Archives de catégorie : Antiquité romaine

D’Auguste à Hadrien : les hauts et les bas de l’empire romain

Après la République, le Haut Empire romain nous a laissé le portrait d’empereurs aussi divers que hauts en couleur. Faisons le tour des individus qui se sont succédés à la tête de Rome de la fin du Ie siècle av. J.-C. jusqu’au début du IIe ap. et voyons comment ils ont marqué Rome et le monde de leur empreinte !

Les Julio-Claudiens au pouvoir

Tous les empereurs de la dynastie julio-claudienne descendent, directement ou indirectement, de deux vieilles familles patriciennes :

  • la gens Julia (celles de Jules César) ;
  • la gens Claudia.

Auguste : l’empereur bien sous tous rapports

Sous son règne, l’empire s’étend :

  • provinces de Galatie (25 av. J.-C.) et de Judée (6 ap. J.-C.) en Asie Mineure et en Orient ;
  • province de Mésie et de Pannonie dans les Balkans ;
  • au nord de l’empire, l’armée avance jusqu’à la limite du Rhin.

À la mort d’Auguste, en 14 ap. J.-C., les frontières sont sûres et le gouvernement impérial stable et efficace. Auguste a réussi à laisser de lui une image incroyablement positive qui incarne les valeurs romaines : vertu, clémence, piété. Le Sénat décide même de le faire figurer parmi les dieux de la cité. Des tablettes de bronze sont dressées à l’extérieur de son mausolée. Elles glorifient sa res gestae, c’est-à-dire tout ce qu’il a fait pour Rome.


L’Autel de la Paix (Ara Pacis) d’Auguste célèbre lui aussi l’œuvre de pacificateur de l’empereur. Il a été inauguré en 9 av. J.-C. Il est orné d’une frise qui représente divers aspects du nouvel âge né avec Auguste. Les bas-reliefs montrent, entre autres, une procession sacrificielle et les membres de la famille impériale.

Tibère : ça commence à se gâter à Rome

Tibère est le fils adoptif d’Auguste. Il a été choisi car c’est un administrateur sérieux et un bon général : c’était le meilleur candidat du moment parmi les membres de la famille d’Auguste. Son règne commence donc sous de bons auspices.

Sous ce second règne de ce qu’on appellera un jour le Haut Empire romain, l’empire s’agrandit en Asie Mineure des provinces de Cappadoce et de Commagène. La situation est plus difficile dans le nord. La lutte contre les Germains est si coûteuse qu’on finit par ramener la frontière impériale au Rhin.

Malheureusement, Tibère provoque le mécontentement des nobles à cause de sa trop grande confiance en un homme : le préfet du prétoire Séjan. Celui-ci se comporte de manière tyrannique avec les aristocrates. Il s’ensuit des conflits avec le Sénat, des procès, des meurtres, des conspirations…

Tibère est finalement contraint d’assainir la situation en faisant exécuter Séjan. Les dernières années de son règne sont assombries par sa rigueur.

Tout cela, plus le caractère renfermé et l’allure hautaine de Tibère ternissent son image. D’ailleurs, l’empereur finit par s’isoler à Capri. Les mauvaises langues s’en donnent alors à cœur joie en l’accusant rétrospectivement de débauche sexuelle (ce qui était probablement sans fondement).

Lorsqu’il meurt en 37, Rome est en joie, ce qui donne une idée de sa popularité.

Pour en savoir plus, je vous conseille ce podcast sur Tibère. 😉

Buste de l'empereur romain Tibère - Louvre- Crédits photo : Hervé Lewandowski
Buste de l'empereur romain Tibère - Louvre- Crédits photo : Hervé Lewandowski

Caligula : rien ne va plus au sommet de l’Empire

Caligula s’appelle de son vrai nom Caius César. Son surnom signifie « Petit Brodequin » et fait référence à sa façon inhabituelle de se chausser.

Le règne commence bien, mais il dégénère rapidement en tyrannie. Caligula était peut-être atteint d’une maladie mentale. Cela expliquerait sa violence, sa cruauté et son comportement incohérent. Il fait beaucoup de caprices dont les conséquences peuvent être terribles pour son entourage. Il finit par causer de tels désordres qu’il est assassiné par sa garde prétorienne en 41.

À écouter pour en savoir plus sur Caligula.

Claude : répit à la tête de l’État romain

La garde prétorienne remplace Caligula par Claude, un neveu de Tibère.


Claude ne fait pas bonne impression au premier abord car il souffre de tics nerveux. Son apparence physique ne correspond pas non plus aux canons romains de l’époque. Toutefois, c’est un homme très instruit et il sera un bon empereur, efficace et compétent.


On lui doit le port d’Ostie et la conquête de la Britannia. Il étend la citoyenneté romaine. Il fait aussi percer des routes à travers les Alpes et le long du Rhin.


Hélas pour lui (et probablement pour l’Empire), Claude est empoisonné en 64 par sa quatrième épouse, Agrippine. Pas de justice pour les bons empereurs.

Néron : un artiste sur le trône

C’est sans doute l’empereur du Haut Empire romain qui a le plus marqué l’imaginaire !

