Un livre de dark fantasy qui n’épargne rien, ni ses personnages, ni ses lecteurs ? Essayez Quand vient la horde, d’Aurélie Luong ! Je l’ai interviewée, histoire de voir comment naissent ces récits sombres dans l’esprit de leurs auteurs. Faisons une petite plongée dans le monde merveilleux de la dark fantasy !
Mais d’où vient cette dark fantasy ?
Marie – Bienvenue sur mon blog, Aurélie ! Merci à toi de me donner l’occasion de parler dark fantasy et héroïne torturée, un genre et une thématique qui, tu le sais, me sont chers. 😀
Tu es l’autrice de Quand vient la horde, un roman sombre et brutal qui retrace la confrontation d’un héros idéaliste à la dure réalité de la vie. (Corrige-moi si besoin !). Alors, dis-moi : d’où vient toute cette noircitude ?
Aurélie — Merci à toi pour ton invitation. J’adore tes interviews, je suis donc en joie 🙂
En effet, je crois que nous avons en commun (entre autres esthétiques) l’amour des personnages tourmentés. Je suis bien incapable de te dire d’où cela me vient. Quand je me retourne sur les œuvres que j’ai adorées dans ma jeunesse, sur les petits textes écrits au primaire, c’est présent depuis le début. Combien de fois ai-je lu, enfant, Mon bel oranger — alors que je n’ai plus le courage de le lire aujourd’hui ? Si j’avais eu la cassette vidéo (oui, années 90 nous voilà), combien de fois aurais-je regardé Rox et Rouky s’entredéchirer ? Pourquoi ai-je eu tel coup de cœur en découvrant Zola avec L‘Œuvre, où Lantier ne fait que sombrer de plus en plus au fil des pages ?
Peut-être que tout ça est lié au réalisme supposé amené par de tels motifs, qui m’intéressait davantage que les contes de fées. Ou peut-être que cela tient au fait que les personnages de ces histoires développent, sous les tourments et les fantômes, une résilience et une profondeur qui les rend terriblement humains.
Malgré tout, j’adore les personnages solaires ou du moins positifs, comme peut l’être Ivan dans Quand vient la Horde, parce qu’ils possèdent une persévérance et une droiture que je leur envie. Et sans doute que de tels personnages ne s’incarnent qu’en présence d’ombres particulièrement épaisses.
Marie — Parlons d’Ivan, justement. C’est le héros idéaliste par excellence. Il fait face à Yekatelina, ce personnage plongé dans les ombres épaisses, et qui tend à y aspirer Ivan. Comment t’es venue l’idée de ces deux personnages ? Ils sont totalement antinomiques, et pourtant (ou à cause de ça) leur rencontre semble évidente, en tout cas d’un point de vue narratif. 😀
Aurélie — Je ne connais rien qui ne soit aussi passionnant et entêtant que les contrastes, les différences, les oppositions. Entre les personnages, bien sûr, mais aussi entre les façons dont les thèmes du récit sont conjugués, entre les décors, les lumières, les valeurs, les trajectoires, partout.
Pour Ivan et Yekatelina, je ne mentais pas dans les quelques mots de présentation qui précèdent le roman : ils me sont venus dans ma salle de bain, un pied par-dessus la baignoire ! Toute la dernière scène y était, entière, foudroyante. À cette époque, j’arrivais à la fin de mon premier roman (non publié). Il m’avait enivrée jours et nuits pendant quatre ans mais je savais qu’il approchait de son terme. Je refusais de m’arrêter là, et en même temps, j’étais en panique : je n’avais aucune autre idée. J’avais beau réfléchir, fouiller, chercher des concepts, c’était le vide complet. Jusqu’à cette fameuse douche. Qui étaient ces deux personnages ? Je n’avais qu’à gratter pour qu’ils m’apparaissent. Ce n’est pas moi qui les ai créés, ils se sont révélés. Et ils ont très peu changé entre ce moment et la version finale du récit (ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’autres éléments du roman !).
Je précise cependant qu’à ce moment-là, si j’ai été soulagée d’avoir une nouvelle idée et malgré ses chants de sirène obsédants, je l’ai repoussée – il était hors de question que je ne termine pas mon premier roman. Peut-être parce qu’elle s’est vexée, la sirène s’est détournée. La rattraper par la queue a été une lutte de haut vol, qui a à vrai dire pris tout le temps d’écriture du premier jet.
Le processus d’écriture : des personnages au reste
Marie — Tu es donc partie d’une scène et de deux personnages qui se sont imposés à toi, un peu comme Athéna est sortie toute armée de la tête de Zeus. 😀 Est-ce souvent le cas, je veux dire : pars-tu souvent des personnages avant le reste ? Et ensuite ? Comment construis-tu l’intrigue, et l’univers au besoin ? Est-ce que tu te laisses porter par ta muse au jour le jour ou est-ce que tu élabores un plan rigoureux de ton histoire ?
Aurélie — Toujours les personnages. C’est par les personnages que je vais tomber en pâmoison devant une œuvre, et ce sont les personnages qui m’apportent le plus de plaisir lorsque j’écris. Ils viennent toujours en premier ; le reste, l’histoire, l’arène, ne sont qu’un écrin dans lequel ils vont pouvoir tout à fait se déployer.
Mes intrigues en elles-mêmes sont généralement construites au service des personnages : je sais quelle évolution, quelle trajectoire je veux leur donner, et je réfléchis aux événements qui peuvent les y amener. Qu’est-ce qui sera assez fort pour les faire évoluer, pour les obliger à faire face à leurs démons ?
Quant aux décors, jusqu’à présent, ils se sont toujours imposés très soudainement, comme s’ils m’attendaient en embuscade, prêts à s’emboîter parfaitement avec les ébauches qui tournaient dans ma tête.
Pour mon premier roman, c’était en regardant un documentaire sur Arte. Pour la Horde, lors d’un voyage professionnel au Turkmenistan. Pour le roman suivant, au cours d’un séjour en Iran. Et le tout dernier, qui attend d’être écrit, s’est révélé en admirant plusieurs des photographies de Sebastião Salgado.
Sur le processus, je dirais que je me cherche encore. Ne pas savoir où j’allais m’a longtemps empêchée, et plusieurs de mes romans, dont Quand vient la Horde, ont été écrits après rédaction d’un plan détaillé – suivi ou non, d’ailleurs.
Cependant, je suis actuellement en période de réconciliation avec ma Muse et je me lance dans des expérimentations assez peu préparées, voire pas du tout.
Les résultats ne sont pas inintéressants pour l’instant, même si je suis parfois en panique de ne pas savoir où l’histoire va s’achever.
Par contre, je suis toujours très rigoureuse sur les recherches que je peux faire et sur la construction de mon univers.
Un livre de dark fantasy… qui fait voyager
Marie — Puisqu’on en vient à l’univers, on peut s’arrêter un peu à celui de la Horde. Quand je lis le récit d’Ivan et de Yek, des images s’imposent à moi, venues de Russie aussi bien que d’Extrême-Orient. Pour moi, c’est un des grands plaisirs de cette lecture : ce sentiment d’évasion. Tu parles du Turkménistan : qu’est-ce qui t’a interpellée, qu’est-ce qui t’a séduite ? Est-ce que tu as été chercher ailleurs l’inspiration pour étoffer un peu tout ça ? Beaucoup de recherches documentaires, donc ?
Aurélie — Je te parlais un peu plus tôt du roman écrit avant la Horde. Il se trouve que c’était un roman historique, sur lequel j’avais passé des années de recherches (j’entretiens des souvenirs émus des jours passés dans la merveilleuse Bibliothèque Nationale). Après ça, je me suis juré « Plus jamais » ! Pour le roman suivant, j’avais envie de tout créer de zéro, de partir dans un grand n’importe quoi qui plairait à mon impérieuse flemme. Sauf que je me suis vite fait rattraper par mes démons et finalement, j’ai passé énormément de temps à me renseigner sur mes deux sources d’inspirations principales : la Russie et la Corée. Ce sont les références les plus évidentes, mais dans mon Vastanya, l’empire que j’ai créé, on peut également y trouver un fond de Rome, avec sa cité-état qui a dominé toutes ses provinces et a vu naître l’une des plus importantes religions monothéistes, ainsi qu’une touche d’URSS, dans ses velléités de domination et sa déliquescence.
On arrive alors au Turkménistan : ces accents de Russie et d’URSS se sont imposés lors de mon premier voyage là-bas. Le Turkménistan, situé au nord de l’Iran, est une ancienne république soviétique célèbre pour sa capitale d’un blanc absolutiste, des immeubles en marbre jusqu’aux abris bus déserts. J’ai été frappée par la façon dont, malgré plus de 150 ans d’histoire commune (si on peut la qualifier ainsi), les turkmènes et les russes ne s’étaient pas mêlés. Les élites restaient principalement russophones tandis que le reste de la population conservait une culture turkmène. C’est ce hiatus que j’ai voulu mettre en scène.
Quant à la Corée, elle s’est imposée bien tard. Originellement, j’avais placé le roman dans un décor mongol (ce qui est devenu le Sigertei, dans la version actuelle). Parce que je suis enivrée de grands espaces, parce que je rêve d’errer en Mongolie, parce que les cultures nomades me fascinent, et parce que les sonorités des deux langues étaient suffisamment distinctes. Tout le premier jet a été écrit dans cet univers et, je t’en ai un peu parlé plus haut, s’est révélé être un petit calvaire. Puis, quand est venu le temps des corrections, j’ai eu une illumination (encore). La Corée, que j’avais eu la chance de découvrir lors d’un déplacement professionnel de trois mois, m’appelait dans plusieurs aspects de ma vie. C’était là qu’il fallait que je place le roman. C’est à ce moment-là que tout est devenu si fluide avec la Horde et que je me suis enfin laissée transporter par ce roman. L’appel a été tellement fort que je suis retournée en Corée en 2018, cette fois en ayant mon roman en tête. Autant te dire que j’ai pris note de centaines de détails sur la vie quotidienne telle que pouvait la vivre les gens du peuple à l’époque Joseon, mais aussi sur la forêt, les montagnes, les rochers, les feuilles mortes, tout !
Marie — Et voilà pourquoi c’est si immersif. *-* Bon, pour finir, parle-nous de tes projets ! Où vas-tu nous faire voyager ? (Parce que, note aux lecteurs ! Avec Aurélie Luong, si vous ne l’avez pas compris, on voyage !).
Aurélie — J’ai pas mal de périples sous le coude ! En ce moment, je suis pleinement dans la réécriture de mon premier roman. Je passe d’une version chorale à la troisième personne et passé simple à un récit très incarné à la première personne et présent. C’est une première pour moi et j’avoue que j’y prends un plaisir indicible. Le roman se passe pendant la conquête de l’Espagne par les Berbères, en 711, dans un monde légèrement altéré par une magie du vent et par le souffle de djinns (s’ils daignent enfin se révéler sous mes doigts). Je me glisse dans la peau d’un guerrier berbère dont l’âme est habitée par le désert qui l’a vu grandir et qu’il a dû quitter, et qui est porté jusqu’à l’extrême par l’amitié inconditionnelle qu’il conçoit envers l’un de ses frères d’armes. C’est un roman solaire, dans un style littéraire assez différent de Quand vient la Horde, mais qui possède une part d’ombre qui va ne faire que grandir (si les personnages respectent mes intentions !).
Dans l’un des tiroirs de mon bureau, qui languit de se voir corrigé, m’attend un roman aux inspirations mésopotamiennes. On retrouve un duo de personnages (décidément, j’aime la dualité), deux anciennes ennemies qui vont devoir collaborer au cœur d’une cité-état au bord de l’insurrection. L’une est une ancienne générale tombée dans la déchéance et dans l’alcool, l’autre une épouse royale qui a voulu se faire reine malgré sa condition de genre et en a été déposée. C’est un roman qui me tient particulièrement à cœur, non seulement pour son contexte et pour la brutalité viscérale de la générale, mais aussi car il met en scène deux femmes matures, qui ont clairement dépassé l’âge standard des personnages de fantasy.
Enfin, dans un coin de ma tête rue un projet baigné de touffeur et de forêts amazoniennes, d’êtres capables de se changer en animaux et de braconniers. C’est un projet où j’ai envie de lâcher les chevaux, de voir où l’enchaînement des événements peut me mener quand je ne lui passe pas la bride.
Bon, et je ne parle pas du reste 🙂
Marie — Comme c’est alléchant ! Merci beaucoup du temps pris à répondre à mes questions et je te souhaite le meilleur pour la suite !
Aurélie — Mille mercis à toi !
Vous trouverez Quand vient la horde très facilement en librairie et sur Internet. Et pour suivre l’actualité de cette autrice prometteuse et ne pas rater son prochain livre de dark fantasy, rendez-vous sur son site Internet et sur Instagramet Facebook!
Crédit image d’en-tête : illustration du roman Quand vient la horde par Benjamin Carré.
Marie – Bonjour Dominique ! Merci d’avoir accepté de passer à la moulinette de mes questions sur mon blog. 🙂 Je suis très heureuse d’accueillir une autre autrice de SF (la dernière fois, c’était Charlotte Bona pour son excellent Havensele !). Comme tu t’en doutes, on va donc parler science-fiction !
Tu es l’autrice de Sous la Lumière d’Hélios, un super roman de science-fiction dont on va abondamment parler dans l’interview. Pourquoi ce genre-là et y a-t-il d’autres genres dans lesquels tu aimes tremper ta plume ?
Une autrice nourrie aux classiques de la SF
Dominique — Déjà, merci pour ton invitation, je suis très honorée !
Alors, pourquoi la SF ? C’est le genre de romans d’aventure que j’ai le plus dévoré durant mon adolescence, c’est sûrement un clin d’œil à la jeune fille que j’étais alors et qui se rêvait écrivain. J’ai commencé à écrire des nouvelles au collège, plutôt du fantastique horrifique. J’ai relativement peu lu de fantasy et je n’en ai pas écrit. Ce n’est pas le genre qui m’attire spontanément, même si j’apprécie le travail de nombre d’auteurs, en particulier francophones.
En ce moment, je corrige mon deuxième roman (c’est presque un troisième, puisque Sous la lumière d’Hélios était à l’époque prévu comme un dyptique) qui est une aventure fantastique mettant en scène une étudiante fan de rock et sorcière qui s’ignore, qui va devoir se dépêcher de prendre conscience puis de maîtriser ses pouvoirs… avant une catastrophe, bien sûr ! Problème : c’est une scientifique parfaitement rationnelle. Et ensuite, j’ai d’autres histoires dans ma liste à écrire, dont d’ici quelques années un roman de fantasy, comme quoi tout arrive !
Marie — Ta réponse me fait découvrir la petite fille qui rêvait un jour d’être écrivain. Comme j’avais le même rêve aussi, j’ai très envie de te demander d’en dire plus là-dessus. 🙂 1. L’écriture, c’était quoi pour toi, déjà toute petite ? 2. Est-ce que ce rêve d’être écrivain t’a suivie depuis, sans jamais te lâcher ? 3. Qu’est-ce qu’il représentait à tes yeux ? 4. Et, pour le fun, j’ai envie de te demander ce que tu penses du terme « écrivaine » (parce que le mot « autrice » est déjà bien entrée dans le vocabulaire, mais je vois moins souvent celui-ci et, pour ma part, je le trouve très beau !).
[NDLR : Comme j’ai bombardé Dominique de questions d’un coup, ses réponses suivantes sont numérotées. :-D]
Dominique —(Question 1). Petite fille j’aimais les livres, j’ai toujours eu un livre sur ma table de chevet depuis le moment où j’ai su lire. Mes parents m’encourageaient à lire et mes grands frères aussi, mais l’envie d’écrire est arrivée à la fin du collège, avec mon journal, puis mes premières nouvelles fantastiques. J’écrivais peu avant, ou seulement pour l’école (mais toujours des trucs très imaginatifs, comme l’histoire du lapin scientifique ^^. L’exercice de la rédaction, écriture sous contrainte s’il en est, était mon préféré) Je passais plus de temps à dessiner et à construire en légo qu’à écrire pour moi avant le collège. Et j’aimais beaucoup les feuilletons à la télé (Cosmos 1999, le Prisonnier, etc) !
(Question 2). Oui, dès que j’ai commencé à écrire et à recueillir des encouragements des amies (ou professeurs) à qui je faisais lire ma prose, ça ne m’a plus lâchée, même si je n’ai pas écrit pendant une longue période de ma vie. Entre le boulot et les enfants encore petits, pas facile de s’enfermer seule avec mes histoires. Un peu avant ma cinquantaine, je me suis rendu compte que si je ne me mettais pas sérieusement à écrire, avec l’ambition d’être publiée, j’allais » mourir à l’intérieur ».
