Grande colonnade d'Apamée pour illustrer l'urbanisme hellénistique en Syrie - Crédits photo Bernard Gagnon

À quoi ressemblent les villes en Syrie hellénistique ?

Attention, ici, je vais vous parler des villes qui ont été fondées à l’époque hellénistique, comme Apamée, Laodicée, Damas, etc. On va donc parler de l’urbanisme de la Syrie hellénistique dit « colonial » : celui des fondations des rois macédoniens, Alexandre et ses successeurs séleucides.

Ces villes se ressemblent beaucoup :

  • un plan régulier à damier
  • des îlots égaux et rectangulaires
  • un rempart qui suit les reliefs du terrain
  • un espace emmuraillé beaucoup plus vaste que celui effectivement urbanisé

Ce sont les caractéristiques de l’urbanisme hippodamien.

(Je vous parle aussi des fondations d’Alexandre et du diadoque Antigone en Syrie ici.)

Un urbanisme syrien de type hippodamien

Plan hippodamien versus plan pergamien

Pour ce qu’on en voit, l’urbanisme des fondations hellénistiques en Syrie dérive des plans hippodamiens de l’époque classique. Ce sont par exemple les plans de Milet, du Pirée, de Rhodes ou de Priène.

A contrario, en Syrie hellénistique, on ne voit pas d’urbanisme de type pergamien. Ce type pergamien est caractérisé par :

  • l’adaptation au terrain
  • l’utilisation rationnelle des pentes
  • l’aménagement de terrasses
  • la mise en scène du paysage urbain
  • la hiérarchisation des quartiers en fonction de leur rôle

L’urbanisme pergamien nécessite donc un minimum de dénivellation.

Quand je dis qu’on n’en voit pas en Syrie hellénistique, attention : on ne connaît pas bien les aménagements de toutes les villes. Par exemple, Cyrrhos, Gadara ou Philadelphie étaient des villes situées sur des territoires vallonnés. Peut-être qu’on avait utilisé le paysage pour mettre en valeur des quartiers différenciés.

Un plan en damiers généralisé

Pourquoi a-t-on choisi plus largement, pour ce qu’on en sait, le plan hippodamien ? Probablement parce que ça s’adapte facilement à des terrains plutôt plats, contrairement au plan pergamien.

Les travaux de Jean Sauvaget ont permis de retrouver le plan antique de Laodicée dans le dédale de la ville moderne. L’archéologie a aussi restitué celui d’Apamée, de Doura, d’Apamée sur l’Euphrate. On connaît un peu celui d’Antioche, d’après des descriptions tardives.

Tous ces plans se ressemblent beaucoup : des lots rectangulaires, deux fois plus longs que larges, en général entre 48 x 96 mètres et 58 x 112 mètres. Exemples :

  • 57 sur 112 mètres à Laodicée
  • 58 sur 112 mètres à Antioche

Les deux villes ont été fondées en même temps.

Dans ces cités, on ne voit pas d’axes principaux : toutes les rues semblent à peu près identiques.

Attention toutefois : dans la plupart des cas, on ne connaît pas beaucoup plus que le plan des villes de Syrie hellénistique. Les autres éléments de l’urbanisme de la Syrie hellénistique ont disparu.

Où sont les grands édifices publics ?

Cachés dans le plan hippodamien ?

Contrairement aux villes qui ont un plan pergamien, le terrain de la plupart des villes que nous connaissons ne se prête pas à la mise en évidence d’édifices publics.

Et, effectivement, il n’y a pas de secteurs réservés visibles pour les édifices publics, dont la disposition bousculerait la régularité du quadrillage, comme dans le plan pergamien. Ces édifices publics prennent juste plus de place : 2 lots ou plus du damier. Antioche est la seule ville qui semble avoir un quartier réservé au roi et à l’administration, sur l’île de l’Oronte.

De fait, on pense parfois qu’il n’y a pas eu de grand développement monumental. Mais comment en être sûr, alors que les niveaux hellénistiques sont enfouis sous les nombreux aménagements romains ?

À Antioche, on ne voit pas de grands édifices hellénistiques avant Antioche IV. Pourtant, les Séleucides qui ont régné avant lui ont sûrement eu envie de rivaliser avec les Lagides. Ces derniers avaient édifié des palais en bordure du port d’Alexandrie.

Des preuves matérielles et littéraires

On a retrouvé de riches maisons près de l’Euphrate à Jebel Khālid. Les sanctuaires des cités, quant à eux, ont certainement été construits en dur et embellis avec le temps.

