Sculpture d'Albert-Ernest Carrier-Belleuse - Jeune femme à la coiffure ornée de fleurs et de rubans - Épreuve en terre cuite

Le zôon de la femme grecque antique : un animal encombrant !

Aujourd’hui, on va aborder la femme de la Grèce antique dans ce qu’elle a de plus intime : son zôon !


Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Le zôon, c’est un animal. Mais quand les médecins, les penseurs et les comiques grecs l’associent à la femme, ils parlent en fait de son… utérus !


Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il s’agit d’une bestiole capricieuse et encombrante, qui explique tous les dérèglements de la gent féminine. Je vous explique !

Le zôon de la femme grecque antique : un animal tyrannique

La femme souffre de beaucoup de problèmes, les hommes grecs le disent. Elle maîtrise mal son caractère, elle manque de contrôle de soi, elle peut être hystérique. Elle a souvent une sexualité déréglée dans un sens excessif.


Mais ce n’est pas vraiment sa faute. Tout ça vient de son zôon. Comprenez : son appareil génital.


Son utérus.

« Les maladies appelées féminines : l’utérus est la cause de toutes ces maladies » (Soranos d’Éphèse, Maladies des femmes, 4, 57)

Cet organe est vraiment bizarre. Il a tout de l’animal. Platon le dit lui-même :

« Ce qu’on nomme la matrice ou utérus est, en elles, comme un zôon [animal] possédé du désir de faire des enfants. » (Platon, Timée, 91 c)

Les hommes de l’époque lui attribue deux bouches, une inférieure et une supérieure, un cou et des lèvres. L’organe communique et est doué d’une acuité olfactive exceptionnelle. Dans la pensée antique, il faut vraiment l’imaginer comme un animal errant dans la cavité corporelle, le ventre de la femme. Les médecins ne sont pas les seuls à en parler ainsi, comme on le voit avec Platon qui s’est emparé du sujet dans le Timée.


L’utérus a ses propres besoins. La femme n’a pas grande autorité sur lui. C’est à cause de lui qu’elle est plus lascive que le mâle et qu’elle souffre de toutes sortes de problèmes de santé et de comportement.

Les soucis causés par le zôon à la femme en Grèce antique

« Lorsque pendant longtemps et malgré la saison favorable, la matrice est demeurée stérile, elle s’irrite dangereusement ; elle s’agite en tous sens dans le corps, obstrue le passage de l’air, empêche l’inspiration, met ainsi le corps dans les pires angoisses et lui occasionne d’autres maladies de toutes sortes. » (Platon, Timée)

« Si [les femmes] ont des rapports avec les hommes, elles sont mieux portantes ; sinon, moins bien. C’est que la matrice, dans le coït, devient humide, non sèche ; or quand elle est sèche, elle se contracte violemment et plus qu’il ne convient ; et en se contractant violemment, elle fait souffrir le corps. »
(De la génération, 4, 3)

Le zôon commence à fonctionner de travers lorsque :

  • la femme n’a pas de rapports sexuels ;
  • la femme n’est pas enceinte.

Comment expliquer ça ?


Parce que le sperme masculin a la propriété d’humidifier l’utérus, donc de le guérir. Quand à la grossesse, elle l’arrime en bas du corps.


Lorsque la femme ne connaît aucune de ces deux situations, son zôon s’assèche et souffre. Pour la femme, c’est l’hystérie.
Les Grecs définissent cette pathologie comme une maladie du désir. Elle se caractérisent par :

  • un état général d’abattement ;
  • le silence (dents serrées) ;
  • un teint livide ;
  • une respiration haletante ;
  • une hébétude qui peut atteindre la quasi-perte de conscience.

La seule tension qui parcourt la femme est une envie de mort. Cela peut la mener jusqu’à la pendaison !

John William Godward (détail) ''Fleurs d'été'' (''Summer Flowers''), 1903, huile sur toile
La femme a vraiment beaucoup de soucis à l'époque grecque antique... Peinture de John William Godward (détail) ''Fleurs d'été'' (''Summer Flowers''), 1903, huile sur toile

Sauver la femme grecque par le sexe

Pour sauver la femme, deux solutions (mais l’une procède de l’autre) : le coït ou la grossesse !


Ce sont les recommandations faites par les médecins notamment aux jeunes veuves, aux jeunes mères et aux vierges, qu’il faut absolument amener au mariage.

« Voilà ce qu’il faut que fasse la veuve : le mieux est de devenir enceinte. Quant aux jeunes filles, on leur conseillera de se marier. »
(Maladies des femmes, 2, 127)

« Je recommande aux jeunes filles éprouvant des accidents pareils de se marier le plus tôt possible ; en effet, si elles deviennent enceintes, elles guérissent. »
(Maladies des jeunes filles, L.VIII, 468)

Les femmes elles-mêmes ont l’intuition de ce qui les garde en bonne santé. C’est bien pour ça qu’elles aiment le sexe ! Les auteurs comiques jouent sur ce motif et cette perception qu’ils ont de la femme en Grèce antique. D’ailleurs, Lysistraté, l’héroïne d’Aristophane, s’en inquiète. Elle essaie d’obtenir la paix entre Athènes et Sparte en ourdissant une grève du sexe internationale. Mais ses complices sauront-elles rester fermes face à la tentation ? L’une d’elles lui dit bien :

« Renoncer au zob, [non] Lisette chérie… Il n’y a rien qui vaille ça ! »

Alors Lysistratè de conclure :

« Ah ! le joli sexe que le nôtre, il ne pense toujours qu’à se faire boucher le petit coin ! »

Le zôon grec : une façon de différencier le désir sexuel féminin

Le concept de zôon permet de qualifier le désir de la femme. Pour les auteurs anciens, il n’a pas la même intensité, voire la même nature que celui de l’homme.


