Le Dit de l’oracle – Une nouvelle dans la mythologie grecque

Bienvenue sur mon blog, cher lecteur et chère lectrice. J’espère que vous avez aimé la dernière balade (ballade ?) que je vous ai proposée au cœur de la Carthage romaine, auprès du héros de l’arène, le bestiaire Léo. 😉

Aujourd’hui, remontons encore les siècles, vers une époque reculée qui oscille entre légendes et réalité. Les temps mythologiques… Un cadre : la Delphes antique. Un personnage : la Pythie.

Je vous propose de découvrir deux extraits de ma nouvelle Le Dit de l’oracle. Bien sûr, ici aussi, fantastique et mythologie grecque vont faire bon ménage, comme vous pourrez le constater !

La Grèce antique, le cadre idéal pour un récit de fantastique

Toutes les mythologies se prêtent admirablement à la réalisation de récits fantastiques pleins de fureur et d’extase. La matière grecque est particulièrement abondante et bien connue.

La première fois que je l’ai abordée, c’était dans la nouvelle que je vous propose de découvrir aujourd’hui : Le Dit de l’oracle. J’y explore le personnage de la pythie de Delphes.

La pythie n’appartient pas au mythe. Elle a vraiment existé. Elle était l’oracle du sanctuaire dédié à Apollon dans la ville grecque de Delphes. Elle fut encore consultée à la grande époque classique des VIème et Vème siècles.

le dit de l'oracle marie tétart
Couverture de la nouvelle Le Dit de l’oracle d’après la peinture de John Collier, Priestess of Delphi, 1891

Ses oracles étaient semble-t-il incompréhensibles. Il fallait toute la science religieuse des exégètes pour en tirer une interprétation cohérente et utile à ceux qui venaient lui demander conseil.

Pour mon Dit, j’ai joué avec la réalité et repris un vieux poncif : celui d’une transe de la pythie, due à des exhalaisons sulfureuses issues d’une faille dans le mont Parnasse sur lequel se situait le sanctuaire. En réalité, la pythonisse était possédée par le dieu grâce à une observance stricte de rituels, sans aucun artifice d’aucune sorte.

Pour me faire pardonner cette entorse à la réalité, j’invoque ici le poète latin Lucain, qui fut le premier à imaginer les délires mystiques de l’oracle aux prises avec l’esprit d’un dieu furieux. Je n’ai fait que le suivre et renchérir, tout comme beaucoup d’autres artistes depuis 2 000 ans !

Je me suis aussi amusée à d’autres fantaisies que Plutarque et les autres Anciens auraient sans doute reniées, histoire de marier plus intimement encore fantastique et mythologie grecque… Mais cela, vous le découvrirez si vous lisez la nouvelle en entier !

Je vous laisse en compagnie de Loreena McKennit sur une musique qui évoque de lointains voyages. Le premier extrait donne les prémices de la tragédie…

Comment une épouse délaissée devint la voix qui parlait aux hommes…

« Strepsiade tenait le message entre ses mains. Cette vision prophétique de l’avenir de sa cité lui brûlait les doigts. Au souvenir de la Pythie, il frissonnait encore, comme si la voix monocorde de l’oracle courait elle-même le long de son échine. Les paroles avaient beau être pour lui dénuées de sens, l’épouvante régnait entre ces mots. La chute finalement était heureuse et il pouvait s’en réjouir, mais il n’oublierait jamais la terreur qui l’avait habité durant cette consultation.

Jadis, jamais Callirhoé n’aurait pu lui insuffler émotion si forte. Son épouse, alors, était une autre femme. Toute parée de vertus et de discrétion, les seuls attributs souhaités pour celles de son sexe, elle ne lui inspirait qu’indifférence. Presque quinze années de mariage et il n’avait jamais consommé cette union forcée. La virilité n’était pas en cause. Entre deux batailles, sa couche était toujours bien garnie d’éphèbes, parmi les plus bels adolescents laissés à sa charge par les lignées aristocratiques de la cité pour qu’il en fasse de bons guerriers.

Mais sa femme et les femmes en général l’avaient toujours laissé froid.

Un jour, il n’avait plus supporté la vue de cette créature docile et vertueuse. Elle était incapable de l’exciter et, conséquemment, elle était inapte à lui donner un fils. Cette union, imposée par un oracle de la Pythie dans leur plus tendre enfance, n’était qu’une vaste supercherie. Après tout, s’il ne pouvait engendrer un fils de son sang, il avait le choix d’en adopter un. Il n’aurait plus à ménager la pudeur de son épouse lorsqu’il ramenait des amants en sa demeure.

Il répudia Callirhoé, prétextant de sa stérilité supposée pour rompre leurs liens, et ce, malgré les adjurations de sa mère qui lui rappela la fameuse vision oraculaire. Les deux plus vieilles lignées du territoire delphique, ennemies depuis des lustres, devaient s’entremêler pour empêcher la renaissance des déchirures. Une cité renommée naîtrait de cette réconciliation.

« Qu’importe la vision de cette vieille carne ! » hurla-t-il à sa mère qui osait lui en remontrer, à lui, un homme fait de trente ans passés. « Cela fait quatorze ans, elle est née, cette cité ! Que la déesse s’estime satisfaite !
— N’insulte pas la déesse ! chuchota la malheureuse femme, blanche de terreur.
— Insultée ? » Hors de lui, Strepsiade leva les yeux vers le ciel. « Thémis, entends-moi ! Regarde bien ton oracle ; regarde ce que j’en fais ! »

Et, d’un geste furieux, il se saisit d’un vase fin en céramique et le projeta contre un mur. L’objet explosa en mille morceaux.

Le bruit lui résonnait encore quelquefois à l’oreille, en ses heures les plus sombres, comme l’annonce d’un châtiment terrible.

Somme toute, il avait bien agi. Il suffisait de cette preuve : son épouse divorcée avait été choisie comme Pythie à la mort de l’ancien oracle. Celle-ci avait vu en vision la femme qui devait lui succéder. Sa stérilité n’était pas un présage funeste, mais au contraire un signe : la déesse voulait réserver cette femme à une fonction plus importante que celle de donner des fils à la cité.

Désormais, Callirhoé lui expliquait, à lui et aux autres dirigeants de Delphes, comment il leur fallait gouverner. ».

Consultation de l’oracle de Delphes. Céramique à figures rouges, vers 440-430 av. J.-C., par le peintre Kodros.

Quand fantastique et mythologie grecque se rencontrent…

Voilà comment Callirhoé est devenue pythonisse de Delphes… Et la voici maintenant alors qu’elle subit la possession divine et rend son oracle dans le téménos, l’enceinte sacrée du sanctuaire. On passe ici dans le point de vue d’un autre personnage, Trygée, frère d’armes de Strepsiade, venu avec lui demander conseil à la pythie.

« Elle était assise sur un haut trépied, au-dessus d’une fissure qui lacérait le sol. Sa longue tunique de lin laissait nue l’une de ses épaules. L’éclat jaune déversé par l’accroc dans la pierre, en même temps qu’une brume aux relents méphitiques, salissaient le blanc du tissu. Par-dessus, un voile écarlate recouvrait les cheveux de la femme et laissait son visage dans l’ombre. Elle avait la tête penchée et ne bougeait pas ; ses pieds nus reposaient sur l’un des barreaux de son inconfortable siège. Depuis combien d’heures était-elle assise là, à prédire à ses innombrables visiteurs joies et misères, morts et mariages, fortunes et infortunes ?

L’un des prêtres s’avança vers elle et lui présenta un verre de l’eau sacrée, issue des sources cachées dans les sombres grottes du Parnasse. Elle l’avala lentement. Trygée, la boule au ventre, put distinguer enfin le profil délicat, que les années épuraient sans relâche jusqu’à le rendre fantomatique. Indifférente à ses spectateurs, la Pythie se mit à mâcher des feuilles de laurier. Une gerbe d’eau fut jetée dans la fissure ; l’exhalaison fétide s’intensifia et le nuage jaune qui nichait dans le réduit se concentra autour de la femme comme pour l’habiller d’une chape. Autour de Trygée, certains portèrent leurs mains à leur nez et à leur bouche. Pas Strepsiade, constata-t-il, pas son frère d’armes, naturellement.

« Comment la guerre avec Orchomène peut-elle être évitée ? »

La question avait résonné sous le haut plafond creusé dans la roche. La Pythie vacillait sur son siège à l’équilibre précaire ; il aurait suffi d’un souffle pour qu’elle tombât dans le trou. Mais cette apparente faiblesse se mua en mouvements de balancier réguliers, ponctués chacun par la tête qui allait et venait d’avant en arrière, mollement, dolemment. Les paupières s’étaient fermées sur ses prunelles que Trygée savait brunes et qu’il aurait tant voulu revoir.

Et puis la voix monocorde s’éleva et emplit l’espace.

« Le chemin est atroce, mais il faut l’accepter. La cité est rebelle, il faut un élu. Celui de la guerre peut l’être pour la paix. Qu’il en soit ainsi, dira-t-il. Mais il ne verra pas de ses yeux d’acier rayonner le soleil sur les murs blancs libérés de l’angoisse. De sombres parois les fermeront… Aaaahhhh ! »

Le hurlement brisa net l’instant. D’une litanie pleine de langueur, la Pythie passa à une hystérie épouvantée. Sous les yeux affolés des consultants, elle se mit à crier des mots incompréhensibles, en une langue inconnue pleine de sifflements perçants et d’éructations rauques. À voir la stupeur des prêtres, la scène n’avait rien d’ordinaire. Des années de guerre en tant que chef d’armée avaient façonné à Trygée un sang-froid peu commun, mais il sentit comme une main de fer serrée autour de sa gorge. C’était la femme aimée depuis toujours qui vomissait depuis le contrebas cet innommable galimatias, ce langage des Enfers dont la moindre syllabe faisait se dresser les cheveux sur la tête. Elle s’accrochait maintenant des deux mains à son siège, en se balançant à un rythme de plus en plus rapide et de plus en plus saccadé, le visage levé très haut et les yeux exorbités, grands ouverts sur l’ailleurs. L’odeur de soufre s’était intensifiée et empuantissait tout.

« Le guerrier va ouvrir les portes du temple », continua-t-elle, d’une voix soudain plus mesurée — mais son visage restait violemment contracté. « Quelle extase. La satiété, pour la mère et l’enfant. La cité sera plus belle. Remercier la main qui va se sacrifier. La Main. La Déesse a répondu. Cette guerre n’aura pas lieu. Cette guerre n’aura pas lieu. »

Soudain, le silence. La Pythie s’affaissa. Un prêtre se rua vers elle pour la recueillir dans ses bras.

Trygée, abasourdi, la regarda tandis qu’on l’emmenait dans les profondeurs de la grotte.

Pour la première fois depuis longtemps, sa main absente le démangeait furieusement. »

Oreste à Delphes face à la pythie. Cratère à figures rouges, vers 330 av. J.-C.

J’espère que cette incursion dans la Grèce des origines vous a plu ! J’ai remarqué de mon côté qu’il existait de nombreux amateurs de littérature mariant fantastique et mythologie grecque. J’y ai pris goût aussi et quelques idées me sont venues autour des personnages mythiques d’Atalante, de Sisyphe, de Pandore et de Prométhée… À suivre !

Si vous souhaitez connaître le destin de ma Callirhoé, je vous invite à lire le pitch du Dit de l’oracle !

Crédits images : Christian Hardi

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

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