« [Auguste…] qui a agrandi l’Hellade d’une foule d’autres Hellades et hellénisé le monde barbare dans les régions les plus importantes. » (Philon, Legatio ad Caium, 147)
Comme l’a dit l’auteur Philon d’Alexandrie (20 av. J.-C.-45 ap.), Rome a eu à cœur d’urbaniser son Empire sur le modèle grec. Les cités en Syrie romaine ne font pas exception : ce sont Césarée Maritime, Samarie-Sébastè, Sepphoris, Aelia Capitolina, Bérytos, Ptolémaïs, Doura-Europos, etc.
Comment la Syrie s’est-elle urbanisée sous les empereurs romains ?
La Syrie urbaine quand Rome arrive
Les rois hellénistiques ont créé des cités en Syrie, bien avant que Rome s’installe dans la région. Mais cette urbanisation est très inégale. Les rois séleucides fondent des cités surtout au nord et sur les côtes.
Lorsque Rome arrive, toutes ces cités sont aussi grecques les unes que les autres. On ne voit aucune différence entre les Grecs d’origine et les Syriens hellénisés. Beaucoup de villes se sont construit un brillant passé mythique et des légendes de fondation qui s’inscrivent dans un passé grec ancien. Si elles n’ont pas ces mythes fondateurs, elles possèdent a minima un récit qui se raccroche à l’histoire d’Alexandre (plus tard, certaines cités feront la même chose avec Pompée).
Cela leur permet de mettre en avant leur ancienneté et leur gloire.
La Syrie du Nord
On trouve quasiment toutes les fondations séleucides de la région au nord de l’Éleuthéros (nahr al- Kébīr) :
- la tétrapole syrienne (Antioche sur l’Oronte, Séleucie de Piérie, Apamée sur l’Oronte, Laodicée sur mer) sont les cités les plus importantes
- des cités ont un rôle plus régional, comme Séleucie-Zeugma, Cyrrhos, Épiphanéia, Béroia (Alep), Chalcis du Bélos et Rhôsos
Bien sûr, certaines cités ont disparu ou ont végété. On a leur nom sur des listes, mais on n’a rien retrouvé sur le terrain, pas même des monnaies.
Les villes phéniciennes de la côte
Les vieilles villes phéniciennes qui datent de l’époque antérieure à Alexandre se sont très vite adaptées au modèle de la cité grecque. Elles parsèment la côte d’Arados à Ptolémaïs.
Quelques cités au sud
Les rois séleucides puis Pompée ont fondé quelques cités :
- en Palestine : Gaza, Scythopolis, Philotéria au sud du lac de Tibériade
- en Transjordanie : Gadara, Gérasa, Pella, Philadelphie
- en Syrie du Sud : Damas, Panias, Canatha
- les cités de la Décapole fondées ou refondées par Pompée
Certaines de ces cités ont été peuplées par des Grecs ou des Macédoniens, comme Gérasa et Gaza. Mais la plupart d’entre elles sont majoritairement indigènes, comme Damas.
Les fondations de cités en Syrie romaine : quelques généralités
Les Romains vont étendre l’urbanisation aux zones laissées de côté par les rois hellénistiques, surtout l’Arabie et la Palestine. (Même si l’urbanisation reste moins dense qu’en Asie Mineure.)
Ils vont y déployer le cadre monumental civique traditionnel : un théâtre, des rues à portiques, des thermes, des enceintes, des sanctuaires à la grecque ou à la romaine, une agora, quelquefois, même, un stade et un amphithéâtre.
À noter : ils n’imposent pas leur propre modèle civique (la colonie ou le municipe). À quelques exceptions près, ils utilisent le modèle civique de la polis, qui est bien connu des Orientaux.
Toutefois, la vie municipale est parfois ténue dans ces nouvelles cités. On n’y retrouve pas toutes les traditions municipales vigoureuses qui existent en Asie Mineure par exemple.
De là à dire que les habitants de ces villes subissent ces fondations, non ! Car on constate qu’ils recherchent les titres et les privilèges des cités auprès des empereurs.
Les fondations de cités en Syrie romaine : ville par ville
Les fondations d’Hérode le Grand et de ses successeurs
Dans un premier temps, ce sont les princes clients de Rome qui vont fonder des cités. Ainsi, Hérode le Grand fonde Césarée Maritime, Samarie-Sébastè et Antipatris.
Césarée Maritime
Césarée est fondée sur la côte en 20 av. J.-C. Hérode veut s’en servir de capitale.
Il la construit sur le site d’une vieille cité : La Tour de Straton, qui avait été refondée sous le nom de Démétrias près de la mer par Démétrios Ier. Pompée avait détaché cette ville du royaume hasmonéen en 63 — Octave la rend à Hérode en 29 av J.-C.
Hérode nomme cette cité Césarée en l’honneur d’Auguste. Il la dote immédiatement d’une déesse tutélaire : la Tychè de Césarée. C’est une norme en Syrie grecque. La Tychè est représentée par une jeune femme debout, coiffée de la couronne tourelée traditionnelle. Elle est court vêtue, son sein droit est découvert comme chez les Amazones, elle pose le pied sur une proue de navire. Un génie marin sort des eaux à ses pieds. Bref, c’est très païen !
