Photo du Hauran pour illustrer la question de l'eau en Syrie romaine

Syrie romaine : vivre avec ou sans eau

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Et évidemment, on ne vit pas sans eau en Syrie romaine. En revanche, on vit parfois dans des endroits où il pleut très peu — alors comment fait-on ? Tour d’horizon de la Syrie et de l’Arabie romaines et des façons dont on gérait là-bas la question essentielle de l’eau.

Syrie romaine : là où il pleut et là où il ne pleut pas

Les zones où il pleut suffisamment

Les 2/5e de la Syrie reçoivent assez de pluie pour pratiquer une agriculture sèche (non irriguée) de bon rendement. C’est la bordure méditerranéenne : la plaine côtière et la montagne qui se trouve immédiatement à l’est de celle-ci.

Là où la montagne n’est pas très élevée, comme en Palestine et en Syrie du Nord, les nuages chargés de pluie peuvent passer. Dans ces zones-là, on cultive assez loin à l’est : dans la Jézireh et jusqu’au Haurān par exemple.

Les régions entre agriculture sèche et agriculture irriguée

Mais cette agriculture sèche a ses limites géographiques. C’est la vallée de l’Euphrate, le revers de l’Anti-Liban, les plateaux de la Transjordanie. Dans ces régions, la situation varie en fonction des précipitations. Une année, il faut irriguer, l’autre non, car les précipitations sont très irrégulières. La moyenne est à 200-500 mm par an, mais avec de fortes variations d’une année à l’autre. Certaines années, on n’atteint pas la moitié, voire le quart de la moyenne décennale en pluie.

Lorsque cela arrive, on abandonne les villages en bordure du désert. Ainsi, au fur et à mesure du temps, de larges zones sont occupées, puis abandonnées : les plateaux d’Édom et de Moab, le Haurān, le Massif Calcaire.

Les secteurs sans pluie

Enfin, il y a ces secteurs dans lesquels il faut irriguer quasiment tout le temps : les alentours de Pétra, les bords de la Mer Morte, le Néguev, la vallée du Jourdain, la Palmyrène.

Une année pluvieuse permet tout de même de cultiver des fonds de wādī sans irrigation. On voit encore aujourd’hui que c’est possible dans le désert entre Palmyre et Doura-Europos.

Faire venir l’eau en Syrie romaine

Il y a des aménagements hydrauliques dans plusieurs régions, mais on ne sait pas de quand ils datent exactement.

Abreuver les humains et le bétail

Les citernes d’abord. Elles emmagasinent l’eau pendant l’hiver, quand la pluie et la neige tombent abondamment. Puis vient la saison sèche, de fin avril à début novembre. Il ne pleut pas du tout : les citernes servent à ce moment-là. On remarque toutefois qu’elles abreuvent les hommes et le bétail. On ne s’en sert pas pour l’irrigation des cultures.

Dans le Massif Calcaire et dans le Haurān, les hommes ont construit ou creusé dans le roc de nombreuses citernes. On en voit dans les villes et dans les villages. Bostra par exemple possède deux citernes gigantesques.

Il y a aussi les captages et les aqueducs. On en voit autour de Canatha et de Soueïda, Bérytos, Apamée, Bostra, Philippopolis. À Pétra, une canalisation de 6 kilomètres de long amène les eaux de la source ‘Ayn Mousa jusqu’à la cité

Là aussi, ces aménagements servent d’abord à approvisionner les villes en eau, pas à irriguer. Toutefois, il y a des jardins et des vergers dans les villes, ainsi que du bétail : cette eau sert donc aussi en partie pour l’agriculture. En Samarie, on utilise l’eau de pluie des citernes pour les jardins et les vergers.

Irriguer les champs

Dans les zones semi-arides

Les aménagements d’irrigation des cultures sont plus récents dans ces endroits. On remarque des dérivations sur les canaux et les aqueducs qui conduisent l’eau vers les citernes. Les dérivations permettent d’irriguer les champs.

