Saturnales, peinture d'Antoine Callet

Les Saturnales : fêtes de la liberté ?

Les Saturnales romaines : à entendre ce mot, on imagine toutes les licences ! Ces fêtes de la Rome antique étaient-elles une vraie période de liberté ? D’où viennent-elles et quel est le rapport avec notre Noël actuel ? Partons d’abord à la rencontre du dieu qui leur a donné leur nom avant d’aller plonger dans les réjouissances !

Les Saturnales, des fêtes vouées à Saturne

Saturne, dans l’imaginaire contemporain, c’est juste l’équivalent du Cronos grec. Vous savez, le père de Zeus, le Jupiter romain. Il a d’abord détrôné son père, Ouranos. Puis, comme il s’est révélé le même genre de tyran que celui-ci, Zeus lui a pris le pouvoir.

Ce syncrétisme Saturne-Cronos ne rend pas justice au Saturne romain des origines. En effet, Saturne est un dieu italique très ancien. Il aurait été accueilli à Rome par Janus. On constate dans les écrits et les sources archéologiques qu’il est solidement implanté à Rome dès l’époque républicaine. Son temple est alors situé près du Forum (on en voit toujours les glorieux vestiges).

Saturne est lié à un âgé d’or, de bonheur et de prospérité exceptionnelles. C’est lui qui enseigne aux hommes la culture de la terre et la taille de la vigne. Il leur donne aussi leurs premières lois. On le représente toujours avec une serpe ou une faucille.


On peut donc comprendre pourquoi Saturne est associé à l’abondance, la fête et la ripaille !

Perspective nocturne sur le forum, avec à gauche l'arc de Septime Sévère, au centre le temple de Saturne et tout au fond le Colisée
Le temple de Saturne sur le Forum Romain (photo https://coinsdumonde2.blogspot.com)

Les Saturnales, fêtes de la réjouissance

Les Saturnales romaines, ou fêtes de Saturne, sont donc originellement des réjouissances paysannes. Elle ont lieu à un moment charnière de l’année : celui du passage d’une année à une autre. Ce n’est pas anodin si elles se déroulent lors du solstice d’hiver. Après cette date, les nuits vont raccourcir, la belle saison et la végétation revenir. C’est pourquoi, lors des Saturnales, les Romains s’offrent des chandelles de cire, sigillaria, qui symbolisent le soleil. Ils décorent aussi leurs maisons avec du lierre et du houx. On échange des petits cadeaux et des invitations.


Tous ces petits détails ne nous sont pas étrangers. Ils sont passés dans les fêtes de fin d’année que nous connaissons, Noël et les autres.


Les Saturnales ne sont pas seulement des fêtes des campagnes. Elles sont rapidement célébrées partout en Italie, et bien sûr à Rome ! Elles commencent le 17 décembre et durent plusieurs jours. Jules César en allonge encore la durée.


Pendant ces fêtes, on sacrifie aux dieux et on organise des banquets. Les écoles, les tribunaux et les bureaux sont fermés. Tout le monde se retrouve dans la rue pour danser en criant : « Io Saturnalia ! Bona Saturnalia ! »

Les Saturnales : des fêtes de la liberté ?

Le fait marquant des Saturnales, c’est que les règles sociales sont bousculées le temps de quelques jours.


Ces fêtes sont censées abolir la distance entre les hommes. Tout est permis à tous, y compris aux esclaves. D’ailleurs, les hommes libres ne revêtent pas leur toge. Tout le monde endosse le pileus, le bonnet d’affranchi.


On peut même voir des maîtres servir leurs esclaves ! Ces derniers ont le droit de se défouler, en paroles comme en actes, et de boire du vin sans retenue.


Fêtes de la liberté, oui… mais transitoires, car ce défoulement n’est que passager et chacun reprend la place qui lui est assignée par la Fortune aux lendemains des réjouissances.

