Article mis à jour le 23 juin 2024
Dès l’époque mycénienne, les Grecs, ou quel que soit alors leur nom, prient les dieux. Pour la plupart, ces derniers ont déjà leur nom définitif. Quelques siècles plus tard, à l’époque d’Homère, les rites religieux de la Grèce antique sont bien établis.
Et, dans le détail, ils sont très complexes, car ils varient selon les lieux et les divinités. Toutefois, on connaît bien les principaux actes de ce culte. Ce sont la purification, la prière et l’offrande.
(Je parle des cultes, des processions, des sacrifices et des fêtes religieuses dans cet autre article sur la religion grecque.)
Avant la prière : la pureté rituelle
La pureté rituelle chez les Grecs, c’est quoi ?
La pureté rituelle est une condition préliminaire indispensable pour n’importe quel acte rituel.
Les rituels religieux sont sacrés. Certains lieux le sont aussi. Pour accomplir les uns et accéder aux autres, il faut respecter des exigences de propreté, de décence vestimentaire et de conduite. Si on ne respecte pas ces conditions, on est impur. On porte une souillure qui empêche d’approcher les dieux.
Notons que cette souillure est d’abord physique. L’idée de souillure morale ne va intervenir que dans les siècles suivants, à l’époque grecque classique.
Donc, avant tout geste pieux, dont la prière, on doit prendre des précautions.
(Pour en savoir plus, je vous invite aussi à découvrir ce podcast sur la religion grecque antique.)
Comment un Grec doit-il se purifier avant l’acte rituel ?
Homère nous donne des exemples de ces précautions dans l’Iliade et dans l’Odyssée.
- Au chant III, Priam et Agamemnon se rencontrent pour prononcer des serments. Avant toutes choses :
« Les hérauts magnifiques amenèrent ensuite les victimes des dieux, gages des serments, mêlèrent le vin dans un cratère, et versèrent aux rois de l’eau sur les mains. »
- Au chant XVI de l’Iliade, Achille veut prier Zeus :
« Ayant tiré cette coupe du coffre, il la purifia d’abord avec du soufre, et la rinça ensuite à belle eau courante ; puis, s’étant lavé les mains, il puisa du vin couleur de feu. Alors, se tenant debout au milieu de l’enclos, il pria et versa la libation de vin, en regardant le ciel. Et il n’échappa point à Zeus lance-foudre. »
- Au chant II de l’Odyssée, Télémaque veut prier Athéna. Comme il est sur la plage, il se lave les mains dans la mer pour se purifier.
Ce qu’Homère montre en pratique des rites religieux de la Grèce antique, Hésiode en fait des préceptes dans Les Travaux et les Jours :
« Jamais, à l’aube, il ne faut offrir ni à Zeus ni aux autres dieux des libations de vin sombre sans s’être lavé les mains : car alors ils ne t’écoutent pas et repoussent avec dégoût tes prières. »
L’usage des ablutions rituelles existent pendant toute l’époque classique. D’ailleurs, un bassin d’eau lustrale est mis à la disposition des visiteurs à la porte des sanctuaires. Pausanias signale une statue en bronze due à Lykios, fils de Myron (seconde moitié du Ve siècle), à l’entrée de l’Acropole d’Athènes : elle représente un jeune garçon qui porte un bassin réservé à cet usage.
De quelles souillures les Grecs doivent-ils se purifier ?
Il existe plusieurs sortes de souillures.
La souillure du sang
Quelques exemples dans Homère
L’une des plus graves est celle du sang versé.
Homère nous le montre encore dans l’Iliade, chant VI, lorsqu’Hécube invite Hector à recevoir une coupe de vin pour l’offrir en libation à Zeus. Son fils répond :
« Avec des mains impures, je n’ose offrir à Zeus une libation de vin couleur de feu ; il n’est jamais permis, quand on est souillé de sang et de boue, d’adresser des prières au fils de Cronos, dieu des sombres nuées. »
Quant à Ulysse, après avoir massacré les prétendants, il purifie son palais du sang en y faisant brûler du soufre (Odyssée, Chant XXII).
