Bien avant la révolte de Bar Kokhba, celle de 70 : les soldats romains emportent l'arche d'alliance du temple de Jérusalem - Bas-relief de l'arc de Titus à Rome

La dernière révolte juive contre les Romains : Bar Kokhba

5/5 - (1 vote)

Vers 132 ap. J.-C. a lieu la révolte de Bar Kokhba. Bar Kokhba, qui est-ce ? Un chef juif qui va mener les insurgés pendant plusieurs années, sur le sol de Judée, et provoquer l’affolement de Rome. L’Empire va utiliser les grands moyens pour reprendre le contrôle de la région. L’aboutissement en est terrible : les Juifs, peuple ancestral en Palestine et à Jérusalem, vont être chassés de leur terre pour de très longs siècles.

Voyons ensemble les causes, le déroulement et les conséquences de cette révolte.

Pourquoi une révolte juive contre Rome ?

Rappelons qu’il y a déjà eu une révolte en 70 ap. J.-C. Celle-ci a abouti à l’effondrement du Temple de Jérusalem (il n’en reste déjà à l’époque que le célèbre Mur des Lamentations). Mais il y a encore de très nombreux Juifs en Judée et dans la ville.

Pourquoi se révoltent-ils à nouveau 60 ans plus tard ?

On a deux hypothèses liées à deux décisions qu’aurait prises l’empereur romain de l’époque, Hadrien.

Hypothèse 1 : Hadrien a interdit la circoncision

Hadrien aurait interdit la circoncision, peut-être vers 132. Ce ne serait pas spécialement dirigé contre les Juifs. Ce serait plutôt le prolongement des édits de Domitien et de Nerva contre la castration. Les Grecs et les Romains jugeaient ces mutilations barbares.

Toutefois, pour les Juifs, la circoncision est le symbole de l’alliance avec Yahweh. Ne pas l’accomplir est un manquement grave à leur religion. Les Juifs auraient pensé que Rome voulait en finir avec eux. Malentendu donc, comme lors de la persécution d’Antiochos IV.

Le problème, c’est que notre source pour cette hypothèse n’est pas très fiable. Il s’agit d’un texte appelé l’Histoire Auguste. Le texte évoque une mesure d’Antonin le Pieux, successeur d’Hadrien, qui autorise les Juifs à circoncire leurs enfants, et seulement eux.

On en a déduit que la circoncision avait été interdite précédemment par Hadrien. Mais rien n’est sûr.

Hypothèse 2 : la réaction juive à la fondation d’Aelia Capitolina

Vers 130, Hadrien décide de reconstruire Jérusalem. La ville est plus ou moins en ruines depuis 70, même si des Juifs y vivent toujours.

Hadrien décide d’y construire une nouvelle colonie : Aelia Capitolina. Son projet est de la bâtir autour d’un temple dédié à Jupiter Capitolin. Celui-ci est construit au cœur de la nouvelle cité, sur le Golgotha (et non pas sur les ruines de l’ancien Temple, qui reste abandonné, contrairement à ce que dit l’auteur romain Dion Cassius que je cite plus bas).

Cette colonie existe dès 131-132. Pour preuve, on a retrouvé des monnaies émises en son nom.

Le problème, évidemment, c’est que les ruines de Jérusalem sont sacrées pour les Juifs. Ce serait la raison de la révolte de Bar Kokhba.

Dans les faits : la situation en Judée dans les années 120

Des rebelles à Rome ?

Certains auteurs, comme Pausanias et Eusèbe de Césarée, sont intransigeants. Ils affirment que les Juifs ont l’esprit de rébellion et refusent de toute façon la tutelle romaine.

En effet, il y a une agitation dès le milieu des années 120. Ou, en tout cas, une peur de l’agitation. Si celle-ci est réelle, les mesures d’Hadrien sont répressives, y compris celle sur la circoncision (si elle a existé). Elles rejoignent des mesures que Rome va prendre après la révolte de Bar Kokhba.

Des Juifs ralliés à Rome ?

Dans les faits, toutefois, la situation est plus nuancée. Bien sûr qu’il y a des Juifs qui veulent restaurer le Temple. Ce sont notamment des prêtres.

Mais il y a aussi de nombreux Juifs hellénisés et ralliés à Rome. L’administration romaine s’appuie sur eux en Judée. D’ailleurs, elle peut même avoir l’impression que la population juive lui est acquise grâce à eux.

Il y a aussi des précédents optimistes à la fondation d’Aelia Capitolina. Dans les années 120, Hadrien fait construire un Hadrianeion à Sepphoris et à Tibériade. Il transforme même Sepphoris en une Diocésarée. Notons enfin que Tibériade, quoique majoritairement peuplée de Juifs, est administrée par des Grecs. Tout ça ne provoque aucune réaction violente de la part des Juifs.

Autre point : il semble qu’une partie des Juifs renonce à l’époque à la circoncision ou pratiqua a posteriori l’épispamos (restauration du prépuce). On le sait car des rabbis débattent de l’attitude à adopter face à ces pratiques.

