Quand on fonde une cité, dans le monde grec, il y a un premier impératif. Lui donner un territoire : une chôra.
Qu’est-ce que c’est, la chôra en Syrie hellénistique ? Je vous explique :
- d’où elle vient et à qui elle appartient
- son étendue et sa répartition entre les cités
La terre au Levant antique : qu’en fait-on ?
Il y a des terres agricoles en Syrie du Nord. À qui appartiennent-elles, juridiquement, à l’époque hellénistique ?
Au roi. Alexandre et ses successeurs séleucides sont propriétaires de la terre par droit de conquête (droit de la lance). Ça concerne toutes les terres du royaume. Le souverain peut donner ces terres à qui il veut : ses amis comme sa famille. Ainsi, Antiochos III donne la Koilè-Syrie, la Samarie, la Judée et la Phénicie en dot à sa fille Cléopâtre lorsque celle-ci épouse Ptolémée V, le roi lagide.
Le souverain peut aussi donner de la terre aux cités qu’il fonde.
Ces terres ne sont pas vides, évidemment. Il s’y trouve sans aucun doute déjà des villages qui exploitent le sol. Et c’est tant mieux pour le roi et les cités, car la chôra, ce territoire civique, doit répondre dès le départ aux besoins des colons et aussi du fisc royal !
La perpétuation des villages indigènes
On n’a pas intérêt à confisquer toutes les terres aux paysans indigènes pour les donner aux colons grecs et macédoniens. Les paysans connaissent leurs terres et savent la cultiver. Ils peuvent donc produire des ressources pour la cité. Ils lui apportent également de l’argent via un impôt.
Les rois ont sûrement alloué les terres proches de la fondation à des colons, mais il s’agit d’une part restreinte du territoire de cette cité nouvelle. Les villages qui étaient déjà là avant la conquête restent en place. La seule différence, c’est que, désormais, ils font partie de la chôra de la cité.
Selon Pierre Briant, historien spécialisé en antiquité perse et grecque, les paysans indigènes deviennent des « périèques » des villes nouvelles et lui paient un tribut. C’est une sorte d’application des recommandations d’Isocrate, Xénophon et Aristote, qui recommandaient de transformer les « Barbares » en « périèques » ou « hilotes » des Grecs.
Quelle taille pour la chôra en Syrie ?
On ne sait pas trop quelle taille avaient les territoires des fondations séleucides, mais on peut faire des suppositions.
Comparaison avec le territoire colonial
D’abord, on peut comparer l’étendue de la chôra à celle de la cité proprement dite, ce qu’on appelle le territoire colonial. Les rois prennent des terres pour installer la ville et y lotir les nouveaux citoyens-colons. En général, ce territoire est très grand par rapport à sa population. On n’a pas besoin de tant de place que ça pour lotir les colons, mais on est prévoyant.
Antioche, par exemple, aurait été constituée de 5 300 lots de 5 ou 10 hectares au commencement. Séleucie, quant à elle, avait 6 000 habitants en 220 (ce nombre ne comprend sans doute que les seuls citoyens). Et encore, ces deux villes-là ont été conçues comme des capitales royales. On y envisageait des populations abondantes. Beaucoup d’autres fondations n’ont jamais atteint ces chiffres de population.
Telle est la taille de la cité en elle-même, à ne pas confondre avec la chôra.
Attention : ça ne veut pas dire que TOUT le territoire syrien a été partagé entre les cités. Si on avait fait ça, il n’y aurait plus eu de place pour des fondations ultérieures. En plus, le roi se serait privé d’une part importante de revenus (n’oublions pas qu’il possède toute la terre et qu’il peut donc taxer lui aussi les paysans qui dépendent de lui).
Alors, où s’arrêtent les différentes chôra en Syrie ?
Les limites des chôra civiques
Eh bien, nous ne savons pas vraiment ! Mais nous avons des indices.
Pour Antioche et Séleucie
L’un des rares indices, c’est l’utilisation de l’ère civique des villes d’Antioche et Séleucie. Mais ça nous donne une indication uniquement pour une période tardive, à partir du milieu du IIe siècle, voire du Ier siècle av. J.-C.
Explications : au Levant antique, on utilise une ère spécifique pour dater les évènements et se situer dans le temps. C’est l’ère séleucide. Elle est utilisée partout.
Toutefois, Antioche utilise une ère distincte, l’ère césarienne, à partir de 49 av. J.-C. (époque romaine). Et Séleucie institue l’ère de la liberté en 109 av. J.-C.
Grâce à ces ères, on voit apparaître les limites entre les territoires de Séleucie, Antioche et Laodicée, qui leur est contiguë.
Ainsi, la limite entre Séleucie et Antioche se situerait approximativement près du mont Admirable qui se trouve sur le territoire de Séleucie. À l’est et au sud, du côté de Béroia, Chalcis et Apamée, les limites sont encore plus nettes.
Pour les autres cités de Syrie
Par contre, pour les autres cités de Syrie du Nord et du centre, on ne sait pas, car elles utilisent toujours l’ère séleucide. On ne peut donc pas distinguer le territoire des cités de celui des villages de la basilikē chôra (campagne du roi), ni fixer les frontières entre les différents territoires civiques.
Strabon nous dit certes que, avant 200, le territoire d’Apamée s’étend au sud jusqu’à la frontière égyptienne, donc jusqu’au lac de Homs. Mais parle-t-il du territoire civique ou plus généralement de celui de la satrapie ? Mystère.
Bref, on ne peut pas redessiner la carte du royaume séleucide et ses territoires et chôra, en tout cas au moment de la création des cités. Elles étaient plus vastes que le besoin de lotissement des colons mais, ce qui est sûr, c’est qu’elle n’englobait pas tout le territoire. Car, à côté des villes, il y avait aussi les terres royales, les domaines des temples et les domaines privés.
Cet article sur la chôra en Syrie vous a plu ? Retrouvez-moi dans ma newsletter pour un petit voyage régulier dans l’antiquité !
Sources : SARTRE, Maurice, D’Alexandre à Zénobie. Histoire du Levant antique. IVe siècle av. J.-C. – IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, 2001
Image d’en-tête : Villages abandonnés plus tardifs (à partir du Ier siècle ap. J.-C.) – Image issu du site web https://medomed.org/featured_item/ancient-vilages-of-northern-syria-syrian/
À PROPOS DE L'AUTEURE
Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.
Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.
Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.