Reconstitution de la trière Olympias -Crédits photo Da Jackson Commons Wikimedia

Hissez la voile en Grèce antique !

Il y a quelques temps, j’ai écrit une nouvelle sur l’héroïne mythologique Ariane. Fille de Minos, roi de Crète, qui s’enfuit sur les mers avec le héros athénien Thésée avant de rencontrer Dionysos (dieu dont le mythe intègre un épisode fameux sur un navire), je me suis forcément intéressée à la marine grecque antique.


Ma plongée dans la guerre de Troie pour les besoins d’un vaste projet littéraire a amené d’autres recherches documentaires intensives. Les nefs achéennes sont omniprésentes dans l’Iliade.


L’occasion est trop tentante de vous offrir un article aussi complet que possible sur la marine de la Grèce antique et son évolution au fil des siècles.

La marine grecque avant l’époque classique

À l’époque mycénienne

On sait que les Grecs de l’époque mycénienne utilisent déjà des vaisseaux pour la guerre. Ils font aussi de la piraterie : les deux activités vont de pair jusqu’à l’époque hellénistique. Un document appelé tablette de Pylos fait allusion à une expédition maritime.


La guerre de Troie est l’exemple d’une opération militaire mêlant l’intervention conjointe de la marine et de l’armée de terre, même si les vaisseaux servent surtout à transporter les soldats. (Et que, dans l’Iliade, Homère décrit les navires de son temps, c’est-à-dire de l’époque archaïque.)


En tout cas, les bateaux servent déjà dans des traversées importantes, comme l’invasion de l’Égypte par les Peuples de la Mer, parmi lesquels se trouvaient des Achéens. On est alors à la fin du XIIIe siècle.


Toutefois, on ne sait pas trop à quoi ressemblent les navires de l’époque. Les pierres gravées, dessins ou graffitis sont hélas trop sommaires.

À l’âge homérique

Les sources

Nos connaissances sont beaucoup plus précises pour l’époque archaïque. Cela, nous le devons en partie à Homère, ainsi qu’aux vases géométriques qui représentent souvent des scènes de batailles navales ou des combats près des vaisseaux. D’ailleurs, lesdites représentations rappellent fortement les combats des Achéens et des Troyens près des « nefs noires » et décrits dans l’Iliade !

Cratère d'Aristhonotos face B. Cerveteri milieu du VIIe siècle ap. J-C.
Le Cratère d'Aristonothos date du VIIe siècle et montre la tactique de l'époque : les vaisseaux se placent bord à bord pour permettre le combat entre les hoplites embarqués.

Le vaisseau archaïque dans le détail

À quoi ressemblent ces vaisseaux ?


Ce sont de grandes galères non pontées. Elles ont un éperon, un gaillard d’avant et un gaillard d’arrière. Ces deux derniers sont surélevés et bordés de rambardes.


Les rameurs sont installés au milieu, en deux files et sur un seul niveau. Les rames sont appuyées sur des tolets en forme de crocs plantés verticalement sur le plat-bord.


Entre les deux files de rameurs, il y a un passage surélevé (ou coursie) qui permet de passer de l’avant à l’arrière du navire. C’est là que se tiennent les soldats embarqués.


Le navire est dirigé grâce à deux longues rames qui font office de gouvernail. Elles sont disposées de part et d’autre de la poupe. Le pilote qui les manie est installé dans un espace qui lui est réservé, le « banc de pied ». Cet espace occupe toute la largeur du navire (soit environ 2 mètres) près de la poupe. On voit le grand Ajax manœuvrer sur ce banc, dans l’Iliade, Chant XV, pour repousser les ennemis à l’aide d’une grande pique :

« Mais il allait de l’un à l’autre tillac des navires, marchant à grands pas, et manœuvrant l’énorme gaffe d’abordage emmanchée… »

Cette marine grecque antique de l’époque archaïque va à la rame et à la voile. Mais il n’y a qu’une seule voile, justement. Elle est accrochée à un mât unique, amovible, fiché dans un trou de la coursie au milieu du navire. Le pied du mât est maintenu dans un bloc de bois (ou emplanture) qui adhère à la quille. La vergue horizontale est hissée avec des drisses de cuir. Elle porte la voile. Celle-ci est carrée. On la maintient et on l’oriente avec des écoutes et des bras de vergue. Ce gréement est le même que celui utilisé par les navires égyptiens.

Les allures et les manœuvres du vaisseau archaïque

Ces vaisseaux ne peuvent pas naviguer au plus près avec un tel gréement. Les seules allures possibles sont vent arrière et grand largue. Si l’équipage veut serrer le vent, il faut carguer la voile et prendre les rames.


C’est alors aux rameurs de s’y mettre. Ils sont 50 maximum, 25 de chaque bord.


Remarquons que ces vaisseaux ont un éperon. Ils peuvent donc détruire un navire ennemi en lui rentrant dedans. Cependant, il ne semble pas que cette tactique soit souvent employée.


Le combat naval ressemble plutôt au combat terrestre. Chaque navire essaie de se placer bord à bord avec l’ennemi pour l’aborder. Ainsi, les hoplites embarqués peuvent s’affronter en combats singuliers. Il n’y a pas de stratégie d’ensemble.


On retrouve cette configuration sur de nombreux vases, comme le cratère d’Aristonothos (VIIe siècle).

Aux VIIe et VIe siècles

C’est la grande époque des pentécontores (navires à 50 rames). Les cités maritimes, et notamment Corinthe, les mettent à l’honneur dans de nouvelles tactiques navales.


Corinthe est une cité établie sur un isthme. Elle regarde vers les deux mers, la mer Ionienne et la mer Égée. Pour protéger son commerce et ses relations avec ses colonies, il lui faut absolument une importante marine de guerre.


Elle développe un nouveau type de navires : les pentécontores. Ils sont toujours non pontés, mais plus bas sur l’eau, plus rapides et plus maniables. Les rames des 50 rameurs passent désormais dans des ouvertures faites dans le plat-bord.


Plus faciles à manœuvrer, les pentécontores utilisent plus souvent leur éperon.


Il existe aussi des triécontores (30 rameurs), qui sont conçues de la même façon mais en plus petit.


Pentécontores et triécontores sont utilisées pour la guerre et pour l’expansion coloniale. Ainsi, Battos et ses compagnons quittent Théra sur deux pentécontores. Leurs vaisseaux les emmènent jusqu’en Lybie, où ils fondent Cyrène.


La pentécontore fait 30 à 35 mètres de long. Difficile de faire plus pour un navire en bois — au-delà, il risque de se briser en haute mer. Pourtant, les Grecs veulent aller plus vite en mettant plus de rameurs dans leur vaisseau. Comment faire sans allonger le navire ?


Ils finissent par trouver la réponse à l’époque classique, avec les trières.

Partie droite du bloc de l’Alcazar avec le graffito d’un grand navire. Photo Ph. Groscaux, Centre Camille Jullian
Partie droite du bloc de l’Alcazar avec le graffito d’un grand navire. Photo Ph. Groscaux, Centre Camille Jullian - Est-ce une pentécontore ?

La marine grecque antique à l’époque classique

Les dières et les trières

Pour mettre plus de rameurs dans le vaisseau sans l’allonger, une solution : les superposer !


Les dières et les trières de l’époque classique possèdent deux ou trois niveaux de rameurs. Ce sont les vaisseaux les plus nombreux de l’époque classique. La star, c’est la trière. C’est d’ailleurs l’élément essentiel de la flotte athénienne au moment de son apogée.


La trière est un navire qui se manœuvre très bien. Elle le doit à plusieurs caractéristiques innovantes par rapport à la pentécontore.


Elle mesure 35 à 38 mètres de long. Le tirant d’eau fait moins d’un mètre pour 80 tonneaux de déplacement (équivalence moderne bien sûr).


La coque de la trière est renforcée de préceintes. Elle possède un éperon — et elle s’en sert.


Elle peut filer 5 ou 6 nœuds (9 à 11 km/heure).


Mais sa grande originalité, c’est sa superposition des rameurs, qui en triple le nombre par rapport à l’époque précédente !

La superposition des rameurs

Il y a trois niveaux de rameurs dans une trière :

Les zeugites au milieu

Ils sont situés au même niveau que les rameurs traditionnels de la pentécontore et des vaisseaux archaïques. Les zeugites sont assis directement sur les baux du navire (les zeugos, « joug ou « traverse »). Leurs rames passent dans des ouvertures percées dans le plat-bord.

Les thranites en haut

Ils sont assis 2 pieds plus haut que les zeugites (60 cm). Leur siège ou tabouret (thranos) est collé à la partie supérieure du plat-bord et il est situé entre deux banc de zeugites. Les thranites sont donc décalés par rapport aux zeugites en longueur, en hauteur et en largeur, car ils sont plus éloignés de l’axe du bateau d’environ une largeur d’épaule.


Une galerie large d’environ 2 pieds (60 cm) fait saillie à la hauteur du plat-bord. Elle repose sur des supports qui rejoignent obliquement les préceintes. Le rebord de cette galerie est surmonté d’un garde-fou à claire-voie : il porte aussi les tolets destinés aux rames des thranites. Ces derniers peuvent donc manœuvrer leur longue rame sans « trop » de fatigue, même s’ils sont assis contre le plat-bord.


Malgré tout, les thranites ont la tâche la plus rude. Comme ils sont placés tout en haut, ils ont les rames les plus longues, donc les plus fatigantes à manœuvrer.


En plus, ce sont les plus exposés. Les thranites rament à l’air libre, à 1,40 ou 1,50 mètre au-dessus de l’eau. À partir du Ve siècle, on les protège des traits ennemis par un pont supérieur. Les soldats embarqués dans la marine grecque antique s’y installent aussi pendant le voyage. On protège aussi le navire avant chaque engagement avec des pare-flèches en forte toile disposée sur les flancs du navire.

Schéma des trois niveaux de rameurs superposés sur une trière
J'ai trouvé sur le site historycy.org un schéma qui montre à peu près correctement comment étaient agencés les trois niveaux de rameurs.

Les thalamites en bas

Ils sont assis dans la cale (thalamos), plus près de l’axe du bateau que les zeugites d’une largeur d’épaule et plus bas qu’eux d’environ 3 pieds (90 cm). Leurs rames passent par des sabords percés dans le flanc du navire et situés à l’aplomb des tolets des thranites.

Ce dispositif complexe permet d’optimiser l’espace en décalant les trois niveaux de rameurs en hauteur et en largeur et les disposant en quinconce dans la longueur.

Chaque homme peut manœuvrer rapidement : c’est essentiel lors des rencontres avec l’ennemi, quand il faut rentrer rapidement les rames pour éviter que l’adversaire les brise.


Les sabords des thalamites sont situés à 50 cm de la surface de l’eau et ceux des zeugites à 90 cm. L’eau peut donc rentrer facilement ! Pour éviter ça, on les obstrue avec une gaine de cuir qui est fixée à la coque d’un côté et étroitement enserrée autour de la rame de l’autre. Le cuir est assez souple pour ne pas entraver le mouvement de la rame.

La composition d’un équipage

Une trière athénienne a une chiourme de 170 rameurs : 62 thranites, 54 zeugites et 54 thalamites. Aristophane appelle « peuple des thranites » le petit peuple athénien, car c’est lui qui fournit les rameurs.


Un équipage est aussi composé de quelques matelots, dix tout au plus. Ces derniers sont là pour manœuvrer les voiles, les ancres et les amarres. Il n’y a toujours qu’une seule voile carrée et parfois une petite misaine carrée elle aussi.
Le reste de l’équipage est constitué :

  • du capitaine (le triérarque) ;
  • d’un officier-pilote ;
  • d’un second officier, dit officier de proue, qui veille à l’avant du navire ;
  • d’un chef de chiourme qui règle la nage avec l’aide d’un joueur de flûte marquant la cadence aux rameurs ;
  • éventuellement, de quelques quartiers-maîtres ;
  • des hoplites ou archers embarqués (les épibates).

Au total, un équipage compte environ 200 personnes.

Les rameurs et les matelots

Dans la marine grecque antique, les rameurs fournissent un énorme travail physique. Ils rament parfois pendant des heures sans interruption. Mais leur travail n’est pas seulement une question de force. Ils doivent aussi être bien coordonnés et cela nécessite beaucoup d’entraînement. Avant la guerre du Péloponnèse, Périclès parle des marins au sens large dans un discours aux Athéniens :

« si un métier exige une formation technique, c’est bien celui de marin. Il n’admet pas qu’on le pratique à l’occasion comme un métier de complément : bien au contraire, aucun métier de complément n’est compatible avec celui-là »

Les équipages athéniens, matelots et rameurs, sont recrutés dans la classe des thètes (les citoyens sans fortune) et parfois chez les métèques et les esclaves. Ils reçoivent une solde quotidienne dont l’importance varie, entre 2 oboles et une drachme (6 oboles). À la fin de la guerre du Péloponnèse, les amiraux lacédémoniens profitent des subsides perses pour augmenter les soldes. De nombreux rameurs au service d’Athènes désertent alors au profit de Sparte.

Relief Lenormant représentant une trière - Ve siècle av. J.-C. - Acropolis Museum
Relief Lenormant du Ve siècle de l'Acropolis Museum - On y voit une rangée de rameurs au labeur.

Le triérarque

Le capitaine, ou triérarque, est-il un marin de métier ?


Non. C’est un riche citoyen qui est désigné par les stratèges pour occuper cette fonction. Il n’a pas toujours les compétences nécessaires pour y faire face, mais ce n’est pas essentiel : l’officier-pilote, un homme de terrain, est là pour le conseiller.


La triérarchie est un honneur… mais c’est aussi une lourde charge financière.


Elle dure un an. Pendant ce temps, le triérarque doit certes commander le navire, mais aussi mettre le vaisseau en état de prendre la mer et l’entretenir… à ses frais. Il a l’entière responsabilité de son navire, comme on le voit dans l’épisode des Arginuses.


La cité fournit la coque, le mât, la voile et les principaux agrès. Le triérarque doit compléter cet équipement et faire les réparations nécessaires si besoin. Il doit aussi motiver ses troupes en distribuant des dons et des primes qui viennent en complément de la solde (payée par la cité).


Ce sont des dépenses considérables. D’ailleurs, à partir de 411, deux citoyens sont associés pour y faire face.


Finalement, en 357-356, on organise le système des symmories, qui répartit la charge financière entre plusieurs contribuables. Le principe de la responsabilité et de l’engagement physique individuel du citoyen est abandonné. Il n’est plus question que de financement.

La vie à bord des vaisseaux grecs dans l’antiquité

Dans la marine grecque antique, on ne navigue qu’à la belle saison, pour éviter les tempêtes hivernales. On se contente aussi de caboter sur les littoraux — on ne prend le large que s’il le faut vraiment. Par exemple, pour aller en Afrique ou en Italie méridionale.


Les navires grecs ne sont pas conçus pour qu’on vive dessus. Ils sont trop étroits. La nuit, on touche terre pour dormir. De même pour les repas, si possible.


Il y a donc peu de rencontres en haute mer. Les batailles ont lieu près des côtes, souvent dans les détroits, où les vaisseaux essaient de gagner un rivage sûr. Dans cette configuration, les forces terrestres interviennent fréquemment.

La stratégie navale de l’époque classique

À l’époque archaïque, il y avait peu de stratégie globale. Au Ve siècle, une tactique navale plus sophistiquée apparaît sous l’impulsion des amiraux athéniens. Ils profitent des avantages induits par leurs excellents équipages. Ces derniers sont très bien entraînés et très bien coordonnés.


L’un des premiers exemples de cette stratégie est Salamine. Les vaisseaux grecs éperonnent leurs ennemis qui se gênent mutuellement dans un espace trop resserré.


Par la suite, on met au point des manœuvres complexes qui permettent de l’emporter en mer libre même contre des forces supérieures :

La manœuvre dite diekplous

Il s’agit de traverser en ligne de file les rangs des vaisseaux ennemis qui se présentent de front. Au passage, on essaie de briser leurs rames. S’il veut éviter d’être pris à revers, l’ennemi est obligé de réagir dans la confusion, ce qui permet de l’éperonner.

La Bataille de Salamine par Wilhelm von Kaulbach - 1868
La bataille de Salamine vue par Wilhelm von Kaulbach au XIXe siècle

La manœuvre dite périplous

On tourne à grande vitesse en ligne de file autour de l’ennemi. Pour contrer le risque d’être attaqué de flanc, chaque vaisseau est protégé par le vaisseau qui le suit et qui se tient prêt à éperonner tout attaquant éventuel. Il faut bien garder la formation et conserver une vitesse constante. Le but : obliger l’ennemi à resserrer sa flotte au point où ses vaisseaux se gênent mutuellement ou à rompre son ordonnancement de bataille, ce qui peut créer des occasions favorables.


Un exemple d’utilisation du périplous dans la marine grecque antique : lors de la bataille navale du golfe de Patras en 429, l’Athénien Phormion encercle 47 trières péloponnésienne avec seulement 20 trières. Les vaisseaux ennemis se rapprochent les unes des autres. Phormion attend la levée de la brise matinale, qui augmente le désordre de l’ennemi. Il attaque et le met en déroute. Finalement, il lui prend 12 trières sans en perdre une seule.

L’utilisation de l’infanterie

Certaines batailles combinent encore débarquement et combats d’infanterie. Ainsi, en 405, lors de la bataille d’Ægospotamos, l’amiral spartiate Lysandre parvient à détruire la flotte athénienne.


Il refuse d’abord le combat pendant plusieurs jours. Croyant en une fausse sécurité, la vigilance athénienne s’endort. Un soir, après une démonstration quotidienne au milieu du détroit, les Athéniens regagnent la côte du Chersonèse pour prendre le repas à terre. Un des navires de Lysandre, postés en éclaireur, informe l’amirale spartiate. Celui-ci prend la mer et surprend les trières ennemis au mouillage, avec tous leurs équipages à terre. Il les capture ou les détruit presque toutes. C’est la victoire définitive de Sparte après 26 ans de guerre du Péloponnèse.

Les vaisseaux grecs avant et après navigation

La construction des trières

La construction des trières est affaire de spécialistes : les ingénieurs du génie maritime. Dans les documents officiels, le nom du navire est toujours suivi de celui de son constructeur. On comprend que sa responsabilité est engagée.


La construction peut être très rapide : une flotte peut être achevée en quelques mois. Le seul problème de taille, c’est l’approvisionnement en bois, notamment pour Athènes. L’Attique dispose de peu de ressources en ce domaine. Il faut importer depuis la Chalcidique ou la Macédoine.

Les rois de Macédoine font payer cher aux Athéniens cette ressource si précieuse.


Une fois construit, le vaisseau est nommé. Il porte toujours un nom féminin :

  • de divinité ou d’héroïne, comme Amphitrite, Thétis, Hébé, Galatée ou Pandore ;
  • d’abstractions : Justice, Force, Vertu, Liberté, Paix ;
  • d’épithètes laudatives telles que l’Aimée, la Rapide, la Dorée ou la Chanceuse ;
  • d’adjectifs géographiques : la Néméenne, la Délienne, la Delphienne, la Salaminienne. Celle-ci ainsi que la Paralienne sont chargées de porter les dépêches officielles de l’État athénien.

Le rangement des vaisseaux

Les loges pour les coques

Où range-t-on la nef achéenne, la pentécontore corinthienne ou la trière athénienne quand elle ne navigue pas ?


Il existe des hangars spéciaux pour la marine grecque antique. Homère mentionne déjà les loges où les Phéaciens, des marins expérimentés, abritent leurs navires. Moins connaisseur, Hésiode évoque des emplacements à ciel ouvert.


Des cales couvertes existent à Corinthe et Samos du temps de Polycrate, à l’époque archaïque.


À l’époque athénienne, ces cales couvertes, en plan incliné, débouchent directement sur le bassin du port. La trière est halée sur des rouleaux, poupe en avant, après avoir été débarrassée de son gréement. Une fois qu’elle est au sec, on nettoie la coque des algues et des coquillages et on la calfate.