Le risque de contamination de la souillure
Une précision ici. La purification, ce n’est pas laver un meurtrier d’une faute. Peu importe qu’il ait tuer, c’est l’acte de verser le sang en lui-même qui provoque la souillure, même si l’acte de tuer avait des motifs légitimes ou des excuses.
Nous ne sommes pas dans une condamnation morale. La souillure est véritablement physique : si l’homme qui a tué ne se purifie pas, il risque de contaminer ceux qui vont le toucher.
C’est pour cette raison que le meurtrier est banni de la cité jusqu’à ce qu’il ait été purifié.
Dans une inscription du IVe siècle reproduisant les lois sacrées de Cyrène, on retrouve le détail de cet élément essentiel des rites religieux de la Grèce antique. Lorsqu’un suppliant coupable de meurtre sollicite son admission dans la cité, des précautions rigoureuses sont prises pour éviter tout contact entre l’individu en question et les citoyens.
Des peintures montrent la purification d’Oreste, meurtrier de sa mère Clytemnestre, par aspersion de sang d’un porcelet. En passant, ce rite choque le philosophe Héraclite :
« Il est vain de purifier avec du sang les hommes souillés d’un meurtre : quelqu’un qui a marché dans la boue se lave-t-il avec de la boue ? »
Mais nous sommes déjà dans une vision morale de la souillure.
La souillure de la mort
La mort est cause d’impureté.
Pausanias nous raconte qu’à Messène, dans le Péloponnèse, les prêtres ou prêtresses qui venaient de perdre un enfant devaient quitter leurs fonctions sacerdotales. La souillure de la mort les rendait incapables de servir les dieux.
En général, il était interdit d’ensevelir les morts dans des espaces sacrés. Seuls les héros avaient cet honneur.
Un exemple de cette règle, particulièrement drastique : l’île de Délos où se trouvait un sanctuaire à Apollon.
Au VIe siècle, Pisistrate fit purifier une première fois toute la zone de l’île sur laquelle le sanctuaire avait vue.
En 426-425, un oracle ordonna aux Athéniens, qui administraient ce sanctuaire, de purifier toute l’île. TOUTE l’île, cette fois.
Les Athéniens détruisirent toutes les tombes. Ils transportèrent les vases d’argile qui s’y trouvaient dans l’île voisine de Rhénée. Des fouilles modernes ont permis de les retrouver dans une fosse commune.
Désormais, il fut interdit de mourir dans l’île sacrée. Les agonisants étaient emmenés à Rhénée pour y rendre leur dernier souffle.
La souillure de l’accouchement
Les femmes étaient porteuses de souillure au moment de l’accouchement, probablement à cause du sang qui est versé à cette occasion. D’ailleurs, toujours à Délos, elles subissaient le même sort que les mourants : elles allaient accoucher sur l’île de Rhénée.
Dans les lois de Cyrène, on voit qu’une accouchée rend toute la maison dans laquelle elle se trouve impure. L’homme qui vit avec elle est touché aussi.
Un autre paragraphe évoque les cas de fausses couches. Si le fœtus a forme humaine, l’impureté est identique à celle de la mort. Si ce n’est pas le cas, on a affaire à une « souillure d’accouchement ».
Les rites religieux de la Grèce antique ne laissent pas place au flou sur ces questions.
La souillure de la relation sexuelle
La morale grecque antique ne considère pas l’amour physique comme un péché à la façon de la morale chrétienne. Mais, comme on l’a vu plus haut, on ne se place pas sur un terrain moral, en tout cas dans un premier temps, lorsqu’on parle de souillure religieuse.
Le sexe amène tout simplement une impureté matérielle. Hésiode l’évoque ainsi dans Les Travaux et les Jours :
« Engendre ta postérité non pas au retour d’un repas funèbre au sinistre présage, mais après le festin des dieux. »
Il est interdit de faire l’amour dans des sanctuaires, évidemment : ce sont des lieux sacrés. Hérodote attribue l’invention de cet interdit aux Égyptiens. Il dit que seuls les Égyptiens et les Grecs le respectent, tout comme ils sont les seuls à se laver après le coït s’ils veulent se rendre sur un terrain sacré.
Les lois de Cyrène confirment ce fait. Elles précisent que faire l’amour la nuit n’entraîne aucune souillure, mais qu’il faut faire des ablutions si on le fait pendant la journée.
Le mythe d’Atalante confirme cette interdiction sacrée. Elle et son amant Hippomène se transforment en lions après avoir transgressé cet interdit.
J’ai écrit une nouvelle sur le personnage d’Atalante, découvrez-la ici !
De la souillure matérielle à la souillure morale
Au fur et à mesure des siècles, quelques esprits préoccupés par les problèmes du bien et du mal se sont interrogés sur la valeur de cette pureté et l’ambiguïté qui peut exister entre éthique et sacré. Ils ont prolongée cette pureté sur le terrain moral.
Zeus et Apollon, les deux plus grands dieux purificateurs du panthéon, ont ainsi reçu facticement des rôles protecteurs de l’équité et de la morale. Hésiode en appelle ainsi à la justice de Zeus (il n’est que le premier). Apollon a un rôle comparable dans les Euménides d’Eschyle.
Bref, les Grecs de l’antiquité doivent être purs de tout contact avec les forces mystérieuses de la vie et de la mort lorsqu’ils veulent approcher du sacré et du divin.
Dans l’une de ces pièces de théâtre, Euripide fait dire à Iphigénie, prêtresse d’Artémis en Tauride :
« L’homme qui a pris part à un meurtre, celui qui a porté les mains sur une accouchée ou sur un cadavre, la déesse l’écarte de ses autels parce qu’il est, à ses yeux, marqué d’une souillure. »
La prière au centre des rites religieux de la Grèce antique
La prière antique : un dialogue
La prière répond à un besoin élémentaire de communication express avec le dieu.
Elle prend la forme d’un dialogue. Bien sûr, le dieu ne répond pas forcément, mais il est acquis qu’il a entendu.
C’est pour cette raison que la prière est verbale et qu’on la prononce à haute voix. Il n’y a pas de prière muette ni même de prière à voix basse dans l’antiquité grecque.
Ce fait dit assez à quel point la religion grecque antique est un phénomène social et collectif !
La prière orale est peut-être aussi le prolongement d’une croyance primitive dans le pouvoir magique des mots.
Pour autant, le Grec ancien ne croit pas du tout qu’il va réussir à contraindre le dieu grâce au pouvoir de la parole. Il veut juste se faire entendre.
Donc, la prière doit avoir du sens pour être comprise. Les onomatopées suivantes ne sont pas des prières :
- ié péan du culte d’Apollon
- évohé du culte de Dionysos
- alala guerrier
- ololugé ou lamentation des femmes (semblable au you-you des femmes arabes)
Les différents éléments de la prière
La prière est une invocation respectueuse. Le Grec commence donc par appeler le dieu par son nom. Le seul mot « dieu » ou « dieux » au nominatif suffit. C’est le cas utilisé pour l’exclamation ou l’interpellation. D’ailleurs, on retrouve souvent l’un ou l’autre de ces mots sur les stèles, en tête des décrets. Ce mot à lui seul est une prière.
Après l’invocation, toutefois, il y a parfois une demande adressée au dieu.
Pour obtenir sa bienveillance, le Grec lui rappelle les bienfaits que le dieu lui a déjà accordés et qui l’engagent. Il peut aussi parler des gestes pieux qu’il a effectués pour lui. Enfin, il peut promettre des largesses futures.
C’est ce que fait Pénélope dans l’Odyssée (Chant IV), quand elle prie Athéna :
« Entends-moi, fille de Zeus à l’égide, Atrytonée ! Si autrefois en ton honneur le sage Ulysse a fait brûler dans ce palais les cuisses de grasses victimes, génisse ou brebis, souviens-t’en aujourd’hui en ma faveur et sauve mon fils ! Des prétendants déjoue l’impudente entreprise ! »
On prie debout, devant la statue ou le sanctuaire, la main droite ou les deux mains levées. La paume est tournée vers le dieu.
