Quand vient la horde d'Aurélie Luong

Quand vient Aurélie Luong…

Un livre de dark fantasy qui n’épargne rien, ni ses personnages, ni ses lecteurs ? Essayez Quand vient la horde, d’Aurélie Luong ! Je l’ai interviewée, histoire de voir comment naissent ces récits sombres dans l’esprit de leurs auteurs. Faisons une petite plongée dans le monde merveilleux de la dark fantasy !

Aurélie Luong, autrice de Quand vient la horde

Mais d’où vient cette dark fantasy ?

Marie – Bienvenue sur mon blog, Aurélie ! Merci à toi de me donner l’occasion de parler dark fantasy et héroïne torturée, un genre et une thématique qui, tu le sais, me sont chers. 😀

Tu es l’autrice de Quand vient la horde, un roman sombre et brutal qui retrace la confrontation d’un héros idéaliste à la dure réalité de la vie. (Corrige-moi si besoin !). Alors, dis-moi : d’où vient toute cette noircitude ?

Aurélie — Merci à toi pour ton invitation. J’adore tes interviews, je suis donc en joie 🙂


En effet, je crois que nous avons en commun (entre autres esthétiques) l’amour des personnages tourmentés. Je suis bien incapable de te dire d’où cela me vient. Quand je me retourne sur les œuvres que j’ai adorées dans ma jeunesse, sur les petits textes écrits au primaire, c’est présent depuis le début. Combien de fois ai-je lu, enfant, Mon bel oranger — alors que je n’ai plus le courage de le lire aujourd’hui ? Si j’avais eu la cassette vidéo (oui, années 90 nous voilà), combien de fois aurais-je regardé Rox et Rouky s’entredéchirer ? Pourquoi ai-je eu tel coup de cœur en découvrant Zola avec L‘Œuvre, où Lantier ne fait que sombrer de plus en plus au fil des pages ?


Peut-être que tout ça est lié au réalisme supposé amené par de tels motifs, qui m’intéressait davantage que les contes de fées. Ou peut-être que cela tient au fait que les personnages de ces histoires développent, sous les tourments et les fantômes, une résilience et une profondeur qui les rend terriblement humains.


Malgré tout, j’adore les personnages solaires ou du moins positifs, comme peut l’être Ivan dans Quand vient la Horde, parce qu’ils possèdent une persévérance et une droiture que je leur envie. Et sans doute que de tels personnages ne s’incarnent qu’en présence d’ombres particulièrement épaisses.

Couverture du livre Mon bel Oranger de José Mauro de Vasconcelos
Couverture du livre L'œuvre d'Émile Zola

Marie — Parlons d’Ivan, justement. C’est le héros idéaliste par excellence. Il fait face à Yekatelina, ce personnage plongé dans les ombres épaisses, et qui tend à y aspirer Ivan. Comment t’es venue l’idée de ces deux personnages ? Ils sont totalement antinomiques, et pourtant (ou à cause de ça) leur rencontre semble évidente, en tout cas d’un point de vue narratif. 😀

Aurélie — Je ne connais rien qui ne soit aussi passionnant et entêtant que les contrastes, les différences, les oppositions. Entre les personnages, bien sûr, mais aussi entre les façons dont les thèmes du récit sont conjugués, entre les décors, les lumières, les valeurs, les trajectoires, partout.


Pour Ivan et Yekatelina, je ne mentais pas dans les quelques mots de présentation qui précèdent le roman : ils me sont venus dans ma salle de bain, un pied par-dessus la baignoire ! Toute la dernière scène y était, entière, foudroyante. À cette époque, j’arrivais à la fin de mon premier roman (non publié). Il m’avait enivrée jours et nuits pendant quatre ans mais je savais qu’il approchait de son terme. Je refusais de m’arrêter là, et en même temps, j’étais en panique : je n’avais aucune autre idée. J’avais beau réfléchir, fouiller, chercher des concepts, c’était le vide complet. Jusqu’à cette fameuse douche. Qui étaient ces deux personnages ? Je n’avais qu’à gratter pour qu’ils m’apparaissent. Ce n’est pas moi qui les ai créés, ils se sont révélés. Et ils ont très peu changé entre ce moment et la version finale du récit (ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’autres éléments du roman !).


Je précise cependant qu’à ce moment-là, si j’ai été soulagée d’avoir une nouvelle idée et malgré ses chants de sirène obsédants, je l’ai repoussée – il était hors de question que je ne termine pas mon premier roman. Peut-être parce qu’elle s’est vexée, la sirène s’est détournée. La rattraper par la queue a été une lutte de haut vol, qui a à vrai dire pris tout le temps d’écriture du premier jet.