Agrippine a assassiné Claude pour le mettre sur le trône. Néron est son fils d’un premier lit et il a été adopté par Claude.

Néron est d’abord un bon empereur, apprécié de tous. Toutefois, sa popularité est « abîmée » par les meurtres de sa mère, de son épouse et de son beau-frère. (On… peut le comprendre.) Par ailleurs, ses prestations de poète et son goût pour les cochers de cirque lui valent le mépris des aristocrates.

Des auteurs font de lui l’auteur du grand incendie qui dévaste Rome en 64. Il faut dire qu’il en profite pour récupérer des terrains, créer un lac artificiel et bâtir sa Maison Dorée (Domus Aurea). Le Colisée est plus tard érigé à cet endroit.

Néron persécute les chrétiens en les accusant d’être à l’origine du même incendie.

Dans le même temps, les provinces d’Espagne, de Gaule, de Palestine et d’Afrique se révoltent.

Finalement, Néron est déclaré « ennemi public » par le Sénat. Il se suicide en 68. D’après la légende, il aurait prononcé ces derniers mots : « Qualis artifex perea ! » (« Quel artiste périt avec moi ! »).

C’est le dernier empereur de la dynastie julio-claudienne. (Pour en savoir plus, je vous renvoie à nouveau à un podcast sur France Inter.)

Généalogie des Julio-Claudiens - Crédits image : Atlas du monde antique de Margaret Oliphant, Éditions Solar, 1992, Paris
Généalogie des Julio-Claudiens - Crédits image : Atlas du monde antique de Margaret Oliphant, Éditions Solar, 1992, Paris

La dynastie des Flaviens

68 : l’année des quatre empereurs

Suite à la mort de Néron, l’année 68 est marquée par une violence crise de succession.

  • C’est d’abord Galba, gouverneur d’Espagne, qui est reconnu empereur. Il est assassiné par les prétoriens.
  • Ces derniers le remplacent par Othon, gouverneur de Lusitanie (Portugal actuel).
  • Vitellius, appuyé par l’armée du Rhin, vainc Othon.
  • Finalement, soutenu par l’armée d’Orient, Vespasien bat Vitellius sur le champ de bataille.

Vespasien : une nouvelle dynastie à Rome

Vespasien est reconnu à la tête de l’État au terme de la folle année de 69. C’est le premier empereur du Haut Empire romain qui ne soit pas noble.


Il introduit plusieurs nouveautés dans le fonctionnement de l’Empire. Il renouvelle le Sénat en y faisant entrer des Italiens et des représentants des provinces. Il fonde aussi de nouvelles colonies pour les soldats.


Vespasien est également le premier empereur à établir une succession fondée sur l’hérédité pure, en désignant son fils Titus comme successeur.

Titus et Domitien : une dynastie qui fait flop

Titus et Domitien sont les deux fils de Vespasien. Ils vont se succéder : Titus de 79 à 81, puis Domitien jusqu’en 96.


Le règne de Domitien se caractérise par une certaine tyrannie. Il est assassiné en 96, ce qui met fin à la dynastie des Flaviens.

Les premiers Antonins s’installent

À la mort de Domitien en 96, le Sénat veut un empereur qui ne fera pas de vagues. Il choisit Nerva, un vieil homme effacé qui n’a pas d’enfants. Nerva adopte et associe à son règne un homme qui va marquer l’Empire : Trajan.

Trajan : un Auguste +++

Trajan succède à Nerva en 98.
Il semble avoir possédé toutes les qualités augustéennes qui font un bon empereur, le côté militaire en plus.


C’est d’abord un général populaire. Il est le chef de l’armée du Rhin lorsque Nerva le choisit. Sous son règne, l’empire atteint sa plus grande expansion.

  •  En 106, il conquiert deux nouvelles régions qui vont devenir des provinces : la Dacie (Roumanie actuelle) et l’Arabie (ancien royaume vassal des Nabatéens).
  • En 114-115, il vainc les Parthes et annexe l’Arménie, l’Assyrie et la Mésopotamie. Toutefois, suite à des révoltes, ces provinces sont perdues deux ans plus tard.
Buste de l'empereur romain Trajan - Crédits photo : Mary Harrsch
Buste de l'empereur romain Trajan - Crédits photo : Mary Harrsch

Trajan est aussi un bon administrateur, ferme, éclairé et soucieux de son empire. Le butin issu des guerres est utilisé pour financer des constructions : nouveaux thermes, forum de Trajan dessiné par Apollodore de Damas… mais aussi des routes et des ponts en Italie et dans les provinces. Ces travaux permettent aussi d’occuper les légions et écarte les risques représentés par une armée de métier inactive !


Trajan prend des mesures pour améliorer la condition des pauvres, comme le système des alimenta qui pourvoit à l’entretien des fils de famille sans ressources.


L’empereur veille à ce que l’administration des provinces soit à la hauteur de ses exigences. Il choisit et surveille les gouverneurs et fait condamner des hommes corrompus. Il charge des individus de confiance, choisis pour leur intégrité, des finances publiques. (Ce sont les curateurs, une fonction qu’on retrouve tout au long du Haut Empire romain.)


