Détail d'une fresque de Cnossos montrant le saut des jeunes gens au-dessus du taureau

Les Minoens : la première civilisation de l’Égée

Mis à jour le 14 avril 2024

Lorsque Sir Arthur Evans découvre les ruines de Cnossos, en Crète, c’est Minos et l’histoire mythique de son peuple qui surgissent. On ignore si ce souverain a existé — en revanche, on sait qu’il y a eu une société crétoise florissante durant l’âge du bronze. Cette société a pris le nom de civilisation minoenne, du nom du roi légendaire. Dans l’état actuel de nos connaissances, elle est la première grande civilisation de la mer Égée.

Les Minoens : du mythe à l’histoire

La vision des Anciens sur les Minoens

Les Anciens connaissaient cette civilisation par le biais des mythes et de l’épopée homérique.

« Au loin dans la mer bleu sombre se dresse une terre appelée Crète, une terre riche et aimable, baignée par les vagues de toute part, densément peuplée… » (Homère, L’Odyssée)

L’historicité de Minos n’avait pas l’air débattue. Au Ve siècle avant J.-C., Hérodote et Thucydide l’évoquent comme roi de Crète. Ils parlent aussi de la marine crétoise, qui dominait les mers. Les archers crétois avaient une réputation d’excellence, même chez les Romains du Ier siècle après J.-C. (voir Les Métamorphoses d’Ovide). 


Aux époques classique et hellénistique, les auteurs voyaient également la Crète comme la source de diverses traditions religieuses ainsi que de systèmes sociaux spécifiques. Aristote (384-322), par exemple, pensait que Minos avait introduit le système des castes en Crète.

La découverte de Cnossos au XIXe siècle

Par la suite, cette société a rejoint le mythe. Il a fallu la découverte de l’archéologue britannique Sir Arthur Evans pour témoigner de sa réalité. Il a fouillé Cnossos entre 1899 et 1935 (soit la moitié de sa vie) et l’a partiellement restaurée.

C’est Evans qui a donné son nom à cette civilisation.

Photographie montrant la restauration du grand escalier de Cnossos en 1900. Arthur Evans est l'homme en blanc.
Photographie montrant la restauration du grand escalier de Cnossos en 1900. Arthur Evans est l'homme en blanc.

Les Minoens : une société palatiale

Les palais crétois

La civilisation minoenne s’est épanouie pendant l’âge du Bronze (2200-1450 avant J.-C.). Les premiers palais datent en effet de 2200. Ce sont :

  • Cnossos au nord ;
  • Phaïstos au sud ;
  • Mallia sur le littoral nord-est.

Le palais de Zakros, à l’extrémité est, n’existait peut-être pas encore.


Ces premiers palais sont détruits vers 1700, probablement par un séisme, mais les Minoens reconstruisent aussitôt des palais encore plus grands. À cette époque, la population crétoise semble augmenter. On voit s’étendre les petites villes de Gournia et Mochlos.


On ignore si chaque palais était le centre d’un royaume indépendant. Il existe une grande similitude entre les objets retrouvés sur les différents sites. Cela indique peut-être l’existence d’un pouvoir centralisé à Cnossos.


Mais pourquoi parle-t-on de société palatiale ?


Parce que les palais en question n’étaient pas simplement des résidences royales. Il s’agissait aussi de centres religieux et économiques. Ils abritaient des communautés très importantes en nombre (jusqu’à 80 000 personnes à Cnossos !).


À partir de la seconde période palatiale, on retrouve aussi de grandes villas à côté des palais.

Cnossos

Cnossos est le plus grand des palais minoens. Les vestiges exhumés par Evans datent de la fin de la seconde période.


C’est un grand palais d’un hectare de superficie (soit à peu près le double des autres palais crétois), édifié à flanc de colline. Il n’est pas fortifié. On y trouve une cour centrale entourée de salles :

  • Sur la face occidentale, la salle du trône et une pièce réservée au culte. La salle du trône renfermait un « trône » en gypse sculpté.
  • À l’ouest du sanctuaire, de nombreux magasins. Certains d’entre eux contenaient encore des jarres (pithoi) au moment des fouilles. Ces objets servaient à conserver l’huile et le vin.
  • À l’est de la cour, les appartements royaux et un grand escalier monumental avec un puits de lumière. Il reliait les nombreux niveaux entre eux.
  • Derrière cet escalier, une salle dite des « haches doubles », qui aurait été la principale salle de réception. Non loin, la salle « de la reine », décorée d’une fresque aux dauphins.