Mosaïque de Pompéi montrant les Saturnales romaines
Mosaïque de Pompéi montrant les Saturnales romaines

Une petite plongée dans les Saturnales romaines ?

J’ai écrit une nouvelle qui suit les vagabondages d’une matrone romaine lors d’une nuit des Saturnales complètement folle, dans le sillage d’un dieu irrévérencieux et malicieux. Ce texte montre ces fêtes comme un évènement permettant la dépossession (et la re-possession) de soi.

En voici un extrait qui plonge dans le délire de la foule en liesse :

Quand Cornélia rouvrit les yeux, elle n’était plus dans Subure. La nuit était immensément vaste au-dessus d’elle, et piquetée d’étoiles qui vacillaient.


Ou était-ce elle qui tanguait, comme un navire ? Elle balançait au milieu de la foule.


« Io Saturnalia ! Bona Saturnalia ! »


Ces mots remplis de liesse la grisaient, autant que ces corps qui se pressaient contre elle et que ces mains qui frôlaient les siennes au milieu du ciel enténébré. Elle joignit ses cris aux autres. Autour d’elle, des pileus, des bonnets d’affranchi, à perte de vue, sur toutes les têtes. Quelqu’un l’en coiffa aussi.


Elle fut portée vers l’avant par la foule. Peu à peu, une silhouette immense apparut au-dessus des pileus. Un visage de pierre, penché sur un nourrisson et tout prêt à le dévorer. Saturne ! Cornélia frémit. C’était Saturne, qui avait dévoré ses enfants avant que Jupiter les libérât ! Avant qu’il entravât son père de chaînes et l’emprisonnât ici, à Rome, pour l’empêcher de laisser libre cours à sa sauvagerie !


« Saturne ! clama une voix familière à Cornélia. Celui qui arrache l’homme à sa vie ! Celui qui le libère ! »


Elle perçut vaguement, dans les remous de la foule, l’éclat rouge d’une tunique, et un rire. Une main saisit la sienne et l’entraîna au plus près du spectacle. Là, les Romains et les Romaines empoignaient les chaînes qui retenaient Saturne pour le libérer. La liberté, une fois, une seule fois dans l’année !


« Io Saturnalia ! Bona Saturnalia !


— Bona Saturnalia, grand-père ! » rugit une voix au-dessus des autres.


Les cris assaillirent Cornélia.


« Je t’emprunte tes fêtes, Saturne ! Maintenant, Romains, dansez ! »


Une houle saisit la foule, qui se mit à se balancer. Les mains se lièrent les unes aux autres. Cornélia tendit instinctivement la sienne et saisit des doigts inconnus, qui se refermèrent sur les siens avec force. Ses pieds se mirent en mouvement d’eux-mêmes. Comme un grand corps enivré, la foule se mit en branle, en trébuchant à moitié et en piétinant ceux qui n’avaient pas été pris dans la transe.

Cette nouvelle sur les Saturnales romaines fait partie de ma Bibliothèque de Médée, accessible en téléchargement à tous mes mécènes Médée parmi de nombreux autres titres.

"Les Saturnales romaines" d'André Castaigne
« Les Saturnales romaines » d'André Castaigne - 1900 (Crédit photo : carlylehold sur flickr.com)

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Crédit image d’en-tête : Les Saturnales d’Antoine Callet, 1783, Louvre

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

2 réflexions sur « Les Saturnales : fêtes de la liberté ? »

    1. Bonjour Marie-Françoise. Il y a trop de points communs entre les Saturnales et notre Noël chrétien pour y voir de simples coïncidences. Noël (en tant que célébration de la naissance du Christ) a probablement été placé au solstice d’hiver pour remplacer les Saturnales païennes et beaucoup d’éléments de ces fêtes ont été repris pour qu’il y ait « changement dans la continuité » sans heurter les habitudes des populations trop rudement. En ce sens, oui, on peut dire que Noël a remplacé les Saturnales. 🙂

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