On a retrouvé des vestiges de ces loges dans de nombreux points du monde antique. Strabon dit que le port de Cyzique en compte 200. Athènes en possède un nombre record : 300 loges vers 350, réparties dans les trois ports du Pirée.


Les bâtiments mesuraient environ 40 mètres, ce qui confirme les longueurs des trières estimées à 35-38 mètres.


Chaque hangar est prévu pour un seul vaisseau mais, à Syracuse, Denys l’Ancien en fait construire qui abritent deux vaisseaux à la fois.

Représentation du Pirée dans le jeu vidéo Assassin's Creed
Une représentation moderne, ici... puisqu'il s'agit du Port du Pirée tel qu'il est imaginé dans le jeu vidéo Assassin's Creed.

Le rangement des mâts et gréements

On range le mât, les rames et le gouvernail (les deux longues rames de poupe qu’on a déjà vues à l’âge homérique) dans le même hangar que la coque.


Les agrès, voiles et cordages sont rassemblés dans l’arsenal ou skeuothèque.


On connaît un bel exemple de skeuothèque, celle que les Athéniens commencent à construire en 347-346 près du port de Zéa. Les plans sont de l’architecte Philon d’Éleusis. Le devis de construction a été conservé sur une inscription.


C’est un bâtiment long de 130 mètres sur 18. Il y a 134 grandes armoires à l’intérieur, disposées dans les collatéraux de chaque côté d’une galerie médiane bordée de hautes colonnes. On y range les voiles.

Les cordages sont placés sur des étagères situées au-dessus des armoires.


Pour minimiser les risques d’incendies, les fenêtres sont fermées par des châssis de métal.

La puissance navale athénienne

Une marine de guerre importante

Athènes incarne la marine grecque antique conquérante au Ve siècle. Sa puissance repose surtout sur ses escadres de trières. Pendant la deuxième guerre médique, elle en a presque 300. En 431, elle en compte au moins autant, sans compter les flottes de ses alliées, comme Lesbos, Chio et Corcyre.


Athènes réussit plusieurs fois à construire en masse des dizaines de trières et à les armer. Aristophane décrit l’animation provoquée par ces chantiers dans Les Acharniens :

« Ce n’est dans toute la ville qu’un tumulte guerrier : on interpelle les triérarques, on distribue la solde, on dore les statues de Pallas. Le portique retentit d’échos tandis qu’on mesure les rations. On voit partout des outres, des courroies, des gens qui achètent des pots, des filets pleins d’ail, d’olives et d’oignons, des couronnes, des sardines, des filles faciles, des yeux pochés. À l’arsenal, même agitation : on rabote les rames, on enfonce à grand bruit les tolets, on fixe les gaines aux sabords. Ce n’est que chants de flûtes, appels du chef de chiourme, son des fifres, coups de sifflets. »

L’objet de la fierté athénienne

Les Athéniens sont fiers de leur marine. Les départs d’escadres pour des entreprises lointaines ou le retour des flottes victorieuses sont l’occasion de rassemblements importants au port du Pirée. Thucydide évoque le départ de l’expédition de Sicile en 415 :

« Quand tout le monde fut à bord et que tout le monde destiné à l’expédition eut trouvé sa place, la trompette sonna et un grand silence se fit. Les prières traditionnelles avant de prendre la mer furent dites alors, non pas sur chaque vaisseau en particulier, mais pour tous à la fois par la voix d’un héraut. Sur toute l’escadre on puisa dans les cratères le vin préparé et passagers et officiers firent les libations avec des coupes d’or et d’argent. À ces prières s’associaient la foule des citoyens restés sur le rivage et tous les autres spectateurs qui formaient des vœux pour le succès de l’expédition. Quand on eut chanté le péan et que les libations furent achevées, les vaisseaux prirent la mer, naviguant d’abord en ligne de file, puis ils luttèrent de vitesse entre eux jusqu’à la hauteur d’Égine. »

Ces trières dont les Athéniens sont si fiers, Aristophane les personnifie dans Les Cavaliers. Il les imagine se réunissant en conseil pour faire échec à un projet d’expédition qui leur déplaît. La plus âgée dit :

« Ignorez-vous, mesdemoiselles, ce qui se passe en ville ? On dit qu’un orateur, un mauvais citoyen, réclame cent d’entre nous pour attaquer Carthage… »

Les trières protestent alors et disent qu’elles chercheront asile s’il le faut dans quelque sanctuaire inviolable.