L’un de ces hommes est connu : il s’agit de Pline le Jeune. Il est envoyé en Bithynie comme legatus en 111. Sa correspondance avec Trajan montre l’attention que l’empereur porte aux affaires municipales et provinciales, ainsi que l’équité dont il fait preuve dans la gestion de l’empire.


Né en Espagne, Trajan est le premier empereur issu d’une province romaine, et non d’Italie. Cela n’empêche pas le Sénat de le plébisciter. En 114, il le proclame Optimus Princeps (le meilleur des princes), en reconnaissance de ses actes qui ont restauré l’image impériale ternie par ses prédécesseurs.

Hadrien : l’empereur lettré et voyageur

Lorsque Trajan meurt, en 117, Hadrien lui succède. C’est un parent éloigné né lui aussi en Espagne.


Hadrien est un pacificateur. Il met fin aux troubles en Judée, Égypte et Cyrénaïque. Il conclut aussi la paix avec les Parthes.

Toutefois, en 132-135 a lieu une deuxième révolte juive (la première avait eu lieu sous Vespasien et Titus). Elle est conduite par Bar-Kokhba. Elle prend fin avec la destruction de Jérusalem.


Hadrien, c’est aussi un empereur nomade. Il fait de nombreux voyages dans l’Empire, inspectant les armées et créant des fortifications (limes) en Afrique et au nord de la Bretagne (Angleterre). Cette dernière est connue : il s’agit du fameux mur d’Hadrien.


Sous le règne d’Hadrien, une grande partie de l’armée est recrutée dans les provinces. Elles sont moins mobiles. Lorsqu’il y a des troubles, on envoie des détachements plutôt que des légions entières pour rétablir l’ordre.


Hadrien se distingue aussi par son goût des lettres et des arts. Il est très attiré par la culture grecque et par l’architecture. Il fait construire un temple dédié à Vénus et à la Ville divinisée à Rome. Il fait aussi rebâtir le premier Panthéon, qui a été détruit par un incendie.


Son mausolée est aujourd’hui devenu le château Saint-Ange.


Hadrien meurt en 138.

L’Urbs sous le Haut Empire romain

Rome s’était enrichie de nombreux temples et de bâtiments publics sous la République. Pendant le Haut Empire, elle s’embellit encore.


Auguste recourt énormément au marbre dans ses constructions. D’ailleurs, à la fin de sa vie, il déclare qu’il a trouvé une cité de brique au début de son règne et qu’il laisse derrière lui une cité de marbre.


On peut décompter d’autres changements très importants dans la physionomie de la Ville :

  • la construction des aqueducs, qui améliore l’alimentation en eau ;
  • le développement des égouts construits par les rois étrusques ;
  • l’édification de nombreux bâtiments de loisirs, comme un cirque immense pour les courses et le Colisée pour les jeux ;
  • l’érection d’innombrables statues et colonnes, sans compter un nouveau type de monuments qui va avoir une grande fortune : les arcs de triomphe, élevés pour célébrer les victoires de Rome.

Rome est une ville dont les empereurs achètent la paix sociale par le pain et les jeux, ce qui explique la construction d’édifices comme le Colisée. Pour la même raison, pendant toute la période, les empereurs maintiennent les distributions gratuites de blé. La leur enlever aurait certainement concouru à provoquer de graves désordres !

Plan de la Rome impériale - Crédits image : Atlas du monde antique de Margaret Oliphant, Éditions Solar, 1992, Paris
Plan de la Rome impériale - Crédits image : Atlas du monde antique de Margaret Oliphant, Éditions Solar, 1992, Paris
Plan de la Rome impériale (légende) - Crédits image : Atlas du monde antique de Margaret Oliphant, Éditions Solar, 1992, Paris

Mes balades littéraires dans la Rome antique

J’ai écrit plusieurs textes qui prennent place dans l’Empire romain du Ier et du IIe siècles. L’un de ces textes emmène le lecteur sous le règne de Néron et évoque aussi les troubles de l’époque de Tibère dus au personnage tyrannique du préfet du prétoire Séjan (La Nuit des Saturnales). L’autre, plus horrifique, plonge dans l’univers des gladiateurs dans la Carthage d’Hadrien (Le Lion). Ces deux nouvelles sont disponibles en ebook à tous mes mécènes Médée.


Je vous invite aussi à une balade irrévérencieuse dans les rues de l’Urbs du Haut Empire romain avec mon feuilleton interactif des Nuits Romaines !

Pour encore plus d’immersion dans les périodes anciennes, pensez à vous inscrire à ma newsletter ici. À bientôt !

Sources : OLIPHANT, Margaret, Atlas du monde antique, Éditions Solar, 1992, Paris

Crédits image d’en-tête : l’Ara Pacis d’Auguste imaginé en peinture sur le site romaculta.com

La religion romaine : tout est sous contrôle !

Comme en Grèce antique, la religion romaine est là pour garantir de bonnes relations avec les dieux. C’est capital, car de leur bonne volonté dépend tout : météo et récoltes, victoire dans la guerre, catastrophes en tout genre… Certaines divinités assurent aussi, au plus bas niveau, la protection de chaque foyer.


