Atalante Chasseresse – Nouvelle fantastique mythologique – Partie III

Le récit de l’héroïne chasseresse continue ! Nous avons fait connaissance avec Hippomène, l’autre héros de la mythologie d’Atalante. Je vous invite à lire la suite aujourd’hui. Et, au passage, voyons de plus près les noms qu’on donne aux femmes dans la Grèce ancienne. De la pais à la l’alochos en passant par la parthenos, nous allons voir que les mots qui disent la femme n’ont rien d’anodin.

Bonne lecture !

 

Parler de la femme dans la Grèce antique

« Tu ne peux pas rester parthenos plus longtemps ! »
« Ma pais. »
« Tout homme finit par aimer son alochos. »

Tous ces mots, que j’ai placés dans la bouche de Schœnée, le père d’Atalante, peuvent tous se rapporter à notre héroïne : celle d’hier, celle d’aujourd’hui, celle de demain. Pais, parthenos, alochos, et bien d’autres : la femme dans la Grèce ancienne se définit d’abord par son âge et par son rapport à l’homme qui est son tuteur : le père d’abord, l’époux ensuite.

Que sont tous ces mots ?

  • Pais veut dire « enfant ». C’est un terme qui insiste moins sur la filiation que sur l’affection du père pour sa fille.
  • Kourè, c’est « jeune fille ». Les korè de la Grèce classique sont des jeunes filles vierges. Toutefois, dans L’Illiade, on utilise le terme kourè pour définir un rapport filial, même si la femme n’est plus vierge du tout. Comme Briséis, « kourè Brisèos », c’est-à-dire la fille de Brisès. Or, Briséis était une femme veuve et donc elle n’était plus vierge, rappelons-le car le film Troie a un peu changé le personnage !
  • Un autre mot désigne le fait d’être la fille d’un père : c’est thygater. La fille devient thygater peut-être entre le moment de sa puberté et celui de son mariage. Une fille-de-son-père qu’on se soucie de marier ?
  • Parthénos indique lui aussi une jeune fille qui a atteint l’âge de l’hymen, mais ce mot connote davantage un statut biologique, la virginité, qu’une filiation.
Contrairement à la Briséis du film Troie, la Briséis de l'Illiade n'était plus une parthenos... Mais, dans l'un ou l'autre cas, on ne lui laisse guère le choix de sa destinée !

Et la femme mariée dans tout ça ? C’est l’alochos, la gynè ou la nymphè.

  • La nymphè est une jeune femme fiancée ou mariée, en tout cas qui n’a pas d’enfant.
  • L’alochos implique souvent un lien affectueux de la part de l’homme, qu’on retrouve dans cette citation de L’Illiade, mise dans la bouche d’Achille : « Tout homme bon et sensé aime son alochos et s’en occupe, comme moi j’aimais la mienne de tout cœur, bien qu’elle eût été acquise par la lance. »
  • Quant à la gynè, elle a atteint les sommets de la pyramide sociale féminine de l’époque (hormis lorsqu’elle est aussi héroïne ou déesse !) : elle est une épouse et une mère, bref une femme accomplie ! (N’est-ce pas ?) 

Pour plus d’informations, je vous invite à jeter un œil à cette intéressante thèse qui revient sur certains de ces termes liées à la condition féminine dans la Grèce antique. 😉

Un idéal pour Atalante ? Pas si sûr ! Allons voir de son côté !

Mythologie d’Atalante Chasseresse – partie III

 

« Tu es bien la chasseresse aux pieds agiles, Atalante », déclara Hippomène lorsqu’il l’eût rattrapée.


Elle aimait qu’il admit son talent en ce domaine. De ses plus proches, c’était bien le seul à le lui reconnaître sans amertume. Son père s’en désespérait autant qu’il s’en vantait, et il parvenait souvent à allier plainte et fierté dans la même phrase.


« Vierge indomptée », continua le jeune homme à mi-voix.


Elle lui jeta un regard acéré.


« J’espère que tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi ? Aide-moi plutôt à récupérer ces bois.


— On va avoir besoin d’aide pour le transporter, remarqua-t-il en s’accroupissant près d’elle.


— On va bien trouver un paysan pour le charroi. En attendant, je veux récupérer sa ramure. »


Ils utilisèrent l’un et l’autre leurs haches pour dégager le glorieux trophée. Lorsque ce fut fait, ils avaient les mains et les bras recouverts de pourpre. Les deux lévriers batifolaient autour d’eux, excités par la poursuite et par l’odeur du sang.


« Tout doux, ma belle ! Tu as bien travaillé.


— Laissons-leur une part du festin », décida Hippomène.


