Peut-on encore réinventer les personnages féminins dans la fiction ?
On a connu de nombreuses héroïnes très diverses, de Jane Eyre à Katniss Everdeen en passant par Mahaut d’Artois dans la littérature jusqu’à Ellen Riplay ou même Gaea dans la websérie Noob ! Elles évoluent avec leur temps. Aujourd’hui, malgré des crispations importantes et des régressions quant aux droits des femmes dans certaines parties du monde, la figure féminine est de moins en moins moulée dans le plâtre.
Peut-on continuer dans cette voie en proposant des personnages dégagés de tout essentialisme de genre, notamment en ce qui concerne leurs relations amoureuses ? C’était une véritable volonté pour moi avec Frieda, l’héroïne de mon roman La Faune. Je vous explique.
L’homme et la femme volages dans la littérature : même regard ?
Une chose me frappe régulièrement concernant le regard que l’on porte sur les hommes et celui qu’on porte sur les femmes. C’est celui du rapport au sexe. Je parle bien de la chose sexuelle, et non du genre.
Je pense que de nombreuses femmes se reconnaîtront dans mon opinion.
Lorsqu’un héros de film ou de roman a plusieurs relations amoureuses et sexuelles, on le suit avec indulgence, voire gourmandise. L’individu est parfois un séducteur, mais plutôt bienveillant ; quelquefois, il est le jouet des femmes qui le désirent. C’est par exemple le cas de Rand al’Thor, le héros de La Roue du Temps, que le Destin a donné à trois femmes en même temps — ce n’est pas sa faute, les prophéties l’ont dit.
On a presque de la compassion pour lui. 😀
Il va de soit que le regard porté sur les femmes qui multiplient les conquêtes est tout différent. En général, ce sont des séductrices et des femmes fatales. Mais elles sont loin de posséder le même capital sympathie qu’un Dom Juan (pour lequel je confesse une grande tendresse, tant Molière en a brossé un portrait captivant).
D’ailleurs, en cherchant bien, on trouve peu d’héroïnes de ce genre au centre d’un récit. Ce sont des rencontres de passage pour un héros masculin.
L’exception notable est significative.
Carmen, la gitane scandaleuse de la nouvelle de Mérimée, traîne les cœurs derrière elle. Elle est tuée par un amant fou de jalousie auquel elle déclare qu’elle ne l’aime plus. En lisant cette œuvre, j’ai eu l’impression que la compassion de l’auteur allait plutôt à l’amant qu’à Carmen.
Certes, elle apparaît comme égoïste et manipulatrice dans l’œuvre. Mais comment aurait-il pu en être autrement ?
Une femme qui a un genre de sentimentalité « virile » ne saurait être dépeinte avec bienveillance. Ce qu’on ne pardonne pas à Carmen, c’est de mener sa vie comme le ferait un homme, en choisissant puis mettant fin à ses relations amoureuses comme elle le désire.
Ce schème n’est pas propre à l’art, il nous vient de la société, bien évidemment. Je n’oublierai jamais le jour où une femme s’est scandalisée devant mois au sujet d’une autre femme qui avait des relations sexuelles rapides avec des hommes qu’elle ne connaissait que depuis peu.
« Mais c’est une femme ! », m’a-t-elle dit, et cela sortait du cœur. Oui, un homme peut se permettre cette légèreté. Pas une femme.
Carmen, donc, la malheureuse, ne mérite pas notre compassion. Son issue était inévitable.
(Je vous invite à lire cet intéressant article du Cairn qui résume l’ouvrage La Séduction dans la littérature de Michel Laxenaire.)
Transcender les clichés autour des sexes dans la littérature
J’en arrive donc à moi, qui suis là, le clavier sous les doigts, avec ces réflexions, ces modèles et contre-modèles et cette envie de sortir des sentiers battus.
Je l’avais déjà un peu fait avec Aniélis l’héroïne de mon roman Valadonne. Mais Aniélis est une torturée qui fait du mal à ceux qu’elle aime. Mauvais exemple.
Peut-on imaginer une héroïne qui papillonne dans la lumière ? Qui remette à plat les jugements des uns et des autres sur ce que devrait être la sexualité de chacun selon son genre ? Qui soit libre d’aimer (sentimentalement et physiquement) tout en entraînant la sympathie des lecteurs ?
