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Sortir des sentiers battus de l’amour avec Frieda !

Peut-on encore réinventer les personnages féminins dans la fiction ?


On a connu de nombreuses héroïnes très diverses, de Jane Eyre à Katniss Everdeen en passant par Mahaut d’Artois dans la littérature jusqu’à Ellen Riplay ou même Gaea dans la websérie Noob ! Elles évoluent avec leur temps. Aujourd’hui, malgré des crispations importantes et des régressions quant aux droits des femmes dans certaines parties du monde, la figure féminine est de moins en moins moulée dans le plâtre.


Peut-on continuer dans cette voie en proposant des personnages dégagés de tout essentialisme de genre, notamment en ce qui concerne leurs relations amoureuses ? C’était une véritable volonté pour moi avec Frieda, l’héroïne de mon roman La Faune. Je vous explique.

L’homme et la femme volages dans la littérature : même regard ?

 

Une chose me frappe régulièrement concernant le regard que l’on porte sur les hommes et celui qu’on porte sur les femmes. C’est celui du rapport au sexe. Je parle bien de la chose sexuelle, et non du genre.


Je pense que de nombreuses femmes se reconnaîtront dans mon opinion.

 Lorsqu’un héros de film ou de roman a plusieurs relations amoureuses et sexuelles, on le suit avec indulgence, voire gourmandise. L’individu est parfois un séducteur, mais plutôt bienveillant ; quelquefois, il est le jouet des femmes qui le désirent. C’est par exemple le cas de Rand al’Thor, le héros de La Roue du Temps, que le Destin a donné à trois femmes en même temps — ce n’est pas sa faute, les prophéties l’ont dit.


On a presque de la compassion pour lui. 😀


Il va de soit que le regard porté sur les femmes qui multiplient les conquêtes est tout différent. En général, ce sont des séductrices et des femmes fatales. Mais elles sont loin de posséder le même capital sympathie qu’un Dom Juan (pour lequel je confesse une grande tendresse, tant Molière en a brossé un portrait captivant).

Rand al'Thor le héros de La Roue du temps en fan art
Rand Al'Thor, le héros de la Roue du Temps. Un fan art de ReddEra.
Louis Jouvet en Dom Juan de Molière - Photo en noir et blanc
Le Dom Juan de Molière. Pour moi, il a les traits de Louis Jouvet.

D’ailleurs, en cherchant bien, on trouve peu d’héroïnes de ce genre au centre d’un récit. Ce sont des rencontres de passage pour un héros masculin.


L’exception notable est significative.

Carmen, la gitane scandaleuse de la nouvelle de Mérimée, traîne les cœurs derrière elle. Elle est tuée par un amant fou de jalousie auquel elle déclare qu’elle ne l’aime plus. En lisant cette œuvre, j’ai eu l’impression que la compassion de l’auteur allait plutôt à l’amant qu’à Carmen.

Certes, elle apparaît comme égoïste et manipulatrice dans l’œuvre. Mais comment aurait-il pu en être autrement ?

 Une femme qui a un genre de sentimentalité « virile » ne saurait être dépeinte avec bienveillance. Ce qu’on ne pardonne pas à Carmen, c’est de mener sa vie comme le ferait un homme, en choisissant puis mettant fin à ses relations amoureuses comme elle le désire.


Ce schème n’est pas propre à l’art, il nous vient de la société, bien évidemment. Je n’oublierai jamais le jour où une femme s’est scandalisée devant mois au sujet d’une autre femme qui avait des relations sexuelles rapides avec des hommes qu’elle ne connaissait que depuis peu.

 « Mais c’est une femme ! », m’a-t-elle dit, et cela sortait du cœur. Oui, un homme peut se permettre cette légèreté. Pas une femme.


Carmen, donc, la malheureuse, ne mérite pas notre compassion. Son issue était inévitable.

(Je vous invite à lire cet intéressant article du Cairn qui résume l’ouvrage La Séduction dans la littérature de Michel Laxenaire.)

Carmen, héroïne du roman de Mérimée
Carmen, peinture à huile de l'artiste Viktoria Lapteva, 2018

Transcender les clichés autour des sexes dans la littérature

 

J’en arrive donc à moi, qui suis là, le clavier sous les doigts, avec ces réflexions, ces modèles et contre-modèles et cette envie de sortir des sentiers battus. 

Je l’avais déjà un peu fait avec Aniélis l’héroïne de mon roman Valadonne. Mais Aniélis est une torturée qui fait du mal à ceux qu’elle aime. Mauvais exemple.


Peut-on imaginer une héroïne qui papillonne dans la lumière ? Qui remette à plat les jugements des uns et des autres sur ce que devrait être la sexualité de chacun selon son genre ? Qui soit libre d’aimer (sentimentalement et physiquement) tout en entraînant la sympathie des lecteurs ?


Peut-on se dire que l’amour physique est comme un cadeau fait par une femme à un homme et qu’il ne l’engage à rien d’autre ?


C’est l’un des axes de réflexion qui m’a guidée lors de cette écriture. J’attends les retours de mes lecteurs pour savoir si, en toute humilité, j’ai atteint mon objectif. 🙂

Faites connaissance avec mon héroïne Frieda !

 

En attendant, je vous propose de retrouver Frieda dans un extrait qui illustre cette liberté d’aimer de mon héroïne.

Pour mieux apprécier votre lecture, je vous suggère de lire le début du roman La Faune juste ici.

Dehors, la nuit est déserte. Quelques derniers « Bonne nuit, Frieda » m’accompagnent tandis que je me dirige vers la source. Elle affleure à quelques pas de là, près d’un petit sanctuaire de Ceylhad bâti en pierres grises du coin. Les étoiles et le clair de lune guident mes pas jusqu’à l’eau scintillante. Je m’assois sur une pierre plate et plonge mes mains dans l’eau froide. Son contact apaise mes joues. Elles étaient brûlantes après tant d’heures passées dans l’air surchauffé et enfumé de la maison.


Mes pensées tournoient paresseusement dans l’air du soir. Borovan. Nous en avons souvent parlé, mon frère. La terre miracle, celle des mythes et des légendes. Il existe des chants la célébrant, mais je ne les partage jamais, comme si je voulais conserver le secret de ce refuge impossible.


Pourquoi impossible, Frieda ?


Tu as toujours été plus idéaliste que moi.

Frieda, une héroïne de roman qui papillonne

 

« Tu as aimé ? » demandé-je soudain.


Je me tourne vers le sanctuaire. L’étranger aux yeux clairs se détache du mur contre lequel il était adossé. Il m’a suivie sans un bruit, avec toute la félinité d’un chat, mais nul ne saurait abuser les sens d’un leith. N’est-ce pas, mon frère ? Il n’est pas artisan, ni paysan, ce n’est ni un tailleur de pierre ni un potier. Je savoure la vision de sa silhouette athlétique qui se découpe dans la lueur infime venue des nuées. La musculature est bien dessinée, longues courbes puissantes des cuisses et des bras, épaules larges, bassin étroit, rien ne m’échappe, même au travers de cette tunique de lin, rêche et reprisée à de multiples reprises. Ne m’intrigue qu’un dessin sur la peau, qui dépasse du col de sa tunique à moitié délacée sur le haut du torse.

« C’était un spectacle dont je n’ai pas l’habitude », admet-il à mi-voix.


Il parle moins de mon talent que de mon genre. Je suis un conteur moins orthodoxe que toi, Niklaus… Je me lève et il s’approche de moi. Les cheveux châtains tombent de manière désordonnée sur ses sourcils et dans sa nuque, le bliaud est sale et les chausses ne valent guère mieux, mais j’aime l’odeur fauve qui émane de lui.


« Je ne t’avais jamais vu ici.


— J’ai été recueilli cet été, répond-il avec humour. Markel, c’est mon nom. Iacovo le tisserand essaie de m’apprendre les rudiments de son art.


— Ça n’a pas l’air gagné », répliqué-je en lorgnant sa mise plus que négligée.


Il hausse les épaules.


« Je suis mauvais élève. » Puis, après un silence, il ose : « Par contre, je saurai bien ôter les taches de tes chausses si tu me les laisses. »


Son sourire, même de coin, est plein de charme. Je contiens une envie de rire. Voilà tout ce dont j’ai envie à cet instant, de la légèreté et du plaisir. Et ta fatigue, Frieda ? t’amuses-tu.