On se prosterne uniquement dans certains cultes funéraires ou lorsqu’on s’adresse à des divinités chthoniennes. Dans ces cas-là, on frappe la terre de ses mains tout en priant.
Dans les rites religieux de la Grèce antique, on ne s’agenouille jamais devant les dieux. Théophraste, dans ses caractères, en parle comme d’un comportement d’hommes superstitieux. On s’agenouille seulement dans des rituels magiques (ce que la religion grecque n’est pas).
Après la prière : l’offrande
L’offrande accompagne souvent la prière, même si elle n’est pas obligatoire. Les Grecs espèrent ainsi se concilier la bienveillance du dieu. Toutefois, l’offrande n’a pas la valeur d’un marché. Le mortel peut juste espérer une contrepartie.
Une dédicace athénienne sur une statue du Ve siècle dit :
« Puisses-tu m’accorder de t’en consacrer une autre ! »
L’offrande est surtout l’occasion de montrer son respect et sa reconnaissance au dieu.
Un geste de piété populaire
Elle est parfois occasionnelle. Les Grecs des campagnes font ainsi des dons modestes dans les sanctuaires rustiques : un fruit, une poignée d’épis, des fleurs, des gâteaux, la dépouille d’un gibier. Ce sont les marques d’une piété populaire.
Plus tard, les poètes hellénistiques composent des épigrammes qui célèbrent ces offrandes dans des exercices littéraires :
« Reçois en témoignage de gratitude, ô Laphria [Artémis], de Léonidas, le vagabond, le miséreux, le crève-la-faim, ces parts de galette à l’huile, cette olive (un trésor !), cette figue verte toute fraîche cueillie ; prends aussi ces cinq grains de raisin détachés d’une belle grappe, maîtresse, et en libation le fond de mon pichet ! Tu m’as délivré de la maladie : tire-moi pareillement de la misère qui me harcèle, et je te sacrifierai un chevreau ! » (Léonidas de Tarente, IIIe siècle)
C’est un jeu de lettrés, mais un acte sincère de dévotion pour le paysan grec, et cela depuis des siècles.
Les offrandes prescrites par l’usage
Certaines offrandes sont inscrites dans l’usage quotidien. C’est le cas des quelques gouttes de vin que l’on verse par terre, chaque matin et chaque soir (selon Hésiode). On fait la même libation au cours du repas, avant de boire. Ainsi, le dieu reçoit sa part du plaisir pris à table.
Les rites religieux de la Grèce antique sont parfois publics. Des offrandes répondent à des traditions locales auxquelles le peuple grec est très attaché. Pausanias raconte :
« les gens de Liléa [ville de Phocide], à certains jours fixés, jettent dans la source du Céphise des gâteaux du pays et d’autres offrandes traditionnelles. »
On dit que ces gâteaux réapparaissent à Delphes, dans la fontaine de Castalie, après un parcours mystérieux.
Les offrandes offertes aux dieux dans ce cadre collectif sont aussi des objets précieux, souvent des vêtements. Il faut habiller les divinités, après tout. Dans l’Iliade, Hécube, reine de Troie, offre à Athéna le plus beau de ses voiles.
Lors des Grandes Panathénées, tous les quatre ans, à Athènes, la déesse reçoit le péplos tissé pour elle par les Ergastines, des jeunes filles issues des plus nobles familles de l’Attique. Elles reproduisent sur le tissu un modèle qui a été dessiné par des artistes et qui représente la lutte des dieux contre les géants. On voit sur la frise ionique du Parthénon que toute la cité prend part à l’offrande.
Les offrandes comme ex-voto
Beaucoup d’offrandes sont en fait des ex-voto. Ce sont des témoignages de reconnaissance envers un dieu pour service rendu. Les riches offrent des statues, les gens plus modestes des statuettes de terre cuite. On a retrouvé des vases d’argile très simples qui portent le nom d’un dieu inscrit dans des lettres maladroites.
Cette inscription donne souvent la raison de la gratitude du Grec.
