Fresque aux dauphins de Cnossos

Minos : légende noire, légende d’or !

Minos dans la mythologie grecque. Le roi de Cnossos, en Crète. Le père d’Ariane et de Phèdre et l’époux de Pasiphaé. Le maître du Minotaure


Mais aussi l’un des juges des Enfers au service du dieu Hadès.


Il y a vraiment beaucoup à raconter sur ce personnage emblématique des mythes anciens. Il a même donné son nom à une civilisation : la civilisation minoenne.
Reprenons tout depuis le début.

L’origine fabuleuse de Minos dans la mythologie

Minos, c’est d’abord un héros à la lignée divine. Il naît même du plus puissant des dieux de l’Olympe : rien d’autre que Zeus.


Parmi ses nombreux coups de cœur, Zeus a convoité la princesse Europe. Pour s’accoupler avec elle, il a choisi de prendre la forme d’un taureau. Ainsi va naître Minos.


(Si vous vous demandez pourquoi le dieu recourt toujours à de telles métamorphoses pour conclure avec ses amantes, c’est peut-être parce que celles-ci ne sauraient survivre à la vision d’un Zeus en pleine majesté. En témoigne la pauvre Sémélé, la mère de Dionysos.)


Le taureau, donc. On en reparlera.


Zeus n’élevant pas lui-même ses enfants, surtout mortels, Minos est confié à Astérion, roi de Crète.

Mosaïque romaine de Campanie datant du Ier siècle et montrant l'enlèvement de la princesse Europe par Zeus changé en taureau.

Minos, aussi coureur que son père !

Minos est un beau gosse séduisant et aussi chaud lapin que son Zeus de père. D’après les mythes, sa force et son courage le rendent irrésistible aux yeux des femmes. C’est le cas de :

  • Scylla, la fille du roi de Mégare ;
  • Périboea, l’une des Athéniennes envoyées en tribut au Minotaure.

Il aime aussi les jeunes garçons. On lui attribue parfois l’invention de la pédérastie.


Toutes ces aventures ne plaisent pas du tout à sa femme. Car il en a une : c’est Pasiphaé, une petite-fille du Soleil, comme Médée. La ressemblance avec cette dernière ne s’arrête pas là. Des histoires content qu’elle aussi a des pouvoirs magiques. De la même façon que Médée, elle va s’en servir par amour (ou par dépit amoureux !). Elle jette un sort à son époux. Désormais, des scorpions et des serpents sortent du sperme de Minos et dévorent ses conquêtes !


De son mariage avec Pasiphaé, Minos a plusieurs enfants, dont Androgée, Ariane et Phèdre.

Comment Minos devient roi

Devenir roi, pour Minos, ce n’était pas une évidence. Il avait deux frères, Sarpédon et Rhadamante. Lorsqu’Astérion, son père adoptif, meurt, Minos parvient à envoyer ses deux frères en exil. Puis, pour affirmer son pouvoir, il proclame que c’est la volonté des dieux.


Comment le prouver ? Très facile, déclare Minos. Il suffit qu’il demande à Poséidon de soutenir ses prétentions en répondant à sa prière. Que le dieu des océans fasse sortir un taureau de la mer ! Ce sera un signe que lui, Minos, doit régner sur la Crète.


Aussitôt demandé, aussitôt accordé. Le taureau jaillit des eaux et le trône est donné sans discussion à l’ambitieux fils de Zeus.


En passant, on voit que, après la métamorphose de Zeus, le taureau revient au cœur du récit. Il va devenir un emblème de la royauté crétoise et de Minos dans la mythologie grecque.

Quand Minos fait une bourde

Dans sa prière à Poséidon, Minos a promis de sacrifier le taureau au dieu.


Le problème, c’est que le taureau envoyé par Poséidon est vraiment très beau. On n’en a jamais vu de tel. Minos n’a pas du tout envie de le perdre. Il le met discrètement dans son troupeau et sacrifie à la sauvette un autre animal plus commun. Ni vu, ni connu, pense le roi, qui manifeste ainsi la très grande confiance en lui qui le caractérise.


Bien entendu, Poséidon n’est pas content et il va le montrer. D’abord en inspirant au taureau une sauvagerie inquiétante, qui va se manifester dans son futur rejeton.


Ensuite en provoquant chez Pasiphaé, l’épouse du roi, une irrépressible attirance pour cet animal hors du commun.
La suite, on la connaît (je la raconte dans le détail dans cet article : c’est la naissance du Minotaure de la mythologie).

Minos sur un dragon, détail d'un monument dédié à Dante Alighieri à Trente (Italie).
Ce Minos-là est inspiré de celui de Dante (voir plus bas). Je trouve qu'il a la posture qu'on peut imaginer du grand roi sûr de lui.