Je m’avance vers l’étranger, vers cette source de chaleur et d’effluves si puissantes, et je pose la main sur son torse. Nos regards se lient tandis que je murmure :


« Il faudra me les rendre à l’aube, Markel. »

Je vous laisse sur cette note sensuelle en espérant que la rencontre avec mon héroïne de roman Frieda vous aura plu. 🙂

Si vous souhaitez en savoir plus sur le roman La Faune, c’est par ici !

À bientôt !

Crédits images :

L’image d’en-tête est d’Amaryan / Anouck Faure, elle est extraite de la couverture du roman La Faune.

Le fan art de Rand al’Thor est de ReddEra.

La peinture de Carmen est de Viktoria Lapteva.

(Cliquez sur les images pour accéder à leur page d’artiste.)

Surnaturel et réalisme : de la fantasy naturaliste avec La Faune !

Pas de dragons, pas d’elfes, pas d’orques ? Pas de maître des ténèbres ni d’élu des prophéties ? Pas de magie ?

Et on appelle ça de la fantasy ?

Et si ce genre littéraire admirable se payait le luxe de prendre des chemins de traverse ? Si les personnages décidaient que ce n’était pas à eux de sauver le monde ? Si ce dernier prenait des accents réalistes dans toutes ses dimensions, un peu à l’image de notre monde ordinaire — le romanesque en plus, bien sûr ?

Bienvenue dans La Faune, un roman de fantasy naturaliste qui saupoudre de surnaturel un monde profondément réaliste.

Le naturalisme dans la fantasy : kesako ?

Parfois, qu’il est difficile de ranger un roman dans une case ! D’autant plus que notre époque semble beaucoup aimer ça. Ne serait-ce que dans les littératures de genre. Un mot furieusement d’actualité — tout doit avoir un genre. Dans le domaine qui nous intéresse ici, il est intéressant de remarquer que les littératures de genre s’oppose aux littératures blanches. Or, qu’est-ce que la littérature blanche, sinon celle qui est dans la norme, le standard auquel on compare les autres « genres » pour les définir ? En France, ce n’est pas à l’avantage de ces derniers. Je vous invite à lire ce billet d’humeur de Guilhem Meric paru sur Actualitté.

La fantasy, donc, c’est plutôt des gentils récits manichéens opposant le mal et le bien, avec de la magie et des êtres surnaturels. Je force le trait, bien sûr. Mais il y a incontestablement des topoï qui reviennent souvent :

  • de la magie, présente sous quelque forme que ce soit (prophéties, dons, sorcellerie pure et dure…) ;
  • un héros / une héroïne en quête pour changer l’univers dans lequel il / elle vit (même s’il ou elle agit à son corps défendant).
La Roue du Temps de Robert Jordan : un classique de la fantasy avec de la magie et un élu qui doit triompher des ténèbres (et je l'ai dévoré 🙂 ).

Loin de moi l’idée de critiquer cette fantasy enchanteresse qui m’a ravie depuis l’âge le plus tendre. D’ailleurs, la fantasy parle depuis toujours de la réalité de notre monde, à sa manière :

« La Faërie recèle bien d’autres choses, en dehors des fées et des elfes, mais aussi des nains, sorcières, trolls, géants et dragons : elle recèle les mers, le soleil, la lune, le ciel ainsi que la terre et toutes les choses qui s’y trouvent : arbres et oiseaux, eau et pierres, pain et vin, et nous-mêmes, mortels, lorsque nous sommes gagnés par l’enchantement. » (J. R. R. Tolkien, Du conte de fées)

Mais où classer les récits qui se démarquent de cette fantasy « originelle » et qui ne rentrent pas dans ses canons ? Cette fantasy âpre, qui mord dans le réel et dans laquelle on distingue mal les méchants des gentils (comme dans la vie, soit dit en passant !).


C’est à ce stade que j’ai envie de parler de fantasy naturaliste. Au XIXe siècle, Taine décrivait le naturalisme de son temps, qui était en train de s’élaborer et de se révéler, comme un genre qui ne se préoccupait pas du beau ou de l’idéal, mais se contentait de décrire la réalité, notamment sociale, comme un naturaliste le ferait des espèces de la nature.


Est-il possible de faire de même avec la fantasy ? De plonger dans l’âme des individus au plus près de leurs vérités et de décrypter des réalités sociales et culturelles tout en emportant le lecteur dans un récit fabuleux (étymologiquement, un récit inventé) ?


C’est un défi que j’ai très envie de relever.

De Robert Jordan à Émile Zola, je fais le grand pas. Et si la fantasy pouvait aussi être « naturaliste » ?

La Faune et Valadonne, deux romans naturalistes

 

Mon roman Valadonne est très réaliste. J’avais envie d’y déchiffrer la construction du fanatisme qui se nourrit et créé la haine et la violence en un cercle vicieux destructeur. Le lecteur n’y trouvera pas l’ombre d’un détail surnaturel, même si l’univers est une construction totalement inventée.


Vous trouverez par ici des extraits de Valadonne.


La Faune se place dans un univers tout aussi réaliste. Il s’agit d’ailleurs du même univers, même si l’héroïne voyage dans une autre aire géographique. Toutefois, on y trouve une touche de surnaturel : celle des leith. Il s’agit d’une espèce humaine qui se caractérise par des capacités extra-sensorielles. Rien de flamboyant : l’objectif n’est pas de faire de ces individus des êtres sur-puissants dans le cadre d’une aventure épique, mais plutôt d’interroger les différences entre les personnes et la façon dont les perçoit.

Le surnaturel apporte aussi un élément qui est précieux à mes yeux : celui de l’enchantement esthétique. Il ne modifie pas fondamentalement le récit, mais il lui donne une patine qui a une séduction unique.

Je vous propose de faire l’expérience de cette fantasy, la mienne, en lisant un extrait du roman La Faune. Je crois qu’il y a assez d’amoureux de littérature et d’imaginaire en ce monde pour laisser s’épanouir toutes les fantasy possibles et imaginables, issues de toutes les têtes d’auteurs et autrices qui trempent leur plume dans ce genre. 🙂

Roman Valadonne Marie Tétart
La Faune de Marie Tétart

Un roman de fantasy naturaliste en extrait

 

Le prologue de La Faune est en lecture libre par ici.

« Elle arrive ! Frieda arrive ! Elle est là ! »


Les cris des enfants me parviennent de loin alors que je remonte le sentier. Leur fébrilité est palpable. Les feuilles rousses et dorées des arbres qui bordent la piste en frissonnent. Sous le ciel céruléen qui nous reste du bel été, les parures sont chatoyantes et se déclinent en un camaïeu de teintes chaudes. Bel écrin pour une belle soirée, du moins, je l’espère. L’air est doux et les parfums du soir commencent déjà à monter avec l’humidité. Mes bottes brisent sous leur cuir des brindilles sèches pour s’enfoncer ensuite dans le matelas spongieux des feuilles qui s’amassent sur le chemin. J’en vois une à l’éclatant cramoisi et je la ramasse. Sa forme découpée en trois épis dentelés est parfaite. Je l’accroche à la fibule de cuivre qui retient ma cape en peau de lièvre.


Le sol est traître sous mes pas alors que j’aborde le tournant qui révèle les premiers toits. Ici, beaucoup de passages ont creusé des ornières dans la terre et les feuilles mortes les cachent presque entièrement. Des gouttes d’eau brune jaillissent des flaques dissimulées sous ce lit de nature déchue. Elles maculent mes chausses bouffantes. Je ferai nettoyer les taches à mes admirateurs ! Oui, je l’admets, Niklaus, je suis de belle humeur. Je connais ces maisons, je connais ces gens et les visages amicaux sont quelquefois des caresses même pour les plus farouches ermites.


Vois leurs toits de chaume et leurs murs de torchis, si soigneusement ravalés à chaque belle saison. Admire la façon dont le soleil polit ces surfaces de terre et de feuilles mêlées et illumine le jaune d’or de la paille. Déjà montent à mes narines les effluves bigarrés de l’activité humaine, le cuir, le fumier, le gruau, la viande séchée, l’argile, le métal… oui, même le métal a son odeur à lui, chaude et âcre, lorsque le marteau du forgeron s’abat sur lui pour en faire jaillir l’étincelle. Le bruit m’en parvient d’ailleurs, derrière les trilles joyeux des enfants qui accourent sur le chemin. Là, je les aperçois maintenant ; qu’ils ont grandi ! Niklaus, regarde, le plus vieux d’entre eux a du poil sur les joues !