C’est ainsi que je l’ai présenté à mon entourage. Mes enfants avaient grandi, mon mari m’a immédiatement soutenue, comme toujours. Ils m’ont dit « Go !, On est avec toi ». J’avais besoin de cet accord parce que cela signifiait que je tirais un trait sur les soirées télé et sur une partie de mes week-ends, que j’allais avoir besoin de plages de tranquillité pour travailler mes textes. Cela n’a pas allégé mon emploi du temps mais j’ai fait un choix important pour ma créativité, ce jour-là : lui accorder la place dont elle avait besoin et qu’elle estimait mériter^^. Et j’adore écrire le soir.
(Question 3). Une liberté que je n’avais pas dans mon travail qui payait les factures. J’ai exercé toute ma vie un boulot totalement dénué d’invention dans un couple métier/entreprise où l’innovation n’existait pas. Écrire a été une extraordinaire porte de sortie et de survie pour mon imagination. Je crois que cela m’a évité un burn-out, et je me suis prouvé à moi-même que j’étais capable de réussir quelque chose seule (plus ou moins : j’ai besoin de bêta-lectures pour travailler, on y reviendra ! ), par ma volonté et ma détermination.
(Question 4). Je l’utilise moins qu’autrice, mais c’est vraiment une question de goût et d’habitude. J’ai adopté autrice très vite, dès que des articles expliquant l’histoire de ce mot sont parus, expliquant étymologiquement il était correct de l’utiliser.
Un roman de science-fiction qui puise aux sources
Marie — Waouh, bravo Dominique de ne pas avoir laissé mourir cela en toi. L’écriture, ça a quelque chose d’un sacerdoce, mais nécessaire pour être vraiment soi et c’est super que tu te le sois accordé (et c’est tellement important quand la famille te soutient ^ ^⁾. Bon, et si on parlait un peu de Clara, l’héroïne de Sous la Lumière d’Hélios ? De fait, c’est elle que tu as choisie pour te lancer dans cette aventure, c’est cet univers et ce genre (la SF) ? Pourquoi elle et quelle est son histoire ?
Dominique — C’est un peu compliqué de répondre parce que ce roman est un mix entre les histoires que j’inventais avec mes copines quand j’étais ado, les univers cinématographiques qui m’ont plu à cette époque (la trilogie d’origine Star Wars, Star Trek, Battlestar Galactica, etc.), les romans que j’ai aimés (comme Dune, qui est en haut de la pile des livres que j’emmènerais sur une ile déserte) auquel j’ai ajouté des éléments en cours d’écriture (typiquement, le Vood est arrivé bien après. Si si ! ). Donc, la SF s’est imposée, comme un genre où l’aventure était présente, l’exploration de mondes inconnus, etc. Il ne m’est jamais venu à l’idée d’écrire une dystopie, parce que j’avais envie d’un roman léger, simple, facile à lire et qui permette de s’évader. Bon, il fait 450 pages et des poussières, j’ai eu du mal à faire simple et léger :), je dois le reconnaître.
Clara, c’est mon archétype d’aventurière, celle que j’ai cherchée souvent dans les romans que je lisais dans mes jeunes années, en vain. Je voulais une femme qui fasse avancer l’histoire, active, indépendante, courageuse, et non dépendante des hommes pour avancer dans sa vie. Quelqu’un qui, malgré son jeune âge, soit capable d’évaluer les enjeux autour d’elle, y compris d’un point de vue politique. A qui on va faire confiance en lui donnant un rôle d’ambassadrice. J’aime l’idée qu’on donne de vrais postes de pouvoir aux jeunes, qui les aideront à s’affirmer et à apprendre à toute allure.
Le Vood, la créature SF qui fait polémique dans le roman
Marie — J’ai souvent ressenti la même chose que toi concernant les personnages féminins ! On a tellement besoin, nous les femmes ( 😀 ), d’héroïnes qui nous ressemblent davantage, loin des clichés situés aux extrêmes des personnages « badass » ou « nunuches ».
Tu parles du Vood, et c’est parfait, car je voulais te poser des questions là-dessus. C’est presque mon « personnage » préféré. Il m’a inspiré des tas de réflexion sur les futurs possibles de l’être humain et sur notre rapport à la nature et à la technologie : les Augmentés de ton roman de science-fiction craignent la symbiose permise par le Vood, qu’ils perçoivent comme une forme d’aliénation (je l’ai du moins ressenti ainsi), mais ils ne considèrent pas leur dépendance à la technologie comme une autre forme d’aliénation…
Est-ce que tu peux nous parler un peu du Vood, d’où t’est venue l’idée de ce concept, ce qu’il représente pour toi ?
Dominique — Alors, le Vood… j’avais envie de rencontres extra-terrestres, bien entendu. Je trouvais dommage d’avoir une planète habitable (à peu près), dotée d’une flore, mais pas d’une faune, et tant qu’à faire, une faune intelligente. J’aurais pu inventer autre chose, mais pour ce roman-là, je voulais retrouver l’esprit du cinéma d’aventure et de SF et de mes lectures d’ado. En revanche, je ne voulais pas refaire ce qui avait déjà été fait : pas d’êtres antropomorphes,, genre Petits Gris, pas de grandes pieuvres comme dans Premier Contact ou La Guerre des Mondes, je voulais que la nature intelligente de mon alien ne soit pas perceptible pour un esprit humain. On voit dans ma novella préquelle du roman Dans le coeur d’Eltanis que la contamination par le Vood est en fait un banal accident de laboratoire, c’est ce qu’on trouve dans plein d’oeuvres de SF (tiens, en ce moment je suis en train de regarder Raised by Wolves, et on retrouve ce genre de thème, du scientifique trop curieux qui, à un moment donné, oublie toute règle de protection individuelle et … paf).
L’idée du Vood m’est venue d’un de mes films de SF préférés, Abyss, de James Cameron, où les créatures extra-terrestres peuvent adopter la forme physique qu’elles souhaitent pour communiquer. Elles sont bienveillantes. La scène où le Vood adopte le visage de Yul ou prend la forme de la Terre pour communiquer avec Clara est directement inspirée de la scène dans Abyss où la créature échange avec le personnage joué par Marie-Elizabeth Mastrantonio, une scène émouvante et magnifique. Regardez Abyss.
Je croyais qu’il n’y avait que ça dans mon idée.
Puis, mon fils m’a dit qu’il avait entendu parler des X-files, la série de SF qui a marqué les spectateurs durant plusieurs décennies, dont moi. Nous avons ressorti les DVD et là… l’huile noire. C’est une entité extraterrestre, malveillante par contre, capable d’envahir un être humain, de le contrôler… je l’avais, je le jure, complètement oubliée quand j’ai conçu le Vood, mais mon cerveau, lui, l’a ressorti au bon moment pour ajouter cette dimension contamination/risque/inconnu…! L’écriture a quelque chose de magique, je trouve !
En conclusion, pour le Vood, je n’ai fait, comme c’est souvent le cas en littérature, que mixer des concepts déjà inventés par d’autres, à ma sauce.
Marie — J’avais adoré le film Abyss lorsque je l’ai vu. 🙂
Et je plussoie, l’écriture, c’est magique ! Je me reconnais dans ton processus créatif ! Je laisse maintenant aux lecteurs et lectrices le plaisir de découvrir Clara, le Vood (et tous les autres personnages de ce super roman de science-fiction<3). Si on finissait en parlant de ton actualité et tes projets, dont ta sorcière rock’n roll ?
Dominique — Alors, côté actu : j’ai deux nouvelles de SF en cours de parution :
Une dont j’ignore quand elle sortira mais les corrections éditoriales sont faites. Aléa de la parution, mon amour.
L’autre pour le recueil de nouvelles Etrange K Dick, qui sort aux éditions Livr’S pour la première édition du festival Etrange-Grande. Ce sera les 17 et 18 septembre 2022, à Hettange-Grande, près de Thionville. Je suis invitée à ce salon, j’ai hâte d’y participer car il est porté par une équipe dynamique qui fait un boulot fantastique de promotion et d’organisation. Ils visent haut dès le début, je leur tire mon chapeau.
Je travaille sur la réécriture/correction d’un nouveau roman, que je destine plutôt à un public jeune adulte (exercice difficile pour moi qui n’ai écrit pour le moment que pour un public adulte). Le pitch : une étudiante fan de rock découvre que la batteuse de son groupe préféré possède d’inquiétants pouvoirs. Mais quand on étudie les sciences, on ne peut pas croire en la sorcellerie. Et encore moins devenir sorcière soi-même… N’est-ce pas ?
J’espère terminer cette phase de travail cet été si tout va bien. Je n’anticipe pas de le finir et qu’il soit près à être présenté à un éditeur avant 2023. J’ai besoin de temps pour écrire. La maturation est longue et je n’ai jamais regretté de prendre mon temps.
Et ensuite, j’ai un gros projet sur la danse, que j’ai mis en attente pour le moment et qui est prêt pour le premier jet. Ce sera un gros bébé, à peu près comme Hélios.
Pour la rentrée, j’ai monté un projet d’atelier d’écriture en lycée professionnel avec une amie professeure de français. J’attends que les derniers détails administratifs soient réglés pour me réjouir, mais j’espère très fort que nous pourrons le faire. J’en dirai plus quand ce sera officiel.
Marie —Je suis impatiente d’en savoir plus ! Merci beaucoup Dominique !
Dominique — Merci à toi, Marie, pour m’avoir accueilli dans ton espace et pour tes questions stimulantes !
Pour en savoir plus sur le roman de science-fiction Sous la Lumière d’Hélios (finaliste du prix Bob Morane 2021, au fait !) et sur Dominique, visitez son site et suivez-la sur ses réseaux Facebook etInstagram ! Et n’hésitez pas à vous adresser directement à l’autrice via son formulaire de contact pour l’acheter ! 😉
C’est avec plaisir que j’interviewe aujourd’hui une autrice de science-fiction ! Alors, soyons clair : il n’est pas question pour moi de faire de l’essentialisme inversé en disant que les femmes font de la meilleure SF que les hommes. Cependant, il me semble qu’on trouve quand même moins d’écrivaines dans ce genre littéraire. En tout cas, elles sont moins mises en lumière. Je me réjouis donc de lutter à mon échelle contre cet état de fait. 🙂 Justement, on va en parler avec Charlotte Bona ! Elle a écrit une série d’anticipation en trois tomes, Havensele, qui traite des thématiques prioritaires pour moi : le changement climatique, l’autoritarisme politique, la liberté individuelle, notamment celle de la femme, les frictions géopolitiques et la guerre. Sujets d’actualité brûlants s’il en est.
Les femmes dans la science-fiction
Marie – Bonjour Charlotte ! Je suis ravie d’accueillir une autrice de SF sur mon blog. C’est un peu une incursion hors des sentiers battus pour moi, puisqu’ici on parle surtout de fantasy et fantastique, mais j’ai ouï dire que tu n’étais pas non plus insensible à ces genres-là en tant qu’autrice. Par ailleurs, en lisant ta trilogie Havensele, il m’a semblé que tu avais des choses à dire sur la place des héroïnes dans la science-fiction en particulier et la littérature en général.
En fait, pour commencer et avant même de parler des héroïnes, j’ai envie de te demander ce qu’il en est, d’après toi, de la place des femmes parmi les auteurs de SF ? Est-ce qu’elles sont rares ? Présentes mais peu visibles ? Ou bien les trouve-t-on aussi bien que les auteurs masculins ?
Charlotte – La place des femmes parmi les auteurs de SF n’avait jamais été un sujet d’intérêt pour moi en tant que lectrice. J’imagine que depuis mes années collège, je m’étais habituée à lire essentiellement des hommes et des romans américains ou anglo-saxons. En effet, rares étaient les autrices de SF dans ma bibliothèque : Ursula K. Le Guin (mais je l’avais découverte par la fantaisie) ; Anne Mc Caffrey et Marion Z. Bradley et plus tardivement, Corinne Guitteaud et Octavia E. Butler. C’est en commençant à écrire en 2012 que je me suis rendu compte que la place des autrices en science-fiction était réduite en France et dans les pays francophones. Pourtant, les très belles plumes féminines en SF adulte ne manquent pas ! Parmi celles que j’ai eu le plaisir de découvrir, je citerai : Luce Basseterre ; Catherine Dufour ; Dominique Lémuri ; Sophie Moulay ; Émilie Querbalec ; Justine Niogret ; Marianne Stern.
Ce ressenti – déjà ancien – a été confirmé l’année dernière par les chiffres publiés par l’observatoire de l’Imaginaire en France. En 2012, 1/3 des auteurs en Imaginaire (hors jeunesse) étaient des femmes.
Les femmes – en tant que nominées ou lauréates – se révèlent aussi moins présentes dans les prix. Un article très intéressant du blog « Chut Maman Lit » avait mis en lumière en 2020 ce différentiel : dans les pays européens, les femmes représentaient en moyenne 20 % des auteurs primés, alors que les autrices américaines étaient récompensées à hauteur de 45 %.
Bien sûr, il manque des données pour conclure. Par exemple, le nombre de romans SF envoyés par les autrices aux maisons d’édition par rapport aux auteurs masculins ; ou le pourcentage de manuscrits écrits par des femmes retenu pour la publication par rapport à ceux de leurs homologues masculins.
Il serait amusant de demander à un public amateur de SF adulte de citer des noms d’autrices francophones. Arriveraient-ils à en retrouver plus de 5 ? 10 ?
Marie – C’est vrai qu’on prêtait moins attention à ces questions il y a quelques années. Je ne me questionnais pas moi-même lorsque j’étais adolescente. Aujourd’hui, alors que je découvre (tardivement, donc) la SF, je réalise que tous les grands classiques ont été écrits par des hommes : Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, 1984 de George Orwell, Tschaï de Jack Vance, etc. Je ne crois pas avoir encore lu d’autrices de SF antérieures à Élisabeth Vonarburg. En tout cas, des études restent à faire, en effet, et nous devrons pour l’instant nous contenter de ressentis et de quelques chiffres. 🙂 Maintenant, parlons plus spécifiquement de toi en tant qu’autrice de science-fiction. Pourquoi ce genre ? D’ailleurs, Havensele, c’est plutôt de la SF ou de l’anticipation ?
Charlotte – L’envie d’écrire de la science-fiction m’est venue très naturellement, car je suis une grosse lectrice du genre, même si dans ma bibliothèque trônent probablement plus de romans de fantasy (mais c’est aussi un reflet de la production en Imaginaire, plus portée sur ce deuxième genre). Mais surtout, la SF et encore plus de l’anticipation se prêtait parfaitement à mon propos : construire une société idéale interne et secrète aux nôtres, pour mieux dénoncer les problèmes de notre époque. L’origine d’Havensele est une réflexion sur les meilleurs modèles de gouvernance de nos sociétés. En 2012, nous venions de connaître des élections présidentielles et législatives et j’essayais d’imaginer le modèle idéal : des gouvernants sages, altruistes, à l’écoute, qui s’effaceraient au bout de 5 à 10 ans, ancrés dans la vie réelle et désireux d’aider la totalité de leurs concitoyens, sans dogmatisme ; des électeurs intelligents, volontaires pour participer à un projet incluant l’ensemble de la société. Pas gagné, n’est-ce pas ? Alors, j’ai tenté d’autres modèles de gouvernance. C’est ainsi qu’est né le Haut-Chapitre d’Havensele, une synarchie bienveillante, sauf que l’enfer est pavé de bonnes intentions…
Pour conclure, j’aime tellement écrire de l’anticipation que c’est aussi le genre de prédilection de mes nouvelles. Trois d’entre elles relèvent de l’anticipation, voir même de la climate-fiction pour « Sous le soleil » et « Dessine-moi un poisson ».
Pour répondre à ta deuxième question, Havensele est à la fois de la SF et de l’anticipation, puisque pour les puristes et amateurs de classification, l’anticipation est un sous-genre de la science-fiction, au même titre que le Space Opéra, le Space Planet ou le Solar Punk. N’oublions pas aussi que, même si la trilogie se déroule entre 2021 et 2023, un des personnages les plus importants sur le plan de l’intrigue est une extra-terrestre. 😉
Autrice de science-fiction engagée ?
Marie – Merci pour ces précisions. N’étant pas très au clair avec ni très fan des classifications de genre, j’apprécie les croisements et les mélanges. 🙂 Et donc, Havensele, c’est aussi un manifeste qui nous dit que la planète va brûler si nous ne faisons rien pour l’empêcher. Tu es très sensible à cela ? Est-ce que tu as fait des recherches par rapport aux thématiques climatiques du roman ?
Charlotte – Certes, Havensele est un manifeste qui nous dit que la planète va brûler, mais seulement en partie. Les thématiques climatiques sont présentes dans les deux premiers tomes, mais Havensele nous alerte aussi, voire plus, sur les problèmes entre les nations et leurs conséquences sur le plan sociétal : montée du populisme, repli des peuples sur eux-mêmes et… conflits. Mais je suis effectivement très sensible à tout ce qui touche le climat et ses modifications et cela me paraissait important d’en parler dans mes premiers romans ou nouvelles. Je crois très fort aux messages qu’un auteur peut passer grâce à ses écrits.
Pour rendre plus crédibles ces messages, mais aussi leurs porteurs, c’est-à-dire deux des personnages principaux d’Havensele, des climatologues, j’ai dû tout d’abord me documenter pour connaître leur cursus universitaire ainsi que leur métier. Que fait un climatologue de ces journées ? Est-ce qu’il les passe à arpenter la banquise pour en prélever des carottes glaciaires, comme dans le film de catastrophe Le jour d’après ? À regarder le ciel ? À travailler devant des écrans ? (NDA : cette dernière hypothèse est malheureusement la bonne !)
J’ai lu ensuite une thèse de climatologie (en diagonale) pour mieux comprendre les limites des modélisations puis plusieurs rapports du GIEC pour chercher des modifications climatiques « originales » pour en faire le sujet des études de Mathilde et Jonas. C’est ainsi que, plutôt que de parler de la fonte de la banquise ou des glaciers du Groenland, j’ai préféré la modification de la mousson en Inde et ses implications sur les populations, choix moins consensuel de la part de deux climatologues suédois.
La place de la femme dans la série de romans Havensele
Marie – Effectivement, le roman est impressionnant à la fois par la précision de sa dimension climatique et par celle de sa dimension géopolitique… Deux aspects qui ne cesseront probablement de s’entrelacer plus étroitement à l’avenir dans notre réalité, j’en ai peur. (Et je ne vais pas spoiler les lecteurs et lectrices à venir, mais la violence liée aux conflits dont tu parles va crescendo dans le roman. C’est saisissant.)
[NDLR : à l’heure où je poste cet interview sur le blog, la guerre a éclaté en Ukraine. L’échange a été fait juste avant le début du conflit. Ce qui en dit long, hélas, sur les dangers géopolitiques bien réels que dénonce ce roman.]
Nous allons en venir à une thématique plus légère (ou pas ?). Je veux parler de la place de l’héroïne dans cette symphonie ! Il y a pas mal de personnages, mais Mathilde est le centre de tout, me semble-t-il. Tu sais sans doute que je suis friande de beaux personnages féminins, fouillés, complexes et loin des clichés, alors si tu nous présentais un peu notre protagoniste ? 🙂
Charlotte — Je sais que tu apprécies ce genre de femmes, parce que j’ai lu Valadonneet que rares sont les histoires avec des personnages féminins (principal et secondaires) aussi puissants sur le plan de l’écriture. J’ignore si cela est le cas pour Mathilde, car c’est le personnage d’Havensele qui m’a donné le plus de fils à retordre pour sa caractérisation. Je reste beaucoup sur les difficultés à la construire et à la faire évoluer, source de nombreuses réécritures. Heureusement, mes bêta-lectrices ont été d’une aide précieuse. Je me suis aussi beaucoup inspirée à partir du tome 2 de l’héroïne de La Servante écarlate, June/Defred, incarnée dans la série homonyme par Elisabeth Moss. Quelques mots de présentation : Mathilde dirige le département de climatologie de la faculté de Stockholm. C’est une véritable work addict, assez ambitieuse qui tente d’oublier par une activité professionnelle intense son passé. Un accident de voiture quatre ans auparavant a provoqué le décès de son conjoint et de son bébé, né trop prématuré pour survivre. Pour se punir, Mathilde a privé son corps de nourriture, au point d’être hospitalisée en psychiatrie. Au début du roman, elle est à peine remise de cette anorexie, lutte pour prendre du poids et supporte difficilement le regard des hommes sur elle. C’est une cérébrale qui rejette tout affect, estime que tout s’intellectualise, y compris les sentiments. Son credo : qui n’aime pas ne souffre pas. Sa rencontre avec Thomas Andlauer, un mécène scientifique anglais, sera le déclencheur de sa guérison, jusqu’à ce que la véritable nature de l’homme se révèle à elle et que Mathilde découvre l’organisation secrète qui se dissimule derrière la fondation Andlauer. C’est donc une femme trahie sous différents plans qui renaîtra à la fin du tome 1. Une femme privée de liberté, qui devra s’adapter pour survivre, tout en restant lucide et critique sur sa nouvelle condition.
Marie — Merci beaucoup pour Valadonne. 🙂 Je suis contente que tu évoques toi-même ce qu’il advient (dans les grands traits) à Mathilde dans le premier tome, car je vais pouvoir rebondir sur la suite et même sur la fin de la trilogie, ce que j’avais vraiment très envie de faire en te proposant cette interview. (Lecteurs de passage, attention aux spoilers ! Et, cette fois, on va parler non pas géopolitique, mais amour et sexualité.) Car oui, on peut dire que ton héroïne va se retrouver pressée par des volontés masculines inflexibles, notamment celle de Thomas. Et je dois dire que la chute finale, dans sa dimension romanesque, est pour le moins un retournement de situation. C’est lui qui, cette fois, « subit » la volonté et le choix de Mathilde, même s’il consent. J’ai été doublement surprise, et très très surprise, par cette audacieuse conclusion. Je ne m’y attendais pas du tout, et j’ai été ravie de sortir ainsi des sentiers battus. Je ne crois pas avoir souvent vu ce type de schémas amoureux inhabituels (et donc transgressifs de la norme) dans des romans. Le seul exemple qui me vient à l’esprit d’emblée est celui de l’héroïne de Chroniques du Pays des Mères d’Élisabeth Vonarburg. Est-ce que tu savais à l’avance que cela se terminerait ainsi ? Pourquoi cette issue ?
Charlotte — Oui, je savais dès le début d’Havensele comment se termineraient les différents fils d’intrigue et en particulier ce fil romantique. Pour plusieurs raisons. Je ne voyais pas évoluer autrement la relation entre Mathilde, Thomas et Alexian. Car il ne s’agit pas seulement d’une histoire d’amour entre une femme et un homme, mais aussi une histoire d’amour fraternel entre les deux hommes. Et ce qu’ils acceptent tous deux démontre la force de leur lien. Il me semblait également important que cette fois-ci Mathilde décide de sa vie amoureuse. Tout simplement, parce que cela montrait en show son évolution. Dans le tome 1, nous faisions connaissance avec une femme écorchée par la vie, mais forte. Dans le tome 2, le lecteur la découvrait obligée de se soumettre pour survivre. Le tome 3 se devait de montrer une autre de ses facettes, son côté rebelle et anticonformiste. Et enfin, tout comme la trilogie comporte une romance homosexuelle, je souhaitais décrire différentes formes de sexualité et surtout leur acceptabilité sociétale. L’amour, le désir ne devraient pas être brimés par un regard conformiste, de modèle hétéronormé, mais – entre adultes consentants – se libérer. Pour moi, il n’y a rien de bien pire que l’expression « bonnes mœurs », car elle reflète surtout les cages dans lesquelles les femmes ont été enfermées depuis des siècles. Je n’ai pas (encore) lu le roman d’Élisabeth Vonarburg, mais le film Jules et Jim de François Truffaut a été une grande source d’inspiration (Tout comme la fabuleuse Jeanne Moreau).
Marie — Je ne vois pas que dire, sinon plussoyer ton propos avec enthousiasme. 🙂 Petite dernière question pour la route (la petite question habituelle) : où en es-tu dans l’écriture ? Quelle est ton actualité et quels sont tes projets ?
Charlotte — Je suis une autrice escargot, ce qui signifie que j’écris très lentement. Comme je ne suis jamais satisfaite avant la V7, cela donne aussi une idée du temps que je consacre aux corrections. Depuis la sortie du tome 3 d’Havensele en mai 2020, j’ai publié, suite à des appels à textes, trois nouvelles de science-fiction dans des revues que j’apprécie beaucoup (AOC, Gandahar et Géante Rouge). Mon quatrième roman (fantastique breton) – Le Club des Enfants Mal Fichus – est entre les mains de mes bêta-lectrices et j’ai fait une pause dans l’écriture de mon cinquième roman (un thriller), pour une nouvelle de science-fiction, en corriger une autre et écrire le synopsis de la prochaine pour laquelle j’ai été sollicitée. Et j’ai dans la tête quatre autres romans et un ouvrage de vulgarisation médicale qui se télescopent et ne demandent qu’à être jetés sur le « papier ». Dire que je souhaiterais que les journées fassent 48 heures est un doux euphémisme (Nous sommes de nombreuses autrices à connaître des quotidiens chargés). Mais il paraît que, de la frustration, naît la créativité, alors réjouissons-nous !
Marie — Et nous allons en finir avec cette note positive ! Merci à toi, Charlotte, et bonne continuation pour tes beaux projets. 🙂 Pour conclure, lisez Havensele (Cité Noire, Cité Blanche, Cité Rouge), c’est vraiment une lecture prenante et addictive, et pleine de sens. Et suivez l’actualité de Charlotte Bona, autrice de science-fiction, anticipation et SFFF en général sur ses réseaux sociaux (Facebook et Instagram) et sur son blog. À bientôt !
J’ai demandé à Sandrine Alexie, l’autrice de La Rose de Djam, paru aux Éditions L’Atalante, d’être mon guide dans cet espace spatio-temporel envoûtant. Je n’ai pas été déçue ! Emboitez-nous le pas, on va parler de mysticisme, de la femme au Moyen-Âge, de linguistique et d’Histoire bien sûr… et on va vous en dire plus sur ce beau roman historique au Moyen-Orient qu’est La Rose de Djam !
Pourquoi un roman historique au Moyen-Orient ?
Marie – Bonjour Sandrine et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions.
Vous êtes l’autrice d’un petit bijou de littérature historique paru aux Éditions Atalante : La Rose de Djam. Le roman nous plonge dans le Proche-Orient médiéval, au XIIe siècle, à l’époque de Saladin, alors que chrétiens et musulmans se déchirent pour la possession de territoires (même si on va voir qu’ils s’entendent quelquefois aussi très bien et que les lignes de partage ne sont pas si évidentes qu’on pourrait le penser !).
Pourquoi ce choix ? Un amour particulier pour cette période de l’Histoire ? Pour cette zone géographique en particulier ?
Sandrine – Quand je suis entrée à l’École du Louvre, en plus de suivre le cursus d’histoire générale de l’art qui survole à peu près toutes les civilisations et les continents, j’ai dû choisir, comme tous les élèves, une « spécialité », c’est-à-dire un domaine qui allait être étudié de façon beaucoup plus approfondie. Je n’arrivais pas à me décider entre les Antiquités orientales et la Grèce ancienne, et j’ai finalement choisi les arts de l’Islam, qui a recueilli à la fois l’héritage des cultures méditerranéennes et celles de la Mésopotamie et de l’Iran. Par la suite, le hasard a fait que je me suis plus particulièrement consacrée aux Kurdes, dont j’ai appris la langue (j’ai même traduit deux de leurs classiques) et c’est ainsi que j’ai beaucoup voyagé et séjourné parfois longtemps dans les Kurdistan des actuels Syrie, Turquie et Irak.
Je me suis attachée à la période médiévale de l’Islam, qui commence avec l’arrivée des Turcs seldjoukides au XIe siècle, et finit au XVIe siècle avec l’âge des grands empires (ottoman, safavide, moghol). D’abord parce que la période seldjoukide-ayyoubide (la dynastie de Saladin) est, entre le XIIe et le XIIIe siècle, un des plus beaux moments des arts de l’Islam, que ce soit en architecture, en peinture de manuscrits, ou dans la production des bronze et des céramiques. C’est aussi une période politique extraordinairement tumultueuse, avec un émiettement entre des sultanats et des émirats rivaux, mais aussi des princes arméniens, les Grecs de Constantinople, et, pour finir, les Croisés qui déboulent de l’Europe et s’installent sur les côtes syriennes pour deux siècles : dans les rues d’Antioche, d’Acre, de Jérusalem, on pouvait soudain entendre le francien, l’anglo-normand, le toulousain, mêlés à l’araméen, le grec, l’arménien, en plus de l’arabe, du turc et des langues de l’Iran.
Qui dit période « riche et complexe » en histoire veut dire très rude à vivre pour le commun des mortels, avec beaucoup de guerres, de villes prises, perdues, reprises, de rivalités religieuses et de massacres… Mais c’est quand tout va mal que l’aventure commence : c’est pourquoi j’ai choisi de faire vivre mon héroïne au moment où Saladin reprend Jérusalem et presque la totalité du Royaume latin de Terre Sainte. En tant que fille de seigneurs normands, son monde s’effondre. C’est donc le moment idéal pour tourner le dos à la Syrie et prendre le chemin de l’Iran, appelée par une quête spirituelle et mystique qui est à la fois celle d’une coupe magique à retrouver, mais aussi celle de la partie « orientale » de son être, au-delà de ses origines terrestres.
Marie – Je me disais bien que la richesse cosmopolite de cette époque ne devait pas être pour rien dans ce choix. Et on ressent très bien ce mélange étourdissant de cultures, de langues, de modes de vie et de pensée dans La Rose de Djam. Est-ce que retranscrire cette atmosphère foisonnante vous a semblé difficile ? Vos connaissances de cette époque et de ces cultures ont-elles été suffisantes ou avez-vous fait des recherches supplémentaires ? Je pense surtout aux façons de s’exprimer des uns et des autres, qui varient beaucoup d’un individu à un autre (entre Pèir Esmalit et Yahya, il y a un monde !). Les dialogues sont nombreux et très vivant, souvent parsemés d’humour…
Sandrine – À vrai dire, cette « atmosphère foisonnante » allait plutôt de soi, du fait que le Proche Orient contemporain a gardé cette juxtaposition, tour à tour pacifique ou houleuse, de religions, de cultures et de langues, même si, à cet égard, il s’est terriblement appauvri en deux siècles. Je n’ai qu’à me souvenir d’Alep, de Damas, du Kurdistan, d’Istanbul et de bien d’autres villes pour faire revivre le monde du XIIe siècle : il fallait juste remettre quelques pièces manquantes à cette mosaïque abîmée qu’est la Syrie-Djazîrah (haute Mésopotamie) : faire revenir les Arméniens et les juifs, regonfler les effectifs de la chrétienté de langue araméenne ou grecque…
Pour décrire l’époque, j’étais au départ bien plus à l’aise avec le monde musulman, tandis que les États latins d’Orient m’étaient moins familiers. Mais quels que soient les lieux et les peuples cités, il y a toujours une foule de recherches à faire, pour des détails parfois infimes. D’abord, les villes et tous les lieux en général doivent être reconstitués tels qu’ils se présentaient au moment même du roman : pour cela, il y a les rapports de fouilles, les plans des villes, l’étude des monuments, etc. Même des cours d’eau, il faut se méfier ! Car il y a eu des détournements, des barrages, des lacs modernes… Et puis les vêtements, les objets usuels, l’alimentation, la vie matérielle, tout doit être vérifié. Cela dit, le romancier a un avantage : ce qui reste ignoré des historiens (car impossible à savoir) il peut toujours l’inventer, du moment que cela reste plausible.
À côté de cela, faire entendre les différentes langues et leurs couleurs était plutôt récréatif. Pour faire parler les lettrés persans et arabes, je n’avais qu’à plagier le style de leur littérature savante ou poétique : très emphatique, redondante, déclamatoire. Yahya est un philosophe et un gnostique : il a derrière lui des années d’études de logique grecque, de grammaire et de théologie arabes, mais aussi de mystique persane. Il a donc ce côté mi Guillaume de Baskerville mi saint Jean de la Croix quand il parle. Pèir Esmalit est un roturier, un « villain », et un soldat de fortune. Il faut donc que son langage et ses manières tranchent sur le côté « châtelaine » de Sibylle, de même son côté Gascon moqueur sur les princes Nornands. Au français d’époque, j’ai pris beaucoup de mots pour leur saveur et leur beauté, du moment qu’ils restaient à peu près compréhensible pour le lecteur. Je me suis inspirée en cela du travail fantastique qu’avait fait Robert Merle pour la série Fortune de France, où ses héros parlent un français Renaissance avec beaucoup de mots d’oc.
Mais je n’ai jamais eu beaucoup à réfléchir pour faire parler mes personnages. Ils surgissent devant moi, avec leur allure, leurs manières, leur langage. Au fond, cela coule de source : quand on sent bien une époque ou un monde, on trouve tout de suite ses héros, et on habite leur peau. Cela vaut pour les « bons » comme pour les « méchants » !