Polybe parle des monuments de Séleucie à l’époque où Antiochos III essaie de reprendre la ville aux Lagides, en 219. Les archéologues, eux, n’ont quasiment rien retrouvé et pourtant, voici la description de Polybe :

« La situation de Séleucie et la nature des lieux alentour sont les suivants. Elle se situe au bord de la mer entre la Cilicie et la Phénicie, et au-dessus s’élève une très haute montagne nommée le mont Coryphaion, baignée sur son côté ouest par l’extrémité de la mer qui sépare Chypre de la Phénicie, mais, depuis ses pentes orientales, elle domine les territoires des Antiochiens et des Séleuciens. Séleucie se trouve sur la pente du côté sud, séparée par un ravin profond et difficile à franchir, descendant et s’arrondissant en courbes jusqu’à la mer, et est entourée de la plupart des côtés par des falaises et des roches abruptes. En bas, sur le plat le long de la mer se trouvent le quartier commerçant (emporia) et le faubourg, défendus par des très puissantes murailles. Toute la cité se trouve de la même manière protégée par un mur très coûteux et est magnifiquement ornée de temples et d’autres beaux édifices. Du côté qui regarde la mer, on n’y accède que par un escalier taillé dans le roc avec de fréquentes rampes et lacets tout au long du chemin. »
(Polybe, V, 59)

Une organisation faite en une seule fois

Pendant le mandat français en Syrie, il y a eu étude de la couverture aérienne pour en savoir plus sur l’urbanisme de la Syrie hellénistique. Cette étude a montré un lien étroit entre l’orientation du plan et celle des cadastres de tout ou partie de la campagne environnante. On peut donc supposer que l’organisation du sol s’est faite en une seule fois.

Cette organisation se voit très bien pour Laodicée et Antioche. Il y a notamment une vraie continuité entre le plan urbain d’Antioche et le cadastre de la campagne proche qui est située à l’ouest de la ville. Soit c’est un lotissement initial, soit c’est une opération cadastrale liée à l’extension de la ville, par exemple à la création d’un nouveau quartier. Il y a eu plusieurs créations sous Antiochos IV.

L’urbanisme de la Syrie hellénistique : ville par ville

Toutes les villes fondées en Syrie à l’époque hellénistique ne se sont pas développées au même rythme.

Antioche

À l’origine, quand Séleucos Ier a fondé Antioche, il a aménagé deux quartiers :

  • le quartier royal de l’île
  • le quartier d’habitations des colons au sud

Séleucos II Callinicos (246-226) a créé un troisième quartier. Antiochos IV (175-164) en a fondé un quatrième qui a presque doublé la superficie de la ville.

À l’époque, il y avait peut-être déjà des habitats intercalaires entre ces quartiers, comme il y en avait au Ier siècle ap. J.-C. La ville se développait rapidement. Avant même la mort de Séleucos Ier, il semble que le roi avait transféré sa capitale de Séleucie à Antioche : c’est une preuve de son succès. La création des quartiers permettait d’organiser l’espace pour les nouveaux venus. On intégrait alors des banlieues qui s’étaient développées toutes seules.

D’ailleurs, le fait qu’Antiochos IV fasse doubler la superficie de la cité montre une brusque poussée de la population avant le milieu du IIe siècle.

Apamée

Au IIe siècle, Apamée construit une immense enceinte de presque 7 kilomètres de circonférence. Bien sûr, à l’intérieur, l’espace n’était sans doute pas entièrement bâti : les fondateurs prévoyaient toujours de la place libre à l’intérieur des murs.

Pourtant, à la fin de ce même siècle, la ville débordait au-delà de la porte nord. On y prolongeait une grande colonnade avec des portiques et des boutiques. Est-ce qu’il s’agissait d’une extension ou du remplacement d’une colonnade plus ancienne ?

Et surtout : pourquoi serait-on sorti de l’enceinte s’il y avait encore de la place à l’intérieur ? Soit il n’y avait effectivement plus de places dans les murs. Soit, c’est possible aussi, on voulait organiser l’espace près de la porte, parce que c’était un point de commerce entre la ville et sa chôra.

Doura-Europos

C’est un exemple très intéressant d’urbanisme de la Syrie hellénistique.

La ville primitive

D’après les sources anciennes, c’est Séleucos Ier qui a fondé Doura. Mais à l’époque, il a sûrement créé une colonie militaire, pas une cité.

La colonie, fortifiée, était sans doute un établissement militaire construit autour de la citadelle, près du fleuve. Une zone d’habitat s’y serait développée, comme souvent autour des camps, mais sans plan régulier de type hippodamien. Elle aurait constitué une ville basse dans l’échancrure du plateau.