Tu ris tout bas et je souris largement. Un peu de vie en société, mon frère. Nous l’avons bien mérité après ces mois de vadrouille chez les bergers des hauteurs. Ce fut plaisant, mais il était temps de goûter à autre chose.


« Une histoire, Frieda ! Une chanson ! »


Ils crient autour de moi, sautillant, jubilant, et leur fébrilité me parcourt comme une brise vivifiante. Les feuilles volent sous leurs pas et mes chausses et cape blanches se constellent de taches supplémentaires.


« Petites fripouilles ! Et que vous chanterai-je pour accompagner vos jacasseries ? Les cinq Garçons-Princes ? La Montagne qui coula dans la mer ?


— Moi, je veux Le Hussard de terre ! » crie Briag, le plus casse-cou des garçons. Il a encore cette cicatrice au front qu’il s’est faite un jour en escaladant un grand pin pour admirer les étoiles. « Le Hussard de terre, c’est la mieux !


— Non ! proteste Sara, une adorable rouquine aux longues tresses qui battent ses flancs. Chante La Ballade de Freya et d’Olek s’il te plaît !


— Tu nous embêtes avec tes chansons d’amour ! Le Hussard de terre, ça c’est la meilleure des chansons du monde !


— Pourquoi que ce serait toi qui choisis toujours ? réplique Jordi, huit ans et aussi noir de cheveux qu’est blond Briag. Y en a jamais que pour les hussards avec toi ! »


L’Épopée de Katachinsk.


Je souris à ton heureuse idée, Niklaus.

Oyez conter l’histoire si belle
Du vagabond Erick héros
Petit homme au seuil de Katachinsk
À son issue parvenu si haut…

Les enfants se mettent à sauter de joie. Ils m’accompagnent sur le sentier qui descend désormais à angle raide et nos voix joyeuses montent vers l’azur alors que nous dévalons la pente.

Je les tiens, Niklaus.


Dans la tiédeur ombrée de la grande maison, ils sont des dizaines, suspendus à mes lèvres. Toute la communauté s’est réunie dans la plus grande maison. Leurs yeux étincellent à la lueur du foyer qui brûle derrière moi. La chaleur des flammes me caresse le dos et, je le sais, allume des reflets dans ma chevelure blonde. Je l’ai détachée et elle coule en flots sur ma tunique blanche. Cela attire l’attention de certains de mes auditeurs les plus virils… moins, pourtant, que le suc déversé par mes lèvres.


« Un pinson, tout en haut du grand chêne. » Je pince trois cordes de ma lyre. L’oiseau chante. « Et il le regardait, émerveillé par cet éclat de printemps au cœur de l’hiver… »


Assis en tailleur, en rond, juste à mes pieds, les enfants me contemplent avec bonheur. La bouche de la jolie Karina bouge en silence et je devine ses mots. Vois l’oiseau, songe-t-elle, si fort que je peux l’entendre. Mes mains s’envolent dans l’éclat orange des flammes et l’ombre d’une paire d’ailes apparaît sur le mur en torchis du fond. Un grand « aaaahhh » extasié couvre un instant le crépitement du feu.


« Suis-moi ! pépia l’oiseau. Prodige incroyable ! Il parlait donc ! Suis-moi, cours dans les broussailles… »


Niklaus, je savoure cet instant. Les doigts sur les cordes de notre lyre, la bouche pleine de nos histoires, je jouis de susciter ainsi la surprise, la peur, l’émerveillement.

Ma voix concurrence le crépitement rassurant du feu et, derrière les murs, le chant entêtant du vent. Quatre murs et un toit, un ventre plein par la grâce de mes hôtes, la chaleur d’un feu et, tout autour de moi, un chapelet de visages amicaux : rien ne vaut cela, Niklaus. C’est toi qui me l’as appris. Ils le savent, les anciens, les aïeux, les défunts. La Résonance les attire et leurs silhouettes éthérées apparaissent quelquefois fugacement derrière les épaules de chair et de sang de leur descendance. L’espace de quelques secondes, je leur rends la conscience de ce qu’est une vie.


Les notes cristallines de ma lyre chantent une conclusion à l’histoire qui s’achève. J’étends ma jambe droite ankylosée tout en laissant courir mes doigts sur les cordes. La fatigue pèse sur mes épaules, mais je souris quand j’entends le murmure habituel, tellement cher à mon cœur, repris ici et là parmi l’assistance.


« Encore une… »


Diling. Ma lyre change de registre.

Jusqu’alors grave et gracieuse, elle se fait plus légère, elle se fait impertinente.


« Si vous n’en avez point assez entendu, écoutez l’histoire étrange du chaudron sorcier qui échut un jour à un couple de paysans envieux. Il ne fait pas bon en vouloir trop lorsque l’ordinaire suffit à votre bien-être, mes amis… »


Les visages me suivent tandis que je déroule l’histoire. Ces humbles paysans, rudes à la tâche et méfiants des puissants, froncent les sourcils à l’évocation de l’avarice, ils désapprouvent, ils s’inquiètent, puis, lorsqu’à l’issue de ce conte échevelé mille grands-pères jaillissent du chaudron magique, ils éclatent de rire. Mon sourire radieux croise celui d’un inconnu. Je ne l’ai jamais rencontré dans cette communauté paisible. Il a des yeux clairs qui étincellent dans la pénombre et l’aura qui émane de lui me plaît. Elle est chaleureuse, lumineuse, généreuse. Il rit à l’unisson des autres, puis ses sourcils s’arquent de surprise quand il remarque mon intérêt.


« Il est temps d’en finir avec ces sornettes, braves gens. Je vous rends vos oreilles, petites ou grandes, poilues, glabres, rouges ou toutes roses ; le reste ne me regarde plus, ne vous trompez pas en les récupérant ! »


Je reçois comme des fleurs leurs remerciements et leurs vœux de bonne nuit tandis qu’ils s’égayent autour de moi. Lothar, un potier que j’ai connu jadis, avant ses épousailles, vient m’offrir un gobelet délicatement sculpté et peint d’un bleu de cobalt qui n’est pas sans rappeler la couleur de mes yeux. Je le remercie, mais déjà il s’esquive pour rejoindre sa douce qui l’attend à la porte en se rongeant les ongles. Elle est aussi blonde que moi, et jolie, n’est-ce pas, Niklaus ? mais elle cache ses boucles sous un fichu informe.

Songeuse, je range le joli verre vernissé dans ma gibecière, au milieu de mes vêtements de rechange afin de le protéger des coups.


« Tes histoires enchantent toujours autant les miens, Frieda. »


La silhouette décharnée, toute en longueur du doyen Dolf se dresse devant moi. Son visage émacié est sévère et je le sais moins facile à émerveiller que ses ouailles, mais ce qui distrait sa communauté lui inspire le respect. Sous la chevelure d’argent et de neige, les grands yeux bleus surveillent les allers et venues des siens tandis qu’ils déploient leurs paillasses autour du feu. Ils ont la même acuité que lorsqu’il veille sur ses brebis, dans les pâturages.


« Bois, mange, dors à ta convenance, Frieda, pour prix du plaisir que nous avons pris ce soir à t’écouter. Tu es chez toi parmi nous.


— Merci, Dolf. Le gruau de tout à l’heure m’a bien rassasiée. Ton accueil est toujours aussi digne d’éloges. »


Le doyen hoche la tête d’un air entendu. Ces paroles sont des rituels précieux.


« Toujours en route, hein ?


— Toujours, mon ami, et la marche aujourd’hui a été bien longue. »


Assis sur un banc non loin de moi, le dos réchauffé par les flammes du foyer, le vieux Claus toussote. Il n’a pas atteint l’âge de Dolf, mais il porte moins bien les années que lui. Son visage empâté est couperosé et il s’appuie sur une canne pour soulager son dos usé. Je l’ai toujours soupçonné d’abuser de la boisson locale, que l’on produit avec du blé fermenté.


« La dernière marche, c’est celle qui mène à la terre des Borovans », déclare-t-il à cet instant.


Borovan…


Je m’approche de Claus et, sans façon, je pioche dans la coupe placée sur le banc, près de lui. Elle est pleine de fruits secs. Je croque un pruneau avec gourmandise.


« Que sais-tu de Borovan, l’ami ? »


Il lève vers moi un regard acéré.


« Loin à l’est, après Zelenski, après Toltse, la mer de glace. La terre qu’ils finissent tous par rejoindre, ceux de ton espèce.


— Mon espèce ?