C’est pourquoi les rites sont particulièrement encadrés. Chez les Romains, tout est sous contrôle !

De l’importance d’avoir beaucoup de dieux

Les Romains vénèrent beaucoup de dieux. On pourrait dire que plus il y en a, mieux c’est. Chaque dimension de la vie et du monde doit être incarnée par une déité. C’est la raison pour laquelle les Romains n’hésitent pas à acculturer les divinités venues d’ailleurs en leur faisant passer le filtre de leur censure.

Les divinités romaines majeures

Les dieux les plus importants sont ceux de la triade capitoline :

  • Jupiter, roi des dieux ;
  • Junon, son épouse, protectrice des matrones ;
  • Minerve, patronne des artisans et déesse de l’intelligence (le génie romain).

Mars est également un dieu majeur. C’est le dieu de la guerre. Il a aussi été vénéré un temps par les paysans en tant que dieu des champs.


Vesta est la protectrice de Rome.

Les dieux domestiques des Romains

Les Romains ont des cultes domestiques à trois dieux ou groupements de divinités :

  • Vesta, déesse du foyer (elle est en fait la déesse du grand foyer collectif qu’est l’État romain et celle de chaque foyer romain) ;
  • les Lares, esprits des ancêtres, qui assurent l’abondance dans la maison et le domaine familial ;
  • les Pénates, dieux protecteurs du foyer et du garde-manger.

Les idées abstraites divinisées

À l’exemple des Grecs, les Romains ont des déités qui sont en fait des concepts comme :

  • Concordia, la concorde ;
  • Honor et Virtus, l’honneur et la vertu ;
  • Fortuna, la bonne fortune ;
  • etc.

Les dieux d’ailleurs importés à Rome

Comme je l’ai dit plus haut, la religion romaine adopte volontiers les dieux et les cultes d’autres peuples.

Cybèle et Dionysos

L’un des premiers exemples de cette assimilation est l’introduction à Rome de Cybèle, la Grande Mère des Phrygiens, en 204 av. J.-C. Toutefois, ses rites orgiaques ont été sévèrement réglementés par le Sénat.


Le dieu Dionsysos, devenu Bacchus, a subi le même type d’acculturation.

Mithra

Autre exemple d’adoption réussie : celle de Mithra, le dieu perse de la Lumière et de la Vérité. Ennemi irréductible d’Ahriman, le représentant des forces du mal, Mithra était très populaire dans les armées romaines car il symbolisait le guerrier et l’invaincu. Ce sont donc les soldats qui l’ont introduit en Italie.


Sous sa forme romaine, le mithraïsme est devenu une religion à mystères. Ses adeptes étaient initiés, les rites étaient secrets. C’est pourquoi on ne les connaît pas très bien.


On sait tout de même qu’ils impliquaient quelquefois une tauroctonie, un sacrifice du taureau. Le sang du taureau était perçu comme un élément qui régénérait la création. Mithra est aussi un dieu de la vie.


Les temples de Mithra (mithrae) étaient des grottes naturelles ou des cryptes demi-souterraines qui étaient censées rappeler l’antre dans lequel le dieu avait égorgé le taureau mythique.

Statue de Mithra sacrifiant le taureau - Musée du Vatican
Statue de Mithra sacrifiant le taureau - Musée du Vatican

Isis et Sérapis

Rome a également accueilli des divinités égyptiennes comme Isis et Sérapis. Elles avaient leurs sanctuaires à Rome.

Les cultes religieux dans la Rome antique

Les cultes publics romains

Les cultes publics sont assurés par des prêtres élus qui sont membres de l’aristocratie. Ils veillent à la bonne exécution des rites et organisent les fêtes religieuses.


Le collège suprême des pontifes compte environ quinze membres. Il est dirigé par le grand pontife (pontifex maximus), qui est responsable du maintien des traditions.


Les vestales sont des prêtresses du culte de Vesta. Elles ont un rôle important : elles entretiennent le feu sacré symbolisant l’État romain. Elles doivent rester vierges.


Les augures étudient les présages avant chaque acte public.

Les cultes domestiques romains

Les cultes domestiques à Vesta, aux Lares et aux Pénates sont célébrés dans la chapelle ancestrale de la famille (le lararium ou laraire). Cette chapelle se trouve habituellement dans l’atrium, au centre de chaque demeure romaine.


On a retrouvé un exemple de laraire dans la maison des Vettii à Pompéi. L’image ci-dessous montre le genius du maître de maison, le paterfamilias, entouré de deux lares, l’un tenant une corne et l’autre un sceau rituel. En-dessous d’eux se trouve un serpent qui vient accepter l’offrande faite par le genius.

Fresque du lararium de la maison des Vettii de Pompéi - Crédits image : blog grupobonadea
Fresque du lararium de la maison des Vettii de Pompéi - Crédits image : blog grupobonadea

Un exemple de reconstitution de la religion romaine ?

Toujours soucieuse de réalisme historique, autant que faire se peut ! j’ai utilisé des éléments religieux romains dans l’une de mes nouvelles, La Nuit des Saturnales. Ce récit s’inscrit dans l’une des fêtes religieuses les plus importantes des Romains, les Saturnales. La scène qui suit fait vivre le quotidien romain au cœur de la maison. Bonne lecture !

