La loi en Grèce antique définit pour la première fois quelque chose qui va impacter le monde pour les 3 000 ans à suivre : les rapports entre État et citoyen. Bref, les cités grecques sont à la base de tous nos systèmes politiques modernes.
Pourquoi ? Parce que ces rapports, pour la première fois, sont fondés sur la loi. Et ça, ça change tout : ça nous fait sortir de la tyrannie (au sens moderne du terme).
Dans cet article, je vous explique :
- le pourquoi de la loi dans l’antiquité grecque
- comment ça se passe dans le quotidien des Grecs
- dans quels domaines la loi (et en fait, la cité) interviennent
La loi : incontournable pour les cités grecques
Éviter la tyrannie
Les régimes politiques grecs sont variables. Ce sont parfois des oligarchies. Parfois des monarchies. Peu importe.
Elles gouvernent toutes en s’appuyant sur des lois.
Quand on gouverne sans se référer à des lois, on est dans un régime tyrannique. C’est l’absence de lois qui caractérise la tyrannie, beaucoup plus que la rudesse ou la cruauté d’un pouvoir.
Et ça, les Grecs n’en veulent pas.
L’idéal de l’Eunomia
Les cités grecques veulent réaliser l’idéal de l’Eunomia. Cette Eunomia, c’est l’harmonie dans la loi, le bon ordre inspiré par la sagesse. Il faut donc régler la vie en commun en instituant de bonnes lois.
Les lois permettent de soustraire les individus à la violence et à l’arbitraire. Elles permettent de faire régner dans l’État la Concorde (Homonoia) et la Justice (Diké). Elles sont justes parce que chaque citoyen doit s’y soumettre.
« La Loi règne sur tous les êtres, les mortels comme les Immortels. » (Pindare)
Dans les faits, bien sûr, on s’approche rarement de l’Eunomia. Mais les Grecs y aspirent, et ça vaut toujours le coup d’essayer de s’en approcher, n’est-ce pas ?
Quand la piété se mêle à la loi
L’élément fondamental de cette Eunomia, c’est l’adhésion sincère de chaque citoyen aux principes essentiels de la cité. Comment exprimer cette adhésion ?
Dans le respect des lois, bien sûr (les nomoi), mais aussi dans les cultes civiques !
Dans la loi en Grèce antique, il y a une parenté étroite entre impiété et illégalité. Quand on ne respecte pas les cultes civiques, on rejette l’ordre établi. Comme lorsqu’on bafoue la loi.
D’ailleurs, à l’origine, les notions juridiques sont sacrées. Elles vont peu à peu se séculariser, mais un lien fort va perdurer. Dans le Criton de Platon, on voit même une vénération des lois, comme si elles étaient d’essence divine.
Des débats, mais pas de débats !
Bien sûr, dans les sphères intellectuelles, il y a toujours des débats : des sophistes mettent en cause les notions de Justice et de Loi. Ils opposent Nature et Coutume et affirment que la légalité n’est qu’un fruit de la convention. La loi est donc un obstacle au jeu des forces naturelles. Mais ces subtilités n’intéressent que les philosophes et les orateurs, pas le grand public.
D’ailleurs, au IVe siècle, les orateurs proclament leur respect des lois dans les discours politiques et dans les débats judiciaires. Les lois sont gardiennes des bonnes mœurs et de la sécurité des citoyens. C’est un point sur lequel on ne revient pas.
La loi dans le quotidien de la cité grecque
Le grand bazar de la loi grecque antique
Il y a une grande variété de lois. Les cités interviennent dans tous les domaines. Il n’y a pas de distinction entre droit public et droit privé en Grèce archaïque et en Grèce classique.
Tout ce que fait le citoyen peut intéresser la cité.
Cette cité, elle intervient de manière très empirique. Elle n’essaie pas d’édicter des principes de base. Elle intervient plutôt pour mettre en place des solutions pratiques face à des problèmes précis. Cette façon de procéder, sans plan d’ensemble, ne donne pas beaucoup de cohérence à la législation des cités.