Il faut dire que la population juive est minoritaire sur la côte.
Samarie-Sébastè
La ville de Samarie est rebaptisée Sébastè en l’honneur d’Auguste. Des Grecs et des vétérans venus de partout s’y installent. On y honore particulièrement la déesse Korè. La ville est dominée par un Augusteum. Là aussi, tout est très grec.
Les fondations des successeurs d’Hérode
Les successeurs d’Hérode le Grand font comme lui.
- Hérode Antipas fonde Tibériade sur les bords du lac de Gennésareth et Livias-Julias en Pérée.
- Philippe fonde une cité nommée Julias de l’autre côté du lac de Tibériade. Il refonde aussi Césarée de Philippe-Panias dans l’Hermon (Agrippa II va plus tard la renommer Néronias).
- Au vu de son nom, Césarée du Liban-Arca a sûrement été fondée par un prince client, hérodien, ituréen ou émésénien.
Les cités de Syrie fondées par les Romains
À partir du IIe siècle, il y a des fondations de cités en Syrie romaine dans le Haurān, en Transjordanie et en Palestine, et aussi en Arabie.
En Arabie
Les Romains donnent des institutions municipales à Bostra et Pétra dès l’annexion du royaume nabatéen. On en a la preuve grâce à des inscriptions et des papyrus.
La même chose se passe à Mādabā (Medeba), Rabbath-Moab (Rabbathmoda-Aréopolis), Kérak de Moab (Charachmôba), Hesbān (Esbous), Der’ā (Adraha) et Soueïda. Dans ce dernier cas, le village de Soada est détaché de Canatha et devient une cité autonome, Dionysias, au plus tard vers 185.
Shahbā, village natal de l’empereur Philippe l’Arabe, devient Philippopolis probablement dès le début de son règne.
Finalement, on se retrouve avec une ligne de villes tout le long de la frontière steppique de l’Arabie. Elle relie Damas au golfe d’Aila via le Haurān et les hauts plateaux de la Transjordanie.
En Palestine
Sepphoris
En Galilée, Sepphoris obtient le statut de cité vers 67-68. En tout cas, on a retrouvé des monnaies datant de cette époque. Rome la récompense ainsi pour sa loyauté dans la guerre juive de 66-70.
Sepphoris est une ville importante. Elle était déjà le siège d’un synédrion vers 50 av. J.-C. : on la voyait un peu comme une capitale de la Galilée septentrionale. Hérode l’a fortifiée, le général romain Varus l’a assiégée et elle a brûlé dans les combats qui ont suivi la mort du grand roi. Hérode Antipas l’a alors refondée sous le nom d’Autocratoris.
Finalement, au IIe siècle, l’empereur Hadrien la renomme en Diocésarée. Ce nom païen rompt avec le passé juif de la ville, même si la population est encore majoritairement juive.
D’autres villes
Vespasien fonde Néapolis en 72 sur l’emplacement d’une cité nommée Mabartha ou Mamortha.
Plus tard, en 97-98, Nerva ou Trajan fonde une Capitolas dans les limites de la Palestine, partie transjordanienne, à Beit Rās.
Les Sévères fondent une cité nommée Lucia Septimia Seuera Eleutheropolis en 199-200 à Bet Guvrin (anciennement nommée Bétogabris). La cité se trouve dans la plaine de la Shephelah, dans le sud de la Judée, près de la ville déchue de Marisa.
Les Sévères donnent aussi le statut de cité à Lydda-Diospolis avant 201.
L’empereur Élagabal transforme Emmaüs-Nicopolis en Antoninopolis en 221. Cette promotion est due à Iulius Africanus, originaire d’Aelia Capitolina mais habitant d’Emmaüs. Il a dirigé une ambassade auprès de l’empereur.
À noter : Septime Sévère et Caracalla ouvrent les curies municipales aux Juifs. Ces derniers peuvent désormais devenir magistrats et liturges sans être obligés de violer les préceptes de la Torah. Cependant, dans les faits, l’urbanisation renforce plutôt la paganisation, car beaucoup de ces cités de Syrie romaine sont à forte majorité non juives.
Quelques fondations isolées
Il y a aussi des créations un peu perdues, comme Batnai d’Anthémousia qui devient une cité sous le nom de Marcopolis, sans doute sous les Sévères. Une bourgade nommée Appadana, sur le Moyen Euphrate, devient Néapolis aux alentours de 254-255.
Les fondations de colonies en Syrie romaine
Elles sont plus rares car Rome a préféré adopter le modèle de la cité grecque, la polis. Mais les empereurs ont aussi fondé quelques colonies à la romaine.
Bérytos, Ptolémaïs et Césarée Maritime
Auguste fonde une colonie à Bérytos entre 27 et 14 av. J.-C. C’est une colonie avec un grand territoire, qui comprend même le grand sanctuaire d’Héliopolis-Baalbek.
L’empereur Claude transforme Ptolémaïs en colonie entre 52 et 54. C’est sûrement pour disposer d’un relais sûr près de la Judée. Il s’agit d’une vraie fondation : les vétérans de quatre légions s’y installent.
