Cnossos- Fresque au taureau

Minotaure, qui es-tu ?

Le Minotaure de la mythologie grecque est un monstre. Mais un monstre unique dans son genre. Le seul représentant de son espèce : tête de taureau, corps d’homme. Son histoire est sacrilège, et transgressive même pour notre époque.


Je vous invite à la découvrir dans le détail et à vous poser aussi cette question : peut-on imaginer un Minotaure qui ne soit pas monstrueux ?


Bonne lecture !

Minos et l’affront à Poséidon

Minos est le fils de Zeus et d’Europe, qu’il a fécondée en empruntant la forme d’un taureau. Le taureau est déjà là, aux origines.

Il est élevé par Astérion, roi de Crète. Il a pour frères Sarpédon et Rhadamante.


Lorsqu’Astérion meurt, Minos réclame la royauté. Pour évincer ses frères, il lui faut un appui fort. Pourquoi pas celui des dieux ? Il tente le sort en en appelant à Poséidon. Que celui-ci fasse émerger de la mer un taureau, s’il soutient ses prétentions à régner ! Minos promet de lui sacrifier ensuite l’animal.


Le phénomène se produit aussitôt. Poséidon est bel et bien son allié dans la course à la royauté ! Toute opposition à ses prétentions devient impossible et Minos devient roi de Crète.


C’est à ce moment-là que, selon le mythe, le taureau devient l’emblème de la royauté crétoise.


Seulement, voilà : le taureau offert par Poséidon est magnifique et Minos n’a plus vraiment envie de le sacrifier. Il le remplace secrètement par un autre animal plus commun. Bien sûr, Poséidon remarque l’entourloupe. Il est furieux. Sa vengeance sera terrible.

Cnossos - Fresque au taureau
Palais de Cnossos, Crète - Fresque au taureau

Vengeance de Poséidon et mariage impie

Pour se venger de Minos, le dieu des Océans s’en prend à lui de manière indirecte. La malédiction viendra par sa femme, Pasiphaé. Poséidon lui inspire une passion charnelle dévorante pour le taureau. Les désirs de la reine sont si violents qu’il lui faut absolument les assouvir. Comment ? L’animal est une bête terriblement sauvage, elle risque la mort à se présenter à lui.


Elle demande l’aide de l’architecte de Minos, Dédale. Celui-ci fabrique une génisse faite de bois et de cuir. Pasiphaé y prend place. Le simulacre est si réussi que la taureau n’y voit que du feu. L’accouplement a lieu.


Toute relation charnelle entre homme et bête était jugée monstrueuse déjà chez les Grecs. Elle rejoignait la grande famille de l’anosios gamos (mariage impie) dans laquelle on classait aussi l’inceste et la relation sexuelle interdite avec un dieu.


De ces amours sacrilèges-ci doit fatalement naître un monstre. Ce monstre, le voici. C’est le Minotaure de la mythologie, c’est-à-dire le Taureau de Minos.

Le labyrinthe et le tribut au Minotaure

Minos est épouvanté par le monstre qui est né à sa femme. Que peut-il en faire sans aggraver la colère de Poséidon ? Il décide de l’enfermer et demande à Dédale, toujours lui, de construire un immense palais labyrinthique pour le monstre. L’édifice est constitué d’une foule de pièces et de couloirs qui sont imbriqués les unes dans les autres. Personne ne peut y retrouver son chemin.


Pour faire bonne figure, Minos décide aussi d’un sacrifice au monstre. Dans les mythes, ce roi est considéré comme un politique de premier ordre, et il le prouve ici.


Car son fils Androgée a été assassiné par les Athéniens. Minos les soumet et leur impose un tribut. Tous les neuf ans, sept jeunes hommes et sept jeunes filles. Ils seront donnés en pâture au monstre.

La mort du Minotaure de la mythologie : Thésée

C’est sans compter Thésée, le fils du roi d’Athènes, Égée. Il se désigne lui-même comme l’une des victimes avec l’intention arrêtée de faire cesser le massacre. En passant par Cnossos, il séduit Ariane, la fille de Minos. Celle-ci lui donne une pelote de fil (le fil d’Ariane) grâce à laquelle le héros est certain de retrouver la sortie du labyrinthe après sa victoire sur le monstre.


Tout se passe comme prévu. Thésée vainc, le Minotaure meurt, les tributs cessent. Tout le monde est content (sauf Ariane, qui va finit abandonnée par le héros grec sur le chemin du retour — mais le destin d’Ariane est une autre histoire, à lire ici !).

Un Minotaure plus humain ? Astérios

Il existe un décor sur céramique qui représente Pasiphaé enlaçant tendrement un Minotaure enfant sur ses genoux. C’est une tasse de vin étrusque du début du IVe siècle avant J.-C.

 

Tasse étrusque montrant Pasiphaé et le Minotaure enfant.
Tasse étrusque montrant Pasiphaé et le Minotaure enfant. IVème siècle avant J.-C.

C’est une image touchante d’un Minotaure moins diabolisé. Moins monstrueux. On la rencontre rarement, même dans la littérature contemporaine, mais c’est celle que j’avais envie d’adopter lorsque j’ai eu l’occasion d’écrire une nouvelle sur ce personnage de la mythologie grecque.


En effet, dans le cadre de mon Patreon, je propose à mes mécènes de choisir un personnage de leur choix dans la mythologie ou l’antiquité grecque ou romaine. J’en fais le héros d’une nouvelle. Le premier personnage qui a été choisi au lancement a été le Minotaure !


Aussitôt, mon imagination s’est mise en branle. Très intuitivement, j’ai plongé dans la tête du minotaure. Astérios, c’est ainsi qu’il s’appelle dans certaines histoires. Un rappel au père de Minos, qui se nommait Astérion.


En plongeant dans la tête même d’un monstre, on ne peut que l’humaniser. Mon Minotaure est devenu un personnage sensible et acculé à sa posture de monstre. Au fil du récit, j’ai déployé les autres personnages de cette tragédie, Pasiphaé, Minos, Ariane et Thésée, en réinterprétant leur mythe originel.


J’ai aussi eu le grand plaisir de développer le personnage méconnu d’Androgée, le fils de Minos, le frère du Minotaure de la mythologie. Il est la source du conflit entre le roi de Crète et Athènes, et donc le prétexte au tribut athénien exigé par Minos et envoyé au Minotaure. Pour moi, il est devenu l’occasion de narrer une relation fraternelle ambiguë et puissante entre l’homme et le monstre.


Cette nouvelle sera intégrée à une anthologie papier à la fin de l’année 2023.

« Avant moi…


Avant moi, tu étais déjà là, ma sœur. Les premiers jours, les premières heures, tu les as vécus, quand pour moi ils ne sont qu’un passé évanoui.


Tu m’as dit avoir assisté à ces premiers instants durant lesquels j’ai aspiré l’air de ce monde. Est-ce vrai ? Peut-être as-tu simplement voulu adoucir l’amertume et l’âcreté de ce que j’ingurgitai alors. Des brassées d’air empuanti par la haine et la violence.


Mais peut-être est-ce vrai, après tout. Peut-être bien que tu étais vraiment cachée sous ce fauteuil en osier de notre mère, la reine, dans ses appartements. Peut-être que tu as écouté ses gémissements de douleur en même temps que celui du vent et des vagues toutes proches. Tu m’as dit que les baies donnaient sur la mer et le port de Cnossos.


Qu’en saurais-je ? Je ne me souviens presque que des murs de ma prison.


Ah ! j’ai envie de t’imaginer là, dans cet espace que tu m’as souvent décrit. Toute petite, petite chose que je pourrais porter dans le creux de ma main. Tu avais juste trois ans. Tu n’as jamais parlé de ta peur à voir notre mère mettre bas ainsi, accroupie sur une peau de chèvre à même le sol, les genoux relevés et les cuisses écartées. Ma grande sœur, que je t’aime, d’avoir rendu cette description de ma naissance merveilleuse, et non horrifique.


On dit que cela a duré des heures et que notre mère a horriblement souffert. Cela, je l’ai su des esclaves et des gardes, pas de toi, bien sûr. Ah ! Et d’Androgée. Androgée, notre frère. Je veux dire le mien aussi, en dépit de sa haine douloureuse. Il m’a assez signifié que nous n’avions rien en commun, pas même notre mère, lorsqu’il m’acculait dans les couloirs pour me donner des coups de pied dans le ventre. Pourtant, hormis toi, il a été le seul à me reconnaître une existence, même si pour cela il employait la violence.


J’étais si petit, alors. Je commençais à peine à marcher sans trembler sous le poids de ma tête monstrueuse. Les choses ont changé quand j’ai affermi mon pas et relevé les cornes. »

Statue du Minotaure de Franck Perez
Statue du Minotaure de Franck Perez

Le Minotaure de la mythologie grecque est un être fascinant qui interpelle un peu de nous. Peut-être est-ce notre part sauvage, qui réclame parfois de s’exprimer plus brutalement dans les situations qui nous frustrent et nous oppressent ? Il sera très certainement réinterprété pendant longtemps encore pour tout ce qu’il dit de nous.


Vous aimez la façon dont je vous fais voyager en Grèce mythologique ? Laissez-vous immerger plus intensément avec Le Dit de l’oracle, une nouvelle sur la Pythie de Delphes disponible gratuitement ici. Bonne lecture !

Crédits image d’en-tête : bigfoot

Sources : Comte, Fernand, Larousse des mythologies du monde, 2004

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

En me laissant une note, vous encouragez mon travail. Merci ! 🙂

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