sans doute que les seuls citoyens). Et encore, ces deux villes-là ont été conçues comme des capitales royales. On y envisageait des populations abondantes. Beaucoup d’autres fondations n’ont jamais atteint ces chiffres de population.

Telle est la taille de la cité en elle-même, à ne pas confondre avec la chôra.

Attention : ça ne veut pas dire que TOUT le territoire syrien a été partagé entre les cités. Si on avait fait ça, il n’y aurait plus eu de place pour des fondations ultérieures. En plus, le roi se serait privé d’une part importante de revenus (n’oublions pas qu’il possède toute la terre et qu’il peut donc taxer lui aussi les paysans qui dépendent de lui).

Alors, où s’arrêtent les différentes chôra en Syrie ?

Les limites des chôra civiques

Eh bien, nous ne savons pas vraiment ! Mais nous avons des indices.

Pour Antioche et Séleucie

L’un des rares indices, c’est l’utilisation de l’ère civique des villes d’Antioche et Séleucie. Mais ça nous donne une indication uniquement pour une période tardive, à partir du milieu du IIe siècle, voire du Ier siècle av. J.-C.

Explications : au Levant antique, on utilise une ère spécifique pour dater les évènements et se situer dans le temps. C’est l’ère séleucide. Elle est utilisée partout.

Toutefois, Antioche utilise une ère distincte, l’ère césarienne, à partir de 49 av. J.-C. (époque romaine). Et Séleucie institue l’ère de la liberté en 109 av. J.-C.

Grâce à ces ères, on voit apparaître les limites entre les territoires de Séleucie, Antioche et Laodicée, qui leur est contiguë.

Ainsi, la limite entre Séleucie et Antioche se situerait approximativement près du mont Admirable qui se trouve sur le territoire de Séleucie. À l’est et au sud, du côté de Béroia, Chalcis et Apamée, les limites sont encore plus nettes.

Pour les autres cités de Syrie

Par contre, pour les autres cités de Syrie du Nord et du centre, on ne sait pas, car elles utilisent toujours l’ère séleucide. On ne peut donc pas distinguer le territoire des cités de celui des villages de la basilikē chôra (campagne du roi), ni fixer les frontières entre les différents territoires civiques.

Strabon nous dit certes que, avant 200, le territoire d’Apamée s’étend au sud jusqu’à la frontière égyptienne, donc jusqu’au lac de Homs. Mais parle-t-il du territoire civique ou plus généralement de celui de la satrapie ? Mystère.

Bref, on ne peut pas redessiner la carte du royaume séleucide et ses territoires et chôra, en tout cas au moment de la création des cités. Elles étaient plus vastes que le besoin de lotissement des colons mais, ce qui est sûr, c’est qu’elle n’englobait pas tout le territoire. Car, à côté des villes, il y avait aussi les terres royales, les domaines des temples et les domaines privés.

Cet article sur la chôra en Syrie vous a plu ? Retrouvez-moi dans ma newsletter pour un petit voyage régulier dans l’antiquité !

Sources : SARTRE, Maurice, D’Alexandre à Zénobie. Histoire du Levant antique. IVe siècle av. J.-C. – IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, 2001

Image d’en-tête : Villages abandonnés plus tardifs (à partir du Ier siècle ap. J.-C.) – Image issu du site web https://medomed.org/featured_item/ancient-vilages-of-northern-syria-syrian/

À quoi ressemblent les villes en Syrie hellénistique ?

Attention, ici, je vais vous parler des villes qui ont été fondées à l’époque hellénistique, comme Apamée, Laodicée, Damas, etc. On va donc parler de l’urbanisme de la Syrie hellénistique dit « colonial » : celui des fondations des rois macédoniens, Alexandre et ses successeurs séleucides.

Ces villes se ressemblent beaucoup :

  • un plan régulier à damier
  • des îlots égaux et rectangulaires
  • un rempart qui suit les reliefs du terrain
  • un espace emmuraillé beaucoup plus vaste que celui effectivement urbanisé

Ce sont les caractéristiques de l’urbanisme hippodamien.

(Je vous parle aussi des fondations d’Alexandre et du diadoque Antigone en Syrie ici.)

Un urbanisme syrien de type hippodamien

Plan hippodamien versus plan pergamien

Pour ce qu’on en voit, l’urbanisme des fondations hellénistiques en Syrie dérive des plans hippodamiens de l’époque classique. Ce sont par exemple les plans de Milet, du Pirée, de Rhodes ou de Priène.

A contrario, en Syrie hellénistique, on ne voit pas d’urbanisme de type pergamien. Ce type pergamien est caractérisé par :

  • l’adaptation au terrain
  • l’utilisation rationnelle des pentes
  • l’aménagement de terrasses
  • la mise en scène du paysage urbain
  • la hiérarchisation des quartiers en fonction de leur rôle

L’urbanisme pergamien nécessite donc un minimum de dénivellation.