Le processus d’écriture : des personnages au reste

Marie — Tu es donc partie d’une scène et de deux personnages qui se sont imposés à toi, un peu comme Athéna est sortie toute armée de la tête de Zeus. 😀 Est-ce souvent le cas, je veux dire : pars-tu souvent des personnages avant le reste ? Et ensuite ? Comment construis-tu l’intrigue, et l’univers au besoin ? Est-ce que tu te laisses porter par ta muse au jour le jour ou est-ce que tu élabores un plan rigoureux de ton histoire ?

Aurélie — Toujours les personnages. C’est par les personnages que je vais tomber en pâmoison devant une œuvre, et ce sont les personnages qui m’apportent le plus de plaisir lorsque j’écris. Ils viennent toujours en premier ; le reste, l’histoire, l’arène, ne sont qu’un écrin dans lequel ils vont pouvoir tout à fait se déployer.


Mes intrigues en elles-mêmes sont généralement construites au service des personnages : je sais quelle évolution, quelle trajectoire je veux leur donner, et je réfléchis aux événements qui peuvent les y amener. Qu’est-ce qui sera assez fort pour les faire évoluer, pour les obliger à faire face à leurs démons ?


Quant aux décors, jusqu’à présent, ils se sont toujours imposés très soudainement, comme s’ils m’attendaient en embuscade, prêts à s’emboîter parfaitement avec les ébauches qui tournaient dans ma tête.

Pour mon premier roman, c’était en regardant un documentaire sur Arte. Pour la Horde, lors d’un voyage professionnel au Turkmenistan. Pour le roman suivant, au cours d’un séjour en Iran. Et le tout dernier, qui attend d’être écrit, s’est révélé en admirant plusieurs des photographies de Sebastião Salgado.


Sur le processus, je dirais que je me cherche encore. Ne pas savoir où j’allais m’a longtemps empêchée, et plusieurs de mes romans, dont Quand vient la Horde, ont été écrits après rédaction d’un plan détaillé – suivi ou non, d’ailleurs.

Cependant, je suis actuellement en période de réconciliation avec ma Muse et je me lance dans des expérimentations assez peu préparées, voire pas du tout.

Les résultats ne sont pas inintéressants pour l’instant, même si je suis parfois en panique de ne pas savoir où l’histoire va s’achever.


Par contre, je suis toujours très rigoureuse sur les recherches que je peux faire et sur la construction de mon univers.

Un livre de dark fantasy… qui fait voyager

Marie — Puisqu’on en vient à l’univers, on peut s’arrêter un peu à celui de la Horde. Quand je lis le récit d’Ivan et de Yek, des images s’imposent à moi, venues de Russie aussi bien que d’Extrême-Orient. Pour moi, c’est un des grands plaisirs de cette lecture : ce sentiment d’évasion. Tu parles du Turkménistan : qu’est-ce qui t’a interpellée, qu’est-ce qui t’a séduite ? Est-ce que tu as été chercher ailleurs l’inspiration pour étoffer un peu tout ça ? Beaucoup de recherches documentaires, donc ?

Aurélie — Je te parlais un peu plus tôt du roman écrit avant la Horde. Il se trouve que c’était un roman historique, sur lequel j’avais passé des années de recherches (j’entretiens des souvenirs émus des jours passés dans la merveilleuse Bibliothèque Nationale). Après ça, je me suis juré « Plus jamais » ! Pour le roman suivant, j’avais envie de tout créer de zéro, de partir dans un grand n’importe quoi qui plairait à mon impérieuse flemme. Sauf que je me suis vite fait rattraper par mes démons et finalement, j’ai passé énormément de temps à me renseigner sur mes deux sources d’inspirations principales : la Russie et la Corée. Ce sont les références les plus évidentes, mais dans mon Vastanya, l’empire que j’ai créé, on peut également y trouver un fond de Rome, avec sa cité-état qui a dominé toutes ses provinces et a vu naître l’une des plus importantes religions monothéistes, ainsi qu’une touche d’URSS, dans ses velléités de domination et sa déliquescence.


On arrive alors au Turkménistan : ces accents de Russie et d’URSS se sont imposés lors de mon premier voyage là-bas. Le Turkménistan, situé au nord de l’Iran, est une ancienne république soviétique célèbre pour sa capitale d’un blanc absolutiste, des immeubles en marbre jusqu’aux abris bus déserts. J’ai été frappée par la façon dont, malgré plus de 150 ans d’histoire commune (si on peut la qualifier ainsi), les turkmènes et les russes ne s’étaient pas mêlés. Les élites restaient principalement russophones tandis que le reste de la population conservait une culture turkmène. C’est ce hiatus que j’ai voulu mettre en scène.