Peut-on se dire que l’amour physique est comme un cadeau fait par une femme à un homme et qu’il ne l’engage à rien d’autre ?
C’est l’un des axes de réflexion qui m’a guidée lors de cette écriture. J’attends les retours de mes lecteurs pour savoir si, en toute humilité, j’ai atteint mon objectif. 🙂
Faites connaissance avec mon héroïne Frieda !
En attendant, je vous propose de retrouver Frieda dans un extrait qui illustre cette liberté d’aimer de mon héroïne.
Pour mieux apprécier votre lecture, je vous suggère de lire le début du roman La Faune juste ici.
Dehors, la nuit est déserte. Quelques derniers « Bonne nuit, Frieda » m’accompagnent tandis que je me dirige vers la source. Elle affleure à quelques pas de là, près d’un petit sanctuaire de Ceylhad bâti en pierres grises du coin. Les étoiles et le clair de lune guident mes pas jusqu’à l’eau scintillante. Je m’assois sur une pierre plate et plonge mes mains dans l’eau froide. Son contact apaise mes joues. Elles étaient brûlantes après tant d’heures passées dans l’air surchauffé et enfumé de la maison.
Mes pensées tournoient paresseusement dans l’air du soir. Borovan. Nous en avons souvent parlé, mon frère. La terre miracle, celle des mythes et des légendes. Il existe des chants la célébrant, mais je ne les partage jamais, comme si je voulais conserver le secret de ce refuge impossible.
Pourquoi impossible, Frieda ?
Tu as toujours été plus idéaliste que moi.
Frieda, une héroïne de roman qui papillonne
« Tu as aimé ? » demandé-je soudain.
Je me tourne vers le sanctuaire. L’étranger aux yeux clairs se détache du mur contre lequel il était adossé. Il m’a suivie sans un bruit, avec toute la félinité d’un chat, mais nul ne saurait abuser les sens d’un leith. N’est-ce pas, mon frère ? Il n’est pas artisan, ni paysan, ce n’est ni un tailleur de pierre ni un potier. Je savoure la vision de sa silhouette athlétique qui se découpe dans la lueur infime venue des nuées. La musculature est bien dessinée, longues courbes puissantes des cuisses et des bras, épaules larges, bassin étroit, rien ne m’échappe, même au travers de cette tunique de lin, rêche et reprisée à de multiples reprises. Ne m’intrigue qu’un dessin sur la peau, qui dépasse du col de sa tunique à moitié délacée sur le haut du torse.
« C’était un spectacle dont je n’ai pas l’habitude », admet-il à mi-voix.
Il parle moins de mon talent que de mon genre. Je suis un conteur moins orthodoxe que toi, Niklaus… Je me lève et il s’approche de moi. Les cheveux châtains tombent de manière désordonnée sur ses sourcils et dans sa nuque, le bliaud est sale et les chausses ne valent guère mieux, mais j’aime l’odeur fauve qui émane de lui.
« Je ne t’avais jamais vu ici.
— J’ai été recueilli cet été, répond-il avec humour. Markel, c’est mon nom. Iacovo le tisserand essaie de m’apprendre les rudiments de son art.
— Ça n’a pas l’air gagné », répliqué-je en lorgnant sa mise plus que négligée.
Il hausse les épaules.
« Je suis mauvais élève. » Puis, après un silence, il ose : « Par contre, je saurai bien ôter les taches de tes chausses si tu me les laisses. »
Son sourire, même de coin, est plein de charme. Je contiens une envie de rire. Voilà tout ce dont j’ai envie à cet instant, de la légèreté et du plaisir. Et ta fatigue, Frieda ? t’amuses-tu.
Je m’avance vers l’étranger, vers cette source de chaleur et d’effluves si puissantes, et je pose la main sur son torse. Nos regards se lient tandis que je murmure :
« Il faudra me les rendre à l’aube, Markel. »
Je vous laisse sur cette note sensuelle en espérant que la rencontre avec mon héroïne de roman Frieda vous aura plu. 🙂
Si vous souhaitez en savoir plus sur le roman La Faune, c’est par ici !
À bientôt !
Crédits images :
L’image d’en-tête est d’Amaryan / Anouck Faure, elle est extraite de la couverture du roman La Faune.
Le fan art de Rand al’Thor est de ReddEra.
La peinture de Carmen est de Viktoria Lapteva.
(Cliquez sur les images pour accéder à leur page d’artiste.)