Pandore - Peinture de Lawrence Alma-Tameda

La « race des femmes » : un concept antique sympathique

La « race » des femmes : nous serons plus d’une, aujourd’hui, à nous scandaliser d’une telle expression. Pourtant, c’est ainsi qu’est représentée la gent féminine dans une certaine tradition littéraire antique.


Je vous propose de faire un focus sur cinq auteurs grecs anciens et sur la vision qu’ils développent de la femme dans l’antiquité grecque. Héritée de la poésie épique et lyrique, l’idée d’une « race » des femmes (génos gunaikôn) est à considérer avec philosophie : nous sommes alors dans une autre époque !

Hésiode : la femme source de malheurs

Dans Les Travaux et les Jours d’Hésiode (VIIIe siècle av. J.-C.), le poète évoque Pandore, la première femme. Cette apparition de la femme parmi les hommes donne le ton d’une représentation négative qui va se développer sous bien d’autres plumes dans les siècles suivants.


Pandore signifie « don de tous les dieux ». C’est Zeus qui l’offre aux hommes au terme de sa lutte avec Prométhée. Ce contexte n’est pas anodin, car la fin de ce conflit consacre aussi la fin de la commensalité des hommes et des dieux. Désormais, ils vivront séparés. Le statut de l’humanité se précise. Elle prend place entre le dieu et la bête.


La femme arrive dans ces conditions. Elle est très belle et bien parée. Tous les dieux y ont veillé : son allure est importante. Mais cette beauté est de surface, car…

« dans son sein, le Messager, tueur d’Argos, crée des mensonges, mots trompeurs, cœur artificieux, ainsi que le veut Zeus aux lourds grondements. » (Hésiode, Les Travaux et les Jours)

C’est Pandore, la première femme, qui ouvre la boîte contenant tous les maux de l’humanité.

Sémonide : la femme bestiale

J’ai déjà parlé de Sémonide, un homme charmant qui a développé une intéressante comparaison entre l’animal et la femme pour expliquer les tares de celle-ci.

Au VIIe siècle av. J.-C., le poète Sémonide d’Amorgos trace dix portraits de défauts féminins associés à une origine animale. Extrait :

« Parmi les femmes, celle-ci, née d’une truie au poil hérissé, n’a aucun ordre dans sa maison ; chez elle tout roule pêle-mêle dans la poussière et dans l’ordure ; elle ne se lave point, porte des vêtements malpropres et s’engraisse, assise sur son fumier. (…)

« Cette autre, née d’une chienne, est le vivant portrait de sa mère ; elle veut tout entendre, tout savoir ; tournant les yeux de tout côté, errant partout, elle aboie, même quand elle ne voit personne. (…) Elle ne cesse de crier sans motif. (…)

« Celle qui est formée de la cendre ou d’un âne habitué aux mauvais traitements ne cède, quand il faut travailler, qu’à la nécessité et aux menaces ; cachée dans un coin, elle mange bien avant la nuit, elle mange tout le jour, elle mange jusqu’au soir ; pour le doux commerce de Vénus, elle prend le premier homme qui se présente à elle. (…)

« Cette autre est née du singe, et c’est le plus vilain présent que Jupiter ait fait aux hommes ; elle est horriblement laide et, quand elle se promène dans la rue, elle fait rire tout le monde : sa tête remue à peine sur son cou trop court ; chez elle rien de charnu ; elle n’a que la peau sur les os. »

La femme de l’antiquité grecque est aussi comparée à une cavale (jument), à une belette lubrique… etc.

Bien plus tard, à la fin du Ve siècle av. J.-C., l’Athénien Aristophane reprend les travers bestiaux développés par Sémonide dans ses comédies Lysistrata et L’Assemblée des femmes. Les héroïnes y sont gloutonnes et manifestent un fort appétit sexuel, même dans leur grand âge !

«  LE JEUNE HOMME
Quelle est celle qu’il me faudra d’abord enfoncer pour être quitte ?
LA TROISIÈME VIEILLE
Tu ne le sais pas ? Viens ici !
LE JEUNE HOMME
Que celle-là me relâche.
LA DEUXIÈME VIEILLE
Viens plutôt ici, chez moi.
LE JEUNE HOMME
Si celle-ci me relâche.
LA TROISIÈME VIEILLE
Mais je ne te relâcherai pas, par Zeus !
LA DEUXIÈME VIEILLE
Ni moi, certes. »

Cette tradition littéraire héritée de Sémonide et d’Hésiode fait de la femme un être d’outrance. Aristophane l’utilise comme un élément comique en axant surtout son propos sur la voracité sexuelle de la femme en Grèce antique.

Scène de banquet - Vase grec à figures rouges du VIe siècle ap. J.-C.
Scène de banquet - Vase grec à figures rouges du VIe siècle ap. J.-C.

Aristote : la femme physiquement inférieure

En Grèce, notamment classique, à Athènes par exemple, les femmes sont exclues de la vie politique. Ce sont d’éternelles mineures qui vivent sous l’autorité d’un tuteur, traditionnellement leur père puis leur époux. (C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les œuvres d’Aristophane font rire : elles présentent un monde à l’envers, celui de la gynécocratie).

Cette infériorité sociale peut trouver sa justification dans l’infériorité physiologique que des écrits scientifiques attribuent aux femmes. C’est le cas d’Aristote :

« Chez tous les animaux, les parties supérieures et antérieures des mâles sont plus fortes, plus vigoureuses et mieux armées, tandis que pour les femelles ce sont celles qu’on peut appeler postérieures et inférieures. Cela est vrai pour l’être humain et pour tous les animaux terrestres vivipares. Et la femelle a les tendons moins forts et les articulations moins solides, elle a le poil plus fin chez tous les animaux qui ont des poils, et chez ceux qui n’ont pas de poils cela est vrai de leur analogue. Et les femelles ont la chair plus molle que les mâles, leurs genoux plus enclins à s’entrechoquer et leurs jambes plus fines. Leurs pieds sont plus délicats chez les animaux qui en possèdent. »

Cette vision physiologique de la femme fixe sa nature. Elle impose des canons auxquels les femmes ne peuvent pas déroger sans que cela soit perçu comme subversif. (C’est d’ailleurs pour ces raisons physiologiques qu’on considère que la place de la femme dans l’antiquité grecque est à la maison !)

Hippocrate et Diodore de Sicile : quand la femme de l’antiquité grecque… devient un homme

La femme a donc des caractéristiques physiques claires. On ne peut pas la confondre avec un homme. D’ailleurs, lorsque les femmes se travestissent dans L’Assemblée des femmes d’Aristophane, le public rit parce que ça ne marche pas. Tout le monde se rend compte de la supercherie : une femme ne peut pas se faire passer pour un homme, elle est trop différente de lui !


Aussi, quand il y a confusion des genres, rien ne va plus. C’est ce que montre l’histoire de Phaéthuse rapportée par le médecin Hippocrate (vers 460-377) :

« Phaéthuse, la femme de charge de Pythéas, avait eu des enfants auparavant ; mais, son mari s’étant enfui, les règles se supprimèrent pendant longtemps ; à la suite, douleurs et rougeurs aux articulations ; cela étant ainsi, le corps prit l’apparence virile, cette femme devint velue partout, il lui poussa de la barbe, la voix contracta de la rudesse ; et, malgré tout ce que nous pûmes faire pour rappeler les règles, elles ne vinrent pas ; cette femme mourut au bout d’un temps qui ne fut pas très long. » (Hippocrate, Épidémies)

Plusieurs constatation :

  • Phaéthuse n’a pas eu de relations sexuelles pendant trop longtemps : c’est ce qui provoque la suppression des règles, et donc la métamorphose. Les femmes aurait donc besoin d’avoir des relations sexuelles pour rester des femmes (ce qui va dans le sens d’une représentation de la femme avide de sexe léguée par Sémonide).
  • Les règles sont constitutives de la nature féminine. Une femme qui n’en a plus n’est plus vraiment une femme. Dans une société qui réfute aux « vieilles » femmes (à partir de quarante ans) toute vie sexuelle légitime, on comprend la logique. C’est ainsi que, n’ayant plus de règles alors qu’elle devrait en avoir, Phaéthuse cesse d’être une femme et devient donc un homme. Des attributs masculins apparaissent, notamment des poils.

Au Ier siècle av. J.-C., l’historien Diodore de Sicile raconte une histoire à l’issue plus heureuse. Cependant, comme la première, elle montre qu’on ne saurait confondre homme et femme dans l’antiquité grecque.

« Plus tard, une inflammation se déclara chez elle autour du sexe ; il lui vint ensuite de fortes douleurs et on appela des médecins en nombre. Personne parmi eux ne voulait s’engager à la traiter, mais un apothicaire s’engagea à la guérir. Il incisa la tumeur dont il sortit un sexe masculin : des testicules et un pénis qui n’était pas percé. Tout le monde fut stupéfait du prodige et l’apothicaire entreprit de remédier aux autres déficiences de la nature. (…)


« Quant à Kallô, laissant les navettes à tisser et le travail féminin de la laine, elle prit le costume et toutes les autres habitudes d’un homme et changea son nom en celui de Kallôn par l’addition de la seule lettre « n » à la fin de son ancien nom. Certains disent aussi qu’avant de devenir un homme elle avait été prêtresse de Déméter et qu’on lui intenta un procès d’impiété pour avoir vu ce qu’il est interdit aux hommes de voir. » (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, Fragments).

Cette fois, Kallô se métamorphose complètement. Elle devient homme y compris socialement, puisqu’on l’accuse d’avoir assisté à des rites réservés aux femmes. Preuve, s’il en est besoin, que les deux genres ne sauraient définitivement pas se confondre en Grèce antique.

Femmes grecques - Le Nouveau Bracelet, peinture d'Henryk Semiradsky
Femmes grecques - Le Nouveau Bracelet, peinture d'Henryk Semiradsky

Atalante : une femme « virile » reste une femme

Dans mon roman Atalante, j’ai réinterprété le mythe d’une héroïne qui est dite « virile » sous la plume des auteurs anciens. Toutefois, même si les poètes lui ont accordé le droit de chasser et de lutter contre les hommes dans sa jeunesse, cette exception à la règle du genre est éphémère. Atalante appartient à la « race des femmes » et elle doit rentrer dans le rang en se mariant à la fin du mythe !


Je me suis amusée à mettre dans la bouche de son père, le roi Schœnée, des mots qui auraient pu être prononcés par Sémonide, ce grand pourfendeur de femme dans l’antiquité grecque. Je vous les livre !

« Ma pais, dit-il à voix plus basse, calmée, affectueuse. C’est que j’aimais trop ta mère, ma tendre Clyménè, pour la répudier de n’avoir su me donner d’héritier mâle. Je l’aurais dû, je le sais. Tout homme finit par aimer son alochos, et moi j’ai aimé la mienne plus qu’il ne l’aurait fallu, trop pour mon propre bien. Voilà tout ce que je te souhaite de connaître avec ton époux. »

Atalante ne répondit rien. Elle ne lui jeta pas au visage les ombres de toutes ces petites sœurs exposées après elle, jusqu’à la dernière, parce qu’elles n’avaient pas eu la grâce de naître dotées de l’attribut désiré, et le cœur déchiré de sa tendre alochos à voir périr grossesse après grossesse le fruit de son ventre. Le fils n’était jamais venu.

Elle siffla. Son père marmonna, tandis qu’un grand chien fuselé, à la robe beige, sortait des écuries qui jouxtaient la cour. Il vint en trottinant, louvoyant entre les barriques de vins, les jonchées de menthe et les grands sacs en toile de jute qui regorgeaient de fenouil et de graines de sésame. Sa queue allait et venait joyeusement, sa langue pendante se réjouissait dans la gueule grande ouverte. Il s’approcha de sa maîtresse. Atalante lui caressa affectueusement la nuque.

« Une vraie femme-chienne, grommela Schœnée, toujours à aboyer, jamais contente, même lorsqu’on emploie tout à son bonheur, insociable et sauvage. Cigale, tu ne connais pas ta chance, toi dont la femelle a été dépourvue de voix par les dieux ! »

Atalante tourna les talons. »

Vous pouvez commander mon roman Atalante dans toutes les librairies.

Cet article sur l’image de la femme dans l’antiquité grecque vous a plu ? Alors abonnez-vous à ma newsletter ! Tous les dimanches, on fait escale dans l’antiquité gréco-romaine. À bientôt !

Sources :
ARISTOPHANE, Les Cavaliers – L’Assemblée des femmes, traduction Marc-Jean ALFONSI, Flammarion, 2019, Paris

Crédits image d’en-tête : Pandore s’apprêtant à ouvrir la boîte – Peinture de Lawrence Alma-Tameda

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *