Étude du peintre Charles LeBrun pour son tableau Alexandre en Judée - Louvre

Et Alexandre rencontra les Juifs

Quelle rencontre ! Celle d’un roi conquérant, Alexandre, dont le nom va se répercuter de siècle en siècle, et d’un des peuples les plus anciens du monde, celui de la Bible.

Sauf que l’Histoire ne nous dit rien de la façon dont s’est passée l’arrivée d’Alexandre le Grand en Judée et Samarie. Nous avons 2 versions, celle des Juifs et celle des Samaritains, fortement orientées politiquement. Et quelques allusions plus vraisemblables historiquement parlant, mais très ténues.

Je vous présente les unes et les autres dans cet article. 🙂

Les récits juifs et samaritains sur Alexandre au Levant

Les Juifs et les Samaritains parlent d’Alexandre. Toutefois, les récits que je vais vous mentionner ont un intérêt éminemment politique. Ils évoquent en effet des privilèges et des fondations. Selon ces récits, c’est Alexandre le Grand qui les a initiés lorsqu’il a rencontré les Juifs et les Samaritains.

Mais mais mais… Juifs et Samaritains en donnent des versions sensiblement différentes !

Nos sources :

  • Flavius Josèphe (37/38-100) raconte le passage d’Alexandre en Syrie et Phénicie. C’est le seul auteur classique que nous connaissons qui parle des relations entre le roi-conquérant et les Juifs et Samaritains.
  • Le Talmud (Rouleau des Fêtes, Megillat Ta’anit) et une chronique samaritaine évoquent les mêmes évènements, mais ils développent des versions opposées.
Carte des conquêtes d'Alexandre le Grand en Judée et Samarie et dans le reste du monde méditerranéen et oriental
Carte des conquêtes d'Alexandre le Grand - Carte issu du site L'Histoire : https://www.lhistoire.fr/portfolio/carte-les-%C3%A9tapes-de-la-conqu%C3%AAte-dalexandre-le-grand

La version juive de l’arrivée d’Alexandre

Flavius Josèphe évoque l’évènement au travers de deux récits :

  • l’un sur les relations entre Alexandre et les Samaritains
  • l’autre sur les rapports entre Alexandre et les Juifs

La rencontre entre les Juifs et Alexandre selon Flavius Josèphe

Pendant le siège de Tyr par Alexandre, le roi-conquérant invite le grand-prêtre Yaddous à lui verser le tribut que les Juifs payaient au roi perse Darius. Il demande aussi à ce que les Juifs entrent dans l’alliance macédonienne.

Yaddous refuse au nom du serment de fidélité prêté au Grand Roi perse. Alexandre se fâche : après la chute de Tyr, il marche contre Jérusalem.

Les Juifs prennent peur. Le grand-prêtre et des notables vont au-devant d’Alexandre le Grand en Judée, en tenue de suppliants. Or, à la surprise de tous, le roi macédonien se prosterne devant Yaddous dès qu’il le voit. Que s’est-il donc passé ?

Flavius Josèphe explique qu’Alexandre a subitement reconnu Yaddous. Il l’avait vu dans un songe, autrefois : dans ce rêve, Yahweh lui promettait la victoire et la conquête de l’Asie. Alexandre oublie donc sa colère. Il entre dans Jérusalem et fait sacrifier à Yahweh en son nom. Puis il accorde des privilèges (les fameux privilèges !), dont une exemption fiscale sabbatique.

Il demande aussi aux Juifs de s’enrôler dans ses armées, en promettant que leur religion y sera respectée.

La rencontre entre les Samaritains et Alexandre selon Flavius Josèphe

On voit que les Juifs sont représentés de manière positive dans le récit de Flavius Josèphe (qui était juif). Lorsqu’il évoque les Samaritains, le récit est moins louangeur.

D’abord, Flavius Josèphe rappelle les relations orageuses entre Juifs et Samaritains. Notamment que Manassé, le propre frère du grand-prêtre Yaddous, s’est enfui et a rejoint son beau-père… qui n’était autre que le gouverneur de Samarie, Sanballat.

Contrairement aux Juifs, les Samaritains n’ont pas respecté pas la parole donnée aux Perses. Sanballat abandonne le parti de Darius III dès le lendemain d’Issos (la bataille victorieuse d’Alexandre contre Darius, qui lui a ouvert la porte de la Phénicie). Il se soumet à Alexandre au début du siège de Tyr. Il lui amène même 8 000 hommes.

En échange, Alexandre lui accorde une fondation : la construction d’un temple sur le mont Garizim. Un temple rival de celui de Jérusalem.