Finalement, les Grecs sont moins juristes que les Romains le seront ensuite. Ils n’essaient pas d’unifier l’ensemble de ces textes disparates. D’autant plus que chaque cité a son particularisme juridique : les cités dans leur ensemble ont moins besoin que Rome d’unifier leur droit.
Bien sûr, pendant ce temps, les philosophes échafaudent des systèmes, mais ceux-ci restent utopiques. Ils sont d’ailleurs inspirés de fort près par les réalités contemporaines, comme dans les Lois de Platon.
La consultation de la loi par les citoyens
En fin de compte, on est censé connaître la loi en Grèce antique ! Souvent, toute loi nouvelle est transcrite sur une stèle.
On compile aussi les lois pour que les citoyens puissent les consulter. On connaît un exemple, presque complet : celui qui se trouve sur une inscription monumentale de Gortyne, en Crète. Le texte original est gravé en grande lettres sur les gros blocs d’un mur appareillé dans la première moitié du Ve siècle.
Des textes mentionnent d’autres recueils de lois, comme les codes athéniens. Le recueil des lois de Solon ou le code dit de Nicomachos (gravé à la fin du Ve siècle) sont consultables aussi bien sur des inscriptions que dans les archives de la cité.
Et certains citoyens connaissent très bien les lois. Comme les logographes, qui composent les discours prononcés par les plaideurs devant les tribunaux. Les synégores, qui apportent gracieusement le concours de leur éloquence à leurs amis. Et tout simplement les orateurs qui soutiennent des propositions devant une assemblée. Tous sont habiles pour jouer avec les textes des lois afin d’appuyer leur démonstration.
Les domaines d’intervention de la loi en Grèce antique
Les statuts des personnes et les litiges
La plupart des mesures juridiques concernent le statut des personnes et des biens. Elle établissent une différence de facto entre les citoyens de plein exercice, qui ont une position privilégiée, et les autres :
- les femmes, qui sont toujours mineures
- les citoyens ou les habitants de statut inférieur, quand cela existe, comme à Sparte
- les étrangers
- les esclaves
La loi précise aussi :
- les droits et les obligations des individus par rapport à la cité
- la procédure pour régler les litiges entre particuliers
- les sanctions pénales pour châtier les crimes contre l’État
La métrologie
La métrologie, c’est la science de la mesure. La loi en Grèce antique intervient en métrologie sous bien des aspects :
Le calendrier
Chaque cité a son calendrier, marqué par des solennités religieuses spécifiques à sa communauté. Les noms des mois sont souvent empruntés à ces fêtes ou aux dieux.
À noter que les Grecs n’ont jamais réussi à résoudre le problème du décalage entre calendrier lunaire et calendrier solaire. Aristophane se moque des météorologues dans les Nuées :
« et vous, au lieu de compter exactement les jours, vous renversez tout du haut en bas. Aussi, les dieux l’accablent de fréquentes menaces, lorsque, frustrés du festin, ils reviennent chez eux, sans avoir eu la fête d’après l’ordre des jours. Quand il faudrait sacrifier, vous donnez la question ou vous êtes en procès. Souvent, tandis que, nous autres dieux, nous jeûnons en signe de deuil pour la mort de Memnon ou de Sarpédon, vous vous livrez aux libations ou au rire. Voilà pourquoi Hyperbolos, élevé cette année aux fonctions de hiéromnémon, nous, dieux, nous lui avons enlevé sa couronne. Il saura mieux désormais que c’est d’après Sélènè qu’il faut régler les jours de la vie. »
On voit par cet exemple que les choses se compliquent quand un calendrier administratif, comme celui des prytanies à Athènes, se superpose au calendrier astronomique et religieux.