Il en va de même pour les dialogues : ce sont des scènes auxquelles j’assiste, et je ne fais que noter les répliques qui fusent. Quant à l’humour, c’est la seule façon, dans la vie, comme dans la littérature, d’alléger la tragédie.
Être une femme dans le Moyen-Orient médiéval
Marie – On sent bien ce naturel dans les dialogues. Ils sont très vivants ! Même le langage policé et poétique des lettrés persans et arabes, qui m’a enchantée.
Faisons un détour par les personnages et, à tout seigneur tout honneur, à l’héroïne, Sibylle. Elle a tantôt des manières impertinentes et un peu frondeuses, tantôt un comportement plus discpliné, notamment à l’égard de son mentor. Est-elle à l’image des femmes de son temps ou l’avez-vous voulu plus « moderne » ? Être une femme noble dans un environnement aussi troublé que le Proche-Orient du XIIe siècle, qu’est-ce que ça implique ?
Sandrine – Le plus sûr moyen de rater un roman historique est de vouloir « moderniser » ses héros ! Au contraire, ce qui est passionnant dans une autre époque, c’est le dépaysement qu’elle procure. Un des écueils à éviter est donc de prêter à ses personnages des réactions et des opinions anachroniques. La gageure est de deviner, plus par imagination et intuition que par la documentation, ce qu’était leur for intime, par-delà la différence des siècles et des conditions.
Sibylle est bien ancrée dans son siècle. Il faut se méfier de la vision du Moyen Âge léguée par le XIXe siècle. Les femmes d’alors n’étaient pas les parangons de pruderie ou les cruches soumises aux mâles que l’on voit un peu trop dans l’imaginaire romantique. Il suffit de lire les Lancelot, les légendes arthuriennes, Tristan et Iseult, ou bien les fabliaux populaires, pour constater qu’elles pouvaient avoir la langue bien pendue, et savoir se défendre ou ruser.
Même si l’Europe du XIIe siècle n’est pas de tout repos, au Proche Orient, une seule défaite militaire pouvait causer l’effondrement d’une principauté, comme le comté d’Édesse, en 1150, ou de presque tout le royaume franc, en 1187. Les Francs de Terre sainte vivaient donc sous une menace permanente, celle d’un îlot fragile dans un Islam que Saladin a réussi à unifier. Or, paradoxalement, cet état de guerre ou d’escarmouches permanentes semble avoir donné aux femmes qui détenaient des fiefs, et même la couronne, une plus grande indépendance qu’en Europe. Car les seigneurs et les princes mouraient souvent en campagne, ou bien restaient captifs de très longues années.
Leurs épouses restaient maîtresses de leur fief, exerçaient la régence, ou bien de multiples veuvages les enrichissaient. Pucelles, les filles dépendaient entièrement de leur famille, qui décidait de leur mariage (et les mères et belles-mères ont toujours eu autant de poids que les hommes dans les questions matrimoniales). Mais si elles se retrouvaient veuves, elles étaient émancipées et, en principe, libres de se remarier ou non.
Mais c’est là qu’intervient un autre facteur particulier aux États latins de Syrie : le manque criant d’hommes, et surtout de chevaliers, pour tenir les places-fortes. Les appels à la Croisade engendraient des expéditions de secours, mais les pèlerins (c’est ainsi qu’on appelait les croisés) n’étaient pas tenus de rester en Terre Sainte. La majorité rentrait chez eux une fois leur devoir accompli. Or chaque forteresse, chaque ville devait être défendue militairement. Si une veuve se retrouvait à la tête d’un d’un fief sans enfant mâle, elle subissait de lourdes pressions de la part de son suzerain pour se remarier. Certaines se soumettaient, mais d’autres louvoyaient, refusaient des prétendants, et finissaient par convoler avec qui leur chantait, même s’il était de plus basse naissance. Ainsi firent la régente d’Antioche et la reine de Jérusalem, qui épousèrent de beaux chevaliers sans fortune, au nez et à la barbe de toutes les grandes familles qui auraient bien voulu caser un de leurs fils. Sibylle de Terra Nuova n’est donc pas une exception, mais elle va beaucoup plus loin, puisque Pèir Esmalit est roturier, ce qui en fait une union scandaleuse dans l’esprit des cours féodales.
Quant à ses rapports avec Shudjâ‘, ils sont d’une toute autre essence. Le Daylâmî est son « murshid », un mot qui signifie guide en arabe, et désigne un maître soufi. C’est l’exact équivalent du guru indien, sans la connotation péjorative qu’a pris ce terme dans notre société. Sibylle est sa « murîd », sa disciple, et lui doit à cet égard une obéissance (en principe) sans murmures, qui fait partie de son apprentissage spirituel. Dans le tome II, on en apprend davantage sur les enfances de Sibylle et la nature du lien profond qui la relie au terrible sheikh.
Du réalisme au merveilleux : le fabuleux ordinaire
Marie – C’est ce que j’aime dans le Moyen-Âge : la position de la femme est moins effacée qu’on ne le suppose souvent. J’avais eu une révélation à cet égard lorsque j’étais adolescente en lisant La Chambre des dames de Jeanne Bourin.
Alors, comme vous le dites justement, La Rose de Djam est un roman historique, et très bien documenté, mais il n’est pas que cela ! Il glisse aussi ici et là dans le fantastique, ou la fantasy historique, ou le merveilleux (je vous laisse choisir le terme que vous préférez). Je trouve ça très intéressant, ce glissement du mysticisme au surnaturel. Quelle place occupe ce surnaturel dans la vie des gens de cette époque, de cette aire géographique, de ces différentes cultures ? Et est-ce que cette dimension merveilleuse était évidente pour vous dès le début de ce projet romanesque ? C’est le cœur de la quête de Sybille…
Sandrine – D’emblée, je dois dire que je n’aime pas du tout le terme « fantasy » qui, en français, sonne gentillet, voire niaisement. Il me fait toujours penser aux faunelets de Fantasia qui gambadent dans le rose et le bleu. C’est joli, mais je ne puise pas mon inspiration dans Disney. Avant, on disait « merveilleux » et « fantastique », et cela suffisait.
Cependant, dans La Rose de Djam, il s’agit de « miraculeux ». Pour moi, un roman qui se veut historique sur le Moyen Âge ne peut escamoter cette part de surnaturel, et encore moins la mettre en doute : au XIIe siècle, cela faisait partie de la vie, les gens y croyaient, et donc cela se produisait. Encore de nos jours, une bonne partie des cultures asiatiques laissent la place aux pouvoirs des sheikhs, des chamanes, croient aux esprits et aux dieux. Ce n’est pas de la « fantasy » ou du « fantastique », c’est le monde tel qu’il est. Le merveilleux médiéval, c’est la légende arthurienne, par exemple, ou les contes des Mille et une nuits : les gens s’enchantaient de ces histoires, mais n’y croyaient pas vraiment.
Le miraculeux, c’est la Légende dorée, les exploits des saints, soufis ou derviches, de quelque religion qu’ils proviennent : il s’agit de foi, et les chroniqueurs relatent ces miracles comme des faits incontestables. Le seul débat était de savoir si un événement surnaturel était un vrai miracle, l’exploit d’un saint authentique, ou l’acte d’un magicien, d’un sorcier, voire du démon..
J’ai tenu à respecter autant que possible la véracité historique du monde de la Rose de Djam parce que cela me plaisait de recréer cette époque, mais le point de départ, ce qui m’a inspiré cette histoire, ce sont ces Quarante saints anonymes qui soutiennent la structure du cosmos et empêchent son effondrement. C’est une croyance mystique qui court dans tout le Proche-Orient, qui correspond aux Trente-Six Justes des juifs (36 et 40 sont des nombres symboliques), de même le personnage mystérieux et ambigu de Khidr, le Verdoyant, le Pôle caché du monde, qui prend divers noms et formes selon les religions. Entre le monde terrestre et le divin, il y a cet « Entre-Deux », un monde intermédiaire, qui est à la fois partout et nulle part, d’où sont générés les rêves, les prophéties, les visions, les miracles et même les déplacements surnaturels : ainsi, les Quarante ont le don d’ubiquité, voient les événements à venir, devinent la trame de tous les événements.
Quand ils décident d’intervenir, ils le font en secret, sous divers déguisements, souvent ceux de mendiants, de brigands ou de modestes boutiquier, ou bien chargent un de leurs protégés (ici, Sibylle) de combattre le Mal en leur nom.
Cette atmosphère très iranienne, marquée par le manichéisme, avec un combat permanent entre l’obscurité du Mal et la Lumière, le christianisme en a hérité, et cela infuse la majeure partie de la Fantasy, allant d’œuvres fondatrices, comme Le Silmarilion ou Le seigneur des anneaux de Tolkien, Le monde de Narnia de Lewis, jusqu’aux plus récentes, telle la série des Harry Potter, ou celles de Philipp Pullman, surtout À la croisée des mondes. C’est pourquoi, adorant cet univers iranien médiéval, je me suis amusée à lui donner l’allure d’un roman de Fantasy, qui démarre un peu comme Le seigneur des anneaux, mais où chaque élément « fantastique », est un pur produit d’époque, sans rien d’ « inventé » ni de « moderne ». Ainsi la coupe surnommée la Rose de Djam dans mon roman, est à la fois une légende iranienne qui est à rapprocher de la quête du Graal européen, et aussi une référence mystique et poétique que l’on trouve dans toute la poésie d’Iran à partir du XIIe siècle.
Marie – Alors là, je dois dire que votre réponse m’ouvre tout un champ de réflexions inattendues, et je suis très contente de vous avoir posé la question de votre préférence sémantique ! En tant qu’autrice, je me sens souvent « obligée » de trouver un qualificatif, un genre à ce que j’écris, et cela n’a rien d’évident lorsqu’on a un pied dans l’historique, qu’on souhaite réaliste (et, comme vous le dites, on ne saurait passer à la trappe tout ce qui relève du mystique dans la réalité ordinaire des populations et des sociétés qui nous ont précédés), un pied dans le mythe et un troisième dans la fantasy. Cela me laisse finalement l’impression de me trouver en équilibre précaire sur un tabouret…
Bref, merci pour cette réponse, je la savoure tout particulièrement. 🙂
Pour finir, pouvez-vous nous parler un peu de votre actualité littéraire ?
Sandrine – Ma dernière publication remonte à la fin de janvier 2020, avec Le Pôle du monde, le tome III de La Rose de Djam. Ensuite, le premier confinement est tombé, annulant tous les salons, les sorties en librairie, etc. J’ai passée la première année de la pandémie à écrire et achever le tome IV, La danse des rois. Mais comme beaucoup de parutions ont été repoussées, décalées chez l’Atalante, il faudra attendre le début de 2022, je pense, pour enfin lire la suite des aventures de Sibylle, qui l’entraîneront dans la montagne d’Alamut, chez le Grand Imâm des Ismaéliens. Ses compagnons, eux, retournent en Syrie, et commencent aussi à faire connaissance avec les princes de ce monde : celui d’Antioche pour Pèir, le fils de Saladin pour Yahya.
Le tome V, qui devrait avoir pour titre Le Lion d’Outre-mer, est en cours d’écriture, et je suis en ce moment, avec Pèir, plongée jusqu’au cou dans la Troisième Croisade et le siège d’Acre. Comme c’est l’avant-dernier de la série, le destin de quelques personnages touche à sa fin, des intrigues sont résolues, en attendant le bouquet final.
Marie — Tout ça nous promet encore de beaux moments de lecture ! Merci beaucoup Sandrine d’avoir bien voulu répondre à mes questions. 🙂
Bienvenue par ici, cher lecteur et chère lectrice !
Aujourd’hui, on va parler de thématiques qui me sont chères : l’amour et l’histoire ! J’ai en effet eu le plaisir d’interviewer Nadège Margaud, une autrice dont vous n’avez pas fini d’entendre parler, croyez-moi. Elle a un talent fou pour brosser le portrait d’amoureux que vous avez envie de suivre jusqu’au bout du monde. Et ça tombe bien, car c’est justement là qu’on va dans sa série Les Amants des pierres levées, une romance fantastique pour adultes qui va vous chavirer !
Les Amants des pierres levées : une uchronie historique…
Marie – Bonjour Nadège et merci d’avoir accepté cette demande d’interview ! Comme tu vas le constater, je vais entrer directement dans le cœur du sujet en évoquant ta merveilleuse série romanesque et fantasy, Les Amants des pierres levées, parue aux Éditions Bookmark.
Cette saga peut aussi être qualifiée d’uchronie, puisqu’elle repose sur la rencontre entre trois peuples que l’Histoire a toujours tenu éloignés les uns des autres : des Celtes, des Amérindiens et des Japonais. Ce choc des cultures est un terreau fertile pour toutes sortes de développements hauts en couleurs ! Peux-tu me dire comment tu as eu l’idée de ce point de départ surprenant ?
Nadège – L’émergence d’une histoire n’est pas toujours facile à traduire.
Je pourrais commencer par te faire la réponse du savant : j’étais entre deux phases de correction d’un gros projet (une fantasy historique avec une hermine… ) et je cherchais à m’évader par un projet différent. Je puise beaucoup mon inspiration dans l’Histoire et à un moment m’est venue l’idée de faire se rencontrer des cultures qui me fascinent, en l’occurrence les Celtes et les Samouraïs. Je trouvais original de les mettre en contact et de voir ce qu’il en découlerait. Comme tu le vois, c’est très scientifique comme approche. Et comme ils ne pouvaient se rencontrer que sur le continent nord-américain, je ne pouvais faire l’impasse sur la culture amérindienne qui m’intrigue énormément depuis toujours !
Lorsque j’ai entamé l’écriture de ce projet en la partageant sur le forum de Cocyclics, j’ai pu compter sur l’enthousiasme des grenouilles qui m’ont accompagnée tout le long de ce parcours ensuite.
Quant à la réponse du poète : parfois, des idées émergent dans notre esprit, elles nous traversent avec légèreté et, si on s’arrête pour les contempler, elles nous offrent une magie qui ne demande qu’à être modelée et développée. L’inspiration parfois ne se gouverne pas ! Je rejoins ici l’interprétation que fait Elizabeth Gilbert dans son livre Comme par magie, sur la nature presque divine de la créativité et la façon dont elle influe sur nos vies.
Bref, d’une idée un peu folle, peut-être bien originale, je me suis bientôt retrouvée avec des personnages aux origines multi-culturelles qui ne demandaient qu’à vivre sur le papier.
Et effectivement, il s’agit bien d’une uchronie de fantasy si on veut employer le terme exact !
Marie – Une autrice amoureuse d’Histoire : cela ne pouvait que matcher entre nous, comme on dit aujourd’hui. 😀 Je suis également d’accord avec ta perception de l’inspiration créative.
Restant sur la question de l’Histoire, j’aimerais beaucoup savoir comment tu as abordé ce projet du point de vue des coutumes de ces trois peuples, leurs façons de se vêtir, de se nourrir, de faire la guerre, leurs mentalités, leur religiosité et leur mysticisme… Bref, tout ce qui fait civilisation. As-tu fait beaucoup de recherches ? Je vais peut-être véhiculer un poncif plus gros que moi, mais comme tu vis en Bretagne, peut-être es-tu déjà familière de la culture celtique ?
Nadège – Ah les recherches historiques … En effet, si je m’écoutais j’y passerai bien ma vie ! Je ne me prétends pas historienne et, en déviant sur la fantasy, je me permets des digressions et approximations dans le but de servir l’histoire, mais j’avais en effet envie de m’appuyer sur des bases réelles.
Concernant le peuple celte, je me suis autorisée quelques mélanges entre différentes origines celtiques. Oui, j’avoue ! Je me le suis d’autant plus permis qu’en effet je suis bretonne d’adoption (et je suis née sur les marches de Bretagne donc je suis (presque) une vraie bretonne ! ) et je me suis depuis longtemps frottée au creuset de la mythologie et des coutumes celtes. En partant de la civilisation picte et de leurs peintures bleues sur le corps ( les pictes habitaient l’Ecosse principalement), j’ai associé des coutumes plus continentales et, pour le coup, je me suis rapprochée des ressources historiques sur la civilisation telle qu’elle existait avant l’époque romaine : les oppidums, les vêtements, les villages et démographies. J’ai aussi puisé dans les gouvernances matrilinéaires que certaines de ces peuplades pratiquaient. Un thème que tu connais parfaitement !
