« Balade » bien particulière puisqu’on ne va pas visiter les hauts lieux architecturaux de la Syrie hellénistique, mais l’administration séleucide. On va surtout parler de :
- fiscalité
- défense du territoire
- culte d’État
et globalement de tout ce qui relève de l’administration territoriale, que ce soit au niveau des cités ou du royaume : fonctionnaires, taxes, impôts, prélèvements, forts, garnisons, religion, etc. C’est parti ? 😉
État des lieux : il y a des fonctionnaires en Syrie hellénistique ?
Pour le royaume séleucide, on a beaucoup moins de sources écrites que pour le royaume lagide, qui regorge de papyrus.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, la Syrie était certainement aussi contrôlé que l’Égypte. En témoigne l’inscription de Hefzibah, sur laquelle je vais revenir plusieurs fois. Elle cite beaucoup de fonctionnaires royaux.
Le territoire gouverné par les Séleucides était quadrillé par des fonctionnaires fiscaux et économiques, par des militaires et par des administrateurs territoriaux.
Nous allons parler de cette administration secteur par secteur.
La fiscalité à l’époque séleucide
Les types de fiscalité
La fiscalité séleucide n’est pas bien connue mais, d’après ce qu’on en voit, elle est plutôt diversifiée.
Les impôts
- Le tribut. C’est une marque de dépendance envers le roi. Il est payé par la collectivité : village, cité, ethnie. Tous les membres de cette collectivité sont solidaires entre eux pour payer le tribut. Sauf privilège spécial accordé à un individu, tout le monde doit payer.
- La capitation. À l’inverse du tribut, c’est un impôt personnel par tête. On sait qu’il a existé car, d’après les sources, certains Juifs en sont exemptés par Antiochos III. Sa collecte se faisait peut-être par le biais des collectivités locales.
- Les couronnes ou l’impôt coronaire. À l’origine, il s’agit d’un « impôt volontaire ». Les communautés versent une somme à l’occasion d’un évènement joyeux concernant le roi ou sa famille (victoire, naissance, mariage, avènement…). Il devient ensuite un véritable impôt, assez lourd d’ailleurs, dans tous les royaumes hellénistiques. Il est irrégulier : le roi l’exige quand il a besoin de fonds.
Les taxes
L’administration séleucide récupère aussi des revenus grâce à de nombreuses taxes indirectes :
- L’Halikè ou tôn halôn. Elle est mal connue. C’était peut-être une obligation de payer un prix fixe (et sûrement élevé) pour une quantité donnée de sel. Il ne faut pas le confondre avec l’impôt en nature que paient les Juifs, qui doivent fournir une certaine quantité de sel extrait de la mer Morte.
- La taxe d’enregistrement existe partout, pas seulement chez les Séleucides. Mais on ne sait pas ce qui est soumis à enregistrement dans le royaume.
Les taxes sur les échanges
Les taxes sur les échanges sont classées en 3 catégories :
- Les droits de douane. Ce sont des taxes appliquées à l’entrée et à la sortie des marchandises. Il y en a aux frontières du royaume et dans les ports de la côte syrienne, mais pas seulement ! Tout le royaume est divisé en districts douaniers. Quand les marchandises passent de l’un à l’autre, il faut payer des droits de douane. On sait qu’Antiochos III dispense les Juifs de payer pour les bois, « qu’ils soient pris dans la Judée elle-même et chez les autres peuples du royaume au Liban ».
- Les droits d’octroi ou de péage. Ils s’appliquent à l’intérieur d’un même district douanier (comme pour le bois de Judée lorsqu’il est transporté à Jérusalem) et pour tous les transports (comme le droit de navigation sur l’Euphrate). Ce sont des taxes ad valorem. Démétrios Ier et Démétrios II font remise de ces « dîmes » aux Juifs. Dans le mémorandum de Ptolemaois (inscription d’Hefzibah), celui-ci demande divers avantages pour ses paysans, dont l’exemption de ces péages.
- Les droits de mutation. Ce sont des taxes sur la vente et l’achat. Les marchés de Baitokaikè et peut-être le troc fait par les villageois de Ptolémaios en Galilée en sont dispensés.
Les autres types de revenus pour le roi
Le roi encaisse sûrement des revenus de la terre, ce qu’on appelle une rente fonctière. Mais nous n’avons aucune information là-dessus.
En revanche, on sait qu’il a un monopole sur certaines ressources du territoire syrien, comme des mines et des carrières. Par exemple, l’administration séleucide exploite les jardins balsamiques de Jéricho et l’asphalte de la mer Morte (que revendiquent aussi les rois de Pétra). Il a également le monopole de l’exploitation des forêts du Liban.
À côté de ça, on ne connaît pas de domaines royaux en Syrie, tels que les forêts possédées par Antiochos III près de Sardes. Peut-être que les domaines impériaux ultérieurs des Romains en sont les descendants.
Les fonctionnaires chargés de la fiscalité
Qui prélèvent tous ces impôts et toutes ces taxes ? Ce sont les dioikètai.
Ils sont chargés de prélever la part du roi sur tous les revenus : les impôts sur les récoltes, les taxes sur les marchés, sur les exportations et les importations, etc.
Ils n’interviennent pas directement dans l’organisation du commerce. Ils sont juste là pour récupérer une part des ressources générées par toutes ces activités.
Les dioikètai sont assignés à un district en particulier. Dans l’inscription d’Hefzibah, on voit deux dioikètai recevoir des instructions royales. Ce sont sans doute les fonctionnaires locaux qui gèrent les circonscriptions sur lesquelles se trouvent les villages de Ptolémaios cités dans l’inscription.
On connaît aussi les chréophylaques. Ce sont les agents de l’enregistrement : ils sont garants du respect des contrats privés, moyennant une taxe payée au roi.
L’administration militaire séleucide
La Syrie a un potentiel militaire important car elle est au centre du royaume séleucide — et, en plus, elle fait face au royaume lagide.
Le roi surveille donc le pays et il en assure la tranquillité et la protection. Il tire aussi de Syrie les hommes et les équipements dont il a besoin.
Les garnisons et les troupes
On trouve des garnisons importantes dans plusieurs villes. Apamée a ainsi la réputation d’être la ville militaire par excellence, peut-être parce que les éléphants du roi sont gardés là-bas. C’est l’élément le plus spectaculaire de l’armée séleucide jusqu’à la paix d’Apamée.
L’administration séleucide dispose également de troupes à Antioche, Samarie, Cyrrhos, Doura, Beth-Sour, Sidon, Gaza, Larissa-sur-l’Oronte…
Il y a aussi des fortins en des points stratégiques, comme dans la haute vallée du Jourdain. Les postes de Brochoi et de Gerrha, d’abord lagides, sont sûrement occupés ensuite par les Séleucides. De même, les clérouques lagides d’Ammonitide, des soldats paysans chargés de contrôler la région, passent sous contrôle séleucide en 200-198 en même temps que l’ensemble de la région.
Dans l’inscription d’Hefzibah, on parle des chefs des garnisons de Galilée. Il y en a quatre dans un espace qui est sûrement assez peu étendu. Les passages de soldats semblent fréquents : Ptolémaios demande que ses villageois soient exemptés de réquisitions et de l’obligation de loger les troupes.
Les prélèvements sur les populations
L’administration militaire s’occupe de toutes sortes de prélèvements faits sur les sujets du roi. Les chefs de garnison et les préposés à l’administration territoriale réquisitionnent des logements, du fourrage et des transports.
Et aussi des hommes.
Les soldats issus des colonies et des cités
On a l’exemple de Doura-Europos. La loi sur les successions montre le fonctionnement du système des lotissements. Le roi donne un lot — en échange, le titulaire doit faire un service militaire.
On connaît aussi le système des clérouques en Égypte. Il s’est vite transformé, mais l’obligation du service est resté. Si une femme devient titulaire du clèros, elle doit trouver un homme pour effectuer le service militaire au roi. En Syrie, on n’a rien retrouvé au sujet d’un tel système, mais il a pu exister.
Une partie des troupes est peut-être constituée de descendants de soldats, ceux qui peuplent les colonies militaires. Mais il semble que les villes fournissent aussi, assez régulièrement, des contingents.
- Larissa sur l’Oronte, par exemple, donne des cavaliers. Lors des fêtes de Daphné en 166, 3 000 cavaliers politikoi (fournis par la cité) défilent.
- Les Antiochiens participent à l’effort de guerre d’Antiochos VII en Mésopotamie et en Iran : Diodore (XXXIV, 17) dit que pas une seule famille n’y perdit un membre.
Les soldats issus des peuples non grecs
L’administration séleucide réclame aussi des troupes aux peuples non grecs, comme les Juifs et les Arabes. Antiochos III installe 5 000 Juifs babyloniens en Phrygie. Il y a aussi sûrement des soldats juifs originaires de Judée dans les armées séleucides, plus ou moins régulièrement. Hyrcan, grand-prêtre d’Israël, est obligé de fournir des troupes et de les diriger lui-même lors de l’expédition d’Antiochos VII contre les Parthes. Quand à Démétrios Ier, d’après la Bible (1Macc., X, 38), il « propose » à Jonathan d’embaucher 30 000 mercenaires juifs.
On trouve aussi des Arabes dans les armées royales. Zabdibèlos mène 10 000 Arabes à la bataille de Raphia en 217, qui oppose Séleucides et Lagides.
Le roi peut recruter des troupes adaptées à la surveillance des marges désertiques du royaume dans les tribus proches. Antérieurement, il existait déjà une longue tradition militaire de ce type chez les Assyriens et les Achéménides. Des accords devaient existaient entre le roi et ses alliés. L’envoi de cavaliers ou de méharistes est probablement un signe d’allégeance de la part des tribus nomades.
Les populations face à l’administration séleucide
La fiscalité, les prélèvements en hommes et en fournitures et les garnisons marquent la présence royale. On ne sait pas vraiment comment les populations la supportent, mais on a quelques manifestations d’opposition.
La révolte des Samaritains
Dès Alexandre, les Samaritains se révoltent violemment. Ils brûlent vif le satrape Andromachos.
Les révoltes à la mort de Séleucos Ier
À la mort de Séleucos Ier, on dirait qu’il y a des troubles, notamment en Syrie du Nord. Une inscription officielle d’Ilion mentionne des troubles qui ont ravagé les cités de Seleukis. Cela confirme un passage de Mémnon d’Héraclée disant qu’Antiochos Ier a eu du mal à récupérer l’héritage de son père.
L’atelier d’Apamée est quasiment inactif au début du règne d’Antiochos Ier. Cette ville a-t-elle été le foyer de la révolte ? Les Lagides ont-ils influencé les troubles ? Rien dans les textes ne parle de la responsabilité de soldats révoltés. Il peut y avoir de nombreuses raisons à cette révolte.
En tout cas, certaines villes subissent des destructions. Peut-être les révoltés les visent-elles parce qu’elles sont considérées comme fidèles au roi ou qu’elles sont des symboles de la présence grecque. Peut-être aussi sont-elles ravagées par les combats entre factions ennemies.
La naissance du culte royal d’État
La révolte contre Antiochos Ier à la mort de son père montre la difficulté de tenir un empire aussi immense. Le roi est le seul facteur d’unité entre toutes les provinces et tous les peuples. Finalement, la fin de la révolte coïncide avec l’obligation imposée à tous par Antiochos Ier de décerner des couronnes en son honneur et en l’honneur de son père décédé.
Il exige la manifestation d’un loyalisme qui préfigure la naissance d’un culte royal d’État. Celui-ci commence plus tard, on ne sait pas trop quand exactement.
Les prémices en Grèce, Asie Mineure et Égypte
Le culte officiel de la dynastie et du roi vivant est un moyen de gouvernement pour l’administration séleucide. Les souverains sont divinisés dès l’époque d’Alexandre dans les villes d’Asie Mineure. Après la proclamation des nouvelles monarchies en 306-305, les cités grecques offrent les honneurs divins aux Diadoques. Démétrios est déjà traité comme un dieu par les Athéniens en 307.
Assez vite, l’administration royale prend en charge ce culte officiel qui devient culte d’État. Le phénomène est bien connu en Égypte. Le culte des morts s’organise progressivement, puis c’est celui du roi et de la reine vivants dès le règne de Ptolémée II.
L’institution du culte chez les Séleucides
L’évolution est la même au royaume séleucide. On ne sait pas si Séleucos Ier et Antiochos Ier sont divinisés de leur vivant, mais Antiochos II reçoit l’épithète de Théos de la part de Milet.
Le culte royal d’État est organisé au plus tard sous Antiochos III. On a trouvé partout dans l’Empire une série d’inscriptions à peu près contemporaines : ce sont des lettres royales organisant le culte de la reine Laodice.
Le culte officiel est institué dans la capitale locale de chaque satrapie et dans les subdivisions administratives sous la direction d’un grand-prêtre pour le roi et d’une grande-prêtresse pour la reine. Ces prêtres et prêtresses sont choisis parmi les plus grands personnages de la région : membre de la famille royale en Médie, fille d’un dynaste local en Asie Mineure, le stratège Ptolémaios en Koilè-Syrie.
Ce culte cohabite avec les cultes locaux et civiques. On retrouve des sanctuaires ou des témoignages de ce culte dans plusieurs villes de Syrie : Séleucie en Piérie, Samarie, Scythopolis.
Des séries de légendes consacrées à l’origine divine de la dynastie parlent de signes divins fondant le culte.
Un culte pour les Grecs ?
Les témoignages disponibles
D’après les témoignages, les fidèles de ce culte sont d’abord de hauts fonctionnaires et des individus issus de milieux grecs ou très hellénisés. Antiochos III est honoré par Ptolémaios, fils de Thraséas, stratège de Koilè-Syrie et de Phénicie, et Antiochos VII par un « premier ami », archi-secrétaire des armées.
On a la même chose en Égypte : les offrandes faites en l’honneur de Ptolémée IV à Tyr et à Joppé viennent respectivement d’un haut fonctionnaire, hipparque, l’Étolien Doryménès, et d’un prêtre du roi, Anaxiclès.
Toutefois, il faut se rappeler que les indigènes écrivent peu à cette époque. De plus, le nombre d’inscriptions hellénistiques est dérisoire. Les marques de dévotion sont donc globalement rares.
Pour autant, on a un exemple de dédicace indigène à Wasta, en Phénicie. C’est Pimilkas, fils de Nabousamo, qui honore le roi Ptolémée et Aphrodite Secourable.
Une idéologie ancestrale de soumission au roi
Avant l’arrivée d’Alexandre et des Séleucides, le roi achéménide bénéficiait de la désignation d’Ahura-Mazda et de la protection des dieux. Il avait répandu une idéologie de soumission au roi et d’un effort de production perçu comme un acte de piété.
Le culte royal séleucide est dont certes d’un usage grec, mais il s’inscrit dans la continuité d’une image de puissance du roi. Il renforce ainsi la dépendance et le respect des indigènes. L’adhésion au culte favorise la loyauté. C’est un instrument de domination des Grecs sur la Syrie, indispensable pour eux puisqu’ils ne sont présents qu’en petit nombre face à une population majoritairement autochtone.
Vous avez aimé cet article sur l’administration séleucide ? Retrouvez plus d’histoire antique dans ma newsletter !
Sources : SARTRE, Maurice, D’Alexandre à Zénobie, Histoire du Levant antique. IVe siècle av. J.-C. – IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, 2001
Image d’en-tête : Deux pièces de monnaie séleucides représentant à gauche le profil d’Antiochos VIII et à droite un aigle avec un sceptre – Crédit image : site web cgb.fr
À PROPOS DE L'AUTEURE
Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.
Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.
Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.