L’attirance physique masculine est décrite avec des verbes mélioratifs, comme philein (« aimer »). Cette terminologie l’anoblit en l’élevant vers des sphères presque intellectuelles ou spirituelles.


Pour la femme, les expressions sont très différentes :

  •  anathyan est utilisé pour décrire les chaleurs de la truie ;
  • dérivés de kaprios (« sanglier »), kapria désigne l’utérus de la truie, karaïte peut se traduire par « être en rut » et kapraô signifie « truie » ou « femme débauchée » ;
  • skuzaô, « être en chaleur », est un terme accolé aux chiennes et aux juments (chez Aristote) et aux femmes (chez Cratinos et Phrynichos).

Finalement, de l’utérus-zôon à la femme-animal, il n’y a qu’un pas, qu’un poète comme Sémonide d’Amorgos franchit allégrement. Dans les comédies, par exemple, la truie est une vieille femme libidineuse. Les comiques Phérécrate, Hermippos et Aristophane reprennent systématiquement ce terme. Le proverbe dit même que « le rut reprend la vieille ».

Etta Moten Barnett (Lysistrata) et Rex Ingram - Affiche promotionnelle pour Lysistrata - Belasco Théâtre de New York - 17 au 19 octobre 1946 - Crédits photo James J. Kriegsmann
Etta Moten Barnett (Lysistrata) et Rex Ingram - Affiche promotionnelle pour Lysistrata - Belasco Théâtre de New York - 17 au 19 octobre 1946 - Crédits photo James J. Kriegsmann

La peur du ventre féminin, une idée grecque ?

Décidément, l’homme et la femme sont différents. Si la femme a besoin de sexe pour ne pas devenir folle, l’homme, lui, ne doit pas en abuser, car cela le dessèche. Logique antique : il donne du sperme, donc il en perd.


On lit cela en sous-texte chez Aristophane qui évoque deux hommes maigrichons :

« Et voilà ces deux-là qui font l’amour comme deux mites ! »

Les femmes, elles, ont besoin de sexe et elles aiment ça. Le problème, c’est qu’elles sont excessives. On raconte qu’une hétaïre, Laïs, en serait morte. L’excès est un trait typiquement féminin, qui est encore plus accusé chez les vieilles.


Voilà alors que surgit la peur qu’éprouve l’homme envers la femme en Grèce antique, celle du ventre féminin qui l’épuise et l’appauvrit (et qui est autant faim de sexe que faim de nourriture). Dans L’Assemblée des femmes d’Aristophane, un jeune homme n’en peut plus de « faire l’amour jour et nuit à la vieille ».


Dans la même pièce, un peu plus loin, deux vieux discutent. Le monde est en train de changer depuis que les femmes ont pris le pouvoir. Que va-t-il leur arriver ?

« — Une chose à craindre pour les gens de notre âge, c’est qu’ayant pris les rênes du gouvernement, les femmes n’aillent ensuite nous contraindre à les baiser.
— Et si nous ne pouvons pas ?
— Elles ne nous donneront pas à manger.
— Eh ! bien, par Zeus, exécute-toi ; tu déjeuneras et baiseras tout ensemble. »

Le zôon d’Atalante en question

J’utilise toujours mes connaissances historiques dans mes écrits littéraires. Autant vous dire que je me suis régalée à faire intervenir ce fameux zôon dans mon roman Atalante.


Atalante, c’est une héroïne qui ne veut pas se marier et qui y est contrainte. Alors qu’elle se prépare pour l’hymen, sa nourrice essaie de l’amadouer.

Après l’interminable séance de coiffure, il y eut encore le maquillage, qui consista surtout pour sa vieille Baléria à masquer le hâle doré d’Atalante. Il fallait blanchir sa peau et effacer toutes les traces de ces journées de liberté passées en plein soleil, ces journées viriles qui ne seyaient pas à une femme. L’ombre du gynécée attendait la jeune fille. Elle l’épouvantait mieux que les grottes obscures de l’Hélicon et leurs féroces habitants. Comme elle commençait à trembler, non plus de fureur, mais de panique, sa nourrice posa ses mains sur ses épaules. Bougonne encore, plus affectueuse pourtant, elle marmonna en lui tapotant la joue, alors qu’elle se regardait dans le miroir :


« C’est pas l’Enfer qui t’attend, ma fille… Tu vas devenir femme, c’est mieux que de rester païs toute sa vie… Ça vaut rien de garder son hymen, le sang finit par rendre folles les femmes ; laisse ton mari passer là, va ! Sûr que toutes les grossièretés qui te montent à la bouche, ça te vient de la matrice. Elle se dessèche à rester vide, je te dis, et ça c’est bon ni pour le corps, ni pour la tête. Un homme, ça te débarrasse la femme de toute hystérie. Tu peux pas rester sous la main d’Artémis toute ta vie. »


Jamais Baléria ne s’était montrée si crue. Atalante avait du mal à en croire ses oreilles.


« C’est la nature pour la femme de désirer un homme. Sans ça, comment tu crois que viendraient les enfants ? Faut juste espérer qu’à force d’attendre, tu sois encore en état d’en faire. »

J’espère que cette exploration du zôon de la femme en Grèce antique vous aura distrait ! Si oui, inscrivez-vous à ma newsletter : on explore l’antiquité grecque dans toutes ses dimensions tous les dimanches. À bientôt !

Sources : BRULÉ, Pierre, Les Femmes grecques à l’époque classique, Hachette Littératures, 2001

Crédits image en-tête : Sculpture d’Albert-Ernest Carrier-Belleuse – Jeune femme à la coiffure ornée de fleurs et de rubans – Épreuve en terre cuite

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

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