Quand je dis qu’on n’en voit pas en Syrie hellénistique, attention : on ne connaît pas bien les aménagements de toutes les villes. Par exemple, Cyrrhos, Gadara ou Philadelphie étaient des villes situées sur des territoires vallonnés. Peut-être qu’on avait utilisé le paysage pour mettre en valeur des quartiers différenciés.

Un plan en damiers généralisé

Pourquoi a-t-on choisi plus largement, pour ce qu’on en sait, le plan hippodamien ? Probablement parce que ça s’adapte facilement à des terrains plutôt plats, contrairement au plan pergamien.

Les travaux de Jean Sauvaget ont permis de retrouver le plan antique de Laodicée dans le dédale de la ville moderne. L’archéologie a aussi restitué celui d’Apamée, de Doura, d’Apamée sur l’Euphrate. On connaît un peu celui d’Antioche, d’après des descriptions tardives.

Tous ces plans se ressemblent beaucoup : des lots rectangulaires, deux fois plus longs que larges, en général entre 48 x 96 mètres et 58 x 112 mètres. Exemples :

  • 57 sur 112 mètres à Laodicée
  • 58 sur 112 mètres à Antioche

Les deux villes ont été fondées en même temps.

Dans ces cités, on ne voit pas d’axes principaux : toutes les rues semblent à peu près identiques.

Attention toutefois : dans la plupart des cas, on ne connaît pas beaucoup plus que le plan des villes de Syrie hellénistique. Les autres éléments de l’urbanisme de la Syrie hellénistique ont disparu.

Où sont les grands édifices publics ?

Cachés dans le plan hippodamien ?

Contrairement aux villes qui ont un plan pergamien, le terrain de la plupart des villes que nous connaissons ne se prête pas à la mise en évidence d’édifices publics.

Et, effectivement, il n’y a pas de secteurs réservés visibles pour les édifices publics, dont la disposition bousculerait la régularité du quadrillage, comme dans le plan pergamien. Ces édifices publics prennent juste plus de place : 2 lots ou plus du damier. Antioche est la seule ville qui semble avoir un quartier réservé au roi et à l’administration, sur l’île de l’Oronte.

De fait, on pense parfois qu’il n’y a pas eu de grand développement monumental. Mais comment en être sûr, alors que les niveaux hellénistiques sont enfouis sous les nombreux aménagements romains ?

À Antioche, on ne voit pas de grands édifices hellénistiques avant Antioche IV. Pourtant, les Séleucides qui ont régné avant lui ont sûrement eu envie de rivaliser avec les Lagides. Ces derniers avaient édifié des palais en bordure du port d’Alexandrie.

Des preuves matérielles et littéraires

On a retrouvé de riches maisons près de l’Euphrate à Jebel Khālid. Les sanctuaires des cités, quant à eux, ont certainement été construits en dur et embellis avec le temps.

Polybe parle des monuments de Séleucie à l’époque où Antiochos III essaie de reprendre la ville aux Lagides, en 219. Les archéologues, eux, n’ont quasiment rien retrouvé et pourtant, voici la description de Polybe :

« La situation de Séleucie et la nature des lieux alentour sont les suivants. Elle se situe au bord de la mer entre la Cilicie et la Phénicie, et au-dessus s’élève une très haute montagne nommée le mont Coryphaion, baignée sur son côté ouest par l’extrémité de la mer qui sépare Chypre de la Phénicie, mais, depuis ses pentes orientales, elle domine les territoires des Antiochiens et des Séleuciens. Séleucie se trouve sur la pente du côté sud, séparée par un ravin profond et difficile à franchir, descendant et s’arrondissant en courbes jusqu’à la mer, et est entourée de la plupart des côtés par des falaises et des roches abruptes. En bas, sur le plat le long de la mer se trouvent le quartier commerçant (emporia) et le faubourg, défendus par des très puissantes murailles. Toute la cité se trouve de la même manière protégée par un mur très coûteux et est magnifiquement ornée de temples et d’autres beaux édifices. Du côté qui regarde la mer, on n’y accède que par un escalier taillé dans le roc avec de fréquentes rampes et lacets tout au long du chemin. »
(Polybe, V, 59)

Une organisation faite en une seule fois

Pendant le mandat français en Syrie, il y a eu étude de la couverture aérienne pour en savoir plus sur l’urbanisme de la Syrie hellénistique. Cette étude a montré un lien étroit entre l’orientation du plan et celle des cadastres de tout ou partie de la campagne environnante. On peut donc supposer que l’organisation du sol s’est faite en une seule fois.

Cette organisation se voit très bien pour Laodicée et Antioche. Il y a notamment une vraie continuité entre le plan urbain d’Antioche et le cadastre de la campagne proche qui est située à l’ouest de la ville. Soit c’est un lotissement initial, soit c’est une opération cadastrale liée à l’extension de la ville, par exemple à la création d’un nouveau quartier. Il y a eu plusieurs créations sous Antiochos IV.

L’urbanisme de la Syrie hellénistique : ville par ville

Toutes les villes fondées en Syrie à l’époque hellénistique ne se sont pas développées au même rythme.

Antioche

À l’origine, quand Séleucos Ier a fondé Antioche, il a aménagé deux quartiers :

  • le quartier royal de l’île
  • le quartier d’habitations des colons au sud

Séleucos II Callinicos (246-226) a créé un troisième quartier. Antiochos IV (175-164) en a fondé un quatrième qui a presque doublé la superficie de la ville.

À l’époque, il y avait peut-être déjà des habitats intercalaires entre ces quartiers, comme il y en avait au Ier siècle ap. J.-C. La ville se développait rapidement. Avant même la mort de Séleucos Ier, il semble que le roi avait transféré sa capitale de Séleucie à Antioche : c’est une preuve de son succès. La création des quartiers permettait d’organiser l’espace pour les nouveaux venus. On intégrait alors des banlieues qui s’étaient développées toutes seules.

D’ailleurs, le fait qu’Antiochos IV fasse doubler la superficie de la cité montre une brusque poussée de la population avant le milieu du IIe siècle.

Apamée

Au IIe siècle, Apamée construit une immense enceinte de presque 7 kilomètres de circonférence. Bien sûr, à l’intérieur, l’espace n’était sans doute pas entièrement bâti : les fondateurs prévoyaient toujours de la place libre à l’intérieur des murs.

Pourtant, à la fin de ce même siècle, la ville débordait au-delà de la porte nord. On y prolongeait une grande colonnade avec des portiques et des boutiques. Est-ce qu’il s’agissait d’une extension ou du remplacement d’une colonnade plus ancienne ?

Et surtout : pourquoi serait-on sorti de l’enceinte s’il y avait encore de la place à l’intérieur ? Soit il n’y avait effectivement plus de places dans les murs. Soit, c’est possible aussi, on voulait organiser l’espace près de la porte, parce que c’était un point de commerce entre la ville et sa chôra.

Doura-Europos

C’est un exemple très intéressant d’urbanisme de la Syrie hellénistique.

La ville primitive

D’après les sources anciennes, c’est Séleucos Ier qui a fondé Doura. Mais à l’époque, il a sûrement créé une colonie militaire, pas une cité.

La colonie, fortifiée, était sans doute un établissement militaire construit autour de la citadelle, près du fleuve. Une zone d’habitat s’y serait développée, comme souvent autour des camps, mais sans plan régulier de type hippodamien. Elle aurait constitué une ville basse dans l’échancrure du plateau.

La loi grecque de Doura sur les successions (non datée) confirme que le roi distribue les lots de terre et que ces derniers lui reviennent quand il n’y a pas d’héritiers. Mais il ne fixe pas le statut de la communauté : colonie militaire ou cité.

Le développement du IIe siècle

Pourtant, les archéologues ont bien dégagé des rues avec plan en damiers. Mais les céramiques trouvées en-dessous des rues les plus anciennes montrent une datation tardive.

La façade à bossage du stratègeion de Doura remonte elle aussi au plus tôt au début du IIe siècle. Quand au premier dépôt d’archives dans le chréophylakeion, il date de 129-128.

En fait, vers le milieu du IIe siècle ou un peu avant, il y a eu un grand programme urbanistique :

  • la construction d’une enceinte de prestige
  • le lotissement régulier de l’espace
  • une rue principale tracée dans l’axe de la porte de Palmyre
  • un espace réservé pour une agora

La cité érige ainsi une enceinte en pierre après 150 av. J.-C. Cette enceinte ne remplace pas une muraille plus ancienne qui se serait trouvée au même endroit. Elle répond à une extension récente de la ville, bien au-delà de la zone primitive.

Doura est devenue une cité grecque au IIe siècle, quand elle a commencé à occuper le plateau.

Quand les Parthes arrivent

Sauf que les Parthes approchent et tout s’arrête. Le rempart est terminé rapidement. Le lotissement et l’agora sont inachevés.

Après l’arrivée des Parthes, le secteur près des remparts devient un dépotoir. La zone habitée se développe quand même selon le schéma prévu. Les îlots situés sur les marges sont juste peu réguliers.

Comparaison de Doura et de Jebel Khālid

À titre de comparaison pour mieux comprendre l’urbanisme en Syrie hellénistique, on peut aller voir du côté de Jebel Khālid, situé entre la frontière turco-syrienne et le coude de l’Euphrate, près de Yusef Pasha. Le site est un long chaînon de 1 500 mètres sur la rive ouest du fleuve.

Le sommet est enfermé dans une enceinte hellénistique de 3,4 kilomètres, comme à Doura. C’est une enceinte de type « Geländemauer », qui enferme tout l’espace en suivant la topographie, comme à Doura ou Apamée. Un réduit sert d’acropole.

D’après les archéologues, c’est le siège d’une colonie militaire fondée vers la fin du IVe siècle ou le début du IIIe siècle. Elle a peut-être été construite pour garder un passage sur l’Euphrate, puis elle a été évacuée à la fin de l’époque hellénistique. On ne connaît pas son nom antique. Encore une fondation séleucide non identifiée.