Vespasien, quant à lui, promeut Césarée Maritime au rang de colonie, mais sans apport de colons romains. Il donne en bloc la citoyenneté romaine à toute la population.
Aelia Capitolina
Il y a un autre exemple fameux de fondation coloniale avec deductio (peuplement de vétérans) : Aelia Capitolina, sur les ruines de Jérusalem. C’est au début de la révolte de Bar Kokhba, vers 132.
Aelia Capitolina a eu du succès, même si elle n’est jamais devenue aussi importante que l’était Jérusalem. Elle a compté 10 000 à 15 000 habitants, surtout des colons romains issus de l’armée.
C’était une ville romaine ordinaire avec des cultes païens et un style de vie à la romaine : thèmes décoratifs, décors des maisons… Les mosaïques des villae suburbaines représentaient Gè, la Tychè et les Saisons.
Bien sûr, les rabbis l’ont dénoncée comme le siège d’une production d’idoles qui inondaient le monde entier — mais leurs diatribes étaient virulentes par ferveur envers la Jérusalem d’autrefois. Toutefois, les ateliers de sarcophages en plomb de la ville étaient en effet très actifs.
Doura-Europos
Doura-Europos a un long passé. Fondée par les rois hellénistiques, elle a perdu ses magistrats quand elle est tombée aux mains des Parthes. Elle est alors gouvernée par un « stratège et épistate de la cité ». Visiblement, la même famille occupe le poste depuis la fin du Ier siècle. Cela continue après que Lucius Verus reconquiert la cité, vers le milieu du IIe siècle et même jusqu’au temps des Sévères.
Il y avait un bouleutérion dans le sanctuaire d’Artémis-Azzanathkona, avec la statue d’un « stratège et épistate » qui avait apporté des avantages à la cité.
Cependant, c’est plus tard que Doura devient une colonie.
Les cités de Syrie romaine dans les sources
« Parcourons maintenant l’intérieur. La (Syrie) Koilè comprend Apamée que les eaux du Marsyas séparent de la tétrarchie des Nazareni, Bambykè où Atargatis, que les Grecs nomment Derceto, est honorée, Chalcis dite près du Bélos à partir de laquelle s’étend la région nommée Chalcidène, la plus fertile de la Syrie, puis ensuite Cyrrhos de la Cyrrhestique, les Gazétai, les Gindaréniens, les Gabéniens, les deux tétrarchies que l’on nomme des Granoukômétai, Émèse, les Hylatai, le peuple des Ituréens et ceux d’entre eux que l’on nomme Baithaimoi, les Mariamnitains, la tétrarchie nommée Mammisea, Paradisos, Pagrai, Pénélitai, deux Séleucie différentes de celle que l’on a déjà mentionnée, l’une sur l’Euphrate, l’autre près du Bélos, les Tardytenses. Il reste encore en Syrie, en sus de ceux dont nous parlerons à propos de l’Euphrate, Aréthuse, Béroia, Épiphanéia sur l’Oronte, Laodicée du Liban, Leucas, Larissa, et en outre dix-sept tétrarchies considérées comme des royaumes, aux noms barbares. » (Pline l’Ancien, Histoire naturelle, V, 81-82)
« On doit savoir que certaines colonies possèdent le ius italicum. L’une d’elles est la très illustre colonie du peuple de Tyr en Syrie-Phénicie, dont je suis natif. Elle était remarquable pour ses possessions territoriales : le passage des siècles lui a donné une extrême antiquité ; elle était puissante en temps de guerre et était très déterminée à conserver les traités conclus avec les Romains ; car le divin Sévère et notre empereur actuel lui ont accordé le ius italicum pour sa loyauté éminemment remarquable envers l’État et l’Empire romain.
« Mais la colonie de Bérytos aussi, dans la même province, est l’une de celles que les faveurs manifestées par Auguste ont rendu influentes et, comme l’appelle le divin Hadrien dans un discours, « Augusta » ; elle possède le ius italicum.
« Il y a aussi la colonie d’Héliopolis qui reçut la constitution d’une colonie italienne du divin Sévère comme résultat de la guerre civile.
« Il y a aussi la colonie de Laodicée de Koilè-Syrie, à laquelle le divin Sévère accorda le ius italicum. Il y a aussi la cité de Palmyre dans la province de Phénicie, située près des peuples et tribus barbares.
« En Palestine, il y a deux colonies, Césarée et Capitolina, mais ni l’une ni l’autre n’ont le ius italicum. C’est aussi le divin Sévère qui a fondé une colonie dans la cité de Sébastè. » (Ulpien, in Digeste, 50, 15, 1)
J’espère que cet article sur les cités de Syrie romaine vous a intéressé. 🙂 Retrouvez-moi dans ma newsletter pour plus de voyage dans l’antiquité grecque et romaine !
Sources : SARTRE, Maurice, D’Alexandre à Zénobie – Histoire du Levant antique – IVe siècle av. J.C. – IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, 2001
Image d’en-tête : Temple de Bel à Doura Europos – Wikimedia Commons