— Ne sois pas grossier, Claus, vieille barrique avinée ! » le prévient Dolf.


Les épaules de l’autre se mettent à tressauter. Il rit, et de bon cœur. Je ne peux résister aux élans de joie et mes lèvres s’étirent.


« Je ne parle pas de ses braies d’hommes, de ses cheveux détachés et de ses coucheries, rétorque Claus. Les conteurs ont le droit à tous les vices, même ceux de la féminité dépravée. Nenni… Je parle de la liberté. »

Frieda, une héroïne solaire !

Vous voulez lire le roman d’une femme forte ? Je vous propose de découvrir une héroïne haute en couleurs, qui n’a pas besoin d’être « badass » pour faire respecter sa liberté de penser, de dire, d’aimer… d’être.

Frieda est le personnage central, et même la narratrice, de mon roman La Faune. Pourquoi La Faune ? Parce qu’elle est comme le faune de la mythologie grecque : joueuse et joyeuse, musicienne et conteuse, insaisissable, elle ne se sent à l’aise que dans les bois et les montagnes, au plus près de la nature… et loin de la civilisation des hommes.


J’ai le grand bonheur de vous la présenter et de vous offrir la lecture gratuite et en ligne du début du roman. 🙂

Mon inspiration pour le titre de ce roman : le faune de la mythologie grecque. (Ici, une huile sur toile du peintre hongrois Pál Szinyei Merse.)

La Faune – L’histoire

La Faune, c’est une histoire de liberté.

 

Aller sur les routes
Chanter le bonheur du jour
Jouer, boire et cueillir l’amour

… telle est ma ballade, à moi, Frieda, conteuse qui divague ici et là en se moquant des lois des hommes et des dieux. La liberté, voilà ce qui nous anime, Niklaus, mon frère !

Cependant, une ombre nous guette, celle de l’Ordre. Si elle s’attaque à nous, c’est parce que nous appartenons à cette espèce rare de l’humanité, les leith, que l’on craint et que l’on pourchasse pour son don de clairvoyance. Piller les esprits, faire plier les volontés, voyager dans les rêves, prédire l’avenir : voilà ce dont on nous accuse.

Un espoir pour nous : Borovan, une terre mythique que l’on dit accueillante aux gens de notre espèce. Pour l’atteindre, il nous faudra traverser un royaume que la folie des hommes a plongé dans la guerre civile…

Roman d’une femme forte, La Faune est aussi un combat pour la liberté, qu’on doit acquérir contre, mais aussi avec les autres. Car être libre, ce n’est pas seulement faire ce qu’on veut quand on le veut ; c’est aussi admettre que les autres sont libres d’être différents de nous, de penser différemment, d’agir différemment… Et que cela mérite aussi le respect.

C’est pourquoi Frieda n’est pas seulement une héroïne libre, c’est aussi une héroïne empathique et bienveillante. Une héroïne lumineuse qui cherche son chemin dans un monde souvent cruel.

La Faune – Prologue

 

Aucun souvenir ne va au-delà de celui-ci, tu le sais.


Certes, il m’arrive d’avoir des réminiscences de doigts plus virils que les miens sur les cordes de ma lyre. Il m’arrive de sentir la rugosité d’une barbe de trois jours contre mon front, mêlée à une odeur fauve qui m’évoque toujours la tendresse.

Quelquefois, j’entends résonner à mes oreilles une voix grave et mélodieuse, aussi inspiratrice de terreur que de joie tandis que les contes se succèdent. Cependant, ainsi mêlés dans la confusion de ma mémoire d’enfant, les souvenirs s’unissent et se désassemblent, fusionnent puis se fragmentent, se délitent enfin. Il ne reste alors que cette sensation que l’on ressent quelquefois au réveil, lorsque l’on tente de retenir les écheveaux d’un rêve qui s’évanouit déjà. Autant essayer d’attraper la lumière du soleil à pleines mains.


Cela est risible, tu ne trouves pas ? Nous sommes censés conserver la mémoire de toutes choses, nous, les leith. Aucun fait ne peut nous échapper, la trame du monde et de l’histoire nous est révélée, nous savons et nous ressentons tout, jusqu’au cœur de chaque être qui foule cette terre. Du moins le dit-on. Qu’en penses-tu, Niklaus, mon frère ? Sommes-nous si puissants ?

Comprends-tu la crainte de ceux qui nous haïssent, nous traquent, nous anéantissent ? Ce jour-là, je n’ai ressenti que la fragilité de ma condition d’enfant.


Les flammes s’élevaient dans notre dos. Elles étaient déjà loin, pourtant je sentais toute l’intensité de leur morsure. Cette haleine chaude soufflait derrière nous et nous poussait en avant, toujours plus vite. J’étais une ombre qui courait dans les ruelles obscures, un chat qui se sauvait, apeuré par le feu, un rat tremblant de terreur alors que la mort le troussait. Les silhouettes des toits pentus de la ville se dessinaient dans la clarté lunaire et des étoiles froides luisaient au firmament. Cette nuit aurait été spectrale sans l’incendie qui rugissait derrière nous. Niklaus, que j’avais peur ! Je ne reconnaissais pas nos nuées familières, les éclats ardents brouillaient mes sens, les cris de haine des gens qui hurlaient au loin m’accaparaient. Je vacillais, je trébuchais sur les pavés, je t’implorais, laisse-moi m’arrêter, accorde-moi le repos.


Du fond de l’oubli, ton écho me revient…

Le roman d’une femme forte

« Non, Frieda ! Il ne faut pas s’arrêter. Il ne faut pas renoncer, jamais ! »

Ton injonction est un cri puissant. Mes cheveux se dressent sur ma nuque, je me relève et réajuste la lyre trop grande dans mon dos. Je ne te décevrai pas, mon frère.

Les maisons se penchent au-dessus de nous. Cette rue-là mène à la sortie de la ville, nous n’en sommes plus si loin. Les poumons en feu, j’aperçois bientôt les pointes crénelées de la muraille qui surgissent au-dessus des toits. Je gémis. Comment passerons-nous cet obstacle, Niklaus ?

« Chut… Écoute. Nous ne sommes pas seuls. »

Nous nous arrêtons enfin, à l’affût. Ma respiration est sifflante et je pose la main sur mon cœur pour en calmer les battements affolés. La tête me tourne un instant, pas assez pourtant pour oblitérer cette sensation soudaine, diffuse, si familière et pourtant si différente.

La résonance.

Oui. Comme pour toi et moi, Niklaus. L’air frémit autour de moi, il porte en lui une présence qui n’est pas la nôtre. Je me redresse, je ferme les yeux, je respire cet autre si proche. La cacophonie de l’horreur qui se perpètre derrière nous me l’avait masqué. Il est là et il a peur. Comme moi.

Mais tu me guides, comme toujours. Tu me prends la main et me mènes dans les ruelles adjacentes. Ce lacis sinueux empeste la crasse citadine, celle de l’urine et de la cendre, des déchets qui pourrissent dans les cours, des pauvres bêtes qu’on entasse dans des réduits mal aérés. Les respirations régulières m’assaillent un instant, mais tu ne te laisses pas distraire. Ensemble, nous suivons la Résonance, ce fil d’argent crépitant de peur et de larmes.

« Non ! Ne me faites pas de mal ! »

Il se cache derrière de grands cageots remplis de courges, de toutes tailles et de toutes formes. Il est recroquevillé sur lui-même, la tête enfouie entre ses mains.

Bien sûr, il tremble bien plus que moi. Il est seul, lui. Il n’y a pas de grand frère près de lui. Il lève ses yeux vers nous : ils sont grands et très bleus dans l’obscurité. Des boucles brunes dépenaillées entourent son visage aux joues creuses. Mon cœur se serre, il se tord, comme à chaque fois.

« Vous allez les attirer ici, murmure-t-il, hagard. Ils vont me trouver. »

Sa bouche chuchote, mais son esprit hurle de peur. Là, si proche, il me fait mal. Je me mords les lèvres. Tu es là et tu m’encourages.

« Ils sont trop occupés pour s’occuper de toi. Je m’appelle Frieda et c’est mon frère, Niklaus. Et toi ? C’est quoi, ton nom ? »

Il ouvre de grands yeux abasourdis. Le bleu polaire de son regard me captive. Il est comme ces jours d’hiver où le vent charrie la neige entre les arbres nus de la forêt, tout de bleu, de gris et de blanc. Je me sens aspirée et, comme dans un rêve, ma main se tend vers le garçon. Sa peur reflue, la joie malsaine des autres au loin s’atténue, le monde s’éloigne un instant tandis que ses doigts enserrent les miens. Il ne reste que moi, lui, et ton ombre bienveillante sur nous.