Cornélia gravit les quelques marches qui menaient à la porte de sa domus. Fait curieux, le lourd battant était entrebâillé. Elle le poussa et entra, suivie de Mákis.


Lorsque le jeune homme le referma derrière eux, ils furent plongés dans la pénombre et le silence. Les bruits de la rue moururent. Il ne resta que le son cristallin de l’eau venu de l’atrium, en face d’eux. Cornélia s’y dirigea.


Personne. Pas un esclave à l’ouvrage, ils étaient donc tous restés à la fête. Pas un client précoce venu quémander quelque service à Servius Iunius Silanus ou à son épouse. La maison était déserte.


Non. En entrant dans l’atrium, Cornélia entendit des pas venus d’en face, du tablinum. Elle avança sur l’allée de gravillons blancs, au milieu des massifs de roses. Dans l’encadrement de l’entrée menant au tablinum, une silhouette apparut.


Servius Iunius se dressa là, les bras croisés sur la poitrine. Il ne portait pas les vestiges d’une nuit de débauche, mais une impeccable tunique laticlave bordée de deux bandes pourpres verticales. Cornélia sut alors qu’il était rentré depuis longtemps et que, s’il n’avait pas pu remettre sa toge plissée, faute de l’aide d’un serviteur, il avait longuement pris le temps de faire sa toilette.


Il l’attendait.


« Mákis, dit-elle en posant la main sur l’avant-bras de son esclave. Va te reposer. Je n’ai plus besoin de toi pour l’instant.


— Tu es sûre, Maîtresse ? demanda le jeune homme.


— Oui. Ne t’inquiète pas pour moi. »


Il hocha la tête, s’inclina devant Servius Iunius et se retira.


Cornélia se dirigea vers son époux. Sans dire un mot, elle passa près de lui pour pénétrer dans le tablinum. Là se trouvaient la chapelle des dieux Pénates, les coffres qui contenaient les masques des ancêtres de la gens Iunius, les rayonnages qui supportaient les archives familiales et les livres de compte. En les regardant, Cornélia songea qu’il s’agissait là de presque toute sa vie.


« D’où viens-tu ? » demanda Servius.


Il s’avança vers elle et l’observa des pieds à la tête. Cornélia admira son impassibilité ; elle savait trop de quoi elle avait l’air, avec sa stola déchirée, ses pieds nus et ses cheveux détachés.


« Cela fait des heures que je t’attends, reprit-il. Tu n’as pas passé la soirée chez ton amie, comme tu me l’avais dit, et tu n’as pas dormi ici non plus. Je te le redemande, Cornélia : d’où viens-tu ? »

Ma nouvelle La Nuit des Saturnales est disponible en ebook à tous mes mécènes de niveau Médée. 🙂

Ce petit article sur la religion romaine vous a plu ? Découvrez-en davantage sur l’antiquité et la mythologie gréco-romaines en vous abonnant à ma newsletter. Chaque dimanche, je vous emmène en voyage dans le temps. À bientôt !

Sources : OLIPHANT, Margaret, Atlas du monde antique, Éditions Solar, 1992, Paris

Crédits image en-tête : Triade Capitoline avec Jupiter, Junon et Minerve, Musée civique archéologique, Creative Commons Attribution ©Sailko

Rome : quand tout a commencé…

Les origines de Rome appartiennent certes à la légende, mais des traces archéologiques montrent que le mythe s’est nourri du concret de l’Histoire. D’Énée à Romulus en passant par Hercule, traçons à grands traits les épisodes fondateurs de la Ville qui sera un jour dite Éternelle !

Les glorieux prémices de Rome : Hercule et Énée

Une grande civilisation veut une légende qui explique son succès. Il était nécessaire que Rome ait connu des débuts hors du commun et, même en deçà des origines officielles, des espèces de prémices qui annonçaient un avenir glorieux.

Hercule, le héros de passage sur l’Aventin

Hercule (l’Héraklès grec) est un héros très aimé des Romains. Quoi de plus plaisant pour eux que de l’imaginer errant pendant ses travaux jusqu’au site de ce qui sera un jour la future Rome ?


Le contexte, c’est le 10e travail, celui qui consiste à voler les bœufs de Géryon. Hercule traverse l’Italie avec le troupeau. Il arrive aux abords de l’Aventin. Là vit Cacus, un géant cracheur de feu, fils de Vulcain.


Cacus vole quelques bêtes à Hercule. Très mécontent, le héros poursuit le géant jusque dans sa grotte de l’Aventin et le tue.


À l’époque romaine, cette histoire donnait une origine mythique au temple d’Hercule qui se trouvait sur le Forum Boarium (marché aux bestiaux de Rome). Il existe encore un temple d’Hercule Victor sur les bords du Tibre.

Temple d'Hercule Victor à Rome, sur l'ancien emplacement du Forum Boarium - Photo de Michael Wilson
Temple d'Hercule Victor à Rome, sur l'ancien emplacement du Forum Boarium - Photo de Michael Wilson

Énée, l’ancêtre de Romulus

Virgile nous conte cette histoire dans L’Énéide.