Il entreprit de dépecer une partie du flanc de la bête pour l’offrir aux chiens. Pendant ce temps, Atalante partit dans le maquis. Elle tomba sur un jeune garçon qui menait des porcs entre les cistes et les bruyères.


« Nous avons abattu un élan plus haut dans l’Hélicon, lui déclara-t-elle. Si tu ne laisses pas les prédateurs et les insectes le dévorer, il est pour toi et les tiens. »


L’enfant porta sur la jeune fille des yeux adorateurs.


« Louée sois-tu, Atalante, kourè-de-Schœnée, aimée d’Artémis. »


La déesse chasseresse l’aimerait mieux lorsqu’elle se serait purifiée de tout ce sang. La jeune fille retourna en hâte vers Hippomène. Les deux lévriers avaient déjà fait un sort à la viande qui leur avait été donnée et son camarade l’attendait, les deux bois posés en équilibre sur chacune de ses épaules. En dépit de leur poids manifeste, il ne ployait pas. Atalante lui jeta un coup d’œil appréciateur. Des années de lutte, de course, d’entraînement à la lance, à l’arc et au maniement du char avaient sculpté chez son ami d’enfance une carrure athlétique. Il avait toujours su rivaliser avec elle, sur tous les plans, et elle respectait et appréciait cela.


Elle ne lui proposa donc pas son aide, ç’aurait été un affront.


« Je suppose que tu veux porter ça au Vallon des Muses », déclara-t-il.


Elle hocha la tête et ils reprirent la route pour redescendre au pied de l’Helicon. Les chiens couraient en avant, puis revenaient, tournaient autour de leurs maîtres, batifolaient en jappant de plaisir. L’ardeur du soleil, qui s’écrasa sur eux lorsqu’ils eurent tout à fait quitté la forêt et gagné le maquis, les calma un peu. Atalante et Hippomène se taisaient. La sueur les inondait, elle faisait briller leur peau, des joues encore un peu tendres de leur jeunesse jusqu’aux muscles saillants de leurs bras, de leurs cuisses et de leurs mollets. La jeune fille sentait l’humidité ruisseler entre ses seins et dans son dos.


Ils parvinrent en vue du val. Il était logé tout au pied de la montagne, dans un écrin de forêt de pins et de chênes dans lequel le vert profond des conifères se mêlait aux couleurs jaunes, passées des arbres et arbustes laminés par le soleil. Au-delà de quelques champs encaissés qui le surplombaient vers le nord, il y avait une route, la plus large de la région, l’une des rares voies qui pussent accueillir le passage aisé des chars. Atalante devint maussade en considérant l’encombrement dont elle était l’objet.


« Vois, dit-elle, ils sont déjà là, les maudits ! Ne peuvent-ils me laisser un jour de tranquillité avant de venir s’accrocher à moi comme des sangsues ? »


Hippomène s’arrêta au bord du chemin pour observer le spectacle.


« Tes prétendants ont l’air d’amener avec eux d’importantes richesses », déclara-t-il lentement.


Atalante se planta à côté de lui et plissa les yeux pour mieux distinguer les détails de la procession. Des charrois couverts d’amphores, de tonneaux, de coffres. Des chapelets de vaches et de moutons dont, si l’on tendait l’oreille, on pouvait percevoir les beuglements et les bêlements plaintifs.


« Ils viennent m’acheter, répliqua-t-elle avec mépris. Ils seront bien désappointés demain soir, lorsqu’il leur faudra remballer tout cela et refaire le chemin inverse jusqu’en leurs cités avec tous ces cadeaux. »


Elle porta ailleurs son regard et lâcha un rire bref, de dépit.


« Et voilà ma nourrice ! Père m’avait bien dit qu’il y aurait du linge à laver en abondance pour ce grand jour. Je suppose qu’il aurait préféré me voir là-bas, trimer avec les femmes, plutôt que chasser à mon ordinaire. Il croit vraiment que je vais perdre. »


Hippomène suivit des yeux le regard d’Atalante et vit un groupe d’une dizaine de personnes agglutiné au bord d’une rivière qui sourdait de la forêt pour s’élancer vers le nord en profitant de l’inclinaison des terres qui la portait vers le lac. Il hocha la tête.


« Tu es un peu dure avec ton père, finit-il par dire, avec prudence. Ce n’est pas seulement à son palais, sa maisonnée et sa cité qu’il pense en te demandant de prendre époux. C’est aussi à toi. Qu’il meurt demain, et tout ce qui est à lui reviendra à l’homme du dehors qui saura s’en emparer, celui qui sera plus fort et plus véloce que les autres. Il prendra tout. Il te prendra toi aussi, Atalante. Il te prendra toi surtout. Car qui s’empare de la fille unique peut prétendre à tout le reste. Tu subirais alors toutes les violences. Est-ce ce que tu souhaites ? Schœnée n’est pas immortel. »


Elle lui jeta encore un de ses regards acérés face auxquels il rentrait en lui-même — d’ordinaire, du moins, car, dans sa bouche, c’était déjà la seconde occurrence à sa virginité tardive.


