Femme grecque - Scène de gynécée sur un lébès nuptial à figures rouges - Environ 430 av. J.-C. - Attique -Manière du Peintre d'Ariane - Musée archéologique national d'Athènes - Crédits photo Marsyas

Grèce antique : la femme à la maison !

La place de la femme dans l’antiquité grecque, c’est à la maison ! En tout cas, idéalement. C’est ce que montrent les écrits de l’époque, comme l’Économique de Xénophon, un modèle du genre. Faisons un focus sur cette maîtresse de maison irréprochable et la façon dont elle est la reine des abeilles lorsqu’elle gère avec brio les affaires internes de l’oïkos.

(Je précise que nous allons voir ici ce qui doit être la place de la femme dans la société grecque selon les auteurs… Cela ne signifie pas que cette vision recouvrait parfaitement la réalité du vécu des femmes de l’époque.)

Grèce antique : l’homme dehors, la femme dedans

Chaque sexe dans son espace

La femme ne doit pas trop sortir, à quelques exceptions près. Lorsqu’elle vit encore chez son père, la fille peut aller à la fontaine, par exemple, et participer aux processions des parthenoi. Quand elle est adulte et mariée, elle va aux cérémonies religieuses, ainsi qu’aux funérailles et aux mariages ; elle visite ses voisines et assiste les malades et les accouchées. En dehors de ça ? Elle est censée rester à la maison. Seules les femmes pauvres fréquentent des lieux d’hommes (comme l’agora), parce qu’elles n’ont pas le choix.

Le stoïcien Hiéroclès le précise :

« À l’homme de s’occuper des champs, du marché, des courses à la ville ; à la femme le travail de la laine, le pain, les travaux de la maison. »

Des rôles partagés entre les hommes et les femmes

Dans l’Économique de Xénophon, c’est très clair.

— Où passes-tu ton temps et que fais-tu, demande Socrate à Ischomaque… En tout cas tu ne passes pas tout ton temps enfermé à la maison, à ton air de santé on ne le croirait pas.
— Je ne reste pas du tout à la maison. Car, pour les affaires domestiques, ma femme, à elle seule, est capable de les diriger.

L’homme est là pour s’occuper des affaires extérieures, celles qui enrichissent la maison par l’acquisition des biens. L’épouse, elle, doit faire fructifier cet avoir par une bonne gestion du foyer. Aristote le précise dans les Politiques :

« Dans l’oikonomia, les rôles de l’homme diffèrent de ceux de la femme ; celui de l’un est d’acquérir, celui de l’autre est de conserver »
(Aristote, Politiques, III, 4, 1277b)

Platon enfonce le clou :

« La vertu d’une femme (…) n’est pas difficile à définir : le devoir d’une femme est de bien gouverner sa maison, de conserver tout ce qui est dedans et d’être soumise à son mari. »
(Platon, Ménon, 71e)

Lorsqu’elle arrive chez son époux, la nymphe a déjà appris tout cela. Elle sait tisser la laine, elle sait distribuer le travail aux esclaves. Sa mère le lui a appris, au moins par imitation.

Pénélope tissant - Gravure d'après Henry Howard - Londres - 1806
Un exemple de parfaite femme au foyer : Pénélope tissant - Gravure d'après Henry Howard - Londres - 1806

La femme grecque, la reine des abeilles

La femme n’est donc pas rien dans cette maison. C’est elle qui la dirige et la fait fructifier. D’ailleurs, en grec, le verbe « diriger » (dioikein) est formé sur la racine du mot « maison » (oïkos).


C’est ce que dit Ischomaque dans l’Économique. Pour tout ce qui concerne l’intérieur de l’oïkos, il n’a rien à faire. Sa femme s’en occupe fort bien. Elle la gouverne comme les hommes gouvernent la cité. C’est dire, tout de même, l’importante place de la femme dans l’antiquité grecque, même si elle est cachée derrière les murs de la maison.


Dans son Économique, Xénophon utilise d’ailleurs une image qu’on a déjà vue sous la plume du poète archaïque Sémonide d’Amorgos : celle de la reine des abeilles. Ischomaque explique ainsi son rôle à sa toute jeune épouse :

— La coutume unit l’homme et la femme ; comme la divinité en fait des associés pour avoir des enfants, l’usage les associe pour mener la maison. Enfin la coutume déclare convenables les occupations pour lesquelles la divinité a donné à chacun le plus de capacités naturelles. Pour la femme il est plus convenable de rester à la maison que de passer son temps dehors, et il l’est moins pour l’homme de rester à la maison que de s’occuper des travaux à l’extérieur… Eh bien, je crois que la reine des abeilles, sur l’ordre de la divinité, s’affaire à des travaux tout à fait semblables aux tiens.


— Quels sont donc, dit ma femme, ces travaux dévolus à la reine des abeilles, qui ressemblent tout à fait à ceux que je dois accomplir ?

