Mis à jour le 15 juin 2024
Le centaure dans la mythologie grecque : un individu mal dégrossi, violent et tapageur, bref, infréquentable ! Et, pourtant, quelle allure il a avec son buste d’homme et ses jambes de cheval. Faisons connaissance avec lui !
D’où vient le centaure de la mythologie ?
Quelle origine au centaure ?
Tous les centaures, ou presque, sont nés d’une seule étreinte. Celle d’Ixion avec une nuée.
Qui est Ixion ? On le dit fils d’Arès, ce qui n’augure déjà rien de bon quant à sa délicatesse ! D’ailleurs, il se distingue très vite en tuant sa femme aussitôt épousée. Personne, parmi les dieux, ne lui pardonne ce crime, sauf un : Zeus. Le dieu des dieux prend pitié de lui. Mais, prudent (ou joueur ?), il décide de tester sa loyauté.
Pour cela, il lui envoie une nuée à laquelle il a donné l’apparence de sa propre femme, Héra. Histoire de voir si Ixion aura l’outrecuidance d’essayer de séduire l’épouse de son bienfaiteur.
Pas sûr qu’Ixion ait même hésité un instant avant de sauter sur celle qu’il prend pour la magnifique Héra.
De ces amours bizarres entre la nuée et le violent (et peu futé) Ixion vont naître les fameux centaures.
Pourquoi le centaure est-il un monstre ?
Pour les Grecs anciens, les centaures font partie des monstres. Il faut dire que, dans l’antiquité grecque, on a une obsession pour une certaine forme de « normalité » qui se tiendrait au centre de toutes choses, donc à l’opposé des extrêmes. Or, le centaure s’écarte résolument de ce standard.
Un corps monstrueux
D’abord, physiquement. Il est moitié homme (le buste, les bras, le visage) et moitié cheval (tout le bas du corps, du poitrail jusqu’aux sabots). C’est aussi monstrueux que Méduse la gorgone ou le Minotaure.
Un tempérament porté à la démesure
Ensuite, par son tempérament. Les Grecs apprécient la tempérance et réprouvent la démesure (qu’ils appellent hybris).
Or, que sont les centaures ? Des brutes agressives qui aiment s’enivrer. Ils adorent le vin mais, comme ils n’en produisent pas et n’en boivent donc pas souvent, ils sont très vite saouls.
Ils se disputent fréquemment et souvent pour des peccadilles. D’ailleurs, ils aiment se battre. Ce sont des créatures violentes qui, surtout, ne réfrènent jamais leurs pulsions destructrices (y compris sexuelles). Ils s’emportent pour des bêtises et leurs fureurs sont sans mesure.
En plus, le centaure de la mythologie est stupide. Pour des Grecs qui cultivent l’équilibre entre corps et esprit, c’est une tare irrécupérable.
Un mode de vie transgressif
Enfin, le centaure ne vit pas comme le Grec l’entend. Il ne vit pas en cité. Il n’est pas civilisé.
Les centaures vivent en dehors des sentiers battus. Ils mangent de la chair vivante, jamais de viande cuite (on n’est pas civilisé quand on n’utilise pas le feu !). Ils chassent comme des « primitifs », avec des pierres et des branches, et se battent de même, sans discipline, à coup de massues. Tout juste leur accorde-t-on à l’occasion l’usage de l’arc.
Ils ne respectent rien de ce qui fait autorité chez les hommes. Notamment la hiérarchie et les interdits. Ils sont particulièrement violents envers les femmes, qu’ils enlèvent et violent dans de nombreux récits.
Quelques « hauts faits » des centaures ?
Les centaures sont presque toujours des antagonistes qui sèment la pagaille là où ils passent.
- Invités aux noces de Pirithoos, chef des Lapithes, ils s’enivrent pendant le festin. L’un d’eux, Eurytos, s’en prend alors à la mariée. Il s’ensuit une bagarre générale qui vire au massacre. Les Lapithes finissent par vaincre les centaures.
- Eurytion essaie d’enlever la fiancée d’Héraclès, Mnésimaché, tandis que Nessos tente de violer Déjanire, l’épouse du même héros.
- Hylaos et Rhoecos s’en prennent à l’héroïne chasseresse Atalante, qui parvient à les tuer de ses flèches.