La loi grecque de Doura sur les successions (non datée) confirme que le roi distribue les lots de terre et que ces derniers lui reviennent quand il n’y a pas d’héritiers. Mais il ne fixe pas le statut de la communauté : colonie militaire ou cité.

Le développement du IIe siècle

Pourtant, les archéologues ont bien dégagé des rues avec plan en damiers. Mais les céramiques trouvées en-dessous des rues les plus anciennes montrent une datation tardive.

La façade à bossage du stratègeion de Doura remonte elle aussi au plus tôt au début du IIe siècle. Quand au premier dépôt d’archives dans le chréophylakeion, il date de 129-128.

En fait, vers le milieu du IIe siècle ou un peu avant, il y a eu un grand programme urbanistique :

  • la construction d’une enceinte de prestige
  • le lotissement régulier de l’espace
  • une rue principale tracée dans l’axe de la porte de Palmyre
  • un espace réservé pour une agora

La cité érige ainsi une enceinte en pierre après 150 av. J.-C. Cette enceinte ne remplace pas une muraille plus ancienne qui se serait trouvée au même endroit. Elle répond à une extension récente de la ville, bien au-delà de la zone primitive.

Doura est devenue une cité grecque au IIe siècle, quand elle a commencé à occuper le plateau.

Quand les Parthes arrivent

Sauf que les Parthes approchent et tout s’arrête. Le rempart est terminé rapidement. Le lotissement et l’agora sont inachevés.

Après l’arrivée des Parthes, le secteur près des remparts devient un dépotoir. La zone habitée se développe quand même selon le schéma prévu. Les îlots situés sur les marges sont juste peu réguliers.

Comparaison de Doura et de Jebel Khālid

À titre de comparaison pour mieux comprendre l’urbanisme en Syrie hellénistique, on peut aller voir du côté de Jebel Khālid, situé entre la frontière turco-syrienne et le coude de l’Euphrate, près de Yusef Pasha. Le site est un long chaînon de 1 500 mètres sur la rive ouest du fleuve.

Le sommet est enfermé dans une enceinte hellénistique de 3,4 kilomètres, comme à Doura. C’est une enceinte de type « Geländemauer », qui enferme tout l’espace en suivant la topographie, comme à Doura ou Apamée. Un réduit sert d’acropole.

D’après les archéologues, c’est le siège d’une colonie militaire fondée vers la fin du IVe siècle ou le début du IIIe siècle. Elle a peut-être été construite pour garder un passage sur l’Euphrate, puis elle a été évacuée à la fin de l’époque hellénistique. On ne connaît pas son nom antique. Encore une fondation séleucide non identifiée.

C’est intéressant de la comparer à Doura, car elle lui ressemble beaucoup à ses débuts. Mais Doura, elle, s’est développée comme une ville. Jebel Khālid est resté un poste de garnison. Elle ne possédait qu’une riche résidence avec cour à péristyle.

Toute fondation n’aboutit pas à une polis. Toutes n’ont d’ailleurs pas cette vocation.

Vie et mort des cités antiques de Syrie

Toutes ces villes ont un point commun : un fort développement au IIe siècle, sous le règne d’Antiochos IV.

Ce roi est d’ailleurs le seul à procéder à de nouvelles fondations urbaines (Épiphaneia-Hama) et à des refondations (Nisibis).

Mais le développement urbain se poursuit après lui. Doura se développe encore sous l’occupation parthe. Les plus anciennes traces d’occupation hellénistique de Gérasa datent aussi de la seconde moitié du IIe siècle et Pella déborde de son tell primitif à cette époque.

Il s’agit peut-être de grandes réussites. Peut-être aussi des regroupements de colons éparpillés issus de cités moribondes.

Nous possédons beaucoup de noms de fondations et nous ne savons pas du tout où elles se trouvaient. Il y a eu aussi beaucoup de tentatives avortées et de fondations morts-nées. Des villes ont existé et existent toujours, plus de 2 000 ans après. D’autres ont existé pendant un siècle ou plus puis ont disparu à l’époque romaine impériale, sans laisser de traces ou presque. Comme Apamée de l’Euphrate (ou d’Osrhoène) aux superbes remparts hellénistiques, abandonnée à la fin du Ier siècle av. J.-C. et dont l’espace urbain servait de nécropole aux IIe-IIIe siècles.

Cet article sur l’urbanisme de la Syrie hellénistique vous a plu ? Abonnez-vous à ma newsletter pour plus de voyage dans l’antiquité. À bientôt !

Sources : SARTRE Maurice, D’Alexandre à Zénobie. Histoire du Levant antique. IVe siècle av. J.C. – IIIe siècle ap. J.C., Fayard, 2001

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

En me laissant une note, vous encouragez mon travail. Merci ! 🙂

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *