Comment se déroulait un mariage dans l’Antiquité grecque ? Quels objectifs ? Quelle procédure ? Quelle valeur au regard de la société toute entière ?
Du choix de l’épouse (et de l’époux) jusqu’à la nuit de noces, c’est tout un monde qui se dévoile. Je vous propose de le découvrir ensemble !
Le mariage dans la société grecque : sens et objectifs
Une histoire d’argent et de pouvoir
Le mariage, un vivre ensemble entre deux personnes qui se sont choisies ? Sans surprise, ce n’est pas du tout le cas en Grèce ancienne. D’ailleurs, l’amour ne joue son rôle dans le mariage que depuis fort peu de temps, et seulement dans certaines sociétés du monde.
Non, le mariage en Grèce antique, c’est une histoire entre familles. Il s’agit de perpétuer une lignée, d’acquérir de l’influence et de la fortune. La fille est d’ailleurs remise à l’époux avec une dot qui doit être à la hauteur de la fortune du parti choisi.
« Le bien va au bien », dit l’adage populaire. Le mariage grec est extraordinairement endogame, au point qu’on se « passe » et « repasse » les femmes les plus riches, même lorsqu’elles ont déjà « servi ». Un peu comme cette épouse de Périclès, D., qui avait déjà été marié une première fois à un dénommé Hipponicos. Selon la Vie de Périclès de Plutarque, la vie maritale étant devenu pénible au grand homme, celui-ci la donna à l’un de ses amis, Kleinias. Cette femme dont nous ne sommes pas sûrs du nom (quand celui de ses trois maris nous est très bien connu), donna un fils au premier époux, deux à Périclès et deux autres encore au troisième mari. L’un de ces deux derniers rejetons fut le fameux Alcibiade.
Ce va-et-vient en dit long sur la valeur du mariage dans la Grèce antique. Il est avant tout une forme de transaction aux bénéfices mûrement réfléchis.
La grande affaire : avoir des enfants légitimes
L’autre grande affaire du mariage dans l’antiquité grecque, ce sont les enfants. Un homme a besoin d’une épouse légitime pour que celle-ci lui donne des enfants légitimes. La fille doit donner des enfants, en témoignent les nombreux ex-voto à des divinités de la fertilité qui jalonnent le gamos.
Mais pourquoi, au fait ?
Il faut ici se placer sur deux plans différents: celui de la cité et celui de la maison.
- La cité a besoin de citoyens-soldats qui défendent le territoire et la communauté. D’où des mesures « natalistes » : taxation des célibataires, par exemple, ou même obligation pour l’homme d’honorer madame à une fréquence régulière. Une loi du législateur Solon (début du VIe siècle) oblige l’époux de l’épiclère à avoir des rapports sexuels avec celle-ci au moins trois fois par mois. Précisons que l’épiclère est l’héritière unique d’une maison (sans frère, donc).
- La maison a le même intérêt que la cité. S’il n’y a pas d’héritier mâle, elle « tombe en quenouilles ». C’est la fin d’un bien, d’une lignée et d’une mémoire.
Et l’amour dans tout ça ?
Dans cette histoire, il n’y a aucune place pour l’amour, ni la fidélité — celle du mari, en tout cas.
Si quelque chose finit par se développer entre les époux, de la tendresse, de l’affection, voire un amour véritable, tant mieux. C’est un peu la cerise sur le gâteau.
Les Grecs tendent quand même à penser que c’est normal. Les hommes finissent par aimer leur femme, comme le dit Achille dans l’Iliade (Chant IX) à propos de Briséis :
« Les Atrides sont-ils les seuls des hommes doués de la parole à chérir leurs épouses ? Tout homme bon et sensé aime la sienne et s’en occupe, comme moi j’aimais la mienne de tout cœur, bien qu’elle eût été acquise par la lance. »
Le déroulement du mariage dans l’antiquité grecque : de l’ekdosis au gamos
L’ekdosis : le contrat de transmission
Le mariage grec antique, c’est d’abord un acte juridique, celui de la « remise » (ekdosis) d’une fille par celui qui a autorité sur elle à un autre homme qui va l’accueillir dans sa maison : l’époux. La fille passe d’une maison à une autre et d’une autorité à une autre.
L’ekdosis est un accord entre deux hommes :
- le tuteur (kyrios), qui est le plus souvent son père et a seul le pouvoir de donner la fille à un autre homme ;
- le futur époux.
Des comédies du IVe siècle rapportent dans un mode comique le type de dialogue échangé à l’occasion :
LE PÈRE — Je te remets cette fille pour que tu lui laboures des enfants légitimes.
LE GENDRE — Je la prends avec plaisir.
LE PÈRE — Et j’ajoute cette dit de x talents.
LE GENDRE — Cela aussi je l’accepte avec plaisir.
Cet acte n’a pas besoin de faste. Il n’a besoin que d’une seule chose : des témoins. Même la future épouse n’est pas nécessairement présente. Cela nous rappelle la nature véritable du mariage grec antique : il s’agit moins d’une union entre deux individus qu’entre deux familles.
On est ici dans le cas d’une jeune fille vierge, une parthenos dont c’est le premier mariage. Les choses changent quand il s’agit d’un remariage. En général, on demande son avis à la future épouse. C’est ainsi que Périclès consulte sa femme avant de la refiler à Kleinias !