Quand Troie tombe sous les coups des Grecs, un Troyen s’échappe en portant son père sur son dos. Le père, c’est Anchise, le gentil berger qui a jadis séduit la déesse Aphrodite par sa beauté. Le fils qui le porte, c’est Énée. Le fruit de son union avec la déesse.


Énée traverse les mers jusqu’à s’installer en Italie, chez les Latins. Là, après moult péripéties, il fonde la cité de Lavinium. Il fait également souche : dans sa descendance, on compte un certain Romulus… mais aussi un dénommé Jules César.

Les origines légendaires de Rome : Romulus et Rémus

De la naissance des jumeaux à Albe…

Romulus et Rémus sont nés de l’union de Mars, dieu de la Guerre, avec une vestale, Rhéa Silvia.

Or, Rhéa Silvia n’est pas n’importe qui. Elle est la nièce du roi d’Albe, Amilius. Celui-ci a détrôné son frère, Numitor, le père de Rhéa Silvia.

Rhéa Silvia prend peur lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte. Elle sait qu’Amilius va ordonner la mort de ses enfants, car il craint d’être détrôné. Elle abandonne donc ses fils au fleuve du Tibre (selon d’autres versions, c’est Amilius qui les jette à l’eau).

Les eaux amènent les enfants jusqu’au pied d’une colline, le Palatin. Là, une louve les recueille et les nourrit.

Une louve… ou une louve ? En latin, le terme lupa recouvre deux réalités : la louve et la prostituée. Il est donc possible que les jumeaux aient été retrouvés et soignés par une prostituée.

On parle aussi d’un berger, Faustulus, qui les découvre auprès de la louve et les élève ensuite jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’âge adulte.

… à la naissance officielle de Rome

Bref ! Les jumeaux grandissent et finissent par se retrouver à la tête d’une bande de bergers-brigands redoutables. Ils retournent alors à Albe pour détrôner Amilius et remettre leur grand-père Numitor sur le trône.

Leur destinée est ailleurs, elle se trouve sur les lieux où ils ont échoué et ont été nourris par la louve (qui que soit celle-ci par ailleurs !). C’est le mont Palatin et le site de la future Rome, sur les bords du Tibre.

Le 21 avril 753 avant J.-C., d’après Tite-Live, Romulus creuse le sillon qui va matérialiser les limites sacrées de la nouvelle cité. Les dieux ont déterminé l’emplacement du sillon, leur volonté a été révélée par les augures (ici, l’observation du vol des oiseaux).

Une dispute éclate alors entre les jumeaux au sujet d’une question d’aînesse. Pour provoquer son frère, Rémus franchit le sillon. Furieux, Romulus le tue. Il sera ensuite le premier roi de Rome.

 

À écouter aussi : ce podcast sur la naissance de Rome.

Aux origines de Rome, Romulus tue Rémus. Gravure de Matthäus Merian l'Ancien (XVIIe siècle) - Bibliothèque universitaire de Dresde
Aux origines de Rome, Romulus tue Rémus. Gravure de Matthäus Merian l'Ancien (XVIIe siècle) - Bibliothèque universitaire de Dresde

Ce que disent l’archéologie et l’histoire sur les débuts de Rome

Régulièrement, des trouvailles permettent de faire coïncider les textes, les légendes et l’histoire.

Rome vers l’an 1000 av. J.-C.

Vers l’an 1000 avant J.C., d’après l’archéologie, les rives du Tibre étaient bordées de quelques huttes de forme ovale. Il s’agissait de villages de bergers qui occupaient le Palatin et quelques collines avoisinantes. C’est l’un des plus vieux sites du Latium que l’on ait retrouvés. Ces huttes, les plus anciennes de Rome se trouvent déjà dans le périmètre sacré attribué à Romulus, ce qu’on appelait alors le pomerium.

Rome au VIIIe siècle av. J.-C.

En 1985, sur le site de Rome, le professeur Cardini, archéologue, a retrouvé un fossé datant du VIIIème siècle avant J.-C., c’est-à-dire de l’époque où auraient vécu les jumeaux. Les villages de bergers s’étaient alors développés pour devenir des communautés plus importantes et diversifiées. Aux origines de Rome, ils entretenaient des rapports pacifiques avec les Grecs et les Étrusques.

Rome au VIIe siècle : les rois latins

Vers 650-600, les vestiges retrouvés indiquent l’émergence d’une ville qui se construit sur les sept collines de Rome, en commençant par celle du Palatin où, selon la légende, le berceau des jumeaux a échoué. Rome s’est développé jusqu’à inclure la vallée du Tibre. Elle est remarquablement située, puisqu’elle contrôle le franchissement du fleuve. C’est un point de passage commode entre le nord et le sud du Latium. C’est également un verrou sur la route du sel qui se trouve à l’embouchure du Tibre.

Au cours du VIIème siècle, sous les règnes des rois Tullus Hostilius et Ancus Martius, Rome agrandit son territoire en s’emparant d’Alba Longa, Albe la Longue, la cité des rois Amilius et Numitor de la légende. Plus tard, elle conquiert Ficana et d’autres villages qui lui donnent accès à la mer.