C’est intéressant de la comparer à Doura, car elle lui ressemble beaucoup à ses débuts. Mais Doura, elle, s’est développée comme une ville. Jebel Khālid est resté un poste de garnison. Elle ne possédait qu’une riche résidence avec cour à péristyle.

Toute fondation n’aboutit pas à une polis. Toutes n’ont d’ailleurs pas cette vocation.

Vie et mort des cités antiques de Syrie

Toutes ces villes ont un point commun : un fort développement au IIe siècle, sous le règne d’Antiochos IV.

Ce roi est d’ailleurs le seul à procéder à de nouvelles fondations urbaines (Épiphaneia-Hama) et à des refondations (Nisibis).

Mais le développement urbain se poursuit après lui. Doura se développe encore sous l’occupation parthe. Les plus anciennes traces d’occupation hellénistique de Gérasa datent aussi de la seconde moitié du IIe siècle et Pella déborde de son tell primitif à cette époque.

Il s’agit peut-être de grandes réussites. Peut-être aussi des regroupements de colons éparpillés issus de cités moribondes.

Nous possédons beaucoup de noms de fondations et nous ne savons pas du tout où elles se trouvaient. Il y a eu aussi beaucoup de tentatives avortées et de fondations morts-nées. Des villes ont existé et existent toujours, plus de 2 000 ans après. D’autres ont existé pendant un siècle ou plus puis ont disparu à l’époque romaine impériale, sans laisser de traces ou presque. Comme Apamée de l’Euphrate (ou d’Osrhoène) aux superbes remparts hellénistiques, abandonnée à la fin du Ier siècle av. J.-C. et dont l’espace urbain servait de nécropole aux IIe-IIIe siècles.

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Sources : SARTRE Maurice, D’Alexandre à Zénobie. Histoire du Levant antique. IVe siècle av. J.C. – IIIe siècle ap. J.C., Fayard, 2001

Alexandre et Antigone : fondations grecques au Levant antique

Alexandre a-t-il laissé son empreinte dans des villes du Levant Antique ? Je vous propose de faire un petit point en balayant les fondations d’Alexandre et du diadoque Antigone en Syrie antique. Elles sont parfois contestées ou juste supposées. Il s’agit quelquefois de refondations de villes plus anciennes.

Les fondations supposées d’Alexandre et d’Antigone en Syrie

Pour Alexandre :

  • Alexandrie près d’Issos, aujourd’hui Iskanderun
  • Marathos
  • Dion et Pella en Décapole
  • Pella de l’Oronte (future Apamée)
  • Gérasa
  • Samarie
  • Gaza

Pour Antigone :

  • Antigoneia
  • Pella de l’Oronte (future Apamée)
  • Cyrrhos
  • Gindaros
Carte montrant les villes des Séleucides en Syrie antique : on y distingue des fondations attribuées à Alexandre et Antigone.
Carte montrant les villes des Séleucides en Syrie antique : on y distingue des fondations attribuées à Alexandre et Antigone. Crédits Commons Wikimedia.

Les fondations d’Alexandre au Levant antique

Alexandrie près d’Issos

Une fondation supposée

William Tarn (1869-1957) a supposé qu’Alexandrie sur Issos (Alexandrie Scabiosa) était une fondation d’Alexandre le Grand, à cause de son nom. (William Tarn, Alexander the Great, 1948)

Alexandre l’aurait fondée près du port de Myriandros.

Toutefois, cette fondation fait débat. Aucun des historiens classiques d’Alexandre (Diodore, Quinte-Curce, Arrien) n’en parle. Pourtant, la ville est plutôt célèbre et ces trois auteurs aiment évoquer les fondations de leur héros !

Une cité rebaptisée en l’honneur d’Alexandre ?

Peut-être Alexandre l’a-t-il fondée en lui donnant un autre nom ? Puis la cité aurait obtenu le droit de prendre le nom de son fondateur et serait devenue Alexandrie. Elle se trouve à 20 kilomètres du site de la bataille d’Issos, qui a ouvert la voie de la Syrie à Alexandre. C’est assez près pour que les habitants aient ressenti l’envie et la légitimité à s’approprier le souvenir de cette victoire.

Alexandre a érigé 3 autels en témoignage de sa victoire dans la plaine d’Issos. Cicéron les a vus (Ad Familiares, 15, 4).

Hérodien (III, 4, 3) va dans le sens d’un rapport entre les deux évènements : il établit un rapport entre la victoire d’Issos et la fondation d’Alexandrie. Mais il ne dit pas qu’Alexandre est le fondateur.

Pour l’instant, aucune fouille n’a été faite dans la ville d’Iskanderun / Alexandrette (le nom de la ville aujourd’hui). On ne peut donc que conjecturer.

Ce qui est sûr, c’est que cette ville existe au plus tard sous le règne d’Antiochos IV (215-164). À cette époque, elle bat monnaie.

Les colonies militaires

Les fondations d’Alexandre et d’Antigone en Syrie, ce sont parfois non pas des cités, mais des colonies militaires.

Il n’y a aucune cité dont on soit sûre qu’elle ait été fondée par Alexandre. Mais des colonies militaires ont été installées par le grand roi ou par ses généraux de son vivant.

C’est peut-être le cas de Marathos, face à Aarados.

C’est aussi Dion et Pella en Décapole, Pella de l’Oronte (future Apamée), Gérasa et surtout Samarie, qui a été installée après la révolte de 331.

C’est peut-être aussi Gaza. Les récits de l’expédition d’Alexandre disent qu’il l’a détruite, puis refondée en y installant des Macédoniens et des habitants des environs. Ni les uns, ni les autres n’étaient des partisans de la vie civique. On serait donc plutôt dans le cadre d’une colonie militaire que d’une cité.

Il faut noter que toutes ces colonies sont situées à des points stratégiques : la trouée de Homs, la Décapole, la vallée de l’Oronte, la Samarie, la porte de l’Égypte. Leur intérêt militaire est donc indéniable.

Les fondations d’Antigone en Syrie antique

Antigoneia

Antigoneia est la rivale malheureuse d’Antioche. Elle personnifie la rivalité qui a opposé Antigone à Séleucos Ier, un autre diadoque d’Alexandre.

Avant que Séleucos Ier s’empare de la Syrie du Nord en 301, Antigone a fondé Antigoneia dans la plaine du bas Oronte.

Dix ans plus tard, Séleucos fonde Antioche. Antigoneia est dépeuplée à son profit.

Toutefois, elle est encore mentionnée sous Démétrios II. À cette époque, c’est sûrement un village du territoire d’Antioche.

On en parle encore lors du combat de Cassius contre les Parthes en 51.

Pella sur l’Oronte

Pella sur l’Oronte est peut-être une colonie militaire d’Alexandre. Mais l’historienne Janine Balty a suggéré qu’elle pouvait être une fondation d’Antigone.

Pella a succédé au village perse de Pharnakè. Elle protège dès 307 la frontière sud contre une attaque des Lagides situés en Égypte. Plus tard, c’est là que s’élèvera la célèbre Apamée sur l’Oronte.

Cyrrhos et Gindaros

Cyrrhos et Gindaros sont deux cités voisines qu’on attribue aussi à Antigone. Ce serait des transpositions en Syrie de bourgades voisines de Macédoine.

Il y a certainement eu des fondations d’Alexandre et/ou d’Antigone en Syrie. Mais, comme on le voit, tout reste assez hypothétique. Les Séleucides qui s’installent ensuite durablement dans la région vont en effet atténuer les souvenirs de ce qui a été fait juste avant eux.

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Sources :

SARTRE, Maurice, D’Alexandre à Zénobie. Histoire du Levant antique. IVe siècle av. J.-C. – IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, 2001

Image d’en-tête :

Mosaïque d’Alexandre montrant la bataille d’Issos – Mosaïque de la Maison du Faune à Pompéi – Musée archéologique de Naples

Et Alexandre rencontra les Juifs

Quelle rencontre ! Celle d’un roi conquérant, Alexandre, dont le nom va se répercuter de siècle en siècle, et d’un des peuples les plus anciens du monde, celui de la Bible.

Sauf que l’Histoire ne nous dit rien de la façon dont s’est passée l’arrivée d’Alexandre le Grand en Judée et Samarie. Nous avons 2 versions, celle des Juifs et celle des Samaritains, fortement orientées politiquement. Et quelques allusions plus vraisemblables historiquement parlant, mais très ténues.

Je vous présente les unes et les autres dans cet article. 🙂

Les récits juifs et samaritains sur Alexandre au Levant

Les Juifs et les Samaritains parlent d’Alexandre. Toutefois, les récits que je vais vous mentionner ont un intérêt éminemment politique. Ils évoquent en effet des privilèges et des fondations. Selon ces récits, c’est Alexandre le Grand qui les a initiés lorsqu’il a rencontré les Juifs et les Samaritains.

Mais mais mais… Juifs et Samaritains en donnent des versions sensiblement différentes !

Nos sources :

  • Flavius Josèphe (37/38-100) raconte le passage d’Alexandre en Syrie et Phénicie. C’est le seul auteur classique que nous connaissons qui parle des relations entre le roi-conquérant et les Juifs et Samaritains.
  • Le Talmud (Rouleau des Fêtes, Megillat Ta’anit) et une chronique samaritaine évoquent les mêmes évènements, mais ils développent des versions opposées.
Carte des conquêtes d'Alexandre le Grand en Judée et Samarie et dans le reste du monde méditerranéen et oriental
Carte des conquêtes d'Alexandre le Grand - Carte issu du site L'Histoire : https://www.lhistoire.fr/portfolio/carte-les-%C3%A9tapes-de-la-conqu%C3%AAte-dalexandre-le-grand

La version juive de l’arrivée d’Alexandre

Flavius Josèphe évoque l’évènement au travers de deux récits :

  • l’un sur les relations entre Alexandre et les Samaritains
  • l’autre sur les rapports entre Alexandre et les Juifs

La rencontre entre les Juifs et Alexandre selon Flavius Josèphe

Pendant le siège de Tyr par Alexandre, le roi-conquérant invite le grand-prêtre Yaddous à lui verser le tribut que les Juifs payaient au roi perse Darius. Il demande aussi à ce que les Juifs entrent dans l’alliance macédonienne.