Quel est le centaure le plus connu de la mythologie grecque ?
De manière paradoxale, les centaures les plus connus sont très différents de l’archétype que je viens de vous décrire. Ils n’ont pas non plus la même origine. Chiron et Pholos sont des individus bienveillants envers les humains et dotés d’une grande sagesse.
Chiron
Chiron est un fils du Titan Chronos (le père de Zeus et d’autres Olympiens). Sa mère est Philyra. C’est l’une des trois mille Océanides, filles des Titans Océan et Téthys.
Si Chiron est un centaure, c’est parce que Chronos s’est métamorphosé en cheval pour s’unir à Philyra.
Chiron est un sage très instruit. Il est versé dans de nombreux arts : la guerre, la médecine, la musique. Il connaît bien les ressources qu’offre la nature (drogues, onguents) et est très à l’aise dans la forêt et la montagne. C’est un grand chasseur.
Pour toutes ces raisons, il est le précepteur de plusieurs héros : Achille, Jason, Atalante. Il instruit même les dieux Apollon et Asclépios.
Chiron se démarque des autres centaures par sa bienveillance. Ainsi, il sauve la vie de Pélée lorsque celui-ci est livré aux centaures par le roi Acaste jaloux. Chiron lui rend son arme pour qu’il puisse se défendre.
Quoique immortel, Chiron trouve la mort après avoir été blessé accidentellement par Héraclès (j’y reviens plus bas). Aucun soin ne parvient à le guérir. Chiron réclame alors la mort et échange son immortalité avec Prométhée pour trouver la délivrance.
Pholos
Pholos est un autre centaure de la mythologie grecque.
C’est le fils de Silène, un satyre qui a plusieurs accointances avec les centaures. En effet, il a été le précepteur de Dionysos, le dieu de la démesure, et il personnifie lui-même l’ivresse.
Pholos est né des amours de Silène avec une nymphe.
On connaît bien ce centaure grâce à un épisode du mythe d’Héraclès. En effet, Pholos accueille le héros dans la grotte des centaures alors que ces derniers sont absents. Il lui sert courtoisement de la viande cuite, alors que lui-même se contente de viandes crues. Mais Héraclès (moins bien élevé que son hôte…) réclame du vin. Pholos hésite : il a bien une jarre, mais celle-ci appartient à tous les centaures et on sait la passion qu’ont ces créatures pour ce breuvage.
Pholos finit par céder aux désirs de son invités et par ouvrir la jarre. Aussitôt, le parfum du vin alerte tous les centaures. Ils ne sauraient y résister : ils accourent tous. Furieux et excités, ils attaquent le héros.
Héraclès parvient à en tuer deux (Agrios et Anchios) et toute la bande s’enfuit. Le héros n’en reste pas là et les poursuit. Ces derniers trouvent refuge auprès du sage Chiron. Dans la mêlée qui s’ensuit, Héraclès blesse alors le centaure Élatos et, surtout, il assène le coup qui sera fatal à Chiron.
Le centaure dans la littérature : quelques exemples
Le Centaure de Maurice de Guérin
Ce court poème en prose offre une image romantique du centaure. À mes yeux, c’est le plus bel hommage que la littérature en ait faite à ce jour.
On est loin du centaure de la mythologie, brutal et mal dégrossi. Maurice de Guérin retrace la vie d’un centaure depuis sa naissance à sa vieillesse avec beaucoup de lyrisme. Ici, c’est une créature qui vit en osmose avec la nature, dans une atmosphère cyclique qui montre à la fois la douceur et l’amertume des jours qui s’enfuient.
En voici un extrait choisi.
« Ombres qui habitez les cavernes de ces montagnes, je dois à vos soins silencieux l’éducation cachée qui m’a si fortement nourri, et d’avoir, sous votre garde, goûté la vie toute pure, et telle qu’elle me venait sortant du sein des dieux ! Quand je descendis de votre asile dans la lumière du jour, je chancelai et ne la saluai pas, car elle s’empara de moi avec violence, m’enivrant comme eût fait une liqueur funeste soudainement versée dans mon sein, et j’éprouvai que mon être, jusqe là si ferme et si simple, s’ébranlait et perdait beaucoup de lui-même, comme s’il eût dû se disperser dans les vents.