« Crois-tu que je me laisserais faire, Hippomène ? Penses-tu que je ne me défendrais pas et que je ne vaincrais pas ? Tu me connais mieux que personne, pourtant. Et quand bien même je devrais ployer sous la force et le nombre, tu dois savoir qu’aucun homme ne me forcerait vivante.


— Tu préfères la mort au mariage ? demanda-t-il avec tristesse.


— Trouves-tu juste que je n’ai pas d’autre alternative que celle-ci ? » répliqua-t-elle, avec autant d’amertume que lui.

Buste d'homme grec trouvé dans un cimetière. Je pense qu'Hippomène pourrait ressembler à ce jeune homme inconnu.

Ils se turent jusqu’à ce qu’ils eussent rejoint le Vallon des Muses, au pied de l’Helicon. Là se dressaient des arbres magnifiques, gigantesques, plus grands et plus forts qu’ailleurs, que ni les vents, ni la sécheresse n’avaient abattus, fissurés, ternis. C’était de somptueux platanes, aux troncs envahis de lierre, de superbes châtaigniers à l’écorce grise striée de rides, des chênes et des tilleuls dont les racines serpentaient sur le sol au-delà même de l’ombre que projetaient leurs formidables ramures. Qui pouvait douter qu’ils n’eussent été le refuge des dieux ? De nombreuses offrandes avaient été accrochées à leurs branches ou déposées à leurs pieds : des figues, les premiers grains de raisin de l’été, des jonchées d’épis de blés, des fleurs et des gâteaux. Des oiseaux et de menus rongeurs s’égaillèrent à l’approche d’Atalante et d’Hippomène, abandonnant momentanément ces butins consacrés pour se cacher dans les ramées et les buissons et observer les intrus. Il ne resta des pilleurs que des insectes, des guêpes et des abeilles, des fourmis, des mouches en essaims.


« Celui-ci », déclara Atalante en désignant son autel habituel.


C’était un grand tamaris au tronc fabuleusement large, informe, presque humanoïde dans sa silhouette avachie et contemplative. De plusieurs creux qui plongeaient dans son corps vénérable suintaient une mousse épaisse d’un vert toujours printanier et des fougères qui avaient prospéré dans l’écorce même. Que de trophées la jeune fille ne lui avait-elle pas offerts ! Les peaux de lions avaient pourri depuis longtemps, mais il en restait des défenses de sanglier monumentales, et des cornes, et des griffes, et des crocs qui chantaient sourdement lorsqu’une brise les balançait entre les branches de l’arbre.


Avant de déposer leur offrande, Atalante et Hippomène se purifièrent à la chute d’eau qui jaillissait un peu plus loin depuis l’Helicon. Ils lavèrent les traces de sang qui maculaient leurs bras, depuis l’épaule jusqu’aux mains. La jeune fille nettoya aussi les égratignures qu’avaient laissées les ronces sur ses cuisses et ses jambes. Puis ils allèrent solennellement porter les bois palmés de l’élan jusqu’au tamaris. Ils les déposèrent contre le tronc, où ils se fondirent parmi les branches basses.


« Artémis, déesse chasseresse, reçois notre offrande. Toi qui connais notre cœur, qui t’appartient, ô farouche Artémis, car il est tel un hallier impénétrable rempli de ronces, que seul traverse la lumière du soleil. Laisse-nous goûter à cette lumière, encore, autant qu’il se pourra. »


La prière d’Hippomène laissa une étrange impression à Atalante. Au même instant, une radiance d’un vert intense, d’un vert doré, rempli de reflets merveilleux, vint de la ramure. Dans le silence profond, un battement d’ailes résonna. Ce cœur impénétrable qu’avait si bien décrit Hippomène, ce cœur farouchement gardé d’Atalante sentit glisser sur lui la caresse du divin.

J’espère que vous êtes toujours embarqué.e avec moi dans cette mythologie d’Atalante, et que vous aimez me lire autant que je prends plaisir à écrire pour vous. Pour lire la suite des aventures d’Atalante et Hippomène, c’est par ici ! Le roman Atalante dans sa version papier intégrale est également disponible en librairie.

Sources : Les Femmes grecques à l’époque classique de Pierre Brûlé

Image Briséis : https://www.fanpop.com/clubs/achilles-and-briseis/images/32237408/title/achilles-briseis-fanart

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

En me laissant une note, vous encouragez mon travail. Merci ! 🙂

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