Yaddous refuse au nom du serment de fidélité prêté au Grand Roi perse. Alexandre se fâche : après la chute de Tyr, il marche contre Jérusalem.

Les Juifs prennent peur. Le grand-prêtre et des notables vont au-devant d’Alexandre le Grand en Judée, en tenue de suppliants. Or, à la surprise de tous, le roi macédonien se prosterne devant Yaddous dès qu’il le voit. Que s’est-il donc passé ?

Flavius Josèphe explique qu’Alexandre a subitement reconnu Yaddous. Il l’avait vu dans un songe, autrefois : dans ce rêve, Yahweh lui promettait la victoire et la conquête de l’Asie. Alexandre oublie donc sa colère. Il entre dans Jérusalem et fait sacrifier à Yahweh en son nom. Puis il accorde des privilèges (les fameux privilèges !), dont une exemption fiscale sabbatique.

Il demande aussi aux Juifs de s’enrôler dans ses armées, en promettant que leur religion y sera respectée.

La rencontre entre les Samaritains et Alexandre selon Flavius Josèphe

On voit que les Juifs sont représentés de manière positive dans le récit de Flavius Josèphe (qui était juif). Lorsqu’il évoque les Samaritains, le récit est moins louangeur.

D’abord, Flavius Josèphe rappelle les relations orageuses entre Juifs et Samaritains. Notamment que Manassé, le propre frère du grand-prêtre Yaddous, s’est enfui et a rejoint son beau-père… qui n’était autre que le gouverneur de Samarie, Sanballat.

Contrairement aux Juifs, les Samaritains n’ont pas respecté pas la parole donnée aux Perses. Sanballat abandonne le parti de Darius III dès le lendemain d’Issos (la bataille victorieuse d’Alexandre contre Darius, qui lui a ouvert la porte de la Phénicie). Il se soumet à Alexandre au début du siège de Tyr. Il lui amène même 8 000 hommes.

En échange, Alexandre lui accorde une fondation : la construction d’un temple sur le mont Garizim. Un temple rival de celui de Jérusalem.

Manassé en devient grand-prêtre. On voit que c’est là que le bât blesse : il y a une fêlure dans le judaïsme tel qu’il a été conçu par les autorités juives après le Retour d’Exil de Babylone (un seul Temple, un seul grand-prêtre, une seule Loi). C’est la source du différend entre Samaritains et Juifs.

Flavius Josèphe explique aussi que les Samaritains se déclarent Juifs et réclament à Alexandre les avantages qui ont été accordés à Yaddous, par exemple l’exemption sabbatique. Ne sachant trop à quoi s’en tenir, Alexandre repousse sa décision à plus tard.

Quelques soldats samaritains le suivent tout de même en Égypte et s’y installent, en Thébaïde selon Flavius Josèphe.

Alexandre le Grand en Judée et Samarie selon le Talmud

Un commentaire du Rouleau des Fêtes (Megillat Ta’anit) explique l’origine de la fête du 21 Kislev (« Jour du mont Garizim »). C’est le souvenir du triomphe remporté par les Juifs sur les Samaritains grâce à Alexandre.

Les Samaritains avaient frauduleusement obtenu d’Alexandre le droit d’édifier un sanctuaire sur le mont Moriah à Jérusalem. Les Juifs et leur grand-prêtre se plaignent au roi. Dans ce commentaire, le grand-prêtre est Simon le Juste, qui a en fait été grand-prêtre plus tard, au tournant des IIIe-IIe siècles.

À la vue de Simon, Alexandre s’agenouille encore car, une nouvelle fois, il a entrevu ce vieillard dans un songe. Il annule sa donation aux Samaritains et donne le mont Garizim aux Juifs pour que ces derniers le cultivent.

La version samaritaine de l’arrivée d’Alexandre

Une chronique samaritaine raconte quant à elle qu’Alexandre est venu à Sichem. Là, il s’est agenouillé (!) devant le grand-prêtre samaritain Hézékiah. Naturellement, il avait là aussi vu le vieil homme en songe et celui-ci lui avait ordonné de faire la guerre à ses ennemis en lui promettant en échange la victoire.

Alexandre le Grand en Judée et Samarie : la construction politique et la réalité

Pourquoi utiliser l’image d’Alexandre ?

On voit que les mêmes éléments reviennent sans cesse : imaginait-on Alexandre le Grand s’agenouiller autant ? Rappelons que les Grecs ne s’agenouillaient même pas devant leurs dieux.