« Ô Mélampe ! qui voulez savoir la vie des centaures, par quelle volonté des dieux avez-vous été guidé vers moi, le plus vieux et le plus triste de tous ? Il y a longtemps que je n’exerce plus rien de leur vie. Je ne quitte plus ce sommet de montagne où l’âge m’a confiné. La pointe de mes flèches ne me sert plus qu’à déraciner les plantes tenaces ; les lacs tranquilles me connaissent encore, mais les fleuves m’ont oublié. Je vous dirai quelques points de ma jeunesse ; mais ces souvenirs, issus d’une mémoire altérée, se traînent comme les flots d’une libation avare en tombant d’une urne endommagée. »
Je vous invite aussi à écouter ce podcast sur les centaures et centauresses dans l’imagerie collective à travers les siècles. 🙂
Mes centaures dans Atalante
Créature fantastique ignoble des mythes ou romantique du XIXe siècle, le centaure ne manque pas de captiver, aussi, par sa capacité à bousculer l’ordre établi. Il est comme un émissaire du chaos, un contrepoint à la civilisation (qui peut être aussi bien protectrice qu’aliénante). Il est aussi impossible à brimer que n’importe quel désordre naturel.
J’avoue une fascination pour cet être insaisissable et irrécupérable pour la cité des hommes. Je lui ai donc donné une place importante dans mon roman Atalante, une réinterprétation du mythe de l’héroïne chasseresse, qui croise les centaures Hylaios et Rhoikos.
Voici deux extraits qui vous donneront un aperçu de mon interprétation du centaure de la mythologie.
Une troupe de centaures jaillit soudain de la forêt. Ils allaient au grand galop le long du sentier, en méprisant les pentes escarpées qui le bordaient et leur chant du vide. Pendant un court instant, Atalante en resta bouche bée d’admiration. Leur agilité était stupéfiante. Ils donnaient une impression de complétude avec ce qui les entourait : courant de conserve, se frôlant de la croupe et du flanc sans jamais se heurter, sautant les obstacles avec aisance, et ce dos toujours droit, ce corps qui faisait la liaison entre la terre et le ciel !
Et aussi :
Elle [Atalante] s’attendait à tout un argumentaire fallacieux de la part du centaure, mais cet être qu’elle avait jugé bas du front lui répondit avec gaieté :
« Mais bien sûr, belle Atalante ! Chacun se trouve à sa place dans ce monde. Nous les centaures, vous les humains. Et, parmi vous, les hommes et les femmes. Que serions-nous si nous laissions s’estomper les frontières entre les essences ? Qui aurait encore peur de nous, qui nous laisserait vivre nos existences libres, sans nous domestiquer en nous imposant toutes sortes de bornes et de laisses ? Et il en est de même des humains. Crois-tu qu’on parlerait encore d’hommes si toutes les femmes t’imitaient ? Sur qui les mâles exerceraient-ils leur emprise et leur appétit de domination ? Les princes, les puissants pourraient asservir les humbles et les faibles, comme ils l’ont toujours fait, certes, sans distinction de sexe. Mais où ces humbles, où ces faibles trouveraient-ils la consolation de ne pas être puissants s’il n’existait pas sous eux un genre plus méprisé qu’ils peuvent dominer en se sentant légitimes ? L’homme fort bat l’homme faible et bat la femme, chasseresse. Et l’homme faible bat la femme. Quant à la femme, elle peut battre son chien et ses enfants si cela lui permet de soulager sa misère, ou encore battre les autres femmes, surtout celles qui refusent de s’assujettir, comme toi.
« Quant au centaure, il se rit de tout cela et prend ce qu’il désire là où il se trouve : le sang des hommes et la sève des femmes ! »
Découvrez mon roman Atalante ici. 😉
Je souhaite que cet article sur le centaure dans la mythologie vous ait plu et je vous dis à bientôt pour de nouvelles incursions en Grèce antique. Abonnez-vous à ma newsletter : je fais voyager mes abonnés dans la mythologie et l’antiquité avec une escale chaque dimanche !
Sources : de GUÉRIN, Maurice, Le Centaure suivi de La Bacchante, Berg International, 2015, Paris
Crédits image d’en-tête : Stefano Ferrario
À PROPOS DE L'AUTEURE
Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.
Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.
Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.