temple de l'acropole à athènes, les caryatides

Des osselets au lit d’un homme : devenir épouse en Grèce antique

Le mariage en Grèce antique est un saut périlleux pour les jeunes épousées. J’ai déjà vu avec vous la façon dont les noces constituaient un rite de passage pour les femmes : de la sphère de l’enfance, celle d’Artémis, on passe à celle de l’âge adulte, dominée par Aphrodite. Pas d’adolescence dans l’antiquité, et surtout pas pour le second sexe, qui de toute jeune fille devient épouse et déjà presque mère !

Faire de la petite fille une femme avec les rites

Le mariage est balisé par des rites qui ont un but premier : préparer la fille à devenir épouse et mère. On marie les Grecques peu après leurs premières menstruations, dans le pire des cas à partir de 12 ans et assurément avant 18 ans.

Quand on dit « préparer », on ne pense pas à une préparation psychologique. La métamorphose est abrupte pour les jeunes filles en question et on fait peu de cas de leurs états d’âme. Il s’agit de ritualiser cette transition pour la normaliser au regard de la société et des dieux.

Avec Artémis

Les jeunes filles sacrifient ainsi à la déesse Artémis des objets choisis et lourds de sens.

Artémis est la déesse vierge, celle de la nature sauvage et de l’enfance. La jeune fille lui offre ses cheveux, qu’elle portait longs et libres jusqu’alors. Elle les a coupés ; désormais, elle ne les montrera plus, ils seront dissimulés, comme ceux de toutes les femmes mariées. La future épousée sacrifie aussi ses sous-vêtements de fille, les ceintures virginales (les culottes, si l’on passe outre l’euphémisme grec). Mais aussi les tambourins qu’elle utilisait dans les chœurs religieux en tant que parthenos (vierge). Et les ballons, et les osselets…

Tout cela est laissé en offrande à Artémis le matin pour que, le soir, elle se retrouve femme dans le thalamos, la chambre nuptiale.

Avec Aphrodite

Plutarque donne une liste des dieux et déesses qui président au mariage en Grèce antique. Parmi ceux-ci se trouvent Artémis, puis Aphrodite et Peithô (la Persuasion, fille d’Aphrodite selon Sappho)

Avec Artémis, la nymphe quitte l’enfance. Avec Peithô et Aphrodite, elle devient une femme à la sexualité adulte. Les deux déesses sont invoquées pour aider à la réussite de l’union sexuelle avec l’époux.

Aphrodite a autrefois paré Pandora de colliers d’or. Ces bijoux symbolisaient évidemment les grâces de la séduction. Dans le mariage, Aphrodite est là pour aider la nymphe à séduire son époux. C’est son rôle. C’est à l’épouse de séduire l’époux, tout comme c’est l’éromène qui séduit l’éraste dans le lien pédérastique.

D’ailleurs, pour le mariage, la jeune fille est vraiment parée de ses plus beaux atours :

  • une couronne ;
  • ses plus beaux vêtements, qu’elle a elle-même brodés;
  • des nymphides (chaussures) ;
  • un voile qui dissimule son visage.

— Heureux époux, ton mariage comme tu voulais
s’est accompli ; tu as la vierge que tu voulais.
— Ta vue est gracieuse, tes yeux
de miel, et l’amour sur ton visage attirant s’est répandu
au plus haut point t’a honorée Aphrodite
[Épouse) Virginité, virginité, où t’éloignes-tu, m’ayant quittée ?
(Virginité) Jamais plus je ne viendrai vers toi, jamais plus je ne viendrai.
À quoi, époux aimé puis-je te comparer bien ?
À un rameau souple je te comparerai le mieux.
(Sappho)

Avec Zeus Téléios et Héra Téléia

Plutarque clôt sa liste avec Zeus Téléios et Héra Téléia, le couple divin modèle, l’homme et la femme « accomplis ». C’est le sens qu’a téléios / téléia. Accomplis car mariés.

Avec ça, la jeune épouse est parée. Il ne lui reste plus qu’à aller vénérer Déméter et Dionysos pour devenir pleinement une épouse, dans toutes ses fonctions cultuelles et sociales.

Civiliser la fille sauvage par le mariage

Si on encadre aussi étroitement ce moment charnière dans la vie de la femme, c’est aussi parce qu’on considère la fille comme « sauvage ». Certains auteurs anciens voient même la femme de l’antiquité grecque comme une race à part. On l’associe fréquemment à un animal en fonction de son caractère supposé.

Avant le mariage, en Grèce antique, la parthénos est souvent dite admès, c’est-à-dire indomptée. On le voit dans L’Odyssée à propos de la jeune Nausicaa. Les filles, surtout prépubères, sont fréquemment comparées à des pouliches, des ourses, des chèvres sauvages.

Il faut donc la soumettre pour qu’elle tienne son rôle dans la société. D’ailleurs, il existe un étrange rituel athénien qui s’appelle « faire l’ourse ». Il est pratiqué par les filles prépubères ou dans la puberté dans des sanctuaires d’Artémis. Elles y subissent un temps de réclusion durant lequel elles accomplissent un mystère nocturne. Celui-ci leur permet d’« extraire » d’elles cette nature sauvage, « d’offrir ce qui en elles a le caractère sauvage ».

Les marier, c’est donc les sortir de l’état de nature, les civiliser. Les dresser et les soumettre à de nouvelles forces, celles d’Éros et d’Aphrodite.

Placer l'épouse grecque sous la coupe de l'époux

Le joug du mariage grec : une question sémantique

Le mariage grec antique est littéralement une question de domination. En grec, «être épousée » peut se traduire par « être mise sous le joug ».

Certaines déesses ont à cet égard des épithètes évocatrices :

  • Héra Syzygia (« sous le même joug ») ;
  • Aphrodite est parfois dite Zygia et, d’après Plutarque qui les approuve, les Delphiens l’appellent « déesse de l’attelage conjugal ».

La femme grecque sous le joug de son époux

L’épouse grecque ne sort guère de la maison. Lorsqu’elle le fait, elle doit être voilée et couverte. En revanche, le foyer est son domaine. C’est elle qui a en charge les affaires domestiques.

Les Grecs anciens considèrent donc qu’elle a un fort pouvoir de nuisance si elle décide de rendre difficile l’existence de son mari.

D’ailleurs, dans certaines cités grecques, lors du mariage, l’épousée porte une couronne d’asperges.  C’est un avertissement qui rappelle au marié que la partie douce de la femme est protégée par des épines. On en revient finalement à la sauvagerie inhérente à la gent féminine !

Toutefois, la femme est légalement complètement subordonnée à son époux. Dans la pièce de théâtre d’Aristophane, Lysistrata, les vieillards menacent les femmes de coups pour les faire taire et les remettre à leur place. Même s’il s’agit de comédie, on peut largement supposer que les époux avaient le droit d’infliger une rossée à leurs femmes sans être inquiétés.

« Si tu ne te tais, j’épuiserai tout ce qu’il me reste de force à te rosser. »

Rappelons que le mari est souvent deux fois plus vieux que sa femme au moment du mariage. Si celle-ci a entre 15 et 18 ans, l’époux a environ 30 ans. On peut tout à fait imaginer l’autorité qu’un homme de cet âge peut avoir sur une jeune fille qui vient de quitter le nid familial.

amphore à figures noires montrant une procession de mariage
Sur cette amphore à figures noires, on voit la procession d'un mariage légendaire : celui du héros Pélée et de la néréide Thétis. Environ 540 avant J.-C. (Crédit : Vladimir Naikhin, musée des terres bibliques)

Deux exemples de mariage en Grèce antique : Atalante et Hélène

Je vous propose deux extraits littéraires qui donnent un aperçu du mariage dans l’antiquité grecque.