Pour la civilisation des Yamatos, j’ai repris l’ancien nom du Japon et me suis basée au plus proche de la période de Nara (VIIIème siècle). La culture japonaise et notamment des samouraïs est très documentée, j’ai eu peu de souci et, a priori, mon interprétation a plu à de grands amateurs de culture japonaise ! 🙂
Là où j’ai pris beaucoup de précautions concerne la culture des Sioux Lakotas. Je l’ai voulu la plus proche possible de la réalité (si on excepte la magie) sachant que cette culture est toujours bien vivante. J’ai fait beaucoup de recherches pour l’aborder avec respect, sans l’influence occidentale (l’apparition des chevaux par exemple m’a valu quelques sueurs froides avant de trouver une explication cohérente ! )
J’ai d’ailleurs découvert beaucoup de choses et cela m’a passionnée d’autant plus !
Les langues, les prénoms, les dispositions des habitats, les termes adéquats … tout cela m’a valu quelques heures de recherches mais c’est un des plaisirs de la construction d’univers et cela comble aussi ma curiosité. Et j’ai bien envie de me frotter à d’autres périodes rien que pour en faire encore !
Marie – C’est ce qui est formidable, je trouve : partir de la réalité historique pour inventer une fantasy crédible et haute-en-couleurs. Tu as toute mon admiration pour t’être lancée dans ce projet !
J’avais bien reconnu les Pictes dans ta culture celte utilisant les tatouages. Tes précisions me permettent de mieux situer l’ensemble de tes sources d’inspiration. Pour les Japonais, je ne savais pas du tout de quelle ère les rapprocher, n’étant pas du tout bonne connaisseuse de cette culture. C’est très intéressant !
Quant aux Nakotas, ce sont mes préférés dans tes romans ! Parce que vraiment cela me passionne, peux-tu m’en dire davantage sur ce problème de l’apparition des chevaux ?
Et, pour enchaîner également avec un autre aspect lié à la recherche documentaire, peux-tu parler aussi du mysticisme de chaque peuple, à partir duquel tu as créé leur système de magie ? C’est un gros atout de ton roman, je trouve. Est-ce que cela a été compliqué ?
Nadège – Ah les chevaux ! On a tous dans la tête l’image du sioux à cheval pour la chasse aux bisons ou pour la lutte contre les colons américains. Et pourtant, avant que les européens ne posent un pied sur le continent américain (aussi bien au Sud qu’au Nord), les chevaux ne faisaient pas partie de l’existence des amérindiens ! J’ai voulu respecter cette chronologie, c’est pour ça que j’ai fait du Cheval un Esprit à part.
Ce qui fait une parfaite transition pour ta question !
Pour la magie, je me suis simplement basée sur l’existant.
Ainsi, pour les yamatos, je me suis appuyée sur le Ki/Qi, en lien avec la divinité shintoïste Amaterasu. Pour les celtes, la magie druidique était toute indiquée ainsi que la symbolique des pierres : menhirs, dolmen, cromlech bien sûr ! Et enfin pour les Nakotas, les esprits-totems et leur relation avec la nature étaient au cœur de leurs pouvoirs. Je n’ai finalement pas été bien loin dans la création des systèmes de magie. Au contraire de certain-e-s auteur-ice-s qui peuvent tout créer de toute pièce, j’ai besoin de la réalité comme fondation, quitte à ensuite en jouer ou la modifier.
C’est aussi pour ça que lorsque j’écris de l’imaginaire, cela tourne autour de la fantasy historique, de l’uchronie ou de l’anticipation/post-apo. Je ne peux pas partir de rien, le réel nourrit ma créativité. Un article de journal, une musique, un film ou roman, une découverte scientifique ou historique. Les personnages de tous les jours ou du passé. Tout peut être un point de départ à une nouvelle histoire…
… et une magnifique romance fantastique( pour adultes !)
Marie – Merci pour cette clarification, notamment pour les chevaux. Je trouve que c’est une démarche enrichissante, et qui donne souvent des bases solides à un roman, que de partir de la réalité historique. 🙂
Nous allons en venir au point croustillant de l’interview. Je suis sûre que tu vois de quoi je parle ! Tu as un don pour narrer des romances qui me chavirent le cœur à chaque fois. D’où cela te vient-il ? Là aussi, de tes lectures, des films que tu as vus, de l’histoire ? Est-ce que tu as toujours aimé les romances toi-même en tant que lectrice ?
Nadège – Ah les romances … je suis une romantique dans l’âme ! J’ai toujours eu un faible pour les romances. Tout a commencé il y a bien longtemps avec Jane Eyre de Charlotte Bronte, un classique du mouvement romantique anglais ! En fait pendant longtemps j’ai lu des romances sans savoir que j’en lisais. Je classais dans ce genre les collections harlequins aux couvertures racoleuses et dont les histoires semblaient vides de sens.
Mais depuis, le genre a retrouvé des lettres de noblesse je trouve. Et puis moi-même j’ai fait mon éducation.
J’ai découvert que sans le savoir, je lisais déjà ce genre-là. Le principal code de la romance est une histoire d’amour qui se finit bien, et finalement beaucoup de romans détiennent ce critère, même s’ils ne sont pas que ça ! Parmi ceux qui m’ont marqué très tôt, notamment, il y a les romans de Jane Austen, bien sûr : critiques sociales ET romance. Le cycle du Chardon et le Tartan (Outlander) de Diane Gabaldon = histoire, voyage dans le temps, highlander 😉 ET romance. L’Urban Fantasy aussi, contient souvent des romances tout en mettant en avant des héroïnes badass qui doivent sauver le monde : Mercy Thompson, Kate Daniels, Ivy Wilde, Rachel Morgan …pour n’en citer que quelques-unes (oui j’aime beaucoup).
Aujourd’hui, la romance est diverse et variée, elle se décline dans tous les styles, elle peut paraître très codée de l’extérieur et en même temps elle très ouverte sur plein de sujets. Tout lecteur et lectrice peut y trouver son compte. La romance en fantasy n’est pas encore très connue par contre ni très représentée (moins en littérature francophone qu’anglophone en tout cas), mais j’espère y avoir mis mon grain de sel !
Marie – Je crois que je suis aussi fleur bleue que toi (à mes yeux, c’est réellement une qualité !). Si tu as aimé Jane Eyre, je suis sûre que tu aimeras aussi La Dame du manoir de Wildfell Hall, un roman méconnu de la grande sœur de Charlotte Brontë, Anne.
En tout cas, je suis ravie que tu mettes ton grain de sel fantasy dans le genre de la romance. ! D’autant plus que tes héroïnes sont très modernes et bien en phase avec notre époque : elles gardent leur liberté de penser et ce sont elles qui amènent les hommes à réfléchir différemment à ce qui les entoure. Toute douce soit-elle, Megumi (Un Tomahawk pour Megumi) sait s’imposer face à l’ombrageux Ohitekah. Et que dire de la cheffe cruithne Mabh (Un Katana pour Mabh) face à Tokihiro ?
Y aurait-il une petite touche de féminisme dans tes écrits (peut-être inconsciemment) ?
Nadège – Je suis ravie que tu me poses cette question, et ravie aussi que cela se dégage de mes romans ! Car oui, la touche de féminisme est clairement présente et voulue. Déjà parce que pour moi une romance ce n’est pas une femme qui attend le prince charmant pour être sauvée. Avant d’être un couple romantique, il s’agit surtout de l’histoire de personnages qui ont leurs propres buts à atteindre. Et puis, aimer quelqu’un c’est souvent beaucoup de compromis et d’apprentissage de l’autre !
Il est vrai qu’au-delà des romances, j’aime raconter des histoires de femmes. J’essaie de varier les personnalités, les différences, les attentes et les objectifs. J’aime aussi changer les rapports de force vis-à-vis des hommes, comme Mabh qui est une cheffe guerrière par rapport à Tokihiro, simple samouraï de son état. Ou une Mégumi qui sous sa douceur parvient à s’imposer devant Ohitekah, puissant et animé par la vengeance. Quant à Ehawee … il faudra lire le tome 3 pour comprendre ses forces et découvrir sa relation avec Drest, guerrier désabusé et aigri.
En tous les cas, romantisme et féminisme sont loin d’être antinomiques, au contraire. Les romances sont avant tout des histoires de personnages alors c’est l’occasion de mettre en avant les femmes, dans toute leur diversité et leur complexité. Je crois que beaucoup de mes romans tournent autour de ces thèmes-là d’ailleurs, qu’ils soient historiques, contemporains ou imaginaires !
Marie – Je suis très impatiente de lire en papier la rencontre et l’apprivoisement d’Ehawee et de Drest. (Note pour le lecteur : j’ai eu le privilège de bêta-lire ce merveilleux roman et je vous promets que c’est un délice !).
D’ailleurs, puisqu’on évoque ce roman, peux-tu me dire quand il sortira ? Quelle est ton actualité à venir ?
Nadège – Et merci à toi, Marie, de l’avoir lu et commenté avec tant d’indulgence. Oui, le tome 3 des Amants des Pierres Levées, intitulé Un Tartan pour Ehawee, sort bientôt : dès le 15 septembre en numérique, un mois plus tard pour la version papier. Le reste de mon actualité, ce sont les rencontres avec les lecteurs : enfin ! Depuis la sortie du premier tome, cela n’avait pas eu être possible alors je me réjouis. Elles se dérouleront principalement en Bretagne, pour des raisons pratiques, même si j’espère bien voyager plus loin dans un proche avenir. Toutes mes dates sont disponibles sur mon site internet .
Pour le reste de l’actualité, je travaille sur plusieurs projets, notamment cette fois sur des romans contemporains, et je compte bientôt revenir à mon projet phare de Fantasy Historique : Les Trois JeAnne, qui raconte l’histoire de la Reine et Duchesse Anne de Bretagne. On aura sûrement l’occasion d’en reparler !
Merci à toi pour cette interview, toute en bienveillance et curiosité, je me suis régalée à répondre à tes questions !
Et merci à toi, Nadège !
Bon, vous l’avez compris : le 15 septembre, ruez-vous sur Un Tartan pour Ehwaee ! Ça vous laisse un peu moins de deux mois pour lire les deux premiers tomes de la série Les Amants des pierres levées, Un Katana pour Mabh et Un Tomahawk pour Megumi.
Je précise que je n’ai aucune affiliation d’aucune sorte par rapport aux romans de Nadège… Je suis juste une grande fan de cette autrice et de sa capacité à écrire de la romance fantastique pour adultes d’une aussi belle qualité littéraire…. et semée dans l’Histoire.
En attendant, si vous avez envie d’une petite lecture romanesque, je vous propose de découvrir une romance fantastique par ici. À bientôt !
Cette semaine, j’ai le grand plaisir de vous présenter une autrice dont la plume va vous faire voyager au-delà de tout ce que vous avez déjà pu lire, j’en suis sûre ! Sara Pintado a écrit Mojunsha, Panthère-des-Ténèbres, le premier tome d’une série de fantasy, ainsi que Sous les Ailes du Dieu Corbeau, à destination d’un public YA. Ces romans s’inspirent des mythologies indienne, perse, hébraïque : autant dire qu’ils emmènent ses lecteurs bien loin des sentiers battus ! Et Sara sait de quoi elle parle, comme vous allez vous en rendre compte. Merci à elle d’avoir bien voulu répondre à mes questions !
Au cœur des cultures orientales avec Sara Pintado
Marie – Sara, tu as publié deux romans chez Noir d’Absinthe, qui plongent le lecteur dans un univers exotique très particulier. Selon moi, on n’en trouve pas deux comme celui-ci dans la littérature actuelle ! Les décors, les traditions, la religiosité, la société me donnent l’impression d’influences orientales fortes et diverses : indiennes ? hébraïques ? D’autres encore, peut-être ? Peux-tu m’en dire un peu plus sur ces influences ?
Sara – En effet, cet univers regroupe différents pays, inspirés par des civilisations différentes. Dans le tome 1 de Mojunsha, nous découvrons le Royaume Mojun, qui est inspiré de l’Inde en ce qui concerne l’ambiance, les décors, quelques éléments culturels : l’existence d’un système de castes, de nombreux Temples (dédiés à différents Avatars du Grand Dieu)… Je me suis aussi inspirée de l’Inde pour la flore du pays, les costumes, les paysages. Le Royaume de Chaljuse, que l’on voit dans Sous les ailes du dieu corbeau, est surtout inspiré de la Perse achéménide (les Achéménides ayant régné sur l’Empire perse depuis l’époque de Cyrus, au 6e siècle avant notre ère, jusqu’à Darius III, vaincu par Alexandre le Grand et mort en 330 avant notre ère). Bien sûr, dans les deux romans j’ai aussi ajouté, retiré ou modifié de nombreux éléments, ainsi beaucoup de choses ne font pas partie ni de l’Inde, ni de la Perse achéménide… Par exemple, dans Mojunsha : les Avatars ne correspondent pas aux divinités du panthéon hindou, et je n’ai pas reproduit toute la complexité de la mythologie hindoue (car, même si le Royaume Mojun s’inspire de l’Inde, je tenais à ce qu’il en reste bien distinct). En ce qui concerne la Perse achéménide : le Grand Roi aurait eu tout un réseau de fonctionnaires, « les yeux et les oreilles du roi », pour l’informer de tout ce qui se passait dans le royaume… Je me suis inspirée de cette fonction pour le rôle d’espionnage des corbeaux dans Sous les ailes du dieu corbeau. (D’ailleurs, je précise que les corbeaux n’avaient pas, à ma connaissance, une importance particulière dans la perse achéménide… C’est un élément que j’ai choisi d’ajouter dans mon univers). J’ai aussi pris de grandes libertés avec le contenu des Mystères. Un autre aspect de l’Empire achéménide que j’ai choisi de laisser de côté est le fait que la Cour était « nomade », le Grand Roi et sa Cour passant différentes périodes de l’année dans différentes villes. Dans mon univers, j’ai choisi de laisser la résidence royale fixe, à Chaljuse.
Des influences hébraïques sont aussi présentes dans mes deux romans, plus ténues toutefois dans Mojunsha (même si le lecteur averti reconnaîtra peut-être quelques versets bibliques déguisés dans le roman, et aussi quelques éléments théologiques inspirés de la littérature rabbinique). Dans Sous les ailes du dieu Corbeau, le concept d’Ecorce est inspiré de la kabbale, là aussi « arrangé » pour les besoins du roman. Dans la kabbale, le concept d’Ecorce est d’ailleurs lié à celui de l’ « Autre Côté » (Sitra Ahra en araméen). Dans mon univers, j’ai choisi de faire de l’Ecorce du peuple Chantant l’équivalent de l’Autre Côté des Chaljusiens, concepts qui correspondent d’ailleurs à l’Avatar Panthère-des-ténèbres chez les Mojun.
La plupart des Noms de pouvoir, dans Sous les ailes du dieu corbeau, ont été construits partiellement sur des mots hébreux ou araméens.
Toutefois, les influences hébraïques seront les plus fortes chez le peuple Chantant de la terre des Chênes Millénaires, dont nous avons déjà entendu parler dans Sous les ailes du dieu corbeau à travers le personnage d’Ijpurna. (Ce pays est aussi mentionné une ou deux fois « en passant » dans Mojunsha). Mais nous devrions découvrir la terre des Chênes Millénaires de beaucoup plus près dans des romans à venir !
Mojunsha, un roman inspiré de la mythologie indienne
Marie – Cette réponse me donne encore plus envie de découvrir tes autres romans ! Mais, dis-moi, tous ces détails ont dû te demander énormément de recherches. Ou bien étais-tu déjà passionnée par l’Histoire de ces différentes civilisations ? Comment s’est construit ton univers exactement ? Cette réponse m’intéresse d’autant plus que je me retrouve un peu dans tes propos en tant qu’autrice : j’emprunte beaucoup, çà et là, aux cultures de notre monde en arrangeant ensuite ces éléments pour qu’ils s’intègrent harmonieusement à la trame de mon univers. Je suis donc très intéressée par ton processus de création de monde.
Sara – Effectivement, comme toi j’ai toujours beaucoup aimé l’Histoire, en particulier celle des civilisations antiques ou médiévales – enfant, je me suis longtemps intéressée à l’Égypte antique, à l’histoire de France au Moyen-Age, à l’Espagne médiévale…
Quant à mon intérêt plus particulier pour la Perse achéménide, il s’est révélé en 2015, après une visite au musée du Louvre. A partir de là, j’ai commencé à faire des recherches… Parmi mes principales ressources, je citerai L’Histoire de l’Empire Perse de Pierre Briant, qui est très complet, et la Revue de Téhéran, disponible en ligne, dont certains articles évoquent la période achéménide.