Tous ces récits sont probablement fabriqués de toutes pièces, peut-être dès le siècle suivant, au IIIe siècle av. J.-C., ou même dès la mort d’Alexandre. Ce qui compte derrière ces récits, c’est la primauté (ou non) du Temple de Jérusalem.

Finalement, la seule chose que nous apprennent ces textes, c’est le prestige d’Alexandre aux yeux des Juifs et des Samaritains. Parce que tous ces récits s’appuient sur l’autorité du conquérant pour fonder leur bon droit aux yeux des maîtres postérieurs : rois lagides et séleucides puis empereurs romains.

Finalement, comment s’est passée l’arrivée d’Alexandre en Judée et Samarie ?

Malheureusement, nous n’en savons pas grand-chose !

Tout ce dont on est sûr, c’est qu’Alexandre a reçu la soumission de tout le Levant-Sud avant d’arriver à Gaza. Il avait dû ordonner aux Juifs et aux Samaritains de se soumettre. L’ont-ils fait de bonne grâce ou non ? On n’en sait absolument rien.

Nous n’avons gardé trace que d’un seul évènement avéré. Au printemps ou à la fin de l’hiver 331, les Samaritains se révoltent. Le satrape Andromachos, qui a été installé là par Alexandre, est brûlé vif par les révoltés. Alexandre, qui était en Égypte, revient en hâte pour mâter la révolte.

On a retrouvé les restes d’au moins 80 squelettes dans une grotte difficilement accessible du wādī Dāliyyeh, à 14 km de Jéricho. La répression a dû être violente. Dans la grotte, il y avait des archives provenant de toute la Samarie et qui dataient des années immédiatement antérieures à 332-331. les documents appartenaient peut-être à un groupe de fuyards.

C’est peut-être le diadoque Perdiccas, général d’Alexandre, qui s’est chargé de cette mission. Il fonde ensuite une colonie macédonienne à Samarie. On peut voir cette fondation comme une sanction contre les Samaritains et une précaution pour l’avenir, car Samarie était le plus important centre de la région dans la seconde moitié du IVe siècle.

Hormis ces éléments, nous ne savons rien de l’accueil fait à Alexandre le Grand en Judée et Samarie.

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Sources : SARTRE Maurice, D’Alexandre à Zénobie, Histoire du Levant antique – IVe siècle av. J.-C. – IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, 2001

Image d’en-tête : Étude de Charles LeBrun pour Alexandre en Judée – Louvre

Face à face : les Samaritains et les Juifs au retour d’Exil

Qui sont les Samaritains et les Juifs de l’antiquité ? En fait, ce sont deux communautés qui pratiquent la même religion, le judaïsme. Mais, dans le courant des VIe, Ve et IVe siècles, elles se sont séparées l’une de l’autre pour des raisons religieuses.

Je vous dresse un tableau de ces deux communautés à la fin du IVe siècle, juste avant la conquête du Levant par Alexandre, et je vous explique la raison de leur scission. 😉

À l’origine de tout : le retour d’Exil des Juifs

Une époque difficile pour les Juifs : la peur de disparaître

De nombreux Juifs reviennent de l’Exil à Babylone à la fin du VIe siècle, dans ce qu’on appelle pour cette époque le Levant (Proche-Orient).

C’est une époque difficile pour la communauté juive. Elle n’a plus d’État qui lui soit propre. La Judée comme les régions qui l’entourent appartiennent à l’empire perse depuis les conquêtes de Cyrus le Grand (VIe siècle).

La communauté juive a l’impression de s’étioler et de perdre en identité. Il n’y a pas de loi coercitive qui maintienne son particularisme :

  • Les Juifs ne respectent pas toujours scrupuleusement le sabbat.
  • On se marie parfois avec des non-Juifs.
  • Les prêtres sont les seuls à observer rigoureusement tous les règlements existants en matière de pureté.

L’intervention de Néhémie et d’Esdras

Aux Ve et au début du IVe siècles, deux personnages importants vont modifier la donne. Ce sont Néhémie et Esdras.

Néhémie et Esdras veulent redonner force à leur communauté et affirmer sa personnalité. Ils estiment que des mesures sont indispensables pour préserver l’identité du peuple élu. Dans ce but, ils vont réorganiser la communauté et instaurer de nouvelles règles. Esdras va notamment multiplier les contraintes. Par exemple : l’interdiction des mariages entre des Juifs et des non-Juifs.

On estime que le judaïsme palestinien a acquis son visage définitif à l’époque d’Esdras, et grâce à lui. La communauté de Judée se cimente autour de 3 éléments :

  • Le temple de Jérusalem. Celui-ci a été reconstruit comme on le pouvait, assez pauvrement. (On parle de « Second Temple ».)
  • Le grand-prêtre. C’est le chef du peuple.
  • La Torah (la « Loi »), qu’Esdras promulgue solennellement et qui donne pour la première fois une définition juridique du Juif.

Autrefois, on définissait le Juif comme un membre du peuple élu de Yahweh. Désormais, ça va plus loin. Est juif celui qui montre sa soumission à Yahweh en appliquant la Torah.