Tullus Hostilius et Ancus Martius sont les troisième et quatrième rois après Romulus et Numa Pompilius. Ces rois étaient d’origine latine ou sabine. Cela et de nombreuses influences sabines discernables dans la langue latine permettent de supposer qu’il y avait beaucoup de Sabins dans la population de la Rome primitive.

À la fin du VIIème siècle, Rome est devenue une ville. Le centre marécageux est drainé. On y installe un marché central, le Forum, qui est aussi un centre politique. Ce Forum est pavé. des bâtiments publics apparaissent : l‘autel de Vesta, la déesse du Foyer, et le palais royal, par exemple. Les sept collines sont entourées d’une enceinte. On commence aussi à construire un grand temple à Jupiter Capitolin.

Dans certains quartiers, les cabanes en chaume sont remplacées par des maisons à charpente de bois avec des fondations en pierre et des toits de tuile.

Rome au VIe siècle : les rois étrusques

Les fouilles archéologiques attestent que le Palatin a été la première colline habitée par les Étrusques qui ont dominé Rome au VIe siècle. Le premier roi est Tarquinius Priscus (Tarquin l’Ancien, 616-579). Il appartenait à une famille étrusque aisée qui s’était installée à Rome. Il est élu roi par les Romains après la mort d’Ancus Martius.

On peut supposer que, à cette époque, à Rome et dans certaines villes étrusques, certains groupes ou individus pouvaient choisir librement leur communauté et s’y faire accepter.

Les Étrusques apportèrent à Rome leur civilisation, leur artisanat et leur art, qui influencèrent profondément la culture romaine. Toutefois, Tarquin et ses successeurs furent des rois indépendants, et non des espèces de représentants d’une puissance étrangère. Les Romains finirent par renverser le dernier d’entre eux non pas car il était étrusque, mais parce qu’il s’était comporté comme un tyran aux yeux des sénateurs.

En effet, Tarquin l’Ancien avait ouvert le Sénat, qui était l’assemblée gouvernante des anciens, à d’autres personnes que les chefs des familles riches. Son successeur, Servius Tullius, créa même d’autres assemblées populaires. Lui, puis Tarquin le Superbe (Tarquinius Superbus) régnèrent sans l’assentiment de l’assemblée romaine originelle, la comitia curiata

Ce mode de gouvernance fut insupportable pour les grandes familles aristocrates. Elles renversèrent et chassèrent Tarquin le Superbe en 509. Alors commença la république romaine, qui allait durer près de 500 ans.

Tarquin le Superbe inaugurant le temple de Jupiter Capitolin à Rome - Peinture de Pierin del Vaga (XVIème siècle)
Tarquin le Superbe inaugurant le temple de Jupiter Capitolin à Rome - Peinture de Pierin del Vaga (XVIème siècle)

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Crédits image en-tête : Louve Capitoline – Sculpture en bronze montrant l’allaitement des jumeaux Romulus et Rémus par la louve – Musée du Capitole – Photo de Matthias_Lemm

Sources : OLIPHANT, Margaret, Atlas du monde antique, Éditions Solar, 1992, Paris

Les Saturnales : fêtes de la liberté ?

Les Saturnales romaines : à entendre ce mot, on imagine toutes les licences ! Ces fêtes de la Rome antique étaient-elles une vraie période de liberté ? D’où viennent-elles et quel est le rapport avec notre Noël actuel ? Partons d’abord à la rencontre du dieu qui leur a donné leur nom avant d’aller plonger dans les réjouissances !

Les Saturnales, des fêtes vouées à Saturne

Saturne, dans l’imaginaire contemporain, c’est juste l’équivalent du Cronos grec. Vous savez, le père de Zeus, le Jupiter romain. Il a d’abord détrôné son père, Ouranos. Puis, comme il s’est révélé le même genre de tyran que celui-ci, Zeus lui a pris le pouvoir.

Ce syncrétisme Saturne-Cronos ne rend pas justice au Saturne romain des origines. En effet, Saturne est un dieu italique très ancien. Il aurait été accueilli à Rome par Janus. On constate dans les écrits et les sources archéologiques qu’il est solidement implanté à Rome dès l’époque républicaine. Son temple est alors situé près du Forum (on en voit toujours les glorieux vestiges).

Saturne est lié à un âgé d’or, de bonheur et de prospérité exceptionnelles. C’est lui qui enseigne aux hommes la culture de la terre et la taille de la vigne. Il leur donne aussi leurs premières lois. On le représente toujours avec une serpe ou une faucille.


On peut donc comprendre pourquoi Saturne est associé à l’abondance, la fête et la ripaille !

Perspective nocturne sur le forum, avec à gauche l'arc de Septime Sévère, au centre le temple de Saturne et tout au fond le Colisée
Le temple de Saturne sur le Forum Romain (photo https://coinsdumonde2.blogspot.com)

Les Saturnales, fêtes de la réjouissance

Les Saturnales romaines, ou fêtes de Saturne, sont donc originellement des réjouissances paysannes. Elle ont lieu à un moment charnière de l’année : celui du passage d’une année à une autre. Ce n’est pas anodin si elles se déroulent lors du solstice d’hiver. Après cette date, les nuits vont raccourcir, la belle saison et la végétation revenir. C’est pourquoi, lors des Saturnales, les Romains s’offrent des chandelles de cire, sigillaria, qui symbolisent le soleil. Ils décorent aussi leurs maisons avec du lierre et du houx. On échange des petits cadeaux et des invitations.