Minos, grand roi aimé des dieux

C’est parce qu’il avait foi en son destin et confiance en ses dieux protecteurs que Minos s’est montre ambitieux et qu’il a réussi à conquérir le trône de Cnossos. C’est la même confiance qui l’a poussé à braver la promesse faite à Poséidon de lui sacrifier le taureau.


En effet, dans les récits, Minos se caractérise par sa très grande confiance en lui et par son courage exemplaire. Il peut se le permettre : il a l’appui des dieux ! De Zeus, bien sûr, mais aussi de Poséidon, un autre poids lourd du panthéon, avant qu’il ne l’irrite avec l’affaire du sacrifice.


Le Minos qui papillonne effrontément de femme en femme est souvent éludé au profit de ce grand roi. À cet égard, il est auréolé d’une réputation très flatteuse. Lorsqu’il faut gouverner et faire face aux ennemis, c’est un homme à la fois juste et intraitable. On le craint et on le respecte pour son intransigeance. Ses décisions sont irrévocables.


Les lois édictées par Minos sont présentées comme remarquables et on les donne en exemple dans bien des pays. Le roi ne les doit pas à sa seule sagesse. Tous les neuf ans, il se rend à la caverne de l’Ida qui se situe sur l’île de Crète. Zeus y serait né. Là, le dieu inspire à son fils Minos les décisions à prendre et les lois à édicter pour gouverner justement.


(Bon, la substitution du taureau de Poséidon avec une autre bête plus commune ne cadre pas vraiment avec la réputation de sagesse et d’implacable sens de la justice qui caractérise le personnage.)


Il arrive aussi que le Minos de la mythologie soit décrit comme bon et doux, mais ce n’est pas ce qui ressort le plus dans ses hauts faits.

La Crète de Minos en guerre contre la Grèce

Il est possible que le mythe de Minos et du Minotaure recouvre une réalité historique : celle d’un conflit ou d’une rivalité entre la civilisation crétoise et celle qui est en train de se développer en Grèce continentale.


Minos est en effet un roi guerrier à la tête d’une puissante armée. Il nettoie d’abord la région des pirates qui infestent la région.


Il a ensuite maille à partir avec la ville d’Athènes et le roi Égée qui la gouverne (et qui est le père de Thésée). Des Athéniens ont en effet tué son fils Androgée alors que celui-ci se trouvait dans la cité. Minos va venger sa mort. Il profite que la cité soit affaiblie par une épidémie de peste et la réduit à merci. C’est alors qu’il impose aux Athéniens le tribut au Minotaure. Tous les neuf ans, sept jeunes Athéniens et sept jeunes Athéniennes seront livrés au monstre né des amours de Pasiphaé et du taureau de Poséidon.


Minos va également s’emparer de la cité de Mégare en séduisant la fille du roi, Scylla. Celle-ci trahit son père pour livrer la ville au fils de Zeus.


Minos impose ses lois et sa paix aux îles égéennes et il répand la civilisation crétoise (minoenne) bien au-delà de son île. Son autorité est reconnue partout et sa suprématie n’est bientôt plus contestée.

De la mort dans une baignoire à la consécration aux Enfers

La mort de Minos n’est pas à la hauteur de sa légende, mais elle est la conséquence de son intransigeance farouche… et de son trop grand intérêt pour les femmes qui ne sont pas à lui !


Tout vient avec l’architecte Dédale. Celui-ci a construit la génisse de cuir grâce à laquelle Pasiphaé a pu s’accoupler avec le taureau de Poséidon. Il a également érigé, sur ordre de Minos, le labyrinthe dans lequel le Minotaure a été enfermé.


Le problème, c’est que Thésée a réussi à en sortir. Furieux, Minos enferme l’architecte à l’intérieur. Dédale réussit à s’en échapper et trouve refuge chez le roi Cocalos, en Sicile.


Bien sûr, Minos ne saurait permettre qu’on le quitte ainsi. Il le poursuit donc avec toute une armée. Il rencontre Cocalos — mais aucune trace de Dédale.

Peinture de Rubens : Dédale et le Minotaure
Une peinture de Rubens que je trouve singulière : on y voit Dédale et un drôle de Minotaure, visiblement au corps d'animal et au visage semi-humain ! Musée des Beaux-Arts de La Corogone en Espagne.

Le Minos de la mythologie vaut bien l’ingénieur de génie lorsqu’il s’agit de ruse. Il lance un défi. Qui parviendra à faire passer un fil dans les spirales d’une coquille d’escargot ?


Bien entendu, Dédale ne peut résister à ce défi fait à son intelligence. Alors que tous échoue, il trouve une solution. La rumeur de ce succès parvient aux oreilles de Minos. Quelqu’un a attaché le fil à une fourmi !