Pour l’Inde, mes recherches ont été plus diffuses, j’ai été inspirée par des romans (par exemple Taj de Timeri N. Murari), par des visites au musée, des photos, divers articles sur la faune et la flore, sur l’habillement, la mythologie…
En ce qui concerne les références hébraïques, je baigne tous les jours dans les textes de la Torah, du Talmud et autres ouvrages de littérature rabbinique… donc ces influences-là se sont naturellement mêlées à mon processus d’écriture.
Je fais mes recherches en parallèle de l’écriture, et corrige ou introduit des éléments au fil des différentes versions de l’histoire. Ceci dit, comme tu le soulignes, quand je construis un univers, la place de l’imagination est tout aussi importante que celle des éléments empruntés… l’équilibre entre les différents éléments (imaginés et empruntés) se met en place en cours d’écriture. Entre deux phases d’écriture, je fais relativement peu de travail préparatoire – j’y consacre entre une et trois semaines -, et souvent je continue le travail « de recherche de fond » pendant l’écriture. Dans mes tapuscrits, je mets régulièrement en commentaire marginal les liens vers les articles qui m’ont été utiles pour développer un point particulier, ou les références des passages de livres que j’ai consultés, afin de pouvoir les retrouver facilement. Il peut m’arriver de faire des cartes et des topos quand c’est nécessaire, mais finalement assez peu : les topos (sur un système de magie, les personnages et leurs relations entre eux, etc.) m’aident à approfondir ma réflexion sur certains points, mais ne restent pas figés : les éléments qu’ils évoquent finissent souvent par se modifier lors de l’écriture.
Mon univers a donc tendance à évoluer et à se développer au fil du temps: depuis février 2015, où j’ai commencé à créer l’univers de Mojunsha et de Sous les ailes du dieu corbeau, il a beaucoup changé, de même que les personnages.
Des personnages de romans en lutte contre le monde… et eux-mêmes
Marie – Justement, parlons un peu de tes personnages. Il y en a beaucoup, surtout dans le tome 1 de Mojunsha, qui est un vaste roman choral. Ils luttent contre l’adversité, dont, souvent, une bonne part d’intolérance quant à leur nature (par exemple, Ijpurna dans Sous les ailes du Dieu Corbeau) ou contre eux-mêmes lorsqu’ils sont dominés par un esprit de haine et de vengeance (comme Japsaro dans Mojunsha). Où trouves-tu l’inspiration pour ces beaux portraits ?
Sara – En ce qui concerne mes personnages, il est vrai que j’ai tendance à en mettre beaucoup et à multiplier les points de vue, car j’apprécie le fait d’explorer différentes perspectives sur l’intrigue. En général, mes personnages « s’imposent » à moi avec leur personnalité, leurs aspirations et leur histoire, sans que je puisse y faire grand-chose… même s’il leur est arrivé de garder longtemps certains secrets, m’imposant parfois de réécrire certaines parties de l’histoire.
Toutefois, j’ai remarqué que mes personnages sont souvent influencés par « l’ambiance » dans laquelle j’évolue, les thématiques auxquelles j’ai été confrontées soit parce qu’elles ont suscité mon intérêt, soit parce qu’elles concernent/ont concerné des personnes de mon entourage, soit parce qu’elles font partie de mon vécu. Autrement dit, mes personnages sont influencés par la façon dont je perçois et expérimente le monde (avec des modifications bien sûr, puisque toutes ces problématiques se retrouvent transposées dans un monde imaginaire et subissent l’effet de ce prisme).
Pour en revenir aux deux thèmes que tu évoques : l’intolérance à laquelle Ijpurna est confronté est malheureusement un problème qui touche, à des degrés divers, beaucoup de monde : j’ai eu à y faire face, et de nombreuses personnes de mon entourage ou que j’ai rencontrées par le passé ont dû également l’affronter : que ce soit un rejet lié aux origines, au milieu social, à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre, à des choix de vie ou de style, à des caractéristiques physiques ou à d’autres spécificités (dans le fonctionnement émotionnel et intellectuel par exemple…). L’intolérance parfois exercée par un groupe envers un individu qui diffère de la norme définie par le groupe, entrave encore de nombreuses personnes dans leur épanouissement; ce thème me tient donc particulièrement à cœur.
La lutte contre ses démons intérieurs est aussi une thématique qui m’a toujours intéressée. Nous avons tous, un jour ou l’autre, été confrontés à des sentiments négatifs à essayer de comprendre et/ou surmonter – ou au contraire, qui nous ont entraînés sur la mauvaise pente. Par exemple, Japsaro reste « prisonnier » de son désir de vengeance et de ses sentiments de haine, qu’il entretient (et justifie) tout au long de sa vie. Parfois, ces sentiments dépassent notre individualité et notre expérience personnelle : ils peuvent refléter des traumatismes ou des sentiments de haine/méfiance/rancune qui se transmettent d’une génération à l’autre. C’est le cas de Japsaro : la haine qu’il éprouve à un niveau individuel s’est « amalgamée » avec celle que ses ancêtres ont nourri, pendant des siècles, contre la caste dirigeante. Son désir de vengeance personnel a donc été renforcé par celui hérité de ses ancêtres, qu’il avait « appris » dès l’enfance.
Littérature : les muses de Sara Pintado
Marie – Comme je comprends ton attachement à ces thématiques ! Merci beaucoup de cette réponse. 🙂 Je vois que, en tant qu’écrivaine, tu es est influencée par tes études, tes thématiques de recherches, les arts que tu aimes, ton vécu et celui de ton entourage… Certains auteurs et autrices t’ont-ils également marquée et ont-ils orienté ta plume ?
Sara – La réponse à cette question pourrait être très longue, donc je vais tâcher de mentionner les œuvres qui ont été vraiment les plus marquantes dans mon parcours… Mais ce n’est pas facile… Voici toutefois une petite sélection, par périodes de vie :
Dans l’enfance, l’ouvrage qui a eu l’influence la plus déterminante dans mon goût pour la fantasy est la trilogie du Seigneur des Anneaux de J.R.R Tolkien, qui m’avait émerveillée à neuf ans. (beaucoup de mes écrits entre neuf et douze ans ont été très influencés par le Seigneur des Anneaux).
Vers onze ans, un roman historique qui m’avait particulièrement touchée était Mémoires Ecarlates d’Antonio Gala (sur le dernier souverain de la dynastie Nasride de Grenade, à la fin de la reconquista espagnole : cette période historique m’intéressait tout particulièrement à l’époque). A douze ans, j’ai découvert 1984 de George Orwell, que j’ai énormément apprécié et qui m’a aussi beaucoup influencée… J’ai eu une période, entre 12 et 14 ans, où j’écrivais plus d’anticipation que de fantasy.
Je pense que d’une manière ou d’une autre, ces ouvrages qui ont marqué mes années d’école et de collège ont aussi eu une influence sur mes choix d’écriture (en passant, je mentionnerai aussi la série des Rougon-Macquart d’Emile Zola, dont les vingt tomes m’ont accompagnée entre la cinquième et la seconde… mais il me faudrait les relire un jour).
Ensuite, pendant mes années de lycée et d’études de médecine, j’étais tellement accaparée par mes études que je lisais beaucoup moins de littérature (à partir de la première, j’étais en série S et donc essentiellement plongée dans les sciences… Le souvenir littéraire le plus marquant que je garde de cette période « creuse » en matière de lecture est La Seconde Chance, de Virgil Gheorghiu, un roman très sombre sur l’histoire du vingtième siècle, dont je garde encore un souvenir fort.)
C’est après avoir quitté les études de médecine, à 20 ans, que j’ai réussi à renouer pleinement avec la lecture. Le premier roman que j’ai dévoré alors a été Belle du Seigneur, d’Albert Cohen : même si les personnages m’agaçaient parfois, j’aimais suivre leur histoire, et surtout j’appréciais beaucoup le regard critique que l’auteur portait sur le monde, qui transparaissait très finement à travers l’intrigue.
Parmi les auteurs que j’ai découverts par la suite et dont les livres m’ont particulièrement marquée, je citerai Alain Damasio (en particulier avec La Horde du Contrevent, même si j’ai aussi beaucoup apprécié La Zone du Dehors et Les Furtifs : les livres d’Alain Damasio poussent toujours à la réflexion, à s’interroger sur le monde, sur nos idées préconçues, nos façons de vivre… et l’explosion de liberté et de vitalité de ces livres m’a beaucoup marquée). J’ai aussi été très marquée par de grandes fresques de fantasy: en particulier les ouvrages de Robin Hobb (L’Assassin Royal, Les Aventuriers de la Mer et Les Cités des Anciens… Il me manque Le Soldat Chamane à lire, qui est dans ma Pile à Lire) et la saga du Trône de Fer de Martin.
Les romans d’Aurélie Wellenstein font aussi partie des ouvrages de fantasy qui m’ont le plus marquée (jusqu’à présent, j’ai lu de cette autrice : Le Dieu oiseau, Mers Mortes, Le Roi des Fauves et Les Loups Chantants. (Il m’en manque quelques-uns que j’espère lire prochainement). J’apprécie beaucoup le rythme des histoires d’Aurélie, les messages portés par ses romans, ses personnages nuancés, voire ambigus.)
J’ai aussi été beaucoup marquée par Valadonne(que tu connais bien ^^) dont j’ai particulièrement apprécié la profondeur, dans la psychologie des personnages et dans les thématiques abordées.
Je serais bien incapable de dire dans quelle mesure ces ouvrages – et tous ceux que je ne cite pas ici – ont influencé et influencent encore ma façon d’écrire. Toujours est-il que ces lectures ont participé (et continuent à participer) à la construction de mon imaginaire et de mon univers littéraire.
Marie – Merci Sara ! Je suis très émue que tu cites Valadonne (et je précise que ce n’était pas une perche tendue !).
Nous avons énormément de lectures en commun. J’ai lu moi aussi Belle du Seigneur il y a peu de temps et je partage complètement ton ressenti. J’ajouterai que l’absence de ponctuation dans les rêveries du personnage féminin, Ariane, sur de nombreuses pages, mérite à elle seule une visite dans ce roman, car c’est un véritable tour de force !
Je te confirme que Le Soldat Chamane est une merveille. C’est même la série de Robin Hobb que j’ai préférée. Tu constateras que les thématiques d’exclusion qui te sont chères y sont traitées tout en finesse. 🙂
Quant aux Rougon-Macquart, que dire, si ce n’est que cette série m’a en grande partie donné l’envie de créer un univers dans lequel je me baladerai de personnages en personnages… Je suppose que ce n’est pas pour rien que tu as toi aussi cédé à l’appel d’un monde qui se décline de roman en roman au travers de ses héros. 🙂
D’ailleurs, envisages-tu de sortir de cet univers dans d’autres romans ? J’ai entendu parler d’un projet qui m’a mis l’eau à la bouche…
Sara – Oui, je suis d’accord en ce qui concerne la ponctuation dans Belle du Seigneur, qui donne un rythme très particulier au roman qui contribue aussi, je trouve, à l’immersion dans l’atmosphère du roman et dans les ressentis d’Ariane.
Ce que tu dis du Soldat Chamane me donne encore plus envie de le lire assez vite… L’intégrale 1 devrait faire partie de mes lectures du mois de la fantasy (si j’arrive à lire toute ma PAL pour ce challenge lors du mois de mai, sinon je le découvrirai en juin).
Quant aux Rougon-Macquart, il est vrai que j’avais été assez impressionnée par la richesse de cette fresque, qui se penche de près sur les différents membres d’une même famille, leurs différentes trajectoires, leur caractère… Il est fort probable que les Rougon-Macquart aient en partie influencé mon goût pour l’écriture de destinées familiales.
En effet, j’ai commencé récemment un projet qui sortira de l’univers de Mojunsha et de Sous les ailes du dieu corbeau. Je continue bien sûr, en parallèle, d’écrire le deuxième tome de Sous les ailes du dieu corbeau que je suis en train de remanier en profondeur, et lorsque Sous les ailes du dieu corbeau sera terminé (certainement à la fin de son troisième tome), je reprendrai la saga des Mojunsha, ainsi que les autres livres dans le même univers que j’ai en tête. Mais en parallèle (et aussi pour fêter la fin de mes études rabbiniques) j’avais envie d’écrire un ouvrage qui se trouve « au carrefour » de mes vies d’autrice de l’imaginaire et d’étudiante des textes sacrés du judaïsme. J’ai donc pour projet d’écrire un roman centré sur plusieurs personnages bibliques, inspiré des commentaires rabbiniques traditionnels, qui présenterait ma façon d’interpréter certains personnages et thèmes de la Bible ainsi que les textes rabbiniques qui les évoquent. Je souhaiterais aussi donner une forme poétique à cet ouvrage (ou – qui sait ? – à cette série d’ouvrages…), qui correspondra mieux, je pense, à sa teneur. Il s’agira toutefois d’un projet de longue haleine qui me demandera de ré-étudier de nombreux textes et d’en découvrir d’autres, puis d’en donner une interprétation sous forme romancée et poétique. Au fil de l’écriture, je mentionnerai aussi les sources dont je me suis inspirée, afin que le lecteur curieux de les (re)découvrir puisse le faire. J’ai déjà commencé avec les personnages d’Isaac et Rébecca, que nous rencontrons dans le livre de la Genèse… Je ne sais pas encore exactement où ce projet me mènera, mais il devrait bien m’occuper, en parallèle de Sous les ailes du dieu corbeau et de Mojunsha, dans les années qui viennent…
Des textes sacrés à l’imaginaire…
Marie – Ce projet me donne terriblement envie, je crois que tu t’en doutes ! J’ai fait quelques recherches à l’instant sur Rébecca et Isaac et j’ai hâte de voir la façon dont tu vas nous offrir à lire ces personnages (d’autant plus qu’il s’agit d’un couple et tu sais combien j’aime les histoires d’amour !).
Cela m’amène tout naturellement à te demander comment tu fais cohabiter ces deux vies dont tu parles, qui correspondent sans doute à deux passions : l’imaginaire d’une part, les textes sacrés d’autre part. Que t’apportent l’un et l’autre ? Vivent-ils en harmonie en toi, se nourrissent-ils, s’opposent-ils parfois ?
Sara – En effet, il s’agit de deux passions qui ont cohabité tôt chez moi – dès l’enfance, j’aimais me plonger dans la Torah, mais aussi dans les romans, et créer mes propres univers. J’ai toujours trouvé les textes sacrés fascinants car ils poussent à s’interroger, du fait de leurs silences, ou d’éléments qui paraissent surprenants, étranges, voire contre-intuitifs ou même choquants, ce qui suscite la réflexion. (Je me rappelle, enfant, les questions que je me posais face au premier chapitre de la Genèse et à l’histoire de la création: les 7 « jours » de la création devaient sans doute correspondre à 7 étapes différentes, et non à 7 « jours » tels que nous les définissons; plus tard, j’ai découvert des textes rabbiniques (notamment dans le Talmud, dans le dernier chapitre du traité Sanhedrin) où nous lisons qu’un « jour » pour l’Eternel correspond à mille années – même encore, l’échelle de temps de la « création » (que je conçois plutôt comme un processus évolutif, qui reste en mouvement) reste bien trop courte face aux données de la science, mais cette interprétation – basée sur un verset des Psaumes – ouvre tout de même la porte à une lecture symbolique, non-littérale, du texte. Il en va de même pour la création de la lumière le premier jour, alors que les astres ont été créés au quatrième jour seulement… cela impliquait que la lumière du premier jour n’était pas de la même nature que la lumière que nous voyons, mais à un autre type de lumière. Je me rappelle aussi les heures passées à lire et à relire le Lévitique, qui présentait un rituel sacrificiel dont le sens m’était complètement opaque et que je tentais en vain d’essayer de comprendre. Plus tard, pour ce texte aussi, j’ai découvert plusieurs interprétations et différentes approches). En bref, l’étude des textes sacrés oblige à s’interroger sur le monde, à la recherche d’une multiplicité des sens, des symboles et des approches de ce qui nous entoure. Elle oblige aussi à tâcher de voir au-delà des apparences ou, lorsque c’est impossible, à accepter nos limites, à admettre que nous ne pouvons détenir toute la vérité sur une question et qu’une partie nous restera inaccessible. La diversité des regards possibles sur un même texte conduit aussi à reconnaître que notre vision du monde n’est pas la seule possible, et que plusieurs façons d’aborder les choses, même lorsqu’elles paraissent contradictoires, sont possibles et devraient pouvoir coexister et entrer en dialogue. Ces textes apportent aussi une dimension transcendante à l’existence qui peut aider à surmonter les situations de crise et/ou à trouver du sens à nos actes et à nos choix.