Manassé en devient grand-prêtre. On voit que c’est là que le bât blesse : il y a une fêlure dans le judaïsme tel qu’il a été conçu par les autorités juives après le Retour d’Exil de Babylone (un seul Temple, un seul grand-prêtre, une seule Loi). C’est la source du différend entre Samaritains et Juifs.

Flavius Josèphe explique aussi que les Samaritains se déclarent Juifs et réclament à Alexandre les avantages qui ont été accordés à Yaddous, par exemple l’exemption sabbatique. Ne sachant trop à quoi s’en tenir, Alexandre repousse sa décision à plus tard.

Quelques soldats samaritains le suivent tout de même en Égypte et s’y installent, en Thébaïde selon Flavius Josèphe.

Alexandre le Grand en Judée et Samarie selon le Talmud

Un commentaire du Rouleau des Fêtes (Megillat Ta’anit) explique l’origine de la fête du 21 Kislev (« Jour du mont Garizim »). C’est le souvenir du triomphe remporté par les Juifs sur les Samaritains grâce à Alexandre.

Les Samaritains avaient frauduleusement obtenu d’Alexandre le droit d’édifier un sanctuaire sur le mont Moriah à Jérusalem. Les Juifs et leur grand-prêtre se plaignent au roi. Dans ce commentaire, le grand-prêtre est Simon le Juste, qui a en fait été grand-prêtre plus tard, au tournant des IIIe-IIe siècles.

À la vue de Simon, Alexandre s’agenouille encore car, une nouvelle fois, il a entrevu ce vieillard dans un songe. Il annule sa donation aux Samaritains et donne le mont Garizim aux Juifs pour que ces derniers le cultivent.

La version samaritaine de l’arrivée d’Alexandre

Une chronique samaritaine raconte quant à elle qu’Alexandre est venu à Sichem. Là, il s’est agenouillé (!) devant le grand-prêtre samaritain Hézékiah. Naturellement, il avait là aussi vu le vieil homme en songe et celui-ci lui avait ordonné de faire la guerre à ses ennemis en lui promettant en échange la victoire.

Alexandre le Grand en Judée et Samarie : la construction politique et la réalité

Pourquoi utiliser l’image d’Alexandre ?

On voit que les mêmes éléments reviennent sans cesse : imaginait-on Alexandre le Grand s’agenouiller autant ? Rappelons que les Grecs ne s’agenouillaient même pas devant leurs dieux.

Tous ces récits sont probablement fabriqués de toutes pièces, peut-être dès le siècle suivant, au IIIe siècle av. J.-C., ou même dès la mort d’Alexandre. Ce qui compte derrière ces récits, c’est la primauté (ou non) du Temple de Jérusalem.

Finalement, la seule chose que nous apprennent ces textes, c’est le prestige d’Alexandre aux yeux des Juifs et des Samaritains. Parce que tous ces récits s’appuient sur l’autorité du conquérant pour fonder leur bon droit aux yeux des maîtres postérieurs : rois lagides et séleucides puis empereurs romains.

Finalement, comment s’est passée l’arrivée d’Alexandre en Judée et Samarie ?

Malheureusement, nous n’en savons pas grand-chose !

Tout ce dont on est sûr, c’est qu’Alexandre a reçu la soumission de tout le Levant-Sud avant d’arriver à Gaza. Il avait dû ordonner aux Juifs et aux Samaritains de se soumettre. L’ont-ils fait de bonne grâce ou non ? On n’en sait absolument rien.

Nous n’avons gardé trace que d’un seul évènement avéré. Au printemps ou à la fin de l’hiver 331, les Samaritains se révoltent. Le satrape Andromachos, qui a été installé là par Alexandre, est brûlé vif par les révoltés. Alexandre, qui était en Égypte, revient en hâte pour mâter la révolte.

On a retrouvé les restes d’au moins 80 squelettes dans une grotte difficilement accessible du wādī Dāliyyeh, à 14 km de Jéricho. La répression a dû être violente. Dans la grotte, il y avait des archives provenant de toute la Samarie et qui dataient des années immédiatement antérieures à 332-331. les documents appartenaient peut-être à un groupe de fuyards.

C’est peut-être le diadoque Perdiccas, général d’Alexandre, qui s’est chargé de cette mission. Il fonde ensuite une colonie macédonienne à Samarie. On peut voir cette fondation comme une sanction contre les Samaritains et une précaution pour l’avenir, car Samarie était le plus important centre de la région dans la seconde moitié du IVe siècle.

Hormis ces éléments, nous ne savons rien de l’accueil fait à Alexandre le Grand en Judée et Samarie.

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Sources : SARTRE Maurice, D’Alexandre à Zénobie, Histoire du Levant antique – IVe siècle av. J.-C. – IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, 2001

Image d’en-tête : Étude de Charles LeBrun pour Alexandre en Judée – Louvre

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

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