— Voici, lui dis-je. Restant dans la ruche, elle ne laisse pas les abeilles à rien faire ; elle envoie au travail celles qui ont leurs tâches au-dehors, elle vérifie et reçoit ce que chacune d’elles apporte, puis elle le garde jusqu’à ce qu’on ait besoin de s’en servir. Lorsque le moment est venu de s’en servir, elle distribue à chacune sa juste part. Elle est préposée aussi à la construction des cellules de cire dans la ruche pour qu’elles soient bien et rapidement construites ; puis elle veille à élever les abeilles qui viennent de naître ; quand cette progéniture est élevée et capable de travailler elle les envoie fonder une colonie avec une reine qui emmène la troupe.

— Est-ce que c’est la tâche que je devrai moi aussi accomplir ?

— Oui, ai-je répondu, tu devras rester à la maison, recevoir ce que l’on apportera, distribuer ce que l’on devra dépenser, penser d’avance à ce qui devra être mis de côté, et veiller à ne pas faire pour un mois la dépense prévue pour une année. Quand on t’apportera de la laine, il faudra veiller à ce qu’on en fasse des vêtements pour ceux qui en ont besoin, veiller aussi à ce que le grain de la provision reste bon à manger. Parmi les tâches qui t’incombent, dis-je, il en est toutefois une qui te paraîtra peut-être désagréable : lorsqu’un serviteur est malade, il te faut veiller toujours à ce qu’il reçoive les soins nécessaires.

Les maris les plus habiles sont donc ceux qui font de leur femme des auxiliaires pour accroître ensemble leur maison. Pour cela, tous les moyens sont bons, y compris la flatterie : « Voici enfin le plus doux : te montrer supérieure à moi », dit Ischomaque à sa femme.


La place de la femme dans l’antiquité grecque ne devait d’ailleurs pas toujours être si effacée qu’on le croit, lorsqu’on considère les plaintes de Platon, qui parle dans ses Lois de la servitude de certains hommes unis à de trop riches épouses

La place de la femme grecque  justifiée par la physis

Du point de vue moral

La physis (nature) de la femme la prédispose à ce travail.

D’après les auteurs anciens, la femme est naturellement sans courage. Le courage est un trait masculin. Ce n’est pas grave : sa lâcheté la rend plus attentive et circonspecte, et donc plus apte que les hommes à la surveillance des biens.

« La divinité, dans sa prévoyance, a organisé la nature de l’homme et de la femme en vue de la vie commune. Leurs capacités à chacun sont réparties de telle sorte que chacun ne soit pas capable de tout faire, mais qu’elles soient sur certains points opposés mais contribue ainsi à leur collaboration. »
(Aristote)

C’est la physis aussi qui fait de la femme un parent plus soucieux des enfants et plus apte à les garder en vie :

« La divinité a accordé au corps de la femme de pouvoir nourrir les nouveaux-nés et elle l’en a chargée, elle lui a encore donné en partage plus de tendresse pour les bébés nouveaux-nés qu’elle n’en a donné à l’homme. »

Scène de vie familiale dans l'antiquité - Auguste Toulmouche - 1856
Une jolie famille (idéalisée ?) dans l'antiquité, peinte il est vrai au XIXe siècle par Auguste Toulmouche

Du point de vue corporel

Ce n’est pas seulement une question de tempérament. C’est aussi une question physiologique. Le corps de l’homme est aussi dur et inflexible que son âme. Il peut affronter le froid, la chaleur, les marches et les exercices militaires. Le corps féminin, faible et tendre, caractérisé par la mollesse, ne peut pas suivre. C’est pourquoi il doit être confiné à l’intérieur de la maison.


À l’homme de faire rentrer les biens dans la maison. À la femme de les gérer. Si chacun fait son boulot, la maison va prospérer. Sinon, elle périclite.

« [Il faut des hommes] pour accomplir les travaux de plein air : labourer une jachère, semer, planter, faire paître le bétail… Il faut, d’autre part, une fois les provisions rentrées à l’abri, quelqu’un pour les conserver et exécuter les travaux qui doivent être faits à l’abri : c’est à l’abri que doivent être élevés les nouveaux-nés, à l’abri aussi que doit être préparée la farine que donnent les céréales ; c’est de même à l’abri que doivent être confectionnés les vêtements avec la laine… »

L’indispensable sôphrosynè de l’épouse grecque

La place de la femme dans l’antiquité grecque implique un certain comportement (tout comme celle des hommes, d’ailleurs).


La sôphrosynè est la tempérance et le contrôle de soi. C’est une vertu attendue aussi bien des hommes que des femmes. Ischomaque l’explique :

« Pour la sobriété, on l’avait, quand elle est venue, tout à fait bien éduquée, or c’est là, à mon sens, un point fort important de l’éducation des hommes et des femmes. »

Comme les hommes, on attend des femmes raison, tempérance et sobriété. Chez elles, ces vertus deviennent aussi pudeur, modestie et chasteté. Les mères ont charge de les enseigner à leurs filles.