Il y a irrigation même dans des secteurs qui, a priori, peuvent s’en passer : agriculture sèche et agriculture irriguée se côtoient. C’est ce que montrent les travaux de Franck Braemer, spécialisé en archéologie au Proche-Orient : il l’a relevé à Umm az-Zaytūn, Breikeh, aux alentours de Qanawāt et de Bostra.

Là où il ne pleut pas

Les régions où il n’y a pas d’eau en Syrie romaine, ce sont les alentours de Pétra, les bords de la Mer Morte, le Néguev, la vallée du Jourdain, la Palmyrène. Là, il faut irriguer en permanence.

Dans les grandes vallées et les oasis, on puise l’eau des fleuves de l’Euphrate et de l’Oronte avec un chadouf ou une vis d’Archimède, comme en Égypte. Cette technique se répand à partir de l’époque de la Rome impériale.

Damas, Jéricho et Palmyre

Dans l’oasis de Damas, on fait venir l’eau du Chrysorrhoas (Baradā). Le système de dérivations est complexe : il permet de capter les eaux à des altitudes différentes. Ainsi, quand elles sortent des derniers contreforts de l’Anti-Liban, elles sont réparties sur un très grand secteur, plus ou moins loin dans l’oasis.

À Jéricho, les Hasmonéens et ensuite les Hérodiens captent l’eau de plusieurs sources de la montagne au nord (‘Ayn Auga) et à l’est. Ils arrosent ainsi les palmeraies et les jardins royaux autour des palais.

À Palmyre, des canalisations couvertes distribuent l’eau dans l’oasis. C’est le système de la foggara ou du qanāt (pluriel qanawāt). On les appelle les qanawāt romani, mais il est difficile de les dater.

Le Néguev

Il y a aussi le Néguev. Les aménagements sont complexes dans ce milieu très aride. Les Nabatéens avaient déjà mis en place un système de barrages et de murets. Ceux-ci rassemblaient l’eau de pluie qui tombaient sur plusieurs centaines d’hectares : ils permettaient d’en irriguer quelques-uns.

Le système n’est pas toujours efficace. Les pluies sont aléatoires. Quand il ne pleut pas du tout, on ne peut pas cultiver.

Ces aménagements conviennent à de petites communautés rurales comme celle d’Humaynah (antique Auara), au nord-ouest de la Hismā, dans un milieu désertique. Il s’agit d’une fondation d’Arétas III, roi nabatéen au Ier siècle av. J.-C. Il a fait construire un aqueduc à faible débit (150 mètres cube par jour) qui alimente deux citernes. Le problème, c’est que le système n’est pas couvert : il y avait sûrement de fortes pertes par évaporation.

Selon l’historien des technologies antiques John Peter Oleson, ce système était suffisant pour 250 personnes ou pour 100 personnes et 1 100 chèvres. Effectivement, il y avait une trentaine de maisons dans la communauté. Une partie de l’eau était utilisée pour irriguer : on voit des champs de céréales autour du village. Mais quand il pleuvait très peu, il n’y avait probablement pas de culture du tout.

Le système existe encore à l’époque impériale romaine. Mais les citernes ont été couvertes assez tôt avec une voûte de type gréco-romain.

Malgré tout, on a l’impression que la population de Syrie romaine occupe de plus en plus le sol. Des villages naissent même dans des zones a priori peu favorables à la mise en culture. C’est qu’en fait, la question hydraulique n’est pas le seul facteur en jeu. Il y a aussi celle de la pression démographique.

J’espère que cet article sur la question de l’eau en Syrie romaine vous a intéressé. Abonnez-vous à ma newsletter pour plus de voyage en terre antique ! À bientôt. 🙂

Sources : SARTRE, Maurice, D’Alexandre à Zénobie – Histoire du Levant antique – IVe siècle av. J.C. – IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, 2001

Image d’en-tête : Photo du Hauran tiré du site https://www.doaks.org/resources/syria/regions/hauran

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

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