Bref, au IVe siècle, le judaïsme prend un aspect rigoureux, voire rigide. Ces innovations contribuent à couper les Juifs de leur environnement sémitique en matière religieuse et en matière de mœurs. Le particularisme juif se renforce. Les Juifs marquent leur différence par un respect scrupuleux du Code sacerdotal d’Esdras.

La communauté se soude face aux menaces extérieures.

Les Samaritains face aux Juifs aux VIe-IVe siècles

Les Samaritains ont leur propre rigueur. Ils rejettent tous les écrits bibliques postérieurs au Pentateuque. Le Pentateuque, ce sont les cinq premiers livres de la Bible. C’est la Torah pour les Juifs.

Donc, les Samaritains rejettent les livres des prophètes et ceux qui suivent. Pour simplifier, ils ne veulent pas du Tanakh, c’est-à-dire de la compilation de textes que va faire Esdras en assemblant la Torah et d’autres textes, comme ceux des prophètes.

La séparation entre Juifs et Samaritains a lieu progressivement, au fur et à mesure que les chefs de la communauté introduisent des nouveautés après le Retour d’Exil.

La communauté juive de Judée a accepté ces innovations. La communauté de Samarie les rejette. Ils ne veulent pas non plus du principe d’un lieu de culte unique à Jérusalem (le temple). Depuis peut-être la fin du Ve siècle, ils ont leur propre temple. Celui-ci se situe au mont Garizim.

La discorde, voire la haine, se développe entre les deux communautés. Elle est entretenue par les transfuges qui fuient la Judée et se réfugient en Samarie. Ce sont des Juifs qui refusent la rigueur d’Esdras.

Site archéologique au sommet du mont Garizim - Ruines du temple samaritain - Crédits photo C. Boyer
Site archéologique au sommet du mont Garizim - Ruines du temple samaritain - Crédits photo C. Boyer

La situation en Judée et Samarie au IVe siècle

La Samarie et la Judée sont situées dans ce qu’on appelle le Levant-Sud intérieur. Les communautés d’alors l’ignorent, mais ce territoire va bientôt être le théâtre d’une nouvelle guerre. Les armées d’Alexandre le Grand vont le prendre aux Perses.

Les rébellions contre les Perses au IVe siècle

Au milieu du IVe siècle, les Phéniciens de la ville de Sidon se révoltent contre les Perses. La répression contre la Phénicie, en 347-345, est terrible.

On n’est pas certain de l’implication de la Samarie et de la Judée dans cette histoire. Par contre, des Juifs sont déportés en Hyrcanie (sud-est de la Caspienne). Des rebelles, eux aussi ?

On a aussi trouvé des traces de destruction majeures sur plusieurs sites palestiniens. Elles datent de la même période. Des cités sont abandonnées :

  • Hazor et Megiddo en Galilée (non juives)
  • Lachich et Jéricho en Judée

Ces cités se sont-elles rebellées, elles aussi, contre les Perses ? Il peut s’agir d’une révolte indépendante à celle des Phéniciens.

Samaritains et Juifs avant la conquête d’Alexandre

Juste avant la conquête d’Alexandre, les Perses tiennent le pays bien en main.

Les Samaritains

Les Samaritains sont peu nombreux. Ils sont groupés autour de Sichem et de Samarie.

Cette Samarie au sens large est administrée par les Sanballat, une famille indigène fidèle des Perses. Le monnayage de Samarie est fortement marquée de l’empreinte perse. On ne sait pas si c’est comme ça depuis longtemps ou si cela est du à la vigoureuse reprise en main de l’empire par Artaxerxès III.

Dès le Ve siècle, la Samarie importe massivement des céramiques grecques. Elle est même un centre de redistribution. C’est toujours le cas au IVe siècle.

Les Juifs

Les Juifs sont à Jérusalem et dans ses environs. Ils ont perdu de nombreux villages qu’ils occupaient avant l’Exil, comme Hébron au sud.

À Jérusalem se trouvent le grand-prêtre Yohanan et un gouverneur nommé Yehizqiyyah.

Autour des Juifs et des Samaritains

Les Juifs et les Samaritains sont majoritaires dans les districts qu’ils occupent. Mais leurs territoires sont entourés de populations araméennes ou arabes, comme les Thamoudéens, qui ont été déportés à Samarie au VIIIe siècle. Les cultes et les mœurs de ces peuples sont réprouvés par les Juifs et les Samaritains.

Nous sommes au IVe siècle : Samaritains et Juifs sont encore inconnus du monde grec. Les Grecs, pourtant grands voyageurs, ignorent tout d’eux. Toutefois, Alexandre arrive, et l’histoire juive va bientôt rencontrer l’histoire grecque. 😉

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Sources : SARTRE, Maurice, D’Alexandre à Zénobie, Histoire du Levant antique, IVe siècle av. J.-C. – IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, 2001

Crédits image d’en-tête : Représentation du mont Garizim, élément de discorde entre Samaritains et Juifs – Musée Samaritain de Naplouse – Crédits photo Inès gil