Les poids et mesures
Si on veut s’en sortir dans le commerce entre cités et sur les marchés, il faut définir des poids et des mesures fiables. C’est pourquoi les cités essaient de légiférer en ce sens.
Grâce aux fouilles, on a trouvé des poids modèles et des unités types pour les mesures de capacité. Elles sont assez difficiles à interpréter.
Pour les mesures de distance et de longueur, les Grecs ont imaginé divers systèmes métriques. Ces systèmes combinent souvent rapports décimaux et rapports sexagésimaux (ces derniers viennent de la métrologie orientale).
Quelques exemples :
- Le pied varie entre 0,27 et 0,35 mètre. Il se divise en 16 « doigts » ou dactyles.
- Le stade, qui est une mesure courante quand on calcule de longues distances, vaut 600 pieds. Il varie donc entre 162 et 210 mètres !
- La coudée, qu’on utilise souvent comme mesure de longueur, vaut 1 pied et demi.
- La parasange perse vaut 30 stades, soit un peu plus de 6 km. Hérodote et Xénophon l’emploient souvent.
Comme pour le calendrier, les mesures de poids, de capacité et de longueur varient d’une cité à l’autre. Mais ici, il y a un impératif de confiance (le commerce est en jeu). Certains systèmes sont donc considérés comme plus fiables, comme le système éginétique et plus tard le système attique.
L’économie
La monnaie
La loi en Grèce antique intervient aussi dans le domaine économique. L’une de ses prérogatives essentielles, à laquelle elle tient beaucoup, c’est la monnaie. La cité émet une monnaie spécifique qui montre son indépendance. Les emblèmes adoptés sur les monnaies sont comme des blasons.
C’est ce qui explique la richesse de la numismatique grecque.
Mais, comme pour les poids et les mesures, il faut avoir confiance dans une monnaie pour l’utiliser. C’est pourquoi, en ce qui concerne les unités monétaires, on utilise les unités pondérales correspondantes :
- le talent ou la mine (unités de compte)
- la drachme ou l’obole (monnaies réelles)
Le contrôle économique
Pour que tout soit sous contrôle, la cité emploie des fonctionnaires spécialisés qui vérifient qu’on respecte bien les lois dans le cadre économique. Par exemple :
- les métronomes, vérificateurs des poids et mesures à Athènes
- les agoranomes, surveillants du marché
- les sitophylaques, commissaires aux grains
- les épimélètes, inspecteurs du port commercial à Athènes
Finalement, on voit que l’État légifère beaucoup dans le domaine économique. Des documents isolés ou fragmentaires montrent qu’il y a aussi un système de taxes ou de mesures protectionnistes, comme à Thasos pour le commerce des vins.
La religion
Là aussi, la cité légifère beaucoup ! Je vous renvoie aux articles que j’ai écrits sur ce sujet et qui montrent la multiplicité des mesures prises pour protéger la communauté, notamment de la souillure qui apporte la calamité :
- à propos des rites religieux de la Grèce antique
- à propos des fêtes et des sacrifices de la religion grecque
Comme on le voit, les cités grecques ont eu à cœur d’établir un ensemble de lois qui réglementent la vie des membres de la communauté. Le but in fine de la loi en Grèce antique n’est pas le contrôle : c’est celui de l’éternel souci de l’Eunomia, un besoin d’harmonie collective qui va se transmettre aux régimes politiques des siècles suivants, sous diverses formes. Un besoin probablement enraciné dans notre humanité grégaire, qui ne veut pas vivre seule, mais qui doit résoudre le problème toujours très vif de ce qu’on appelle aujourd’hui le « vivre ensemble ».
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Sources :
CHAMOUX, Pierre, La Civilisation Grecque, Arthaud, 1984
Image d’en-tête :
Solon défendant ses lois contre les objections des Athéniens, peinture de Noël Coypel, 1673, Louvre
À PROPOS DE L'AUTEURE
Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.
Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.
Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.