Si on prend en considération ces éléments, on peut raisonnablement penser que la fondation d’Aelia Capitolina n’est pas une provocation ni une punition de la part de l’empereur Hadrien. Ce serait plutôt un geste envers les élites juives hellénisées qui vivent encore à Jérusalem, car la fondation d’une colonie va leur apporter des avantages.

Bref, en conclusion : on ne peut pas dire avec certitude pourquoi la révolte a éclaté.

La révolte juive de 132 : protagonistes et géographie

Les individus derrière la révolte

Le chef principal, c’est donc Simon bar Kokhba, « prince (nasi) d’Israël ».

Quelques rabbis se rallient à lui. Le plus important, c’est rabbi Aqiba : il est l’autorité spirituelle la plus connue du judaïsme palestinien.

Mais l’essentiel des insurgés sont des paysans de Judée.

Un mouvement messianique ?

Plus tard, les rabbis vont donner un caractère messianique à cette révolte. Le nom de Bar Kokhba (« fils de l’étoile ») lui est d’ailleurs attribué a posteriori, dans le même esprit.

Mais les textes contemporains de la révolte de Bar Kokhba et le monnayage ne vont pas dans ce sens. Les légendes monétaires des monnaies émises par le mouvement parlent plutôt d’un désir de reconstruire le Temple et de libérer Israël : « an 1 de la Rédemption d’Israël », « an 2 de la Liberté d’Israël », « Pour la liberté de Jérusalem ».

La géographie de la révolte

À noter aussi : pendant longtemps, on n’a pas trouvé de monnaies émises par les révoltes dans la ville même de Jérusalem. Le numismate allemand Leo Mildenberg (1913-2001) en concluait que les révoltés n’étaient jamais entrés dans la ville.

Depuis, on a retrouvé quelques monnaies à Jérusalem et au nord de la ville. On peut donc légitimement suggéré que les révoltés l’ont tenue pendant quelque temps. Ils auraient réussi à restaurer l’autel des sacrifices et à jeter les bases d’un quatrième Temple.

En tout cas, le mouvement est bien implanté dans les collines de Judée. Les grottes servent de refuges. On a retrouvé un réseau de galeries et de cachettes qui abritaient les archives des révoltés. L’organisation administrative et militaire avait l’air très centralisé.

On ne sait pas si le mouvement s’est étendu au-delà de la Judée. Il est puissant au sud de Jérusalem, mais épisodique au nord.

Une source sur la révolte de Bar Kokhba : Dion Cassius

« Lorsque Hadrien fonda à Jérusalem une ville nouvelle à la place de celle qui avait été détruite, lui donna le nom d’Aelia Capitolina, et éleva sur l’emplacement du temple du dieu un autre temple dédié à Jupiter, il en résulta une guerre importante et prolongée. Les Juifs, quoique indignés de voir des hommes d’autre race s’établir dans leur ville et des cultes étrangers s’y installer, restèrent tranquilles pendant le séjour d’Hadrien en Égypte et son retour en Syrie ; ils se contentèrent de fabriquer à dessein de mauvaises armes pour qu’on les refusât et qu’ils pussent s’en servir eux-mêmes. Une fois Hadrien éloigné, ils se révoltèrent ouvertement.

« Ils n’osèrent pas combattre les Romains en bataille rangée, mais il s’emparaient des meilleures positions de la contrée, et les fortifiaient avec des souterrains et des murailles, afin d’y trouver un refuge s’ils étaient forcés et de s’assurer sous terre des communications secrètes ; ils pratiquaient des ouvertures au-dessus de ces chemins souterrains pour laisser entrer l’air et la lumière.

« Au début, les Romains ne firent aucune attention à ces menées. Mais quand toute la Judée fut en mouvement, qu’on vit que les Juifs de toutes les parties du monde s’agitaient, se rassemblaient et faisaient beaucoup de mal aux Romains, ouvertement ou en cachette, que beaucoup de gens d’autres nations, attirés par l’espoir du gain, faisaient cause commune avec eux, que la terre entière, pour ainsi dire, fut ébranlée, alors Hadrien envoya contre eux ses meilleurs généraux, ayant pour chef Iulius Severus, qu’il appela de son gouvernement de Bretagne pour le charger de la guerre contre les Juifs. Celui-ci n’osa jamais les attaquer en face, voyant leur nombre et leur résistance désespérée ; il les prenait séparément, grâce au nombre de ses soldats et de ses lieutenants, leur coupait les vivres, les cernait, et put ainsi, lentement mais sûrement, user leurs forces, les épuiser et les exterminer. Il n’en échappa qu’un bien petit nombre.

« Cinquante de leurs meilleures forteresses, neuf-cent-quatre-vingt-cinq de leurs bourgades les plus importantes furent rasées ; cinq cent quatre-vingt mille hommes périrent dans les sorties et les combats ; quant à ceux qui succombèrent par la faim, la maladie et le feu, le nombre en est incalculable. La Judée tout entière, ou peu s’en faut, devint un désert, comme il leur avait été prédit avant la guerre ; car le tombeau de Salomon, qu’ils ont en grande vénération, s’écroula de lui-même ; des loups et des hyènes en grand nombre entrèrent en hurlant dans leurs villes.