D’ailleurs, remarquons que la fille est « remise » et non « donnée ». Qu’est-ce que ça veut dire ? Que si l’époux se comporte mal avec sa femme et que celle-ci s’en plaint, le père peut très bien la lui reprendre en faisant jouer une espèce de droit de préemption de la maison ancienne sur la nouvelle.
Ça marche en tout cas jusqu’à la naissance d’un premier enfant, qui défait définitivement le lien avec la maison paternelle au profit de la maison maritale.
Le gamos : les noces ritualisées
Le mariage dans l’antiquité grecque, c’est surtout le gamos. Rien ne change dans la vie des futurs époux tant qu’il n’a pas eu lieu.
Le gamos, ce sont les noces proprement dites. Elles sont ponctuées de rituels qui balisent le transfert de l’épouse dans la maison de l’époux. Ces rites ont quelque chose d’initiatique : on peut parler de rites de passage pour la femme. J’ai parlé ailleurs de la façon dont on considérait la femme grecque dans les différents âges de sa vie.
En effet, il n’existe pas d’adolescence pour les jeunes gens des sociétés anciennes.
On est un enfant, puis on devient un adulte. Avant son mariage, la fille joue à la balle et aux osselets. Puis elle se marie et passe dans le lit d’un homme. Désormais, elle est une femme. Les épouses étaient souvent très jeunes, elles avaient entre douze et dix-sept ans. Généralement, elles épousaient des hommes d’environ trente à trente-cinq ans.
La vierge Hippè a relevé sur le haut de sa tête les boucles de son abondante chevelure,
En essuyant ses tempes parfumées.
C’est que déjà pour elle est arrivé le temps du mariage.
Et nous, bandeaux qui tenons la place de ses cheveux coupés,
Nous réclamons ses grâces virginales.
Artémis, puisse par ta volonté le jour de son mariage être aussi celui de la maternité
Pour la fille de Lycomèdeidès, qui aime encore les osselets. (Anthologie Palatine, VI, 276)
Pour en savoir plus sur les rites du mariage dans l’antiquité grecque, rendez-vous par ici !
Un exemple de mariage en Grèce antique : Atalante et Hippomène
Dans ma réinterprétation du mythe d’Atalante , j’ai montré ce que ni Hésiode ni Ovide n’ont montré : le mariage en tant que tel.
Je vous offre un petit extrait montrant une Atalante orageuse alors que se prépare sa « remise » à son futur époux, Hippomène. Comme vous allez le constater, le mariage dans l’antiquité grecque dans sa partie contractuelle (ekdosis) n’implique pas forcément la présence de l’épouse.
Dans sa grande bonté, Schœnée consentit à ce qu’elle assistât à son propre mariage. Tant de magnanimité donnait à Atalante l’envie de lancer son poing dans le miroir de sa chambre.
Au lieu de quoi, elle se regarda grincer des dents dans le cuivre poli. Ses femmes s’activaient autour d’elle, étalaient des parures, remplissaient des bassines d’eau, alignaient des flacons et des pots d’onguents, des brosses et des pinceaux.
La kourè-de-Schœnée ne serait bientôt plus. Elle allait devenir l’alochos d’Hippomène. Elle n’arrivait pas y croire. Où était passée Atalante dans cette passation de pouvoir désastreuse ?
« Mégarée et sa suite arrivent, déclara son père dans son dos. Mais ne te hâte pas, ma païs, prends le temps de te préparer soigneusement. »
Elle sentait sa grande ombre derrière elle, qui surplombait les va-et-vient de ses servantes et surtout de Baléria. Sa nourrice ronchonnait au-dessus de sa masse hirsute de cheveux.
« De toute façon, il faudra des heures pour démêlait tous ces nids d’oiseaux.
— Paix, nourrice. Nous allons enfin marier notre petite fille. Qu’elle paraisse dans tout son éclat, je le veux ! Que tous admirent la splendeur de la fille de Schœnée. Que ceux d’Onchestos jugent de la grande valeur du cadeau fait à leur famille. »
Ce n’était pas vraiment de la forfanterie dans sa voix. Plutôt une espèce d’orgueil attendri, qui hérissait tous les poils sur la peau de la jeune fille. Elle n’arrivait pas à haïr son père de la traiter comme un trophée ; il y avait trop d’affection en lui, elle ne pouvait la nier sans se mentir à elle-même. Cependant, elle répliqua vertement :
« C’est Mégarée qui t’offre son fils, non l’inverse. Je n’irai nulle part après cet hyménée, père, alors épargnons-nous un tel étalage d’apparences inutiles. »
Du moins, contrairement à tous les usages, elle ne quitterait pas le foyer qui l’avait vue grandir. C’est Hippomène qui viendrait vivre en leur palais, en fils adopté de Schœnée et époux d’Atalante. Époux… Un frisson de rage parcourut Atalante. Voilà où se trouvait l’objet de sa fureur. L’époux.
« Ne recommence pas à faire ta mauvaise tête ! répliqua Schœnée. Tu devrais comprendre que je souhaite justement faire honneur à Mégarée, alors ne gâche pas tout, sinon c’est dans ta chambre que tu passeras toute la cérémonie et que tu attendras ton conjoint ! »
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À bientôt !
Sources : BRULÉ, Pierre, Les Femmes grecques à l’époque classique, Hachette Littératures, 2001
À PROPOS DE L'AUTEURE
Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.
Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.
Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.