Bienvenue par ici, chère lectrice et cher lecteur !
La semaine dernière, je vous ai proposé le début d’une nouvelle de fantastique antique qui prend place dans l’Empire romaine, plus précisément à Carthage, en Afrique du nord. Et si nous allions voir comment se porte le bestiaire Massi, surnommé Leo, célébrité parmi les gladiateurs de l’arène ?
C’est parti ! Bonne lecture à vous ! (Avec toujours une bonne musique d’ambiance romaine !)
Le Lion – Partie II
Massi marchait aussi vite qu’il le pouvait dans les rues silencieuses. Artole était affalé en travers de ses épaules et ponctuait régulièrement les pas de son ami d’un hoquet parfumé. Les vins ne l’avaient pas vaincu, mais encore fallait-il passer l’épreuve du feu des liqueurs et des alcools forts servis en fin de soirée ! Nombre de patriciens dormiraient dans leurs humeurs cette nuit…
Les pieds nus de Massi allaient sans bruit sur le sol pavé des rues de Carthage. La pleine lune lui était une compagne complice. Son ombre le précédait comme pour éclairer son chemin. Pourtant, l’astre amical ne levait pas les angoisses qui l’assaillaient. Le chuchotis qui l’avait pris en aparté sur la terrasse… Si Artole n’avait rien entendu, lui l’avait perçu, dansant sur le fil de ses nerfs. Un murmure qui grondait… Un rugissement étouffé… La menace d’un lion…
Massi pressa le pas en remontant la grande rue qui menait jusqu’au ludus. Le lion, le lion… Toujours le lion ! Comme si la bête qu’il avait abattue venait lui souffler au visage sa promesse de vengeance. Entre ces félins et lui existait une longue histoire d’amour et de haine. Jadis, alors qu’il n’avait que six ans, une lionne réputée folle et vicieuse, Bacchée, avait tué son père dans l’arène. Massi se souvenait du corps paternel dont les viscères traînaient à sa suite dans le sable blanc… La Bacchante fascinait son père, tout comme Apollon, le lion blanc, continuait par-delà la mort à fasciner Massi. Qui était la proie, qui était le fauve, dans ce jeu cruel ? Et qui gagnait lorsque la mort tranchait le dernier lien ?
Tu ne gagneras pas, toi.
De saisissement, Massi faillit lâcher Artole. Il ne le rattrapa que de justesse, arrachant un hoquet au rétiaire qui se répandit en vomissures sur son épaule. Était-ce lui ? Était-ce sa Némésis, qui venait à lui pour venger le lion blanc ? Massi se mit à courir, le cœur trépidant. Une ombre gigantesque talonnait sa fuite. La silhouette sombre du ludus grandissait au bout de l’avenue tandis que les longues foulées du jeune homme avalaient la distance. L’ombre ne disparut qu’au dernier moment, lorsqu’il s’arrêta devant les grandes portes fermées. Un rire sarcastique résonna dans sa tête. Affolé, Massi frappa sur le bois encore et encore, jusqu’à s’en meurtrir le poing. À chaque coup, la tête d’Artole ballottait sur son épaule comme un fruit mou.
Un garde à moitié endormi ouvrit la poterne. Le bestiaire le bouscula, traversa la grande cour et se rua jusqu’à la cellule qu’il partageait avec Artole. Il fit basculer le gladiateur par-dessus son épaule et le jeta sur une paillasse. Puis, le souffle court, étreint par la peur, il se plaqua contre un des murs. Ses yeux ne distinguèrent que les contours familiers des rares objets qui constituaient depuis des années son univers. Un rai de lune, qui traversait la fenêtre barrée de métal, en épousait les formes. Tout le reste était noyé dans l’obscurité. Le dos collé à la paroi de terre, Massi se laissa lentement tomber sur les talons. À tâtons, il chercha la chandelle entre les deux lits jumeaux. À un mètre de lui, un grognement le fit sursauter. Sur sa couche, Artole remuait. Le silence se réinstalla ensuite, lourd, sans que le Germain se réveillât.