Plan d’Athènes et du Pirée (d’après R.-E. Wycherley).
Plan d’Athènes et du Pirée (d’après R.-E. Wycherley). Athènes est reliée au Pirée et à la rade foraine du Phalère par de Longs Murs construits par Thémistocle puis Périclès. Cela crée une vaste place forte qui défie les assauts. Il y a trois ports au Pirée : les ports militaires de Zéa et Munychie et le port commercial du Cantharos. Ils sont tous trois défendus par des murailles. La colline de Munychie est la clé de la défense du Pirée.

Ariane et Dionysos sur le bateau des pirates

Je vous ai parlé en introduction de ma nouvelle sur Ariane, qui m’a fait plonger dans la marine grecque antique aux côtés des Minoens, de Thésée l’Athénien puis de Dionysos. En voici un petit extrait en cadeau ! Dans ce récit, Le Cœur d’Ariane, j’ai repris l’épisode de l’enlèvement du dieu par des pirates.

Bonne lecture !

J’ouvre les yeux. Iacchos est debout devant moi, les bras écartés. Je ne vois de lui que son dos nu, sa chevelure hirsute, la tunique déchirée qui pend lamentablement sur ses cuisses — pourtant, il émane de tout son être une aura qui me subjugue. J’en reste saisie pendant quelques secondes avant de voir les serpents. Là où se trouvaient les avirons tenus par les rameurs, au centre de l’embarcation, il n’y a plus que des serpents. Ils envahissent les corps convulsés des pauvres diable. Les sifflements gagnent en intensité et finissent par recouvrir complètement leurs cris.


Devant Iacchos, les pirates sont médusés, et même la rage du capitaine est en train de perdre de sa superbe. Mon compagnon lève les bras vers le ciel. À l’est, au-dessus des terres qui émergent de la brume nocturne, le soleil est en train de se lever. Séléné s’efface doucement et laisse place à une lumière rouge. Dans cette aube écarlate, le bois du vaisseau se met à craquer de toutes parts. Il prend vie ! Une vigne jaillit de l’emplanture du mat et, à folle allure, elle s’enroule tout autour de la vergue. Ses sarments se lancent à l’assaut de la voile qu’elle transperce. Et là, près de la poupe, au niveau du gouvernail ! Du lierre a surgi : il s’enroule autour des deux rames directionnelles pour les réduire à l’inaction. Affolé, le pilote tire en vain pour les débloquer.


Lierre, vigne, et même des racines d’arbres qui semblent avoir inversé leur parcours et surgir du sol au lieu de s’y enfoncer : une végétation folle envahit l’entièreté du bateau et le paralyse en quelques secondes.

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Sources : CHAMOUX, François, La Civilisation grecque, Arthaud, 1984

Crédits image : Reconstitution de la trière Olympias – Crédits photo Da Jackson Commons Wikimedia

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

2 réflexions sur « Hissez la voile en Grèce antique ! »

  1. merci Madame pour cette description précise et passionnante. Je travaille actuellement à écrire une espèce de roman autour de l’Enéide et j’ai trouvé votre site alors que j’essayais de ne pas dire trop de bêtises sur les navires (troyens, mais ça ressemble je pense)

    1. Bonjour Victoria.
      Je suis ravie si cet article vous a aidée. 🙂
      C’est amusant, car j’ai déblayé ce sujet pour travailler moi aussi sur un roman à l’époque de la Guerre de Troie (et quelques nouvelles dans la civilisation minoenne). Je vous confirme donc que vous pouvez vous appuyer sur les descriptions des bateaux de l’époque mycénienne et archaïque. La guerre de Troie racontée dans l’Énéide, comme dans Homère, se passe plutôt à l’époque mycénienne (a priori), mais Homère donne des éléments qui datent de l’époque où il a vécu. Nous pouvons donc nous aussi nous sentir assez libres de l’imiter !
      Je vous souhaite beaucoup d’inspiration dans votre écriture. 🙂

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