L’imaginaire m’aide à prendre de la distance par rapport à la réalité. Il m’aide à la surmonter (ou à la supporter…) lorsqu’elle devient trop douloureuse, trop pénible, en offrant un « lieu » où me ressourcer, et où aborder les choses différemment, à travers des personnages d’encre et de papier. A travers l’imaginaire, je parviens à explorer des problématiques qu’il me serait très difficile d’exprimer autrement. Je pense notamment au thème de l’exclusion, évoqué plus haut; ou encore à celui de la « charge » de la mémoire familiale (voire « nationale ») qu’un individu doit porter (thème que j’aborde dans Mojunsha à travers le personnage de Japsaro, mais aussi, différemment, par l’intermédiaire de Neyro et dans les tomes ultérieurs, à travers Daranjo. Ce thème apparaît aussi en lien avec Ijpurna dans Sous les ailes du dieu corbeau). Le thème de la dépendance/de l’addiction, aussi, avec Neyro (et plus tard avec Ijpurna, quand il se retrouvera dans Mojunsha…); les problématiques de genre abordées dans Sous les ailes du dieu corbeau, sont tous des thèmes sensibles pour moi, que je parviens à exprimer bien plus facilement et librement à travers l’imaginaire que dans la réalité de tous les jours. Je réalise aussi que j’ai besoin de l’imaginaire pour vivre pleinement, et de façon équilibrée ; lorsqu’il m’arrivait de « négliger » l’écriture pour passer plus de temps dans les études ou d’autres activités « concrètes », je me retrouvais rapidement sans énergie, avec une impression de vide, de ne plus être entièrement moi-même : comme si je perdais une part de moi-même lorsque je ne m’autorisais pas à écrire.
Ce qui me permet d’enchaîner avec la réponse à la dernière partie de ta question : en général, mon étude des textes sacrés et mes évasions dans les mondes imaginaires coexistent très bien en moi et se complètent. Les deux participent, d’une manière différente, à ma façon de concevoir et d’approcher le monde. Les deux sont aussi essentiels pour moi. Toutefois, il est vrai que faire coexister les deux n’est pas toujours facile, car ces deux domaines demandent de la disponibilité d’esprit et du temps : arriver à trouver un équilibre n’a pas été évident. Une étape essentielle a été la reconnaissance du rôle de l’écriture pour moi, que j’ai parfois été tentée de nier pour consacrer « plus de temps aux choses importantes », jusqu’à ce que je réalise que l’écriture m’était indispensable pour garder le plaisir et l’envie de faire aussi tout le reste.
Marie – Merci beaucoup pour cette réponse. 🙂 J’aime beaucoup la façon dont tu parles des textes sacrés et de ce qu’il t’apporte : une recherche de compréhension du monde, d’ouverture, de tolérance. De plus, je suis comme toi dans mon rapport à l’écriture, me semble-t-il, car je le considère aussi comme un exutoire pour des éléments difficiles à porter de la vie — en plus d’être une source d’accomplissement en tant qu’individu, ce qui va probablement ensemble. Et, tout comme toi, quand je n’ai plus le temps d’écrire, je crois que cela joue sur mon bien-être global.
Un dernier petit mot pour la route, sur ton actualité, tes projets et tout ce que tu souhaites ajouter ?
Sara – D’abord un grand merci à toi pour avoir mené cet échange, pour tes questions et ton intérêt sur mes projets. J’espère être présente en salons dès qu’il reprendront ; en attendant, la maison d’édition Noir d’Absinthe est en train de concocter un évènement en ligne pour fin juin, où plusieurs auteurices de la maison seront présents – et auquel je participerai peut-être, si mon emploi du temps me le permet. Et bien sûr, je continue l’écriture des projets dont nous avons parlé dans l’interview (en ce moment, essentiellement le tome 2 de Sous les ailes du dieu corbeau et le tout début du projet biblique évoqué dans l’une des dernières questions).
Bon courage et bonne chance à toi aussi pour tes projets d’écriture !
Marie – Merci Sara ! Je souhaite que les ailes du Dieu Corbeau, Panthère-des-Ténèbres, Éléphant-de-Lumière… te portent encore très loin dans ta vie d’autrice !
Pour découvrir plus l’univers chatoyant et merveilleux de Sara, je vous invite à lire Mojunsha, un roman inspiré de la mythologie indienne, ainsi que Sous les Ailes du Dieu Corbeau, plus young adult, qui se place dans le même monde. Dites m’en des nouvelles !
Partager avec vous mes écrits, c’est bien. Mais échanger autour de la littérature, de la fantasy et du fantastique en général, c’est encore mieux ! C’est pourquoi j’ai décidé de vous proposer des entretiens avec des écrivains dont j’aime la plume et qui traitent de thématiques proches des miennes : littératures de l’imaginaire, romans situés dans les antiquités de notre Histoire, récits mythologiques… Mon but est aussi de vous faire découvrir des auteurs et des autrices peu connus, car j’ai la chance d’en connaître un certain nombre (et ils ont un de ces talents !).
Pour inaugurer cette nouvelle aventure, cependant, je ne suis pas allée chercher un anonyme, loin de là. J’ai eu le courage un peu fou de contacter l’un de mes auteurs favoris, l’écrivain qui a donné vie, je les cite pêle-mêle, à Benvenuto, Suzelle et Bellovèse. Jean-Philippe Jawroski a très gentiment accepté de répondre à mes questions. Je l’en remercie beaucoup.
Je vous propose donc en exclusivité une interview de Jean-Philippe Jawroski, l’auteur de Gagner la guerre, Rois du Monde, Janua Vera, Le Sentiment du Fer, entre autres.
Notez que je n’ai pas pu m’empêcher d’être terriblement bavarde moi aussi… 🙂
Écriture de fiction et jeu de rôle
Marie : Pour commencer, j’ai envie de parler un peu de jeu de rôles, parce que je me dis que cela doit ou a dû nourrir votre plume à un moment ou un autre de votre parcours d’écrivain.
Alors, ma première question sera celle-ci : en premier, l’écriture ou le jeu de rôle ? Et quel lien entre l’un et l’autre ?
Jean-Philippe :Voici une question faussement simple, et j’imagine que c’est délibéré de votre part ! En ce qui me concerne, le goût pour l’écriture est antérieur au jeu de rôle. J’ai eu une vocation précoce pour la plume, dès l’enfance, alors que je n’ai découvert le jeu de rôle qu’à l’adolescence. Toutefois, les choses sont plus complexes dans le processus créatif. Dans mon enfance, l’écriture représentant un mode d’expression de l’imaginaire, elle n’était qu’une forme un peu plus élaborée et scolaire de jeu. Le dessin, que je pratiquais beaucoup, était aussi une façon de me raconter des histoires, ce qui revenait un peu à les jouer mentalement.
Les arts dans leur dimension figurative, narrative ou théâtrale, puisent à la même source que le jeu et réciproquement. Il s’agit de ce que l’on appelle couramment l’imagination et de ce que le psychanalyste D.W. Winnicott définit comme une aire intermédiaire d’expérience, une sorte d’interface entre la subjectivité de la vie intérieure de tout un chacun et le rapport au monde réel. Le partage de cette aire imaginaire est à l’origine des expériences ludiques et artistiques – ainsi que religieuses et philosophiques, ajoute Winnicott. Sans aller jusqu’à la religion ou la philosophie, je suis persuadé que le plaisir du jeu et du récit sont liés dès la petite enfance, et dans mon parcours, je n’ai fait que raffiner ces pratiques en vieillissant. Plus tard, j’ai trouvé confirmation dans l’histoire et dans l’histoire littéraire de cette complémentarité entre le jeu et la littérature. Dès la naissance du roman, il existe une certaine interactivité entre le conteur et le public, nous rapporte Martin Aurell dans son essai Le Chevalier lettré. Nombre de tournois médiévaux ou de joutes italiennes de la Renaissance étaient scénarisés, les participants, qu’ils fussent chevaliers ou dames, jouant le rôle de personnages de roman : ainsi, au tournoi du Hem, en 1278, le comte Robert d’Artois incarne Yvain, le chevalier au lion, tandis que la dame de Longueval qui préside à la fête joue Guenièvre. Ce tournoi devient ensuite matière à un roman, Le Roman du Hem, écrit par Sarrasin. On voit comment, dès le XIIIe siècle, l’imaginaire circule du roman au jeu et du jeu au roman, bien avant l’invention formelle du jeu de rôle.
Pour répondre à la deuxième partie de votre question, le lien principal entre jeu de rôle et écriture se trouve donc dans l’expression de l’imaginaire. En ce qui me concerne, c’est la quête d’évasion qui me porte vers l’une et l’autre activité ; les processus de construction de l’univers et des personnages y sont très semblables. En revanche, la forme en est très différente. L’écriture du jeu de rôle, qui ne fournit qu’un support à la création finalisée par la partie, demande une clarté quasiment didactique pour permettre au maître de jeu d’accéder rapidement à l’information ; l’écriture du roman doit être plus suggestive et cultiver le sous-texte qui fait voyager l’imaginaire du lecteur. Sur le plan narratif, l’écriture d’un scénario doit construire une arborescence ouverte tandis que la composition d’un récit conduit à un resserrement progressif des horizons d’attente. Enfin, la communion avec l’imaginaire du public se fait selon des voies différentes. Pour le maître de jeu qui conçoit un scénario et le fait jouer, la réception est immédiate ; elle est différée pour l’écrivain. La gratification apportée par l’œuvre est donc d’un autre ordre.
Interview de Jean-Philippe Jaworski : l’écrivain et ses personnages
Marie : Puisque vous parlez d’interface entre intériorité et monde extérieur (donc, dans le cas de la littérature, les autres, ceux qui vous lisent), je me demandais si l’écriture vous permettait d’exprimer des ressentis profonds, voire des réflexions sur le monde. Je reviens à un passage que j’ai lu dans Chasse Royale, II-2. Bellovèse nous dit, alors qu’il est captif, qu’il est en train d’apprendre le détachement, comme son cocher Mapillos, et il précise : « Or cette aptitude-là n’est pas une qualité de guerrier. Chez l’esclave, c’est la première condition de la survie. Mais chez l’homme libre, c’est la vertu du sage — ou celle du roi. »
J’ai beaucoup aimé cette réflexion. De manière générale, j’aime cette littérature qui nous amène à réfléchir, qui nous nourrit et nous aide à affiner notre regard sur nous-même et sur le monde, qui nous interpelle en nous disant : « Mais n’est-ce pas ce que je suis en train de vivre, là ? » . Ma question est donc : l’écriture est-elle pour vous la manière la plus « adaptée », la plus « facile », de partager vos impressions et vos réflexions ? Vos personnages qui se confient confient-ils aussi des petits morceaux de vous ?
Jean-Philippe : Je ne suis pas sûr que l’écriture soit la manière la plus adaptée de partager mes impressions et mes réflexions. Une discussion franche et amicale me paraît être un mode de partage aussi facile et adapté, sinon plus. Bien sûr, la spontanéité de la discussion peut parfois nuire à la clarté des idées ; d’un autre côté, le dialogue permet aussi d’affiner et de nuancer un propos. Quant aux textes de fiction, eh bien ce sont des textes de fiction. Vous l’évoquez vous-même : ce sont les personnages qui se confient, pas moi. Naturellement, je vais puiser dans mes souvenirs, mes expériences et mes impressions du matériau pour nourrir la narration ou les conversations romanesques. Mais je n’exploite dans cette ressource personnelle que ce qui est compatible avec le profil des personnages ; je nourris également la composition de spéculations et d’emprunts à des références livresques, théâtrales, cinématographiques ou ludiques. Les réflexions que je prête aux personnages pour leur donner une consistance psychologique ne sont donc pas forcément les miennes, et vont parfois même à l’encontre de mes opinions. Par exemple, l’anomie de Benvenuto et le machiavélisme du podestat Ducatore illustrent ce que je réprouve au plus haut point ; dans la composition de Bellovèse, je m’efforce de réfléchir à rebours de mon penchant rationaliste. Cela représente à la fois une difficulté et un grand plaisir de la composition romanesque : « se transporter en pensée à l’intérieur de quelqu’un », notait Yourcenar, en se passant « le plus possible de tout intermédiaire, fût-ce de (soi)-même ». Plus que dans les réflexions de mes personnages, qui reflètent tour à tour mon regard, son contraire ou autre chose, je pense que je me livre davantage dans les lignes de force narratives et esthétiques de mes fictions, tropismes thématiques ou poétiques dont je ne suis que partiellement conscient.
Les femmes dans les univers de l’auteur
Marie : J’ai cru voir le mot « empathie » dans votre réponse, mais en la relisant attentivement, je réalise que vous l’exprimez sans la nommer, du moins est-ce ainsi que je le vois. Je trouve que c’est une très belle expérience de lecture que de plonger dans des personnages que l’on désapprouve et, dans le même temps, de suivre leur cheminement et d’arriver à les aimer (ou presque, en tout cas à les comprendre) sans accepter leurs actes. (Et, bien entendu, l’autrice que je suis considère également que c’est une grande expérience d’auteur !) Votre réponse m’inspire beaucoup de questions. Je reviendrai ensuite à votre esthétique littéraire, mais je voudrais rester encore un peu sur votre rapport à vos personnages. Vous savez peut-être, ou peut-être pas, que certaines lectrices se sentent quelquefois frustrées de ne pas trouver de personnages féminins dans lesquels elles arrivent à se projeter. Je parle en mon nom et en celui de quelques amies. Je ne vous lirai pas avec autant de plaisir si vos personnages féminins ne résonnaient pas en moi par leur authenticité et leur variété. On ne peut pas dire qu’elles soient faites sur le même moule, même si ce sont souvent des femmes fortes ! Est-ce que cela vous semble difficile de vous « transporter en pensée à l’intérieur » d’une femme, pour vous citer citant Marguerite Yourcenar ? Ou est-ce une chose naturelle puisque, somme toute, nous sommes tous des êtres humains pensant, agissant, rêvant, espérant… ?
Jean-Philippe : Vous avez raison, il existe une dimension empathique dans la composition de personnages étrangers à soi. C’est assez singulier de parler d’empathie à propos de personnages fictifs, car dans les faits cela signifie se mettre à la place de personne. Mais le plus singulier est sans doute qu’on apprend parfois de ces personnages, un peu comme j’apprends parfois de mes élèves. Avez-vous lu Aristoï, de Walter J. Williams ? C’est un roman de space opéra où Williams imagine que des mondes sont gouvernés par une méritocratie où les dirigeants sont parvenus à un niveau de puissance presque divin. Leur psyché comporte des « démons », à prendre dans un sens platonicien, qui ont des individualités à part entière avec lesquelles ils tiennent de véritables délibérations intérieures. J’incline à croire que Williams s’est inspiré de ses propres relations avec ses personnages et les a transposées en matériau romanesque. La première partie de Noé, de Jean Giono, comporte aussi des pages extraordinaires sur la cohabitation d’un écrivain et de ses personnages, dans laquelle je me reconnais en partie.
En tout cas, je suis très flatté que vous preniez plaisir à lire les pages consacrés aux personnages féminins de mes bouquins. Je m’en explique en répondant à votre question :
Je vais répondre par l’affirmative à vos deux interrogations, malgré leur apparente contradiction. Oui, cela me semble difficile de me « transporter en pensée à l’intérieur » d’une femme. Non que je nie la part féminine de ma sensibilité, d’ailleurs. Mais mon éducation et mon expérience génèrent des angles morts dans ma perception du monde, qui me rendent plus compliquée la composition des personnages féminins. Voici quelques anecdotes qui éclairent cette difficulté. D’abord mon éducation : j’ai fait tout mon secondaire dans un établissement jésuite qui n’accueillait que des garçons. A un âge clef, cela oriente profondément la personnalité. Par ailleurs, je continue à réaliser, parfois tardivement, que je dispose de privilèges masculins dont je ne suis pas conscient et dont ne bénéficient pas les femmes qui partagent mon quotidien. Par exemple, je n’ai jamais subi de harcèlement de rue. Chaque jour, je vais courir ou marcher en forêt en solitaire, alors que c’est une chose qu’évitent de faire mes relations féminines, qui préféreront se promener en compagnie d’une autre personne ou d’un chien. Il en résulte que mon rapport au monde est forcément différent. Dès lors, la création d’un personnage féminin me demande un effort de décentrage plus important que celle d’un personnage masculin. La composition de ces personnages repose un peu plus sur mes observations et, si je ne m’interdis pas de leur prêter certaines de mes impressions, je le fais avec plus de circonspection, de crainte de gauchir la vraisemblance de leur psyché.