Hélène de Troie et Ménélas

Or donc, un jour à Sparte, chez le blond Ménélas, des vierges, la chevelure ornée de l’hyacinthe fleurie, formèrent un chœur devant la chambre nuptiale toute décorée de peintures ; elles étaient douze, les premières de la ville, de splendides Lacédémoniennes ; c’était le jour où je plus jeune fils d’Atrée [Ménélas] enfermait avec lui la Tyndaride bien-aimée qu’il avait demandée en mariage, Hélène. Elles chantaient toutes de concert, frappant le sol de pas compliqués ; et le palais autour d’elles résonnait des accents de l’hyménée [chant de noces]… Sois heureuse, jeune épouse ; sois heureux, gendre d’un noble beau-père. Puisse Léto vous donner, Léto nourricière d’enfants, une belle progéniture ; Kypris, la déesse Kypris, l’égalité d’un amour réciproque ; et Zeus, le fils de Cronos, une prospérité impérissable.
(Théocrite, Épithalame d’Hélène)

Atalante et Hippomène

J’ai moi aussi illustré le mariage grec antique avec les noces des héros grecs Atalante et Hippomène.

Ci-dessous, Atalante subit les rites du mariage, notamment ceux des offrandes faites à Artémis.

Voici donc ce à quoi pouvait ressembler les préliminaires d’un mariage à l’époque classique.

« Allons, déclara la mère d’Hippomène en levant une main gracieuse en direction de Baléria. Commençons pour ne pas faire attendre nos hommes lorsqu’il en sera temps. »

Oui, finissons-en, songea la jeune fille.

Elle se laissa couper une boucle de cheveux et alla la déposer au pied de la statue d’Artémis qui occupait l’un des coins de sa chambre. Elle y sacrifia aussi l’une de ses ceintures, comme le voulait l’usage.

« Artémis, puisse par ta volonté le jour de son mariage être aussi celui de sa maternité ! » déclara Béronikè, immédiatement imitée par les autres femmes autour d’elle.

C’était la première fois que la déesse chasseresse apparaissait à Atalante comme une ennemie.

Que se passait-il ? Pourquoi l’abandonnait-elle à son sort ?

Pourquoi acceptait-elle de la perdre au profit d’Aphrodite ? Ne l’avait-elle pas assez honorée ?

Baléria, Béronikè, toutes les femmes se pressèrent autour d’elle avec des colliers d’or, des bagues d’argent, des bracelets sertis d’ivoire, de nacre, de perle…

Le métal tintinnabulait à ses oreilles à lui en donner le vertige, mêlé dans ses harmoniques aux voix douces et monocordes qui ne cessaient de réciter les prières : « Aphrodite, aide Atalante, kourè-de-Schoéné, à faire naître le désir chez Hippomène. ».

Elle ne s’était jamais sentie vulnérable lorsqu’elle courait ou luttait nue, mais sous ces monceaux d’or et de pierres précieuses, qui alourdissaient chacun de ces gestes, elle avait l’impression d’être une proie. Elle eut presque un recul lorsque sa nourrice s’approcha d’elle avec la ceinture rituelle, celle que l’époux dénouait pendant la nuit de noces. Elle la passa autour de sa taille comme une marionnette.

Aphrodite, la déesse qui noue la femme à son époux. © 2000 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski

Mon roman Atalante peut être commandé dans toutes les bonnes librairies ! À lire pour découvrir la suite de ce mariage en Grèce antique… héroïque.

Si la mythologie grecque vous plaît, vous aimerez aussi ma nouvelle sur la pythie de Delphes. Le Dit de l’oracle est disponible gratuitement en ebook ici. Bonne lecture !

Sources :

BRULÉ, Pierre, Les Femmes grecques à l’époque classique, Hachette Littérature, 2001

MATYSZAK, Philip, Une Année en Grèce antique, First Éditions, 2022, Paris

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

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