D’ailleurs, les figurations mettent aussi en valeur ce principe d’effacement. Les reliefs votifs montrent ainsi mari et femme côte à côte. L’homme a la poitrine et l’épaule droite dénudées, les femmes portent d’amples manteaux.

L’épouse d’Ischomaque a assimilé cette vision d’elle-même, elle qui lui dit :

« De quoi suis-je capable ? C’est de toi que tout dépend. Mon affaire à moi, m’a dit ma mère, c’est d’être sage. »

Les peurs de l’épouse grecque

Ischomaque y va de son petit couplet. Mais non, dit-il à sa femme, ce n’est pas la beauté qui est le plus important chez une femme. Ce qui la fera apprécier de son époux, c’est sa capacité à gérer la maison.

« Car ce n’est pas la grâce et la beauté, mais les vertus utiles à la vie qui font croître le bien et le bonheur parmi les hommes. »

« tu n’as pas à craindre que, l’âge venant, tu sois moins considérée dans la maison ; et être assurée au contraire qu’en vieillissant, plus tu deviendras pour moi une bonne associée, et pour nos enfants une bonne gardienne de notre maison, plus tu seras considérée à ton foyer. »

Mais les femmes grecques savent bien que ce n’est pas une vérité absolue. Les hommes ont le droit d’aller voir ailleurs, ils ont le droit de prendre une concubine, de l’installer quelque part, et même à l’intérieur du foyer. Ils ont le droit de choisir n’importe quel partenaire sexuel dans leur maison. Et le fait d’avoir pour épouse une parfaite gestionnaire de l’oïkos n’y change rien, si l’époux ne l’aime pas :

« Réussissons-nous dans notre tâche [d’épouse], et l’époux accepte-t-il la vie commune sans porter le joug à contrecœur, enviable est alors l’existence. Sinon, il faut mourir. Quand un homme se lasse de la vie du foyer, il va au-dehors oublier les dégoûts de son cœur… Mais nous, c’est sur un seul être qu’il nous faut attacher nos yeux. On dit que nous menons une vie sans péril à la maison, tandis qu’ils combattent à la guerre. Raisonnement insensé ! Être en ligne trois fois, le bouclier au flanc, je préférerais à enfanter une seule fois. »
(Euripide, Médée)

Médée - Anselme Feuerbach - 1879
La Médée d'Anselme Feuerbach (1879) - Pour cette héroïne grecque, la place de la femme n'est pas une sinécure...

La place de la femme dans l’antiquité grecque : Atalante

Si vous lisez régulièrement mes articles, vous savez que j’écris des textes qui prennent place dans l’antiquité et la mythologie grecque et que j’accorde beaucoup d’importance à la réalité historique.

Régulièrement, je vous donne des extraits de mes récits pour illustrer mes articles. En voici un exemple avec Atalante. L’héroïne fait face à Hippomène, son mari, et lui montre sa vision du mariage et du statut de l’épouse. C’est ma réponse à Ischomaque ! 

Bonne lecture !

Un long soupir échappa à Atalante. Elle décroisa les bras, elle libéra sa poitrine et releva la tête. L’incarnat reflua tandis qu’elle déclarait lentement :


« C’est le mariage qui me prend ma liberté. C’est ce contrat-là, réglé par les hommes, pour les hommes, qui m’oblige à abandonner tout ce que je suis. Lorsque je te disais que je ne voulais pas me marier, c’était à prendre littéralement, Hippomène. Je ne veux pas passer mes journées dans le palais. Je ne veux pas entraver mon corps de robes qui me couvrent des pieds à la tête. Je ne veux pas me taire lorsque j’estimerai juste de devoir parler et je ne veux pas me contenter de regarder mon époux aller et venir à sa guise tandis que je serai contrainte par une multitude de normes que les hommes disent naturelles.


— Mais jamais je ne t’aurais imposé tout cela, Atalante. Tu es libre de vivre exactement comme avant, tu le sais bien. »


Elle le regarda avec un sourire tendre et un peu triste.


« Je sais que tu es sincère. Mais, quoique tu penses, tu n’es pas le seul à décider de mon sort. Il y a des règles implicites à la conduite de chacun et celles qui pèsent sur les femmes mariées sont les plus rigides de toutes. Et puis, même si tu me laisses libre de faire tout ce que je veux, je n’en suis pas moins assujettie à ton bon vouloir. Est-ce que tu comprends cela ? Que tu le veuilles ou non, ma liberté t’a été remise. Tu peux me la prêter, mais tu ne peux pas me la rendre. »

J’espère que cet article sur la place de la femme dans l’antiquité grecque vous a plu ! Pour plus d’immersion dans l’antiquité et la mythologie, retrouvez-moi chaque semaine dans ma newsletter !

Sources : BRULÉ, Pierre, La Femme grecque à l’époque classique, Hachette Littératures, 2001

Crédits image d’en-tête : Scène de gynécée sur un lébès nuptial à figures rouges – Environ 430 av. J.-C. – Attique -Manière du Peintre d’Ariane – Musée archéologique national d’Athènes – Crédits photo Marsyas

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

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