Dans les sanctuaires d’Asclépios, par exemple, les Grecs offrent souvent l’image en relief du membre ou de l’organe qui a été guéri par le dieu. Parfois, un tableau ou une sculpture représente l’action salvatrice d’Asclépios. À partir du IVe siècle, avec le développement du culte épidaurien, ces offrandes se multiplient.
Parmi les rites religieux de la Grèce antique, l’usage est aussi d’offrir au dieu la dîme de tout profit qui passe vraiment la mesure, que ce soit dans des opérations de chasse, de pêche, de négoce ou même de butin guerrier.
Hérodote rapporte beaucoup de cas de ce genre. Par exemple, le Samien Colaios, au VIIe siècle. Ce marchand est allé faire fortune en Espagne, au pays de l’étain. À son retour, il a consacré un cratère colossal en bronze orné de têtes de griffon en saillie dans l’Héraion de Samos. Ce type de vases est bien connu des archéologues.
Pausanias nous rappelle à son tour l’offrande que firent les Corcyréens à Delphes dans la première moitié du Ve siècle :
« À l’entrée du sanctuaire, il y a un taureau de bronze, œuvre de Théopropos d’Egine et consacré par les Corcyréens. On raconte à ce sujet qu’à Corcyre un taureau, s’écartant du troupeau, descendait du pâturage pour mugir au bord de la mer. Comme le fait se reproduisait chaque jour, le bouvier descendit vers la mer et aperçut un banc de thons en nombre incalculable. Il le fit savoir aux Corcyréens de la ville qui s’efforcèrent, mais en vain, de capturer les thons. Ils consultèrent alors l’oracle de Delphes, sacrifièrent le taureau à Poséidon et, sitôt le sacrifice achevé, ils prirent les poissons. Avec la dîme de cette pêche, ils consacrèrent une offrande à Olympie et à Delphes. »
La constitution des trésors sacrés
C’est grâce aux offrandes que se constituent les trésors sacrés. Ils sont alimentés par les dons publics et par ceux des particuliers.
On y trouve des vêtements, des armes, de la vaisselle de métal précieux, des bijoux, des lingots ou du numéraire en or ou en argent et des objets de toutes sortes.
Les Grecs rangent ces offrandes dans des temples ou dans des bâtiments spéciaux de petite taille, qui ressemblent à des chapelles : on les appelle les trésors. Il n’y a pas de statues à l’intérieur.
Les prêtres et les magistrats ont la garde de ce trésor. Ils en sont responsables devant le dieu, ce qui n’est pas grand-chose, et surtout devant leurs concitoyens ! À leur sortie de charge, ils doivent rendre des comptes détaillés.
Les inventaires sacrés de ces sorties de charge sont des documents épigraphiques intéressants, qui énumèrent les offrandes avec leurs principales caractéristiques et leur poids. Le sanctuaire d’Apollon, à Délos, en montre un assez grand nombre pour qu’on voit revivre la vie du sanctuaire.
Des offrandes qui deviennent des actes d’orgueil
Avec le temps, certaines offrandes deviennent autant des actes de gratitude envers un dieu que des façons de célébrer les hauts faits de ceux qui les font. Ces rites religieux de la Grèce antique en sont-ils encore ?
Pour les particuliers
Des ex-voto rappellent ainsi des exploits athlétiques ou guerriers. Pausanias énumère les statues d’athlètes vainqueurs présentes dans les grands sanctuaires d’Olympie ou de Delphes. Il a recopié les inscriptions des socles : on a parfois retrouvé celles-ci dans des fouilles archéologiques.
Un autre exemple rapporté par Hérodote montre la frontière ténue qui sépare la piété de l’arrogance. À la fin du VIe siècle, l’ingénieur Mandroclès, originaire de Samos, a établi un pont de bateaux sur le Bosphore pour le roi perse Darius. Grâce à cet ouvrage, le souverain a emmené son armée en expédition en Scythie.
Mandroclès reçoit pour son mérite des récompenses magnifiques. Il en rend une partie à la déesse Héra en faisant peindre un tableau. Celui-ci représente Darius qui regarde son armée franchissant le pont. Mandroclès consacre le tableau dans l’Héraion de Samos avec une inscription métrique rapportée par Hérodote.
Ce type d’offrandes est plus qu’un geste de piété. Elles rappellent aussi les hauts faits du donateur ! Et, en ce domaine, les cités ont autant envie que les particuliers de marquer les esprits.
Pour les cités grecques
Les ex-voto des cités concernent souvent des exploits guerriers. Chaque État grec célèbre ses victoires par des consécrations dans ses sanctuaires locaux. Et pas seulement. Il fait aussi des offrandes dans les lieux saints panhelléniques, là où tout le monde les verra… y compris, parfois, l’ennemi vaincu.
Les victoires contre les Perses
Les guerres médiques ont entraîné d’innombrables offrandes. Athènes offre à Apollon, à Delphes, les dépouilles perses récupérées après la bataille de Marathon.
Ces dépouilles sont alignées sur un socle appuyé sur le mur sud de son trésor.
Toujours pour célébrer la victoire contre les Perses à Marathon, Carystos, ville d’Eubée, et Platée consacrent à l’entrée du sanctuaire de Delphes un mât orné d’étoiles d’or offert par les Éginètes. Deux autres offrandes sont consacrées en commun par les coalisés. Il s’agit d’un Apollon tenant une proue en souvenir de la victoire de Salamine et un trépied porté par une colonne de bronze pour commémorer celle de Platées. La colonne est formée de trois serpents entrelacés. Des siècles plus tard, l’empereur Constantin la fait transporter à Constantinople. Elle est y est encore partiellement conservée. On y lit le nom des 31 cités qui ont participé à la consécration.
Affronter les Perses et célébrer ses victoires, c’est une chose. S’affronter entre cités et consacrer des offrandes à ces triomphes fratricides, c’est autre chose… ou pas ? Les cités grecques célèbrent leurs succès de la même façon. Ce sont toujours des rites religieux de la Grèce antique.
Les triomphes fratricides entre Grecs
On se sent bien loin des dieux lorsque les Messéniens installés par Athènes à Naupacte élèvent un pilier triangulaire de 9 mètres de haut devant la façade du temple de Zeus à Olympie. Le pilier est surmonté par une statue en marbre de Niké, la Victoire, représentée en vol, les ailes déployées. La statue a été retrouvée avec son inscription dédicatoire là où Pausanias la mentionne. C’est une œuvre signée du sculpteur ionien Paeonios de Mendé, qui a probablement réalisé les sculptures du temple.
Pour quelle victoire, cette offrande ? Les succès remportés par les Messéniens contre leurs voisins d’Acarnanie. Nous sommes en 455-450.
Pendant ce temps, à Delphes, dans le sanctuaire d’Apollon, sur la première partie de la Voie Sacrée, les cités se défient. Près de l’ex-voto athénien pour Marathon, le Lacédémonien Lysandre fait élever un groupe commémorant la défaite d’Athènes à Aegospotamos. 35 ans plus tard, en 369, les Arcadiens de Tégée, qui ont ravagé la Laconie avec l’aide d’Épaminondas, placent devant l’offrande de Lysandre un socle portant les statues d’Apollon, de la Victoire et de plusieurs héros arcadiens. Non loin, plusieurs offrandes argiennes rappelles les succès d’Argos sur Sparte. À côté, Thèbes bâtit un trésor après la bataille de Leuctres (371) et les Syracusains en consacrent un autre pour célébrer le désastre athénien dans l’expédition de Sicile. Ce dernier, comme par hasard, se trouve tout près du trésor d’Athènes, vieux de plus d’un siècle.
Entend-on encore la prière grecque aux dieux dans ces offrandes des cités à leur propre gloire ?
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Source : CHAMOUX, François, La Civilisation grecque, Arthaud, 1984
Image d’en-tête : Offrandes aux morts – Illustration de Iphigénie en Tauride in « Histoires extraites des tragédies grecques », par Alfred Church
À PROPOS DE L'AUTEURE
Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.
Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.
Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.