Il se lève. Il est un peu plus petit que moi, mais je l’estime de mon âge, dix ans, pas davantage. Il est vêtu de haillons informes qui ne masquent pas la fragilité des poignets et la chétivité des épaules. Ses pieds nus plongent dans la fange du ruisseau. J’ai honte soudain de ma veste de daim et de mes braies larges si agréables à porter dans la marche. Il lâche ma main et baisse les yeux.

« Dimitri. »

Les clameurs au loin reprennent. Le feu ne danse plus si haut dans les nuées. Il ne faut pas rester.

« Dimitri, on doit s’en aller. Ils n’ont pas encore remarqué, mais bientôt… quand ils en auront fini… »

Le chagrin fait vaciller ma pensée, mais je le rejette. Je refuse cette douleur, je la renie. Si je la laisse faire, elle me terrassera.

« Tu connais un passage qui permet de quitter Volsei ? »

Le garçon écoute avec crainte, la tête penchée et les bras enserrés autour de la poitrine. Il hoche enfin la tête.

« Il y a plein d’issues qui mènent dans la montagne. C’est facile… » Il relève la tête d’un coup. L’angoisse sur ses traits est perceptible. « Tous les deux ? Toi et ton frère ? »

Bien sûr, toi et moi, Niklaus. Ensemble, pour toujours. Je hoche la tête.

« Montre-moi. »

Nous gravissons le sentier montagneux, si haut que Volsei, en contrebas, devient un refuge de poupée. Les flammes l’irradient encore en son cœur comme une étincelle de briquet. Elles s’éteindront bientôt et nous serons loin. Ils ne sentiront pas la Résonance.

Ma main trouve celle de Dimitri. Il regarde la ville d’un air abasourdi. Son incrédulité oblitère en lui tout soulagement. Pour l’instant. Il ne mourra pas, pas maintenant, et moi non plus. Cette pensée me remplit d’une satisfaction triste. Tu m’enserres alors, serein et aimant. Là, sous les frondaisons chargées d’un prunelier, je m’abandonne à cette étreinte, je laisse se creuser ma poitrine et affluer les larmes. Tu es là, et rien ni personne ne nous séparera.

(Le premier chapitre du roman La Faune est également disponible en ligne !)

roman d'héroïne forte
Autre femme forte, mais beaucoup plus ombrageuse : Aniélis, l'héroïne de Valadonne. (Découvrez-la en cliquant sur l'image.)

Ça vous a plu ? Est-ce que ma Faune vous inspire ? Vous avez envie de découvrir le reste de son périple ?

Dans ce cas, rendez-vous par ici : vous saurez tout sur le roman La Faune !

Faites-vous plaisir : venez arpenter les futaies obscures et lumineuses avec Frieda. 🙂

P.S. : La superbe illustration d’en-tête est l’illustration de couverture. C’est une œuvre d’Amaryan / Anouck Faure, tout comme celle de Valadonne.

Aniélis, une héroïne inspirante !

Aniélis, l’héroïne de mon roman Valadonne, ne laisse pas indifférent ! Adorée et détestée par les lecteurs, elle a aussi inspiré récemment son premier fan art.

C’est l’occasion (et c’est aussi un grand plaisir pour moi !) de vous présenter l’illustratrice Aemarielle dans cet article. Dans ses œuvres, Aemarielle met à l’honneur les femmes : sensuelles, secrètes, affirmées, libres, elles donnent un aperçu de toutes les facettes du féminin.

J’ai presque envie de dire qu’Aniélis, qui est une héroïne de roman forte, avait vocation à entrer dans son cœur !

Aemarielle, le fusain qui dévoile le divin chez les femmes

 

Aemarielle, c’est Marie-Gaëlle, une illustratrice strasbourgeoise de talent. Tout comme moi amatrice de jeux de rôle, de jeux de figurines et de littérature, elle a un talent que je ne possède pas du tout, celui de donner vie par le dessin à des femmes hautes en couleurs !


Sorcières, déesses, nymphes, femmes-fleurs… nourrissent son imaginaire. Les mythologies sont très présentes dans ses œuvres, et notamment la mythologie grecque, ce que je ne peux qu’apprécier. Quand je regarde ses magnifiques illustrations, j’ai un peu l’impression qu’elles symbolisent le divin qui habite chaque femme. (À noter : je trouve que chaque être humain, les hommes comme les femmes, abrite en eux une petite étincelle de divinité. Pas de sectarisme par ici.)


C’est ainsi que les personnages féminins d’Aemarielle sont tour à tour tendres, voluptueux, inquiétants, malicieux, et toujours captivants.


J’ai donc eu un véritable coup au cœur quand j’ai appris qu’elle avait dessiné Aniélis, l’héroïne de mon roman Valadonne.

Aniélis, une héroïne de roman forte et inspirante

 

Ce sont mes lecteurs qui le disent : Aniélis est un personnage qui ne laisse pas indifférent ! C’est un vrai bonheur pour moi de voir qu’elle marque les cœurs et les esprits de cette façon.

« L'héroïne elle-même suscite des émotions très fortes, entre tendresse et haine. C'est en tout cas une figure marquante que j'ai pris plaisir à suivre. »
« On se passionne pour ses aventures, on la plaint, on la critique, on l'aime... »
« Tout au long du roman, l'héroïne suscite des sentiments contradictoires et des émotions très ambivalentes. Je l'ai autant adorée que détestée. Malgré ses défauts et ses emportements, malgré ses errances et ses torts, le lecteur sait ce qu'elle a traversé. À défaut de lui pardonner, il comprend d'où lui vient ce feu intérieur qui ravage tout sur son passage. Indomptable et insoumise, Aniélis est avant tout un personnage humain, faillible et vulnérable. J'ai trouvé vraiment bluffante la façon que l'autrice a de construire, déconstruire, puis reconstruire son héroïne pour faire éprouver à son lecteur tout le spectre des émotions face à elle : empathie, tristesse, indulgence, colère, mépris, haine, compréhension, pardon, etc. »
« J'ai adoré et détesté le personnage féminin principal, j'ai eu envie de la secouer, puis j'ai compati à son destin et adhéré à ses luttes intérieures et contre un ennemi terrifiant : une religion misogyne et liberticide. »
« Aniélis est un personnage plein d'aspérités et de défauts, indomptable sans aucun doute, mais pas invulnérable et encore moins infaillible. »
illustration-valadonne-extrait-de-roman
Aniélis sur la couverture du roman, par une autre illustratrice talentueuse : Amaryan. (Elle en a de la chance d'avoir été représentée par des artistes aussi douées !)

Née dans une société matriarcale, arrachée aux siens et projeté dans un monde inconnu, Aniélis va lutter toute sa vie contre l’oppression d’un système qui broie les individus dans ses rouages si ces derniers n’œuvrent pas dans le sens de ce qui est perçu comme « l’intérêt commun ». Dans sa confrontation avec ses ennemis prend cependant part une bonne dose de vengeance, plus que d’altruisme. Jusqu’à quel point peut-on aller avant de devenir soi-même un monstre ?

Comme le dit Aemarielle sur son blog, « Faut se la coltiner quand même, l’icône ! » !

Cette icône, donc, Aemarielle en a admirablement capté l’essence dans cette aquarelle. Les yeux, surtout, m’ont fascinée dès que je les ai croisés.

Aniélis, l'héroïne forte du roman Valadonne

 

Aniélis en extraits : la brûleuse de temples

Voici pour le visage. Et si nous mettions des mots sur cette héroïne de roman forte et indomptable ?

Je vous propose l’un des extraits les plus emblématiques de mon roman Valadonne. Bonne lecture !

Le sang sur le sol. Le sang, partout.

Elle est à quatre pattes, ses doigts plongent dans le sang et en ressortent maculés jusque sous les ongles. Les jupes de sa robe en sont trempées.

Elle pose la main sur le corps qui gît là, dans la flaque écarlate. Un bruissement fou criaille dans l’air. Elle secoue le corps, le secoue plus fort, furieusement.

Les yeux s’ouvrent. Ils sont blancs, ils sont aveugles. Elle hurle, mais n’entend rien. Rien d’autre que le cri inhumain de Lya qui tournoie dans les flammes.

Elle se réveilla brusquement.

Près d’elle, Misha dormait. Il remua et son bras retomba sur la poitrine affolée d’Aniélis. La jeune femme se redressa sur un coude, toute tremblante. Dans le lointain, des oiseaux pépiaient et leurs chants déchirèrent son rêve. Il faisait encore sombre, mais l’aube pointait à l’est et les étoiles mouraient lentement dans les nuées. L’air était d’une grande douceur.

Elle s’extirpa avec délicatesse des bras de Misha. Il dormait bien à cet instant. Un léger sourire figeait ses lèvres. Il est si beau, songea-t-elle, mélancolique. Si gentil. Oh, Misha…

De l’autre côté du feu de camp éteint, Sibille dormait aussi. La silhouette immobile de Souris se devinait entre celles des arbres. Aniélis était seule, enveloppée seulement du chant des oiseaux qui appréhendaient le matin. Elle se leva et alla jusqu’à la lisière de la clairière dans laquelle ils avaient établi leur campement. D’entre les arbres, elle devina les ruines du sanctuaire, envahies par la mousse, les orties et les graminées. Le sentiment de triomphe de la nuit avait complètement disparu. Quel vide.

Ceylhad se moquait bien de ses incartades. Pauvre fille. L’angoisse insidieuse revenait. Que pouvait-elle contre ce dieu ? Que pouvait-elle contre l’Ordre ? Que faire pour repousser les ombres ? Celles-ci pesaient sur sa vie à chaque instant. Elle ne serait jamais libre.

« À quoi bon, Muoma », murmura-t-elle.

Sa mère ne répondit rien. Aniélis se secoua.

« Ne te laisse pas aller, se morigéna-t-elle. C’est lui qui t’envoie ces pensées-là ! Tu ne vas pas te laisser faire, hein ? »

Elle resta immobile pendant quelques instants, puis chuchota :

« Ce dont tu as besoin, c’est d’un bon feu de joie. »

Elle retourna au campement, enfila ses bottines et renoua autour de son cou le lien qui retenait sa bourse.

Le village le plus proche n’était qu’à quelques lieues de là. Ils l’avaient traversé la veille. Le temps qu’elle y parvienne, le ciel se grisait. Elle se glissa dans l’ombre des maisons, sans se laisser troubler par le claquement d’un volet, au loin, ni par le cocorico sonore d’un coq. La silhouette ramassée du sanctuaire dominait les bicoques du centre.

Sa porte n’était pas fermée. Fautifs, âmes perdues, revenez dans mon giron ! Un ricanement sec échappa à Aniélis alors qu’elle avançait dans les ténèbres du bâtiment. C’était si facile… Ils avaient laissé un flambeau allumé ; celui-ci éclairait de sa lueur crachotante les bancs de bois tournés vers le lutrin. La jeune femme s’en saisit et le leva pour éclairer le plafond et sa charpente de bois massif. Trop haut, inaccessible, mais peu importait. Elle tâtonna de la main jusque dans sa bourse et en sortit le stylet fidèle. Ceylhad… Le métal crissa contre la pierre.

Elle recula de quelques pas vers la sortie, puis s’arrêta pour contempler les lieux. En fermant les yeux, elle pouvait imaginer le décor de son enfance, le chantre et ses enfants dociles, le balcon au jubé grillagé, les bancs remplis de collégiens, et là, juste là, Joffrey… Elle releva les yeux et tendit le bras vers l’arrière, haineuse, puis lança le flambeau de toutes ses forces.

Et ça, Ceylhad ! Tu t’en fous ?

Elle passa le porche à reculons, sans se hâter. Dehors, dans le ciel qui s’éclaircissait, la magie était différente. La lumière, plus crue, ôtait au spectacle sa fantasmagorie irréelle. Un délicieux frisson d’horreur courut sur la nuque d’Aniélis. Les flammes commençaient à danser dans l’entrebâillement des portes. Un craquement résonna et, bientôt, une épaisse fumée noire passa les battants, empuantissant les alentours de son odeur rêche. La jeune femme se rencogna contre un mur quand elle entendit des portes s’ouvrir.

« Au feu !

— À l’aide ! Le sanctuaire ! Il brûle !

— De l’eau, de l’eau ! »

La panique gagnait toutes les maisonnées. Immobile, la main sur son foulard qu’elle maintenait plaqué contre sa bouche, Aniélis regarda les silhouettes s’affoler sur la place. Bande d’imbéciles. Trop vite, une chaîne d’hommes portant des seaux d’eau se forma pour éteindre l’incendie.

Soudain, ils s’immobilisèrent. Une ombre venait de paraître dans l’entrebâillement de la porte. Un cri de terreur nue s’éleva.

« Lya… » murmura Aniélis alors que l’être de feu s’extrayait du temple.

Son feu-follet, dansant et chantant dans sa mémoire un cri suraigu. Il ne dansait pas, lui ; désarticulé, il gesticulait, vacillait, trébuchait. Il rampait maintenant. L’aube rose se reflétait dans l’acier scintillant de sa petite épée dressée. En dessous, la face noircissait et la bouche béait sur un hurlement inhumain. Aniélis ne put en détacher le regard.

Sa vue se troubla tout à coup, elle vacilla et dut s’appuyer au mur derrière elle. Une vive nausée la saisit. Les cris résonnaient partout, on courait en tous sens autour d’elle, la lumière se levait, grisée par la fumée. On allait la prendre. La pensée de Sibille s’imposa. Fuir… Il faut fuir.

Elle longea le mur de la maison en aspirant une bouffée de cet air lourd d’une fumée ancienne, la même qu’à Ausser, peut-être.

« Là-bas ! cria-t-on dans son dos, dans le crépitement du brasier. Là-bas ! »

Elle se mit à courir dans la grisaille de l’aube.

Ça vous a plu ? 😉

Pour découvrir plus en détails les œuvres enchanteresses d’Aemarielle, je vous suggère d’aller visiter son blog ! Vous allez en prendre plein les yeux.

Quant à Aniélis, elle est disponible à la vente sur toutes les plates-formes en ligne et à la commande dans votre librairie préférée. Le pitch se trouve par ici et vous trouverez plus d’extraits présentant Aniélis par là.

À bientôt !

La Loi Femelle : au cœur d’une société matriarcale

Bonjour à vous, chère lectrice ou cher lecteur.

Aujourd’hui, je vous propose de découvrir un roman auquel je viens de poser les derniers mots. Il s’agit de La Loi Femelle. Si vous avez déjà lu Valadonne, vous allez en apprendre beaucoup sur le peuple de mon héroïne Aniélis et vous comprendrez mieux d’où lui vient cette volonté farouche de résister à l’oppression d’une société qui exclut les femmes. En effet, La Loi Femelle est un roman sur une société matriarcale, celle du peuple Val-Adon.

 

À l’origine de la société matriarcale val-adon

 

À l’origine de ce projet, j’ai été très inspirée par le roman d’Élisabeth Vonarburg, Chronique du Pays des Mères. Je trouvais la thématique fort inspirante : comment pouvait imaginer l’organisation d’une société purement matriarcale ?

Il y a débat autour de la définition de matriarcat. On définit parfois ce mot par le « pouvoir des femmes », alors que, dans la réalité des quelques sociétés « matriarcales » qui ont pu exister et qui existent encore, on voit qu’il s’agit plutôt de sociétés organisées « à partir des femmes ». En effet, la filiation est construite à partir des mères. Ce sont elles qui donnent le nom et la propriété. On parle alors de sociétés matrilinéaires. D’autre part, ces sociétés sont souvent construites géographiquement autour des femmes : on vit dans le foyer de sa mère. Ce sont donc des sociétés matrilocales. Les exemples montrent que, en dépit de ces particularités, les hommes n’y sont pas exclus des instances de pouvoir et de décision. Pour plus de précisions, je vous suggère cet article sur les sociétés matriarcales qui intègre une interview de l’anthropologue Heide Goettner-Abendroth.

Dans les faits, je ne sais pas si a existé un jour une société purement matriarcale dans le sens où ce mot aurait le sens inversé du mot « patriarcal ». C’est à dire une société qui donnerait le pouvoir aux femmes en excluant les hommes. Les Amazones ne tuaient pas leurs fils tout juste nés. Elles ne vivaient pas dans l’entre-soi et le mépris des hommes. Elles étaient des guerrières redoutables, qui savaient manier l’arc et monter à cheval comme leurs homologues masculins. Leur société a tout l’air d’avoir été très égalitaire sur ce point.