On comptait aussi un corridor des processions, une autre cour à l’ouest, un espace probablement réservé aux cérémonies… et un vaste dédale de couloirs, de portiques et de salles, pièces d’habitations, ateliers, magasins et bureaux.


On peut se demander si la complexité de ce plan ne transparaît pas dans le mythe du labyrinthe de Dédale, construit pour emprisonner le Minotaure. C’est le parti que j’ai suivi dans ma description du labyrinthe lorsque j’ai écrit Le Cœur du monstre. Je me suis directement inspirée du plan, ainsi que des fresques, ornements et décorations de Cnossos.

Plan du palais de Cnossos
Plan du palais de Cnossos. Source : Atlas du monde antique de Margaret Oliphant (Éditions Solar, 1993, Paris)

L’originalité de la civilisation minoenne

Par originalité, je veux dire que cette société s’est développée à partir de la culture néolithique de l’île. Pourtant, la Crète est située au croisement des trajets reliant toutes les régions méditerranéennes. Elle est pourvue de nombreuses plages de sable qui permettent un débarquement facile. On y a vu aborder des voyageurs venus d’Afrique du Nord, d’Asie et d’Europe depuis les temps les plus reculés. Mais les influences extérieures sur le développement de la société crétoise sont restées minimes.


Cette petite île de 270 kilomètres d’est en ouest et de 56 kilomètres du nord au sud abritait des plaines et des vallées fertiles. L’agriculture s’est y développée et, à sa suite, une société originale par son fonctionnement palatial — ainsi que par sa religion, sa langue et ses arts.

L’écriture crétoise : du grec ?

Non, les Minoens ne parlaient pas grec ! C’est la seule certitude que les historiens aient au sujet de cette écriture.


L’écriture est apparue en Crète juste après la construction des palais. On peut supposer qu’elle servait des intérêts administratifs. Presque tout ce qu’on a retrouvé, ce sont des inventaires de biens et de produits inscrits sur des tablettes d’argile. Il y a aussi des sceaux.


Cette première écriture est pictographique. Les Crétois l’utilisent entre 2000 et 1600 avant J.-C. Puis arrivent les idéogrammes du linéaire A (1900-1450), qui en dérivent. Ces deux écritures n’ont malheureusement pas encore été déchiffrées, hormis 75 signes qui semblent représenter des syllabes.


Le linéaire A ressemble au linéaire B, une autre écriture à idéogrammes qui est utilisée à Cnossos entre 1450 et 1400. On la retrouve aussi en Grèce continentale. Il s’agit vraisemblablement de l’écriture des Mycéniens.

La beauté de l’art minoen

Les fresques et les objets retrouvés à Cnossos nous donnent une idée de la richesse et de l’exubérance de l’art crétois.


Les murs du palais étaient ornés de fresques. Ces peintures montraient des scènes de la vie végétale ou animale. Elles figuraient aussi des humains : hommes en tunique à la taille élancée, femmes élégantes, aux seins nus et coiffées de boucles savantes.


Les Crétois étaient aussi de remarquables joailliers et graveurs sur pierre. Ils sculptaient également l’ivoire et taillaient des pierres précieuses.


Le taureau est très présent dans la civilisation minoenne, y compris dans l’art (fresques, bronzes, ivoires, vases).

Fresque du Cueilleur de safran d'Akrotiri
Fresque du Cueilleur de safran d'Akrotiri

La religion minoenne : ses spécificités

Le taureau semble avoir eu une place particulière dans les rites crétois, mais on ne peut que faire des suppositions. La religion minoenne est mal connue.

Des peintures de Cnossos et d’ailleurs montrent des jeunes hommes et des jeunes femmes faisant un saut par-dessus un taureau. Est-ce un rite religieux ? La cour du palais a-t-elle abrité des joutes tauromachiques ? On ne le sait pas.

On n’a retrouvé aucun temple séparé, en tout cas bâti par l’homme. Par contre, des grottes de l’île ont été utilisés comme temple du néolithique jusqu’à la fin de l’antiquité.

Certains espaces des palais sont identifiés comme des sanctuaires où on faisait des offrandes aux dieux. Il y a une salle dans les sous-sols de Cnossos : son emplacement peut suggérer un culte dédié à une divinité de la terre, mais impossible de s’en assurer. Toutefois, on a trouvé trace de ce qu’on pense être une déesse-mère ou une déesse de la Terre. On ignore son nom.

Impossible de parler religion minoenne sans évoquer Zeus ! Le mythe dit qu’il est né en Crète. Il aurait été caché dans une grotte pour échapper aux regards de son père, Chronos, et nourri par des animaux.

Toutefois, le Zeus crétois est relativement spécifique par rapport à d’autres aspects grecs postérieurs. Ce dieu est une divinité de la végétation, qui naît et meurt chaque année.

Il est possible qu’il y ait eu des sacrifices humains en temps de crise, mais on n’en est pas sûr.

Pour un article plus complet sur la religion minoenne, rendez-vous ici !

Apothéose et chute de la civilisation crétoise

La domination sur l’Égée ?

D’après les Grecs, les Minoens étaient de grands marins. L’art minoen montre des paysages et des animaux marins, comme cette fresque d’Akrotiri (Théra, Santorin).

Les navires et les dauphins de la fresque d'Akrotiri
Les navires et les dauphins de la fresque d'Akrotiri

Les traces archéologiques et des sources écrites montrent qu’ils commerçaient avec la Méditerranée orientale. Ils étaient connus des Égyptiens sous le nom de Kheftiou.


On a aussi retrouvé des traces des Minoens dans les îles égéennes, dont la célèbre Théra (Santorin).


Aucun des palais minoens n’était fortifié. On peut donc penser qu’ils ne craignaient pas les attaques. Leur flotte était peut-être aussi puissante et dominante sur les mers que ce que disent les mythes, qui présentent Minos et son royaume comme le « poids lourd » parmi les royaumes égéens de son époque !

La fin de la civilisation minoenne

Les Minoens en tant que civilisation disparaissent vers 1450.


Cette fin a-t-elle un rapport avec le séisme qui a détruit Akrotiri (Théra – Santorin), vers 1500, et l’éruption volcanique qui a suivi ? On ne le sait pas. En tout cas, les palais sont définitivement abandonnés, sauf celui de Cnossos. Il va être occupé par les Mycéniens de Grèce continentale jusque vers 1400.

Dans ce reportage daté de 2024, on en apprend plus sur l’éruption du volcan de Santorin et son impact éventuel sur la civilisation minoenne. (Le reportage est disponible jusqu’au 5 juillet 2024.)

Cnossos sous ma plume

J’ai décrit le palais de Cnossos en m’inspirant de tous ces éléments dans deux de mes nouvelles. Le Cœur du Monstre et Le Cœur d’Ariane réinterprètent le mythe du Minotaure et celui de sa sœur, Ariane, fille du roi Minos.


En voici quelques lignes !

« C’est parce que j’étais inoffensif et risible qu’on me laissa sortir de l’étable où Minos m’avait parqué. Alors, je m’aventurai avec toi dans l’immense palais de Cnossos. Pas très loin, certes. Dans les ateliers, les silos et les magasins, où l’on stockait les denrées à vendre aux étrangers ou à distribuer aux dépendants du palais, aux paysans et aux artisans. Tu m’y montrais ce qu’étaient l’or, l’argent, le plomb. L’ivoire et les pierres précieuses. Il y avait surtout des surplus agricoles, des légumineuses, des céréales, des fruits. Des pithoi, des jarres remplies d’huile et de vin.

Dans ces couloirs, quelle cohue ! L’activité des artisans, le soufflet des forges, le chuintement des tours de potiers, étaient un bruit de fond derrière la cacophonie des voix. On s’agglutinait à l’entrée des magasins pour recevoir sa part ; des fonctionnaires surveillaient la sortie de chaque portion avec minutie, stylet et tablette d’argile à la main. Ils étaient là aussi pour réceptionner les convois qui apportaient des marchandises tout droit venues du port ou des champs alentours. Ces chariots que des bœufs traînaient dans les voies, ou bien ces files de porteurs courbés sous le poids de gros ballots… On ne savait plus où se diriger pour ne pas heurter quelqu’un. »

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Cette plongée dans la civilisation minoenne, la plus vieille des sociétés connues de l’Égée, vous a plu ? Si oui, abonnez-vous à ma newsletter ici : chaque dimanche, je partage avec vous un billet qui raconte la mythologie et l’antiquité gréco-romaine. À bientôt !

Sources : OLIPHANT, Margaret, L’Atlas du monde antique, Éditions Solar, 1993, Paris

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

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