Gravure du « Livre de Judith » de Francysk Skaryna, 1519 - Montre la décapitation du général Holopherne par l'héroïne juive Judith - Exemple de littérature hasmonéenne

Judith, Esther et les autres : la littérature juive hasmonéenne

La littérature hasmonéenne, ce sont les écrits rédigés après la révolte des Maccabées contre le pouvoir séleucide en Judée. Donc pendant la royauté juive hasmonéenne.

Il y a d’abord une littérature de combat pendant la crise. Puis, après la victoire juive vers 150, on voit apparaître des textes nationalistes et édifiants. Ce sont 2Maccabées, Judith, peut-être Esther, Les Livres des Jubilées

Dans cet article, je reviens avec vous sur ces textes qui fleurissent dans la seconde moitié du IIe siècle et au début du Ier. 🙂

2Maccabées : l’héroïsme pendant la révolte

La guerre de libération et les succès militaires des Maccabées et de leurs compagnons pendant la révolte contre les Séleucides favorisent l’éclosion d’un nationalisme juif.

Les Juifs ont été soumis, voire politiquement opprimés, durant de longs siècles. Pendant la révolte, ils ont retrouvé l’espoir d’être leurs propres maîtres. Les actes héroïques des Maccabées inspirent une littérature édifiante sur ce sujet. C’est 2Maccabées, qui est rédigé pendant la révolte mais est résumé sous sa forme actuelle après la guerre.

Le Livre des Jubilées : tirer des leçons du passé

Selon le Livre des Jubilées, tous les malheurs du peuple juif dans les dernières décennies s’expliquent par une chose : le non-respect de la Loi. (Je rappelle ici que la révolte est née d’une persécution des Juifs par le roi séleucide Antiochos IV et que l’influence hellénique sur les Juifs a joué un rôle dans cette affaire. )

Le respect de la Torah est la première condition de l’alliance entre Yahweh et son peuple. Judas Maccabée et ses compagnons ont scrupuleusement respecté cette Loi. C’est pourquoi Yahweh les a aidés à vaincre. Leur victoire prouve qu’il est à nouveau auprès du peuple juif.

Pendant longtemps, on a daté le Livre des Jubilées de 150 environ, soit juste au moment de la victoire. Le professeur Doron Mendels propose de le dater de 125. À cette époque, en effet, il y a débat dans les milieux religieux de Jérusalem car le grand-prêtre Jean Hyrcan concentre dans ses mains les pouvoirs religieux et séculiers. Le Livre des Jubilées ferait écho à cette polémique en montrant le partage des tâches séculières et religieuses entre Juda et Lévi.

Le Livre de Judith : du suspense, du sang et de la vertu

La date

Le Livre de Judith est un texte édifiant et un bel exemple de littérature hasmonéenne nationaliste.

Il a été écrit vers 150, mais l’histoire se passe à une époque antérieure, babylonienne ou assyrienne. Il y a des mélanges anachroniques, et d’abord l’intitulé du roi de l’époque : « Nabuchodonosor roi des Assyriens ». (Le texte de Daniel mélangeait aussi les époques babylonienne et perse et celui d’Esther dit se passer sous les Perses.)

L’histoire

Voici l’histoire : les Juifs sont assiégés par les armées assyriennes. Celles-ci ont déjà soumis toute la Syrie, sauf eux. Ils sont sur le point de capituler et promettent de se rendre dans un délai de cinq jours si Yahweh ne se manifeste pas à eux.

Une jeune veuve, Judith, veut sauver son peuple. Elle demande qu’on lui laisse carte blanche. Les Anciens hésitent, puis acceptent : Judith est veuve, le risque de déshonneur est limité.

Judith va voir l’ennemi et dit qu’elle va l’informer sur la situation des assiégés. Pendant trois jours, elle séduit le général Holopherne. Au moment crucial où elle va devoir lui céder, elle parvient à le tuer. L’armée ennemie est désorientée.

Le sens du texte

L’ouvrage a un côté hellénistique. On retrouve d’ailleurs une histoire semblable dans la Chronique de Lindos (une inscription de l’île de Rhodes) : une ville assiégée par le Mède Datis, qui propose de se rendre dans les cinq jours mais est secourue par Athéna.

Judith possède tous les ingrédients du roman :

  • une héroïne jeune, jolie, intelligente — et vertueuse
  • des rebondissements et du suspense (Judith ne dévoile pas son plan)
  • de la violence et de l’érotisme

Mais tout ça avec une héroïne juive, qui respecte scrupuleusement la Torah : c’est ça qui lui permet de triompher.