« Cependant, les Romains eux-mêmes perdirent beaucoup de monde dans cette guerre. Aussi Hadrien, écrivant au Sénat, ne se servit pas du préambule habituel des empereurs : « Si vous et vos enfants allez bien, tant mieux ; moi et mes troupes allons bien. »

« Ainsi finit la guerre de Judée. »
(Dion Cassius, LXIX, 11-15)

Le déroulement de la révolte juive contre Rome

On ne connaît pas bien le déroulement de la révolte de Bar Kokhba. Elle dure au moins trois ans, entre 132 et septembre 135.

Une révolte d’ampleur

Rome prend l’affaire très au sérieux. Le texte alarmiste de Dion Cassius est confirmé par d’autres éléments évoqués dans d’autres sources :

  • le rappel de Iulius Severus depuis la Bretagne
  • la participations de vexillations de sept légions
  • le retour à la conscription forcée
  • la perte d’une légion entière, la XIIe Deioteriana

Rome prend aussi des mesures draconiennes pour éviter la propagation de la révolte. Cela pousse même des Juifs vivant en Arabie à fuir vers la Judée.

La fin de la guerre et les représailles

Finalement, les Romains écrasent les révoltés à Béthar, près de Jérusalem. Simon bar Kokhba meurt là-bas. Les autres chefs, dont rabbi Aqiba, sont arrêtés et exécutés.

La répression est sévère, mais certainement moins que ce que dit Dion Cassius. Celui-ci parle de 985 villages détruits et 580 000 Juifs morts au combat. Il dit aussi qu’ils sont encore plus nombreux à mourir de faim. En fait, Rome fait de très nombreux prisonniers et les vend comme esclaves sur les marchés extérieurs. Beaucoup de Juifs fuient aussi, de leur propre chef.

Récompenses et glorification romaines

Les soldats romains, de leur côté, sont hautement récompensés. C’est que Rome a eu très peur ! On a retrouvé beaucoup d’inscriptions épigraphiques de soldats ayant reçu des récompenses.

Hadrien accepte une seconde salutation impériale et il accorde les ornementa triumphalia à trois légats qui ont participé à la guerre, dont le gouverneur d’Arabie, Hatérius Népos.

Enfin, le Sénat et le Peuple de Rome dédie un arc de triomphe à Hadrien à environ 12 kilomètres au sud de Scythopolis.

Jérusalem et la Judée après la révolte

Jérusalem

Après la guerre, Rome achève la Colonia Aelia Capitolina. Celle-ci est peuplée de vétérans de la Ve légion Macedonica.

Un arc monumental est érigé sous Hadrien pour marquer la limite nord de la ville. Il se trouvait à l’emplacement de l’actuelle porte de Damas. Un autre arc est construit dans la seconde moitié du IIe siècle : c’est l’entrée monumentale de l’espace réservé à la Xe légion Fretensis.

Après la révolte de Bar Kokhba, la colonie prend un caractère résolument païen. L’entrée est même interdite aux Juifs sous peine de mort, sauf le 9 Ab, jour anniversaire de la ruine du Temple. Aucune autre ville païenne de l’Empire n’est interdite aux Juifs.

Plusieurs sanctuaires païens sont construits en quelques années. Ils sont dédiés à Jupiter Capitolin, à Vénus, à Asclépios, à Sérapis et aux empereurs.

La Judée

Rome nie même le caractère juif de la région, et cela pendant la guerre (vers 133-134). Il modifie le nom de la province : la Judée devient la « Syrie-Palestine ».

D’un point de vue démographique, le désastre est immense. Beaucoup de villages de Judée et de Samarie semblent avoir été abandonnés, bien plus qu’après la guerre de 70. Ils ne seront réoccupés par des païens ou des Samaritains que bien plus tard.

Le messianisme ?

Une opposition zélote essaie de se maintenir, mais elle a déjà disparu vers 150. D’ailleurs, le messianisme et les spéculations d’apocalypse s’essoufflent et deviennent même suspectes. Peu après 135, déjà, un rabbi déclare : « Celui qui calcule la fin (des temps) n’aura pas de part au monde à venir ».

Il faudra attendre presque 2 000 ans pour voir renaître la « Judée juive ».

J’espère que cet article sur la révolte de Bar Kokhba vous a intéressé. 🙂 Pour plus de voyage en terre antique, je vous invite à me retrouver deux dimanches par mois dans ma newsletter. À bientôt !

Sources : SARTRE, Maurice, D’Alexandre à Zénobie – Histoire du Levant antique – IVe siècle av. J.C. – IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, 2001

Image d’en-tête : bas-relief de l’arc de Titus à Rome : soldats romains emportant d’arche d’alliance du Temple de Jérusalem – extrait de l’ouvrage ci-dessus

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *