La monnaie en Syrie hellénistique, c’est une histoire plurielle. Il y a plusieurs monnaies qui circulent, selon les endroits et les époques :
- les alexandres de poids attique
- les drachmes et tétradrachmes des Séleucides
- les monnaies des Lagides
- les étalons phéniciens
- les étalons épichoriques des cités
Voyons toutes ces monnaies et ces étalons ensemble. 🙂
La monnaie en Syrie avant Alexandre
Utilise-t-on la monnaie en Syrie avant la conquête d’Alexandre ?
En Syrie maritime, oui. Plusieurs cités ou communautés battent monnaie, comme les ports phéniciens, Gaza, les Juifs au IVe siècle.
Le plus souvent, c’est à l’imitation d’Athènes. Parce qu’on a l’habitude de la monnaie grecque qui circule jusqu’ici, en tout cas quand on commerce avec les Grecs.
En Syrie intérieure, par contre, c’est une autre histoire. Damas, par exemple, ne frappe pas monnaie (en même temps, ce n’est pas une entité autonome, comme les ports phéniciens ou même les Juifs).
Bien sûr, on a retrouvé beaucoup de trésors avec des monnaies en Syrie intérieure, mais ça ne prouve pas grand-chose. Par exemple, le trésor de Jordanie, enfoui vers 445 dans le Haurān jordanien, près de la frontière syrienne. Il contient des monnaies, des fragments de lingots, des bijoux. De toute évidence, les monnaies sont là parce qu’elles ont une valeur métallique. C’est tout.
La monnaie quand Alexandre conquiert la Syrie
Quand Alexandre arrive, les villes comme Tyr continuent à frapper monnaie. Par contre, désormais, on frappe des « alexandres » de poids attique. L’étalon attique, c’est la drachme d’argent de 4,30 grammes et le tétradrachme de 17,20 grammes. Il est plus lourd que l’étalon phénicien.
Ça se passe dans des ateliers royaux situés à Arados, Tyr, Posidéion… C’est parfois une frappe massive.
Cette frappe continue jusqu’en 316, jusqu’à ce que les Lagides s’installent au sud et les Séleucides au nord de l’Éleuthéros.
Les monnaies des Séleucides en Syrie du Nord
Les Séleucides règnent sur l’Asie Mineure et en Orient. Dans ces régions, l’étalon attique s’est répandu ou a cours directement (Asie Mineure) : les territoires du royaume séleucide ont rejoint le grand ensemble monétaire égéen. On voit des ateliers se créer à Babylone, Bactres, Ecbatane, Suse et Séleucie du Tigre et utiliser l’étalon attique.
Logiquement, les ateliers crées en Syrie du Nord à partir de 300 font la même chose. La monnaie en Syrie hellénistique est profondément grecque.
À partir de 173-172, le tétradrachme d’étalon attique de 17,3 grammes est allégé autour de 16,8-16,5 grammes. 2 raisons possibles à cette dévaluation :
- on dévalue peut-être à cause des difficultés des Séleucides à payer l’indemnité de guerre aux Romains
- on veut mettre en harmonie la monnaie séleucide avec les étalons de Pergame, de Macédoine et d’Athènes
Il y a encore une dévaluation sous Antiochos VII (138-129) et sous le premier règne d’Antiochos VIII (121-113). Le tétradrachme d’argent est désormais officiellement à 15,5 grammes. Le poids fin (le poids réel de matière précieuse dans la monnaie) diminue aussi. La dévaluation est donc plus sensible que ne le laissent penser les seules baisses pondérales.
Les monnaies des Lagides en Phénicie
Une monnaie différente en Syrie lagide
Quand la Phénicie tombe aux mains des Lagides, les ateliers phéniciens de Sidon, Tyr, Akko, Joppé continuent leur travail : désormais, ils frappent monnaie au nom des Lagides.
Or, traditionnellement, la Phénicie utilise un système plus léger que l’étalon attique. Et les Lagides décident de ne pas faire comme Alexandre et les Séleucides.
En Égypte où ils règnent désormais, il n’y a pas de tradition monétaire propre, contrairement à l’Asie Mineure séleucide. Ptolémée tâtonne un peu, puis il adopte un étalon léger très proche de ceux de Cyrène et de la Phénicie. C’est une drachme de 3,6 grammes et un tétradrachme de 14,10 grammes.
Bien sûr, ça isole l’Égypte et ses possessions extérieures (dont la Syrie lagide) du système attique qui fonctionne presque partout ailleurs.
Mais, dans le monde grec ancien, le change des monnaies est une pratique courante. La Grèce classique connaissait de nombreux étalons différents. Ptolémée considère donc cet « inconvénient » comme minime par rapport à l’avantage qu’il vise.
Pourquoi : la ruse de Ptolémée
Ptolémée a un but : se faire de l’argent sur le change ! Pour ça, il déclare que la monnaie lagide est la seule autorisée dans son royaume. Le roi est donc maître de la frappe et de la monnaie et il gagne de l’argent lors du change et de la refrappe.
En contrepartie, la monnaie lagide ne circule pas en dehors du royaume, sauf exception, comme dans les garnisons lagides d’Asie Mineure ou de la côte sud (on en a retrouvé dans le trésor de Maydancikkale).
En Syrie du Nord, on a trouvé des monnaies lagides uniquement près de la frontière et dans le trésor de Hüseyinli, près d’Antioche.
La monnaie en Syrie hellénistique varie donc en fonction des territoires jusqu’en 200, quand les Séleucides récupèrent la Phénicie… mais aussi, en réalité, bien au-delà.
La monnaie en Phénicie séleucide
Le triomphe de l’étalon « phénicien »
Quand les Séleucides prennent la Phénicie aux Lagides en 200, on peut penser qu’ils vont y introduire l’étalon attique.
Dans un premier cas, c’est ce qui semble se passer. Les souverains reprennent les ateliers royaux lagides et y frappent des monnaies à leur nom avec l’étalon en vigueur dans leur royaume, ce fameux étalon attique.
Mais cette unification monétaire ne dure qu’entre 200 et 160 environ.
Très vite, des séries d’étalons « phéniciens » réapparaissent, dès Antiochos V et Démétrios Ier et surtout à partir d’Alexandre Balas. À tel point qu’après 150, les séries d’étalon attique deviennent exceptionnelles en Phénicie.
Quand des cités se détachent du royaume et frappent à nouveau pour leur propre compte, comme Tyr en 126 et Sidon en 107-106, elles reprennent aussi l’étalon « phénicien ».
Pourquoi cette disparition de l’étalon attique en Phénicie ?
Il y a plusieurs théories :
- Selon Élias Bikerman, spécialiste américain de l’histoire hellénistique (1897-1981), ça montre l’influence des Lagides dans les conflits dynastiques séleucides qui commencent avec l’usurpation de Démétrios Ier et surtout avec Alexandre Balas. Les usurpateurs accepteraient implicitement le rattachement économique de la Phénicie à l’Égypte.
- Pour Maurice Sartre, spécialiste français de l’Orient antique (né en 1944), ce n’est pas ça, car les séries d’étalon léger commencent dès Antiochos V, c’est-à-dire avant les conflits. Par ailleurs, il n’y a pas de monnayages « rivaux » pendant cette période de luttes entre les prétendants : l’étalon phénicien est quasiment le seul à circuler.
- Georges Le Rider (1928-1914), spécialiste français de la numismatique grecque, pense que les séries de poids attique ont été des exceptions en Phénicie. Les rois séleucides ont gardé le système lagide pour faire des bénéfices sur le change (comme les Lagides le faisaient chez eux).
La monnaie en Syrie hellénistique propre aux cités
Des cités ou des groupes de cités avaient leur propre étalon. On les appelle les « étalons épichoriques ».
Entre 138 et 44-43 av. J.-C., Arados a son tétradrachme avec un étalon de 15,3 grammes, à mi-chemin entre l’étalon attique allégé des Séleucides (environ 16 grammes) et l’étalon phénicien de 14,3 grammes adopté à Marathos, Tripolis et Laodicée.
Il y a aussi l’étalon de Tyr, sur lequel s’alignent les monnaies d’Ascalon et de Sidon.
D’une ville à l’autre, on remarque de légères différences de poids. Ça permet aux cités de réaliser des bénéfices tout en profitant du crédit attaché à une monnaie d’une valeur reconnue. Ces étalons régionaux circulent, mais ils ne sont pas recherchés ni thésaurisés hors de leur zone d’émission. Ce sont des monnaies qui ne voyagent pas beaucoup en dehors de cette zone. Celle de Tyr domine largement le Levant-Sud, mais ne va pas au-delà.
J’espère que cet article sur la monnaie dans la Syrie hellénistique vous a plu. Pour plus d’informations sur l’antiquité grecque et romaine, rejoignez-moi dans ma newsletter !
Sources : SARTRE, Maurice, D’Alexandre à Zénobie – Histoire du Levant antique – IVe siècle av. J.C. – IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, 2001
Image d’en-tête : Monnaies civiques de Tyr et Sidon – Crédits photos Maurice Chéhab, Monnaies gréco-romaines et phéniciennes du Musée national, Beyrouth, Liban, Librairie d’Amérique et d’Orient, Adrien Maisonneuve, 1977 © DR
À PROPOS DE L'AUTEURE
Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.
Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.
Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.