Judith exalte le judaïsme et le peuple juif. Tout l’Orient a cédé à Nabuchodonosor, sauf lui. Les Juifs peuvent résister, car Yahweh est avec eux.

Le Livre d’Esther : message d’espoir puis mise en garde

On ne sait pas quand Esther a été écrit. Peut-être a-t-il été rédigé dès l’époque achéménide, puis remanié au IIe siècle, vers 125, car il a des traits hellénistiques.

  • Dans la version achéménide, ce serait un message d’espoir pour les Juifs de la Diaspora : on peut faire carrière à la cour du roi sans renoncer à sa foi.
  • Au IIe siècle, c’est plutôt une mise en garde contre les tentations d’abandonner le judaïsme et une exaltation de la sagesse des Juifs pieux.

La littérature hasmonéenne « hellénisée »

Les textes sous la royauté hasmonéenne

Après la crise maccabée, sous la monarchie hasmonéenne, la littérature emprunte à l’hellénisme dans une perspective de mise en valeur du judaïsme. On semble presque s’adresser aux Gentils (non-Juifs).

  •  Vers 150, la Lettre d’Aristée, d’origine égyptienne, fait le récit de la traduction des Livres Saints en grec. Elle donne une description souriante du judaïsme. On voit bien que les Juifs ne rejettent pas tout l’hellénisme.
  • Vers 150-125, l’Exégèse de la Loi de Moïse, d’Aristobule, montre Moïse comme le premier sage. Tous les autres l’ont copié : Homère, Orphée, Pythagore, Socrate, Platon, Aristote…
  • Artapanos, Juif d’Égypte, écrit vers 100 une réponse à Manéthon, un prêtre du IIIe siècle qui a écrit contre son peuple. Il dit que Moïse est le créateur de la civilisation égyptienne. Sa femme est devenue Isis.
  • Ézéchel le Tragique, un autre Juif égyptien, met en scène l’épisode du départ des Juifs d’Égypte, quand ils ont été chassés. Le texte s’appelle l’Exagogè, « Exode ». L’épisode est décrit d’une façon complètement étrangère au judaïsme, pour le rendre accessible à des non-Juifs.
  • Vers 125-120, Eupolémos écrit les Rois de Juda. L’auteur est peut-être le même Eupolémos qui est ambassadeur de Judas à Rome en 160. Dans son texte, Moïse, premier sage, invente l’écriture et instruit les prêtres d’Héliopolis, ceux qu’Hérodote tient pour les plus sages des hommes. Moïse est donc le vrai fondateur de toutes les civilisations d’Orient. Pour que ça colle, Eupolémos est obligé de rehausser toute la chronologie. Nous sommes dans le même type de démarche que celle d’Artapanos et d’Ézéchiel le Tragique.

Entre nationalisme juif et hellénisme

On voit que le héros civilisateur, c’est Moïse, qui a reçu la Torah de Dieu. Les auteurs proposent un nationalisme affirmé et sont fidèles à l’histoire juive, qu’ils grandissent même un peu plus. Cette littérature est à l’image de l’État hasmonéen : une royauté dans la lignée de celle de David, un roi qui est aussi grand-prêtre, une politique impérialiste, des mesures de judaïsation illustrées dans Judith et Esther.

Mais la littérature juive de l’époque, c’est aussi celle d’un État qui vit dans son temps, d’où ses tournures hellénistiques. Les rois juifs ressemblent à ceux d’Antioche et d’Alexandre. Les notables sont sensibles aux modes de vie grecs, aux modes de pensées et aux méthodes de raisonnement de l’hellénisme.

La littérature hasmonéenne est le reflet de la Judée hasmonéenne : c’est le résultat d’une longue cohabitation entre des traditions autrefois antagonistes mais qui sont devenues complémentaires.

J’espère que cet article vous a plu ! Retrouvez-moi dans ma newsletter pour plus de voyage dans l’antiquité grecque et romaine. À bientôt !

Sources : SARTRE, Maurice, D’Alexandre à Zénobie – Histoire du Levant antique – IVe siècle av. J.C. – IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, 2001

Image d’en-tête : Gravure du Livre de Judith par Francysk Skaryna (1519) – L’image montre la décapitation du général Holopherne

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

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