Ceci dit, je prête à mes personnages féminins une énergie, des motivations, des qualités et des défauts que j’espère aussi variés et complexes que ceux de mes personnages masculins. Une fois que j’ai cerné leur personnalité, je trouve effectivement intéressant de la nourrir de notre commune humanité. Cela devient naturel, mais après un effort de composition plus ou moins long. J’ajoute que certaines de ces femmes sont des personnages très vivants dans mon imaginaire : Suzelle dans Janua vera, Clarissima dans Gagner la guerre, Dannissa, Prittuse et Cassimara dans Rois du Monde. J’ai d’ailleurs en tête d’autres « femmes puissantes » pour mes romans en projet.
Marie : Je connais bien Giono, même si c’est surtout pour son rapport à la nature sauvage que je trouve littéralement habitée dans ses écrits. D’ailleurs, j’en profite aussi pour rebondir là-dessus, en m’excusant si ma pensée a un peu des allures de cabri sautant dans tous les sens ! L’un des plaisirs que j’ai à vous lire est en effet celui de l’immersion dans un environnement très prégnant, notamment au niveau des descriptions « géographiques ». Je retrouve rarement ce plaisir de la description qui s’attarde en se mélangeant à l’action dans des romans, aussi je savoure comme une gourmandise les écrits qui prennent le temps de bien détailler et singulariser l’environnement naturel. Je souhaitais vous demander d’où vous venait cette plume si soucieuse de la géographie et qui plante aussi bien ses personnages que ses décors. D’un rapport particulier à la nature (les marches en forêt en solitaire) ? Ou cela fait-il partie d’un souci plus global de poser une atmosphère très immersive pour le lecteur, à tous les niveaux ?
Je reviens également à votre réponse sur les personnages féminins. Je suis ravie d’abord d’apprendre que vous avez en tête d’autres beaux portraits de femme. Et je dois absolument rebondir sur votre évocation de Suzelle, dans la mesure où cette nouvelle a été ma porte d’entrée dans votre univers. Votre capacité à concentrer toute une vie dans un format court m’a marquée, autant que le destin de ce personnage et la poésie de la forme. De mon point de vue féminin, je le considère d’une grande justesse. Il m’a rappelé un roman de Sally Salminen, Katrina, qui narre une vie de femme en apparence manquée. Suzelle, et évidemment Annoeth, m’ont posé la question du sens de la vie presque dans un sens métaphysique. 🙂
Jean-Philippe : Merci pour votre retour sur Le Conte de Suzelle, j’en suis très flatté. Pour la petite histoire, le texte avait été rejeté par une anthologiste (et romancière assez connue de l’imaginaire français) qui m’avait reproché avec beaucoup de véhémence d’avoir mélangé féerie, paysannerie et patois. (En fait de patois, il s’agissait de quelques mots d’ancien français…) Bien que le sujet soit très différent, l’esprit du conte devait pas mal à Un cœur simple de Flaubert et à Une vie de Maupassant.
Le lien que j’opère entre la peinture des personnages et celle de leur cadre repose avant tout sur un souci d’immersion. Bien sûr, il est nourri par mon goût pour la marche et par l’observation du monde qui m’entoure. Mais j’utilise ces impressions personnelles au service du récit. Il me semble que pour donner de l’épaisseur aux personnages, il faut leur prêter des sensations ; or une partie de ces sensations, outre leur rapport aux animaux, aux hommes et à la spiritualité, leur vient nécessairement de l’interaction avec les paysages. Dans une optique somme toute assez romantique, je peins la nature pour étoffer les acteurs du drame. Cela explique d’ailleurs le registre lyrique qui apparaît fréquemment sous ma plume, et qui n’est pas toujours délibéré de ma part.
Pourquoi les Celtes ?
Marie : Je suis une grande passionnée d’histoire et notamment d’histoire antique et j’aime beaucoup aussi écrire des textes inspirés de la mythologie grecque. Rois du Monde devait fatalement me plaire. Ma question suivante est donc : pourquoi l’antiquité et la mythologie celtes ?
Jean-Philippe : Différentes raisons m’ont poussé à prendre un sujet celte. Quelques expériences de jeunesse, pour commencer. Encore enfant, un copain m’avait amené à découvrir les vestiges d’un site appelé à tort un « camp romain », qui était en fait un oppidum celte du Ve siècle avant notre ère. Quelques années plus tard, alors que j’étais étudiant, j’y suis retourné pour participer à une campagne de fouilles archéologiques. J’en ai gardé une vraie curiosité pour la civilisation « gauloise » – terme que je ne prise guère, quoiqu’il soit celui que nous imposent notre langue et l’histoire, puisqu’il ne s’agit pas du nom que les Celtes se donnaient à eux-mêmes. Un peu plus tard, alors que je commençais à concevoir des projets romanesques, j’ai réalisé que cette civilisation était quasiment inexploitée par la fiction. Les Celtes insulaires (ceux des îles britanniques) ont été abondamment traités depuis la matière de Bretagne médiévale jusqu’à nos jours. En revanche, les Celtes continentaux de l’antiquité, hormis ceux ayant résisté à la conquête romaine, n’ont guère été abordés par la littérature ou le cinéma. Il y avait une cause évidente à cet angle mort : il ne s’agit pas encore d’une civilisation historique et les sources à son sujet sont très lacunaires. Toutefois, des progrès considérables ont été faits dans les connaissances sur les deux âges du fer celtes au cours des dernières décennies, grâce à des recherches archéologiques, linguistiques, épigraphiques et grâce à l’analyse critique des auteurs latins et grecs. Je disposais donc d’un vaste terrain fictionnel à investir ; revers de la médaille, il demandait un énorme travail de documentation, de spéculations et de synthèse. Cela m’a effrayé au début – mais le défi m’a stimulé, peut-être par masochisme, surtout parce que je pense qu’un bon sujet impressionne par le travail qu’il va nécessiter. Je m’y suis lancé sans avoir la certitude de pouvoir le mener à terme – de fait, les difficultés sont apparues dès les premières pages : comment parler de commerce dans une société qui ignore la monnaie ? Quels arbres poussaient en Europe au premier âge du fer, quels sont ceux qui ont été introduits plus tard ? Comment reconstituer des mythes (et des théonymes) dont ne connaît souvent que des versions galloises ou irlandaises beaucoup plus tardives ? Essayer de construire un récit possédant des accroches romanesques tout en se livrant à une reconstitution vraisemblable ressemblait à une sorte d’exploration créative : cela promettait d’être harassant, mais c’était aussi exaltant. Alors j’ai cédé à l’appel de cette aventure tout intérieure.
Interview de Jean-Philippe Jaworski : l’écrivain à l’œuvre
Marie : Vous parliez tout à l’heure de romantisme et de lyrisme, et je ressens bien cela quand je vous lis. Votre style est très reconnaissable, très exigeant, très littéraire, et je crois que c’est aussi grâce à ce style que vous réussissez à toucher votre public. J’aimerais beaucoup savoir comment vous abordez la phase de l’écriture par rapport à cela. Les mots et les tournures vous viennent-ils facilement ? Êtes-vous souvent « emporté » par l’inspiration ou passez-vous beaucoup de temps à travailler et retravailler le texte ? Je pense à une phrase de Céline qui disait dans une interview qu’il saignait lorsqu’il écrivait pour essayer de trouver les mots justes (je ne retrouve malheureusement plus la référence, aussi j’espère ne pas trahir son propos en me fiant à ma mémoire). Je me demandais donc quel était votre rapport à cela.
Jean-Philippe : Pour ce qui est de la rédaction à proprement parler, je suis un tâcheron. Il existe des écrivains miraculeux capables d’écrire vite et bien – Molière, Hugo, Cocteau, Giono… (Quitte d’ailleurs à le payer par des problèmes de santé ou des addictions sévères à la drogue.) Je ne ferai jamais partie d’un tel aréopage. Il existe beaucoup d’écrivains qui, pour des raisons contingentes, se trouvent contraints d’écrire vite et mal. Je fais de mon mieux pour éviter de tomber dans ce travers. Je suis donc un auteur laborieux. Je rumine le texte phrase par phrase, j’hésite, je reformule, je corrige, j’élague. Vous évoquiez Céline et son rapport à l’écriture. Disons que sans aller jusqu’à certaines de ses outrances comme « ce roman qu’il faut finir me tue », je me reconnais assez bien dans sa boutade : « Ah la griserie d’écrire ! on me la copiera ! » Non que je nie cette griserie, d’ailleurs… mais c’est une expérience fugace que je n’éprouve que pour quelques pages sur l’ensemble d’un roman. Le plaisir est davantage en amont, pendant les phases de rêveries qui amènent à la composition, et en aval, quand on a franchi cet Everest qu’est l’achèvement du livre.
Marie : Restant sur le travail de l’écrivain, je relaie une question qui occupe beaucoup l’une de mes amies qui écrit également. Elle et moi nous sommes offert récemment une lecture commune de Rois du Monde. Partageant nos impressions, elle s’est demandé si vous étiez de ces écrivains qui planifient le récit de leur roman de A à Z ou si vous vous laissiez porter par vos personnages et par l’intrigue. Architecte ou jardinier ? Comme vous venez de me dire que vous étiez un tâcheron, je crois deviner votre réponse, mais je me trompe peut-être. 🙂
Jean-Philippe : Architecte ou jardinier ? Eh bien, pour sauter directement à la synthèse, je serais plutôt paysagiste. Je dessine les grandes lignes d’un jardin (à l’anglaise plutôt qu’à la française) et à l’intérieur de ce clos, le récit pousse avec une relative liberté. En règle générale, je définis plusieurs éléments au départ. Le plus important est le sujet ; vient ensuite un arc narratif plus ou moins détaillé, dans lequel je vais en particulier fixer ma ligne d’arrivée, et certaines étapes intermédiaires qui me permettront ultérieurement d’établir des préparations. Lorsque la narration est déchronologique, l’arc narratif doit être plus précis que lorsque la narration est chronologique. A l’intérieur de ce cadre, je m’accorde des plages plus ou moins grandes de liberté diégétique. Cette liberté dépend d’ailleurs moins de ma fantaisie que des contingences du sujet, de l’univers et des personnages. Le sujet est vraiment la pierre d’angle de la composition. Julien Gracq l’a exprimé infiniment mieux que je ne saurais le faire : « Un vrai sujet a une pente secrète : si vous cherchez à le préciser, et même sur quelque détail secondaire, il ne vous laisse pas plus dans l’embarras qu’un relief vigoureux ne laisse dans le doute la goutte d’eau de pluie qui tombe sur lui et qui l’interroge sur la direction à prendre. Il tient en quelques lignes, il se laisse embrasser d’un coup d’œil, et il a réponse à tout. » C’est donc de la rencontre entre le sujet et le profil des personnages que surgissent souvent des inflexions dans le récit ; certaines sont prévisibles, d’autres sont inattendues. C’est un grand plaisir du romancier que de voir ainsi se dégager, au fil du processus créatif, des méandres ou des perspectives inattendus, qui font que l’on « découvre » un peu le récit en même temps qu’il s’écrit. (Ce qui n’exclut pas les impasses ni les bras morts.) Tolkien notait dans sa correspondance qu’il avait plus l’impression de restituer quelque chose qui avait existé que de l’inventer ; j’incline à croire qu’il suivait en fait la pente de son sujet en appliquant à la fiction la méthode de spéculation linguistique que le professeur de philologie utilisait dans ses recherches. Simplement, au lieu d’opérer une analyse hypothético-déductive pour dégager la sémantique d’un mot ancien, il le faisait à partir de la matière donnée par son sujet pour développer son « arbre intérieur », la croissance de la fiction. Dans ma façon de travailler, afin que cette croissance soit canalisée, je lui donne pour tuteurs l’arc narratif et les étapes préalablement définies.
Marie : Je souhaitais terminer en vous demandant si l’année étrange que nous venons de passer, faite de confinements et d’isolements, de débats et de polémiques en tous genres, de remises en question parfois, que ce soit au niveau individuel ou sociétal, avait impacté / impacte encore votre vie d’écrivain. Je pense au manque de contact avec vos lecteurs, bien sûr, mais aussi à la capacité créatrice, qui peut être mise à mal ou au contraire puiser des ressources dans ces conditions particulières ?
Jean-Philippe : Le confinement en soi ne m’a pas gêné. J’ai la chance de vivre sous une lisière, ce qui fait que je n’étais pas privé de nature, et je m’accommode assez bien de la solitude. J’ai essayé de tenir à distance raisonnable les polémiques – ce qui n’était pas toujours évident.
Cependant, mes activités d’écrivain ont été fortement impactées, tout simplement parce que je suis professeur. En fait, avant même la crise sanitaire, elles ont été mises en veille par la réforme du lycée. Il a fallu refaire l’intégralité des programmes pendant l’année scolaire 2019-2020 ; j’ai prévenu mon éditeur qu’il ne me serait pas possible d’écrire dans ces conditions. J’espérais quand même avoir bouclé toutes mes préparations de cours pour le printemps, ce qui m’aurait permis de reprendre l’écriture vers le mois d’avril 2020. Or le confinement nous a imposé une continuité pédagogique à partir du mois de mars. Gérer le travail d’une centaine d’élèves en classe est une chose ; gérer le même travail d’une centaine d’individus éparpillés en est une tout autre. La désorganisation de l’Education nationale a été telle que, lorsque j’ai repris l’enseignement en présence des élèves, j’ai été affecté à d’autres classes et à d’autres niveaux que ceux que j’avais au début de l’année scolaire. Dans ces conditions, il m’a été impossible d’écrire jusqu’en juillet. En ce moment, la reprise des cours en distanciel me fait d’ailleurs craindre de me retrouver à nouveau incapable de dégager du temps pour écrire.
Marie : Et que suscitent chez vous les difficultés que vous avez à trouver le temps pour écrire ? En fait, finalement, je pourrais presque vous demander si écrire est un besoin pour votre équilibre de vie ?
Jean-Philippe : Manquer de temps de temps pour écrire peut offrir des avantages un peu inattendus, mais présente surtout beaucoup d’inconvénients.
En quoi est-ce positif ? C’est une contrainte, or une contrainte est créatrice si elle est affrontée. Concrètement, le défaut de temps force à être méthodique si l’on veut rester productif ; la frustration qu’entraînent les périodes où le manuscrit dort renouvelle l’envie d’écrire et favorise la maturation inconsciente du récit ; revenir au texte après une interruption de plusieurs jours ou plusieurs semaines permet de se relire et de se corriger avec plus de recul. Cependant, le parti qu’on peut tirer de cette situation n’en compense pas les écueils. Après chaque interruption, il faut fournir un effort de ré-appropriation pour reprendre le fil de la composition ; quoi qu’on fasse, l’avancement des manuscrits est lent alors qu’on ne dispose pas d’un moment pour soi (cela fait plus de dix ans que je n’ai pas pris de vacances) ; quand on a la chance d’avoir un public, celui-ci vous met une pression aimable mais réelle, ou bien abandonne un cycle en cours parce que la publication des volumes est trop espacée à son goût ; à force, la santé s’en ressent fatalement – j’ai déjà reçu un ou deux ultimatums de la part de mes médecins. Dans ces conditions, l’écriture contribue-t-elle à l’équilibre ? Pas vraiment. Cela ressemble plutôt à une activité masochiste. Il m’arrive parfois d’avoir la nostalgie de l’époque où je n’étais pas publié : j’avais alors une qualité de vie bien meilleure ! Visites de famille, parties de jeu de rôle, parties de grandeur nature, tunnels nolife sur MMORPG, théâtre, tourisme, lectures pour le plaisir (et non pour le travail)… Autant d’activités désormais réduites à portion congrue ou abandonnées. Sans parler des amis que l’on perd peu à peu parce qu’on est moins disponible. Pour autant, est-ce que j’abandonnerais l’écriture ? Jamais. Tropisme ? Névrose ? Vanité ? Addiction ? Fatalité ? Allez savoir. Ce qui est certain, c’est que je me réalise dans cette activité et que je suis donc prêt à lui sacrifier beaucoup.
Marie : Pour notre plus grand plaisir ! Merci pour cet entretien passionnant.
Jean-Philippe : Merci pour votre curiosité et pour m’avoir ainsi offert l’occasion de bavarder !
J’espère que cet interview de Jean-Philippe Jawroski vous a plu !
Si vous ne connaissez pas encore cet écrivain (est-ce possible ?), je vous conseille de profiter de la sortie imminente, en mai 2021, du troisième tome de Chasse Royale chez Folio SF. Il s’agit de la série Rois du Monde qui se situe chez les Celtes. Une vraie merveille et plusieurs heures de lecture en perspective !
Et, enfin, le roman graphique Le Service des dames, adapté et illustré par Sébastien Hayez, paru en mars 2021 chez Les Moutons électriques dans la collection « La Bibliothèque dessinée ». 😉
Image d’en-tête : couvertures des différents tomes de Rois du Monde par Aurélien Police.
Merci à l’auteur pour l’autorisation d’utilisation de son image.