C’est sur ce terreau que j’ai imaginé ma société matriarcale val-adon : matrilinéaire, matrilocale, mais en sus un peu plus excluante que les sociétés historiques connues puisque c’est un conseil de femmes qui prend les décisions. Cette perspective m’a permis d’aborder les rapports de genre avec beaucoup de liberté et de curiosité, en essayant d’opérer un inversement de regards par rapport à nos sociétés actuelles qui ont des fondations patriarcales fortes.

Tout ceci n’a aucunement prétention à une quelconque valeur scientifique. 😉

Chronique du Pays des Mères, un roman qui présente une société matriarcale
Chronique du Pays des Mères d’Élisabeth Vonarburg (et, juste derrière, ma Valadonne ! ).

 

Je vous propose maintenant de découvrir un extrait de ce roman sur la société matriarcale val-adon !

 

Un extrait de La Loi Femelle

 

Je suis Laurana, fille de Mila, fille de la bantal Hansie du clan val-adon Aman-Pô. Je suis née à la fin du printemps de l’an mil cent vingt neuf, à Ausser, la communauté bâtie la plus importante de notre clan.
Je suis la première née de ma mère, laquelle était l’enfant unique de ma grand-mère Hansie. À l’époque, cette filiation directe faisait de moi l’héritière de la lignée, la bantal en puissance de notre famille. J’ai été élevée en ce sens, pourrait-on dire, quoique, en réalité, les Val-Adon ne fissent pas de vraie distinction dans l’éducation de leurs enfants. J’appris à lire les runes, j’appris à filer la laine, j’appris à manier l’arc et à mener les ânes sur nos routes de montagne. J’assistai à l’occasion aux réunions des bantals. Notre lignée n’était pas la plus importante du clan, notre voix ne dominait pas lors des décisions, mais ma grand-mère remplissait ses devoirs avec un sérieux et une discrétion qui ont fait sa réputation presque jusqu’à sa mort.

Je suis née assez tard du ventre de ma mère. Elle avait trente ans lorsque je vis le jour. Sa jeunesse avait été tumultueuse et fort occupée à rallier dans son lit tout ce que le clan comptait d’hommes remarquables, que ce fusse par la carrure, par le charme ou par l’esprit. Tardivement, elle se décida à prendre un compagnon et à enfanter. Son choix se porta sur un bûcheron effacé, très différent de tous les hommes qui l’avaient précédé. Il avait cependant ceci de particulier : il savait conter et toutes les familles se l’arrachaient pour les veillées. Les mots dans sa bouche prenaient une saveur toute particulière dès lors qu’ils parlaient d’héroïnes et de héros, d’animaux fantastiques, d’époques révolues recouvertes par la poussière des siècles. Transparent le jour, Marzel se transformait à la nuit tombante en un barde valwar comme les temps anciens en avaient produits. Sans doute est-ce de lui qu’est né mon amour de notre passé.

Marzel est mon géniteur. Je parlerai beaucoup de lui, et peut-être vous vous en étonnerez, car vous connaissez le fonctionnement des clans val-adon C’est qu’il a été plus que cela pour moi. Un père, comme on le dit ici et ailleurs. Comme un oncle l’est pour ses neveux issus de ses sœurs.

Notre maisonnée ne comptait pas d’hommes sous son toit. Je me souviens vaguement d’un vieil esclave qui mourut dans ma prime jeunesse et qui avait été le compagnon de mon arrière-grand-mère mais, pendant des années, il n’y en eut pas d’autre. Ma grand-mère avait été fille unique. Dans sa jeunesse, elle s’était éprise du géniteur de ma mère, mais celui-ci ne lui avait donné qu’un enfant avant de disparaître dans des circonstances que je ne connaissais pas. Elle n’en aima jamais d’autre et vécut le reste de sa vie dans l’abstinence. Ce fut probablement le seul reproche que le clan lui fit jamais.

Je n’avais donc ni grand-oncle, ni oncle auprès de moi. Comme ma mère, après moi, n’enfanta à son tour que des filles, la maisonnée resta pendant des années exclusivement féminine. C’est sans doute pourquoi Marzel tint une place si importante dans mon cœur. Je passais beaucoup de temps auprès de lui.

 

Un roman sur une société matriarcale

 

Malheureusement, ma mère l’éconduit assez rapidement. Je n’ai gardé aucun souvenir de leur compagnonnage, j’étais trop petite lorsqu’elle le remplaça par un autre amant beaucoup plus jeune qu’elle. Meinrad, c’était son nom, lui fit deux filles, mes petites sœurs Bélina et Prescilla. Je me souviens un peu de lui. De là où je me tenais, je le voyais très grand, bien plus que ma mère et ma grand-mère. Lorsque sa patrouille était de retour après plusieurs jours d’absence, il soupait dans la maison de sa lignée, puis il venait égayer notre veillée. Contrairement à d’autres maisonnées où s’assemblaient des dizaines de personnes, nous n’étions que trois, Muoma-Ban, Muoma et moi. Meinrad mettait de la joie dans notre foyer, il allumait des étincelles dans les yeux de ma mère et il avait toujours un mot gentil et une caresse affectueuse pour moi. Je l’aimais beaucoup et je lui fus reconnaissante pour les sœurs qu’il me donna.

Sa mort fut un déchirement pour nous. Il arrivait cependant que les échauffourées entre clans fussent violentes et ce fut le cas en cette occasion. Ma mère en pleura pendant des semaines. Elle souffrit beaucoup de ne pouvoir afficher son deuil ouvertement. C’était là la prérogative de la famille de Meinrad.

Oui, décidément, je naquis dans une maisonnée bien particulière au regard du peuple val-adon.

Après la mort de Meinrad, ma mère resta seule plus longtemps qu’elle ne l’avait jamais été. Enfin, presque. Marzel parvint à se faire une place dans son lit, à l’occasion. Jusqu’à sa mort, il fut très amoureux d’elle. Cependant, je dois bien reconnaître que l’alcôve de ma mère, dans notre chambre, bruissait de bien moins de rires et de gémissements que lorsque Meinrad l’occupait avec Muoma.

Moi, je grandissais. Comme je trouvais les histoires des adultes tristes et compliquées, je résolus de me les épargner. J’avais huit ans et mes préoccupations étaient de la plus haute importance. Marzel m’avait parlé depuis longtemps déjà de Ruvona, la Grande Aïeule. Il n’est pas certain qu’il eut été le premier à me conter son histoire, car cette figure importante du passé val-adon fait l’objet d’une vénération toute particulière chez nous. Cependant, ce sont les mots de Marzel qui me la firent aimer.

« Dans un creux de l’ombre, éclairé par un rayon d’aube, Ruvona apparaît. Elle lève la main. Entre ses doigts, il y a trois runes. « Là où il y a les ténèbres, j’apporte la lumière. Là où il y a la guerre, j’apporte la paix. Là où il y a l’injustice, j’apporte l’égalité. » Et ainsi fit-elle, la première Bantal. Ainsi fit notre Aïeule à tous. »

Personne ne contait Ruvona mieux que Marzel.

Il y avait malgré tout trop de mystère autour de la Grande Aïeule. Si d’autres s’en contentaient, ce n’était pas mon cas. Je voulais en savoir davantage. Il existait des ruines sur notre territoire, et certainement y en avait-il aussi sur celui des autres clans. Ils étaient les témoignages du passé val-adon. Ne pouvait-on y retrouver la trace de notre première Bantal ? Je rêvais d’être celle qui pourrait justifier la légende par de la pierre que l’on pourrait toucher du doigt. Pourquoi cela, je n’en sais toujours rien du tout car, enfin, personne ne me le demandait, ni se s’en souciait.

 

J’espère que cette lecture vous aura plu et vous aura donné envie d’en savoir plus sur mes Val-Adon ! Dans l’attente de ce roman sur une société matriarcale pas comme les autres, je vous propose de découvrir leur enfant terrible, Aniélis, petite-nièce de Laurana, ardente défenseuse de leur cause dans Valadonne !

 

Crédits image : Andy_Bay

Aniélis, l’héroïne marquée par le feu

Bonjour à tous et bienvenue sur mon blog pour ce premier article. 🙂

Mon propos est et restera ici de vous proposer de la lecture en ligne. Chaque semaine, donc, je posterai un extrait de roman ou une nouvelle complète. De temps en temps, je vous parlerai aussi un peu de mon actualité (sorties de romans et, si 2021 nous est favorable, séances de dédicaces en librairies et en salons et festivals).