Tous ces petits détails ne nous sont pas étrangers. Ils sont passés dans les fêtes de fin d’année que nous connaissons, Noël et les autres.


Les Saturnales ne sont pas seulement des fêtes des campagnes. Elles sont rapidement célébrées partout en Italie, et bien sûr à Rome ! Elles commencent le 17 décembre et durent plusieurs jours. Jules César en allonge encore la durée.


Pendant ces fêtes, on sacrifie aux dieux et on organise des banquets. Les écoles, les tribunaux et les bureaux sont fermés. Tout le monde se retrouve dans la rue pour danser en criant : « Io Saturnalia ! Bona Saturnalia ! »

Les Saturnales : des fêtes de la liberté ?

Le fait marquant des Saturnales, c’est que les règles sociales sont bousculées le temps de quelques jours.


Ces fêtes sont censées abolir la distance entre les hommes. Tout est permis à tous, y compris aux esclaves. D’ailleurs, les hommes libres ne revêtent pas leur toge. Tout le monde endosse le pileus, le bonnet d’affranchi.


On peut même voir des maîtres servir leurs esclaves ! Ces derniers ont le droit de se défouler, en paroles comme en actes, et de boire du vin sans retenue.


Fêtes de la liberté, oui… mais transitoires, car ce défoulement n’est que passager et chacun reprend la place qui lui est assignée par la Fortune aux lendemains des réjouissances.

Mosaïque de Pompéi montrant les Saturnales romaines
Mosaïque de Pompéi montrant les Saturnales romaines

Une petite plongée dans les Saturnales romaines ?

J’ai écrit une nouvelle qui suit les vagabondages d’une matrone romaine lors d’une nuit des Saturnales complètement folle, dans le sillage d’un dieu irrévérencieux et malicieux. Ce texte montre ces fêtes comme un évènement permettant la dépossession (et la re-possession) de soi.

En voici un extrait qui plonge dans le délire de la foule en liesse :

Quand Cornélia rouvrit les yeux, elle n’était plus dans Subure. La nuit était immensément vaste au-dessus d’elle, et piquetée d’étoiles qui vacillaient.


Ou était-ce elle qui tanguait, comme un navire ? Elle balançait au milieu de la foule.


« Io Saturnalia ! Bona Saturnalia ! »


Ces mots remplis de liesse la grisaient, autant que ces corps qui se pressaient contre elle et que ces mains qui frôlaient les siennes au milieu du ciel enténébré. Elle joignit ses cris aux autres. Autour d’elle, des pileus, des bonnets d’affranchi, à perte de vue, sur toutes les têtes. Quelqu’un l’en coiffa aussi.


Elle fut portée vers l’avant par la foule. Peu à peu, une silhouette immense apparut au-dessus des pileus. Un visage de pierre, penché sur un nourrisson et tout prêt à le dévorer. Saturne ! Cornélia frémit. C’était Saturne, qui avait dévoré ses enfants avant que Jupiter les libérât ! Avant qu’il entravât son père de chaînes et l’emprisonnât ici, à Rome, pour l’empêcher de laisser libre cours à sa sauvagerie !


« Saturne ! clama une voix familière à Cornélia. Celui qui arrache l’homme à sa vie ! Celui qui le libère ! »


Elle perçut vaguement, dans les remous de la foule, l’éclat rouge d’une tunique, et un rire. Une main saisit la sienne et l’entraîna au plus près du spectacle. Là, les Romains et les Romaines empoignaient les chaînes qui retenaient Saturne pour le libérer. La liberté, une fois, une seule fois dans l’année !


« Io Saturnalia ! Bona Saturnalia !


— Bona Saturnalia, grand-père ! » rugit une voix au-dessus des autres.


Les cris assaillirent Cornélia.


« Je t’emprunte tes fêtes, Saturne ! Maintenant, Romains, dansez ! »


Une houle saisit la foule, qui se mit à se balancer. Les mains se lièrent les unes aux autres. Cornélia tendit instinctivement la sienne et saisit des doigts inconnus, qui se refermèrent sur les siens avec force. Ses pieds se mirent en mouvement d’eux-mêmes. Comme un grand corps enivré, la foule se mit en branle, en trébuchant à moitié et en piétinant ceux qui n’avaient pas été pris dans la transe.

Cette nouvelle sur les Saturnales romaines fait partie de ma Bibliothèque de Médée, accessible en téléchargement à tous mes mécènes Médée parmi de nombreux autres titres.

"Les Saturnales romaines" d'André Castaigne
« Les Saturnales romaines » d'André Castaigne - 1900 (Crédit photo : carlylehold sur flickr.com)

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Crédit image d’en-tête : Les Saturnales d’Antoine Callet, 1783, Louvre