Le cœur de Massi commençait à retrouver un rythme normal. Ses doigts tremblaient encore un peu lorsqu’il fit surgir la lumière. La flamme jaune n’éclaira pas grand-chose, mais elle lui apporta le réconfort en lui laissant deviner les aspérités du quotidien. Les lits n’étaient que des paillasses posées à même le sol. Un tabouret, recouvert de linge qui empestait la sueur sèche, et une bassine d’eau stagnante constituaient le reste du mobilier. Cette pauvreté coutumière, pour la première fois, rassura Massi. Il laissa échapper un rire stupide. L’idée d’avoir couru jusqu’ici comme un malheureux poursuivi par tous les Enfers lui fit secouer la tête. Et le regard hébété du portier ! Ne l’avait-il pas cru possédé ?
Quelle illusion d’épouvante son esprit fatigué n’avait-il pas inventée ? Il était plus que temps qu’il dormît. Le lanista leur avait accordé un répit pour répondre à l’invitation de la matrone mais, le lendemain, les entraînements reprendraient.
Ses admirateurs transis, qui couvraient certains murs de Carthage de graffitis à la gloire de Leo, auraient été bien dépités s’ils avaient vu leur héros prendre la fuite face à des ombres.
Une nouvelle de fantastique antique…
Il en rêvait encore.
Apollon, le lion blanc, entra lentement dans l’arène, calme et solennel au milieu des bonds impatients de ses congénères. Puis il s’arrêta sous l’ombre du dais qui protégeait les gradins du soleil. Il ne rugit pas. Dignement assis sur son séant, il se contenta de regarder autour de lui. Les spectateurs en hurlèrent d’indignation. Dans la pénombre, dans l’éblouissement de l’astre en majesté, ils le distinguaient mal, ils n’en devinaient que les contours vagues. C’était intolérable !
À lui d’agir pour amener la bête fauve dans la lumière. Mais lorsque Massi s’avança vers le lion blanc, celui-ci se contenta de tourner la tête et de le regarder.
Crispé, le bestiaire s’agita sur sa paillasse. Non… plus revoir cela…
Regarde, murmura une voix hostile.
Carnage. Le pelage sans tache était maculé de sang et le ventre ouvert laissait échapper les entrailles. La tête, renversée vers l’arrière, dardait sur le vainqueur, sur le bourreau, un regard transparent. La souffrance, le désespoir, mais aussi le regret et, que Diane l’explique à Massi, le pardon.
Le jeune homme gémit dans son sommeil.
Un lion noir tournait autour de lui, de cette démarche feutrée particulière aux félins, patte levée l’une après l’autre, gracieuse et sûre. Tu me suivais donc bien, songea Massi, à la fois épouvanté et subjugué. Le regard lourd de colère réduisait à rien ses six pieds de haut ; cela faisait des jours qu’il l’oppressait. C’était donc arrivé.
Je n’ai pas peur, dit-il, parce que, en bon chasseur de fauves, il avait appris qu’il fallait mentir aux prédateurs. Mais aucun son ne sortit de sa gorge et l’autre ricana. Sa large gueule s’étira en un rictus impossible, monstrueux, qui dévoila une dentition effroyable. Massi, incrédule, ne put repousser l’image de cette mâchoire se refermant sur sa gorge.
Mon frère ! Comment as-tu pu laisser cette pitoyable créature te faire ça ? Toi, si beau, si fort ! Immortel ! Vois ! Vois, toi qui aimais les humains, ce qu’ils t’ont fait ! Pourquoi l’avoir épargné ?
Je ne l’épargnerai pas, moi.
Le regard haineux que le félin lança à Massi brisa la transe du jeune homme. Son instinct de bestiaire était éprouvé par des années de confrontation avec les fauves et il fit un pas lent en arrière. Pourtant, il ne vit rien venir. Une masse le percuta et lui coupa le souffle.
Je vous laisse sur cet affreux teasing… La suite de l’affrontement (rêvé ?) entre Massi et le lion noir se trouve par ici. 😉 Vous y découvrirez le fin mot de cette nouvelle de fantastique antique qui plonge dans l’ambiance carthaginoise romaine !
Merci à enriquelopezgarre pour la photo d’en-tête. 🙂