(Au passage, je crédite WP Marmite, un super site bourré d’infos utiles et qui m’a bien aidée jusqu’à cette étape dans la création de ce site.)

Allez, revenons un peu à nos moutons ! J’ai choisi de commencer cette salve d’articles avec trois petits extraits de mon roman de fantasy, Valadonne, sorti en décembre 2020. J’espère que vous aimerez cette première incursion dans mon monde d’Angathaï et mon héroïne, Aniélis, « l’amie du feu »

Incipit : tout commence dans les flammes

Petit extrait du prologue : l’héroïne, Aniélis, a dix ans. Sa communauté est attaquée par des ennemis et elle est prisonnière de sa maison qui flambe…

« Suivez-moi ! Suivez-moi, restez près de moi ! » cria-t-elle.
Les petits toussaient à s’en arracher les poumons. Elle emporta Carl, le plus jeune d’entre eux, dans ses bras. Il enfouit son visage dans sa robe, mais il était lourd et Aniélis ne put libérer une main pour saisir les doigts de sa petite sœur. Lya s’accrocha à sa jupe en sanglotant.
Dans la pièce à côté, c’était l’enfer. Cherchant de l’air, la petite fille inhala une fumée brûlante. Elle avança en toussant, chancelante sous le poids de l’enfant. La tête lui tournait. Dans ce décor familier, arpenté depuis toujours, plus rien n’était à sa place. Un mur de flammes se dressait sur sa gauche, à la place de la longue table rectangulaire et de ses dix chaises massives et des étagères à vaisselle qui couraient sur la longueur de la salle. De là, un arc de feu surplombait la pièce jusqu’aux fenêtres en face, enguirlandé autour d’une poutre transversale, et commençait à s’emparer des tentures de laine, des rideaux, des coussins bariolés qui tapissaient les fauteuils.
Là gisait la bantal, avachie dans son siège préféré, près du coffre dont elle sortait à l’occasion vieux bijoux et parures. Elle était prostrée, la tête pendante sur le torse, et ses longs cheveux blancs dénoués glissaient jusque sur le sol. Une fleur rouge s’épanouissait sur sa poitrine.
« Bantal ! » cria Lya, pleine d’espérance, en se précipitant.
Une corde retenait une lampe de céramique au-dessus de la vieille femme. Rongée par le feu, elle céda à cet instant. L’objet rempli d’huile enflammée tomba et se fracassa sur la fillette. Un cri affreux résonna dans la pièce.
Aniélis posa Carl hurlant au sol. Elle arracha une tenture intacte et attrapa Lya au vol, alors que celle-ci, divaguant dans la pièce comme un brasier fou, hurlait un son inhumain. Un bras émergea du tissu et l’attrapa au cou en tremblant violemment. Aniélis serra les dents. Des larmes lui vinrent aux yeux lorsque la manche ardente de sa petite sœur toucha sa joue. Elle souleva le petit corps et, trébuchant, se retourna. Le rideau isolant l’entrée de la maison venait de s’enflammer.
À bout de force, à bout de souffle, Aniélis tomba à genoux. Les petits se serrèrent autour d’elle et la regardèrent, terrorisés, attendant, attendant simplement qu’elle fasse, mais qu’elle fasse quoi ?
« Pardon, hoqueta-t-elle en serrant plus fort contre elle sa petite sœur. Pardon, pardon, pardon… »
Un épouvantable bruit de craquement résonna, jusqu’à concurrencer, presque, les mugissements du feu. Aniélis avança son bras libre pour enlacer les enfants.
« Bantals, je rejoins la mort », commença-t-elle, la respiration sifflante. Les garçons se serrèrent contre elle en sanglotant, mais Sibille joignit sa voix suraiguë à la sienne. « Je me tiens devant vous, droite et fière. Me voici… »

2ème extrait de roman : la tentation du feu

Des années plus tard, Aniélis n’a pas oublié ce jour infernal. Il l’a marquée à jamais.

Aniélis recula d’un pas, haletante, et elle passa les bras autour de son torse pour apaiser ses frissons. Cela avait-il le moindre sens ? La flamme crachotante du flambeau éclairait son œuvre de son halo. Insignifiante. Dérisoire… Toutes les rayures du monde ne pouvaient pas compenser la maison en feu d’Ausser, Muoma, Muoma-Ban et la bantal réduites en cendres dans l’incendie, Lya agonisant dans les flammes…
La jeune fille arrêta les yeux sur le flambeau. La chaleur du feu lui caressa la peau. Elle tendit la main.illustration-valadonne-extrait-de-roman

Les yeux fixes, les mains posées sur le battant, Aniélis regarda au travers de la grande porte. Les flammes rougeoyaient, vacillantes, et auréolaient d’or le mobilier qui se consumait. Leur crépitement dévorant murmurait aux oreilles de l’adolescente. C’était la maison des ennemis, mais elle entendait s’en échapper des cris valadons, des cris de femmes agonisantes. Muoma… Lya…
Elle frissonna et ferma les yeux. La chaleur de la fournaise enflamma son visage. Elle ne rêvait pas, cette fois. Dans ses songes, elle subissait le brasier. Là… qu’ils brûlent tous !
Un craquement la fit sursauter et elle releva les paupières. Les bancs… le lutrin… avec de la chance, la charpente, bientôt… Il ne resterait de ce sanctuaire que sa façade et, à l’intérieur, le nom de son dieu lacéré. La jeune fille serra le poinçon dans ses mains. Une porte claqua au loin. Quelques cris fusèrent.
« Ani ! »
Une main lui saisit le bras et l’attira en arrière. Aniélis se laissa faire. Toute force l’abandonnait, elle était spectatrice. Elle se traîna sur la place à la suite de Misha, la tête tournée vers le feu de joie qui s’évadait de l’édifice par bouffées de fumée. Que c’était beau, cet éclat dans la nuit ! Il s’amplifia, il s’éleva dans le ciel, son résonnement les poursuivit tandis qu’ils couraient à travers les rues.

3ème extrait de Valadonne : l’amie du feu

Cet extrait de roman rapporte la discussion entre deux hommes qui ont connu Aniélis lorsqu’elle était plus jeune. Ils avaient essayé de la protéger… contre les autres ou contre elle-même ?

« J’ai réussi à empêcher qu’on lui fasse du mal, mais cela n’a pas suffi. Elle ne voulait pas de cette vie-là. Elle a choisi de retourner au Grès. J’ai essayé de l’en dissuader, je te le jure, j’ai voulu qu’au moins elle laisse Sibille ici, mais ça a été peine perdue. »
Il se tut. Xavier réalisa que ses poings étaient serrés. Comment Théodore pouvait-il lui annoncer aussi platement pareille nouvelle ? Il avait bravé l’Ordre pour mettre ces deux enfants en lieu sûr, il avait traversé la moitié du pays en les cachant, au mépris de la loi, et Théodore n’avait pas su contraindre une gamine de quatorze ans ! Comment avait-il pu les laisser se jeter dans la gueule du loup ?
Toi aussi, tu les as abandonnées.
« Y a longtemps ? »
Il avait retenu sa voix, mais un écho de colère la voilait. Théodore se mordit la lèvre et répondit :
« Cela fait des années, Xavier. Sept, huit ans pour le moins. Mais rassure-toi, ajouta-t-il précipitamment en voyant le mercenaire écarquiller des yeux furibonds. Elles ne sont pas mortes, j’en suis sûr. Et c’est ce que je voulais te dire, c’est ce qui est absolument incroyable : j’ai entendu parler d’elle. D’Aniélis, je veux dire. Je suis quasiment sûr qu’il s’agit d’elle, cela ne peut être qu’elle. Il y a une femme à l’est, une jeune femme dénommée Lya, qu’on surnomme aussi la Louve, et qui fait partie de la rébellion. On dit qu’elle a incendié des dizaines de temples de Ceylhad. On dit qu’elle est l’amie du feu. » Le lettré esquissa un sourire un peu dédaigneux, mais continua cependant avec ardeur : « On dit surtout qu’elle a été touchée par le feu. Elle aurait une joue brûlée. Je ne peux pas croire que ce soit une coïncidence. Je me souviens de son histoire, elle m’avait un jour parlé d’une sœur à elle qui s’appelait Lya… »

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui ! J’espère que ces trois instantanés de Valadonne vous auront envie d’en savoir plus et notamment de lire le pitch ! On se retrouve bientôt pour un autre extrait de roman ou une nouvelle à lire gratuitement en ligne. 🙂