Minos devine immédiatement qui est à l’origine d’une solution aussi ingénieuse. Aux abois, Dédale demande à Cocalos et à ses filles de lui venir en aide. On le sait, le sémillant fils de Zeus ne peut pas résister aux attraits de la gent féminine. Lorsque Cocalos lui propose de partager un bain avec ses trois filles, Minos accepte volontiers. Mais la baignoire est une invention de Dédale… Minos y meurt ébouillanté.


Cette mort peu glorieuse n’empêche pas Hadès de choisir Minos comme l’un de ses trois juges des Enfers. Le dieu souterrain rend ainsi justice à la réputation de sagesse et d’intransigeance du roi qui avait gouverné sur la plus grande puissance de son temps.


Minos est resté juge pour les morts dans La Divine Comédie de Dante, écrite au XIVe siècle, mais cette fois dans une perspective chrétienne. Il ne parle pas, mais il est affublé d’une queue de démon !

Là se tient Minos horrible et grinçant.
Il examine les fautes à l’entrée :
il juge et il expédie par les tours de sa queue.

Je dis que quand l’âme mal née
vient devant lui, toute elle se confesse,
et lui, qui connaît des péchés,

voit quel lieu de l’enfer est pour elle.
Il se ceint de sa queue autant de fois
que de degrés il veut qu’elle descende.

(L’Enfer, Chant V, 4-12)

Minos : gravure de Gustave Doré pour l'ouvrage L'Enfer - La Divine Comédie de Dante
Voici Minos dans une illustration de Gustave Doré réalisée pour une édition de La Divine Comédie ! On remarque la fameuse queue de démon qui s'enroule autour de son corps pour désigner le cercle des Enfers où vont être envoyés les morts coupables de péchés.

Minos dans mes écrits littéraires

Je concède ne pas être particulièrement amoureuse de ce personnage de Minos, un peu trop sûr de lui, un peu trop coureur, un peu trop opportuniste et manipulateur. Il est toutefois revenu plusieurs fois sous ma plume.

Chaque mois, j’écris une nouvelle à l’intention de mes mécènes (niveau Cassandre). Ce sont eux qui choisissent le héros ou l’héroïne du récit. Or, ces derniers mois, on m’a proposé de traiter le Minotaure, Hadès et Ariane. Il était évident que le Minos de la mythologie pointerait le bout de son nez dans ces divers récits !

Je lui ai notamment consacré un certain nombre de lignes dans ma nouvelle Le Cœur du monstre, dont le personnage principal est le Minotaure. En voici un extrait qui vous montre comment j’ai réinterprété le mythe :

Qu’a pensé le roi Minos lorsqu’il a passé le seuil de la pièce et a posé les yeux sur moi ?


Il rentrait tout juste d’une campagne maritime contre les pirates qui infestaient les côtes de l’île. Le roi s’était lui-même battu ; il avait les vêtements couverts d’écume ensanglantée. Enfin, il retournait dans la sécurité de son palais et voilà qu’il retrouvait un monstre difforme près du lit de sa femme et le cadavre de celle-ci déjà enveloppé dans ses voiles mortuaires.


J’aurais pu l’appeler père, comme toi, comme Androgée et comme Phèdre. Mais il n’en était pas question pour le roi. Plutôt que se flétrir, il préférait flétrir le nom de sa reine. Morte, elle ne pouvait pas nier l’abominable copulation avec le taureau blanc. J’en étais le fruit. Quelle autre origine à cette monstruosité ? Bien sûr, il avait offensé le dieu Poséidon en refusant de lui sacrifier le magnifique animal issu des eaux. Mais le dieu, non, n’avait certainement pas frappé directement dans le sein de la reine en maudissant un fils né du roi. Non, non ! Il avait inspiré à Pasiphaé une passion irrépressible pour la bête, à laquelle elle avait succombé.


Une histoire plus convenable pour lui, qui ne souillait pas sa semence et sa descendance. Androgée resterait le seul fils, et moi un intrus et un paria.


Cela, il le verbalisa immédiatement, aussitôt qu’il me vit. En souverain habile et en homme impitoyable, Minos eut ces mots :


« Poséidon m’a puni en corrompant la reine. Accordons-lui la paix en éloignant cette chose d’elle. Qu’on l’emmène aux étables et faites-le nourrir par une vache ! Il n’y a pas de place ici pour ce veau. »

Voici donc Minos dans la mythologie grecque, un grand roi de Crète, marqué par le symbole du taureau et juge dans l’Hadès aussi bien que dans l’Enfer chrétien. J’espère que ce petit topo vous a plu !

Il y a aussi un excellent podcast sur Minos et plus généralement sur sa famille sur France Inter.

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Sources :

Comte, Fernand, Larousse des mythologies du monde, Larousse, 2004

Dante, La Comédie Humaine, Desclée de Brouwer, 2021

Crédits image d’en-tête : bigfoot

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

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