Quant à la Corée, elle s’est imposée bien tard. Originellement, j’avais placé le roman dans un décor mongol (ce qui est devenu le Sigertei, dans la version actuelle). Parce que je suis enivrée de grands espaces, parce que je rêve d’errer en Mongolie, parce que les cultures nomades me fascinent, et parce que les sonorités des deux langues étaient suffisamment distinctes. Tout le premier jet a été écrit dans cet univers et, je t’en ai un peu parlé plus haut, s’est révélé être un petit calvaire. Puis, quand est venu le temps des corrections, j’ai eu une illumination (encore). La Corée, que j’avais eu la chance de découvrir lors d’un déplacement professionnel de trois mois, m’appelait dans plusieurs aspects de ma vie. C’était là qu’il fallait que je place le roman. C’est à ce moment-là que tout est devenu si fluide avec la Horde et que je me suis enfin laissée transporter par ce roman. L’appel a été tellement fort que je suis retournée en Corée en 2018, cette fois en ayant mon roman en tête. Autant te dire que j’ai pris note de centaines de détails sur la vie quotidienne telle que pouvait la vivre les gens du peuple à l’époque Joseon, mais aussi sur la forêt, les montagnes, les rochers, les feuilles mortes, tout !

Vue sur Ashgabat, capitale du Turkménistan
Vue sur Ashgabat, capitale du Turkménistan

Marie — Et voilà pourquoi c’est si immersif. *-* Bon, pour finir, parle-nous de tes projets ! Où vas-tu nous faire voyager ? (Parce que, note aux lecteurs ! Avec Aurélie Luong, si vous ne l’avez pas compris, on voyage !).

Aurélie — J’ai pas mal de périples sous le coude ! En ce moment, je suis pleinement dans la réécriture de mon premier roman. Je passe d’une version chorale à la troisième personne et passé simple à un récit très incarné à la première personne et présent. C’est une première pour moi et j’avoue que j’y prends un plaisir indicible. Le roman se passe pendant la conquête de l’Espagne par les Berbères, en 711, dans un monde légèrement altéré par une magie du vent et par le souffle de djinns (s’ils daignent enfin se révéler sous mes doigts). Je me glisse dans la peau d’un guerrier berbère dont l’âme est habitée par le désert qui l’a vu grandir et qu’il a dû quitter, et qui est porté jusqu’à l’extrême par l’amitié inconditionnelle qu’il conçoit envers l’un de ses frères d’armes. C’est un roman solaire, dans un style littéraire assez différent de Quand vient la Horde, mais qui possède une part d’ombre qui va ne faire que grandir (si les personnages respectent mes intentions !).


Dans l’un des tiroirs de mon bureau, qui languit de se voir corrigé, m’attend un roman aux inspirations mésopotamiennes. On retrouve un duo de personnages (décidément, j’aime la dualité), deux anciennes ennemies qui vont devoir collaborer au cœur d’une cité-état au bord de l’insurrection. L’une est une ancienne générale tombée dans la déchéance et dans l’alcool, l’autre une épouse royale qui a voulu se faire reine malgré sa condition de genre et en a été déposée. C’est un roman qui me tient particulièrement à cœur, non seulement pour son contexte et pour la brutalité viscérale de la générale, mais aussi car il met en scène deux femmes matures, qui ont clairement dépassé l’âge standard des personnages de fantasy.


Enfin, dans un coin de ma tête rue un projet baigné de touffeur et de forêts amazoniennes, d’êtres capables de se changer en animaux et de braconniers. C’est un projet où j’ai envie de lâcher les chevaux, de voir où l’enchaînement des événements peut me mener quand je ne lui passe pas la bride.


Bon, et je ne parle pas du reste 🙂

Marie — Comme c’est alléchant ! Merci beaucoup du temps pris à répondre à mes questions et je te souhaite le meilleur pour la suite !

Aurélie — Mille mercis à toi !

Vous trouverez Quand vient la horde très facilement en librairie et sur Internet. Et pour suivre l’actualité de cette autrice prometteuse et ne pas rater son prochain livre de dark fantasy, rendez-vous sur son site Internet et sur Instagram et Facebook

Crédit image d’en-tête : illustration du roman Quand vient la horde par Benjamin Carré.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *