Psyché réveillée par le baiser de l'Amour - Antonio Canova - Louvre

Les mots de la libido en Grèce antique

L’amour en Grèce antique, ça se dit en mots. L’amour physique, en tout cas, et particulièrement le mouvement qui attire l’homme vers la femme. Les Grecs anciens ne sont pas avares de vocabulaire en ce domaine. Je vous propose un joyeux florilège de termes et d’expressions imagés qui en disent long sur le caractère expansif des hommes grecs lorsqu’il s’agit de sexe !

La célébration de la libido des hommes grecs

Même si les auteurs anciens attribuent un besoin de sexualité excessif aux femmes, les hommes de l’antiquité grecque ne sont pas les derniers à en parler ! Dans la Grèce classique, ils manifestent publiquement l’intensité de leur libido. Ce n’est pas objet de tabou. D’ailleurs, les cités et les paysages, et même les routes, sont remplis de phalloi de toutes les matières, toutes les couleurs et toutes les tailles. Et toujours dressés, même si, chez nombre d’auteurs, le sexe de petite taille est signe d’intelligence.


Mais ici, on parle de désir charnel, et les hommes grecs n’ont pas peur de l’affirmer, en tout cas à l’écrit. Le lexique de la comédie ancienne est rempli de termes qui évoquent le sexe masculin. On ignore à quel point ce vocabulaire a été influencé par la langue parlée et les argots.


Ce lexique est joyeux. Le viol est rarement évoqué, en tout cas dans une perspective masculine. Le mouvement de l’homme vers la femme est un fait évident et rempli de gaieté.


Sa grande particularité ? Les vocables utilisés sont fonction de l’environnement immédiat. Je vous explique ça avec plusieurs exemples.

Un lexique charnel maritime

Les villes maritimes, comme Athènes, proposent des images qui font sens pour les matelots.

  • On « éperonne » une femme comme un navire de guerre voudrait « percer » une coque adverse.
  • On « calfate » une femme lorsque celle-ci atteint un certain âge, comme on répare le navire en mauvais état (dans Aristophane, un jeune homme dit qu’il y a « assez longtemps [qu’il] la calfate [la vieille] »).
  • On « conduit » ou on « manœuvre » une femme comme un navire.

L’amour, en Grèce antique, a du vent dans les voiles !


Dans ce domaine, certains hommes ont leur réputation. Si tous les marins sont virils, les Salaminiens sont de vrais loups de mer, aussi fameux amants que fameux rameurs. Ils sont passionnés et fougueux lorsqu’ils retrouvent leur femme à la maison.

« Mon mari — un vrai Salaminien que mon époux — m’a manœuvrée toute la nuit ».

On retrouve le même vocabulaire chez Platon le Comique, qui décrit un Adonis aimé à la fois d’Aphrodite et de Dionysos et qui doit les satisfaire en même temps :

« Aphrodite manœuvrait les rames avec lui en cachette, et Dionysos en faisait autant. »

Fragment d'un relief avec Aphrodite et Adonis - Période hellénistique IIIe-IIe siècle avant J.-C. - MFA Boston
Fragment d'un relief avec Aphrodite et Adonis - Période hellénistique IIIe-IIe siècle avant J.-C. - MFA Boston

Un vocabulaire de l’amour emprunté au quotidien

Les termes évoquent bien souvent les gestes de la vie quotidienne. Un homme peut « appuyer » ou « presser » une femme comme il le ferait du raisin. (Un esclave « presse sa maîtresse toute la nuit sur la couche parfumée. »)


Il peut aussi lui ôter les pépins de sa « grenade » et donc l’ « épépiner ». Voire la « dépunaiser », c’est-à-dire la dépuceler, quand l’auteur joue de la similitude des mots koris (« punaise ») et korè (« fille » / « vierge »).


Il peut aussi la « croquer » comme une friandise ou, plus sauvagement ! la « broyer », l’ « écraser », la « saccager », la « percer »… Un plaisir ! Dans des textes, il se dit que la « femme a plaisir à être saccagée »


Plus poétiquement, dans La Paix d’Aristophane, Trygée pense à la trêve et s’imaginer « passer sa vie au sein de la paix, avec une amie, à tisonner les charbons ».

Des expressions agricoles évocatrices

Comment oublier tous ces termes qui renvoient aux travaux agricoles, et notamment aux plus durs d’entre eux, ceux qui sont jugés masculins ? L’amour en Grèce antique, c’est la « vie au miel », c’est-à-dire la satisfaction des besoins primaires, ceux qui rassasient à la fois l’estomac… et le sexe. Les termes choisis évoquent donc ce contact intime avec la terre et ses produits.


Parmi les nombreuses expressions utilisées dans ce domaine, le verbe « labourer » est utilisé même dans le mariage, lorsque le père remet sa fille à son gendre.

« Je te remets cette fille pour que tu lui laboures des enfants légitimes. »

D’ailleurs, nous explique Artémidore d’Éphèse, rêver de labour, c’est rêver de femme, tout comme rêver de graines, c’est rêver d’enfants (1, 51).

Le sexe féminin est assimilé à la « prairie », à la « plaine », au « jardin », donc à tout ce qu’on peut « émotter », « maltraiter », « sarcler », « creuser », « fouiller », « ensemencer »…

« Tu m’as joliment maltraitée », lit-on çà et là.

Un autre lieu commun, c’est l’association sexe féminin / fruit. On a vu plus haut la grenade. On trouve aussi la « figue » qu’on « cueille » :

« J’ai vu en rêve la concubine d’Isocrate, Lagiska, et je cueillis sa figue ». (Stratis)

La femme, c’est aussi du raisin. On a vu qu’on pouvait la « presser ». On peut aussi la « vendanger », comme le dit Trygée, le héros de La Paix d’Aristophane (Trygée signifiant au passage Vendangeur). Lorsque sa future épouse Opôra apparaît, le chœur des laboureurs demande « Que lui ferons-nous ? — Nous la vendangerons », répond Trygée.

Un monde sensuel animal

Les mots rapprochent aussi les amants du monde animal, et notamment des oiseaux et de leur queue. L’homme « fait l’oiseau », il « fait le hochequeue », il se « courbe sur le rythme de la bergeronnette ». Dits par les hommes pour décrire leur mouvement vers la femme, ces termes sont plus poétiques que les termes animaliers utilisés pour évoquer la libido féminine !

Amphore attique à figures rouges. PAMPHAIOS, potier. Attribuée à OLTOS. Fabrication Athènes. Provenance Vulci. Vers 520-515 av J.-C. - Louvre
Amphore attique à figures rouges. PAMPHAIOS, potier. Attribuée à OLTOS. Fabrication Athènes. Provenance Vulci. Vers 520-515 av J.-C. - Louvre

L’ « amour » en Grèce antique : du côté d’Atalante

J’ai repris ce vocabulaire dans mon roman Atalante. Voici un petit extrait qui prend place au moment de la remise (ekdosis) de la fiancée à son futur époux.

Alors que sa fiancée se préparait avec les femmes dans la chambre à côté, Hippomène accomplissait les procédures formelles avec son père et son beau-père. Ils firent lire l’enguè, le contrat de mariage qui les engageait tous. Un scribe inscrivit dans l’argile toutes les formules d’usage, qui conserveraient à jamais le souvenir de cet instant. Le jeune homme battit des paupières lorsque l’esclave rangea le calame dans son écritoire. Son regard erra sur les tablettes recouvertes de symboles. Elles attestaient désormais de son autorité sur Atalante.


« Hippomène, je te remets ma fille Atalante pour que tu lui ensemences des enfants.


— Schœnée, ton nom et toute ta lignée seront perpétués dans les enfants que j’ensemencerai à Atalante. »


Ça y était enfin. L’ekdosis était achevé. Atalante lui avait été remise.

Ce petit article, un peu cocasse, sur les mots de l’amour en Grèce antique (ou plutôt les mots de la sexualité, vue par les hommes) vous a plu ? Je vous offre encore plus de contenus dans mon escale hebdomadaire en antiquité grecque. Inscrivez-vous à ma newsletter !

Sources : BRULÉ, Pierre, Les Femmes grecques à l’époque classique, Hachette Littératures, 2001

Crédits image d’en-tête : Psyché réveillée par le baiser de l’Amour – Antonio Canova – Louvre

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

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