Le Mariage d' Hercule et de Mégara - Nicolas Poussin - Louvre - Crédits photo : RMN

Grèce antique : pas de dot, pas de mariage !

Dans ma série d’articles sur le mariage grec antique, place aujourd’hui à un élément sans lequel rien n’est possible : la dot.


Même quand on est pauvre, on ne peut pas imaginer donner une fille sans richesses. Ça ne se fait pas.


Dans cet article, je vous explique pourquoi la dot est si importante, quelle est sa valeur absolue et relative et comment elle suit la femme toute sa vie (sans que celle-ci ait jamais la possibilité de s’en servir !).

En passant, je vous rappelle mes autres articles sur le même sujet :

Pourquoi la dot dans la Grèce antique ?

Imaginez un homme qui prend une femme chez lui. Il l’a soit achetée, c’est une esclave — ou elle est venue librement. Il l’installe dans sa maison. Ils ont des enfants.


Cette femme est-elle son épouse ? Ces enfants sont-ils légitimes ?


Non. Car il n’y a pas eu de dot. S’il n’y a pas de dot, il n’y a pas de mariage officiel.


L’exception fait la règle. Socrate avait pris une femme de manière officielle alors que celle-ci n’avait pas de dot. Cette épouse, Myrtô, était la petite-fille d’Aristide, un grand stratège du début du Ve siècle av. J.-C. La famille de Myrtô avait perdu de son lustre depuis… et elle « était condamnée au célibat pour cause de pauvreté ».


Socrate eut la générosité extraordinaire de prendre cette femme sans dot. C’est parce que ce geste était tout à fait inhabituel qu’il a été remarqué et cité.

Quelle valeur pour la dot de l’épouse ?

Le marché de la dot a quelque chose de capitaliste : il dépend de l’offre et de la demande. Cela crée d’ailleurs une forte endogamie, les plus riches se mariant entre eux pour apparier dot de l’épouse et richesses de l’époux.

La nature de la dot

Il y a deux sortes de richesses :

  • les richesses visibles (la maison au point de vue matériel, la terre, les outils, les esclaves…) ;
  • les richesses invisibles (l’argent et les revenus de biens).

Dans le mariage grec antique, la dot de la fille est constituée d’argent. La richesse de l’homme consiste plutôt en terres et en maisons.


Un autre type de richesses, plus subtil, consiste en statut. L’époux et le père de l’épouse apportent l’importance de leur statut dans l’échange. Le minimum requis, c’est d’être citoyen, d’autant plus que c’est grâce à la possession de la terre qu’on est membre de la cité.

Mariage grec - Hydrie à figures rouges - Avignon - Musée Calvet
Hydrie à figures rouges du Musée Calvet d'Avignon - On y voit la fiancée dans ses préparatifs pour le mariage

La valeur de la dot

Des plaidoyers de procès du IVe siècle évoquent la valeur absolue et relative des dots. Attention, on parle ici des citoyens les plus riches.


Quelques repères d’abord. Un talent vaut 60 mines et une mine vaut 100 drachmes. Le salaire moyen quotidien d’un ouvrier dans le bâtiment est de 1,5 à 2 drachmes.


En partant de là, on constate qu’une dot vaut de 500 à 8 000 journées de travail, soit plus de 20 ans de labeur si on imagine une vie dans laquelle on travaille tous les jours (ce qui n’est jamais le cas en Grèce antique).


La dot la plus élevée qu’on connaisse est celle d’Hipparété, l’épouse d’Alcibiade. Elle pesait 20 talents, soit 80 000 journées de travail.


Et proportionnellement à la fortune du père ? Que représente une dot ?


C’est énorme : 5 à 25 %, pour une seule fille !


Or, on a parfois plusieurs filles et on essaie en général de les doter de la même façon. Que faire si le père manque de liquidités pour y parvenir ? Il n’a pas le choix, car c’est une question d’honorabilité : il doit vendre des biens tangibles, comme de la terre, par exemple.


Évidemment, cela se fait au détriment de l’héritage masculin, du frère de la fille ou des filles en question.


À moins qu’on décide de doter une ou plusieurs filles et de laisser les autres vieillir dans l’ombre et la solitude de la maison paternelle… Des Socrate, il n’y en a pas beaucoup.

Que fait-on avec la dot du mariage grec antique ?

Personne ne touche à la dot…

La dot n’est pas pour l’épouse. Elle ne peut pas s’en servir.  Elle la suit pourtant, comme son ombre, de maison en maison, chez son mari, chez son père si elle y retourne, chez un autre époux si elle se remarie… toute sa vie. 

Son mari n’a pas le droit de la toucher non plus. Il en a la garde, il en a l’usufruit et il en tire bénéfice ; il peut donc essayer de la faire fructifier pour en toucher les intérêts.

Mais il ne doit pas toucher au capital. Si sa femme s’en va, il doit la lui rendre intacte.


Quelquefois, cet époux est indélicat ou imprudent. Il peut mal disposer de la somme ou se montrer réticent à la rendre. C’est pourquoi le père de l’épouse prend généralement des précautions. C’est lui qui est le gardien des intérêts de sa fille. Pour être sûr de la récupérer, même face à un époux insolvable ou déloyal, il prend une hypothèque sur les biens-fonds du mari.

… sauf les fils de l’épouse

Finalement, une seule personne peut un jour récupérer le capital de la dote. C’est le fils (ou les fils) de l’épouse. La somme est pour lui, elle rejoint son héritage paternel. Elle ne peut pas servir, par exemple, pour doter les filles de l’épouse. Un homme n’a pas le droit de doter sa fille avec la dot de sa femme.


Par contre, il est d’usage pour un homme de doter sa fille avec la même somme reçue de la dot de sa mère. Bien souvent, la dot est un capital qui va de grand-mère en petite-fille.


De leur côté, les biens visibles (terres et maisons) passent de père en fils, de génération en génération.

Mariage grec - Amphore loutrophore à figures rouges - Vers 330-310 av. J.-C. - Avignon - Musée Calvet
Amphore loutrophore - Musée Calvet d'Avignon - ELle montre une femme parée comme une mariée

Les problèmes et les avantages du système de la dot

La dot : un frein au mariage

Le système dotal du mariage grec antique est un problème en soi. Il exclut les filles pauvres du marché matrimonial. Il freine aussi les projets matrimoniaux des pères, qui attendent parfois la mort de leur mère pour pouvoir doter et donc marier leurs filles.


Il laisse également les hommes pauvres sur le carreau. Pourquoi ? Parce que les parents d’une fille bien dotée choisissent leur gendre avec soin. Comme on dit, « le bien va au bien ». Pas question de donner sa fille et la dot à un homme pauvre.


La cité est menacée dans sa démographie et donc sa puissance par ce célibat des pauvres. C’est pourquoi elle constitue parfois des fonds pour doter les filles à marier démunies.


Dans Les Lois, Platon imagine même une interdiction de la dot qui permettrait que « les pauvres risqueront peu de vieillir, faute de bien, sans prendre femme et sans marier leur fille ».


Le philosophe voit un autre problème dans le système. Quand une femme arrive dans une maison avec une dot énorme, disproportionnée par rapport à la richesse de son époux, elle se retrouve dans une situation socialement supérieure.

« [Dans notre cité future] les raisons d’argent y porteront moins les femmes à l’insolence et les maris à une servitude basse et déshonorante. » (Platon, Les Lois, 774 c)

L’exemple d’Alcibiade et de sa femme Hipparété ne donne pas l’impression d’un si grand risque. Sa femme lui avait apporté une dot faramineuse, on l’a vu, et cela ne l’a pas empêché de la tromper ouvertement en installant des maîtresses chez lui et de l’enlever en place publique pour l’empêcher de demander le divorce. Mais peut-être était-ce déjà trop d’insolence de la part de cette femme que d’avoir essayé de dissoudre le mariage ?

La dot : une protection pour les femmes

La dot protège les femmes (en tout cas celles qui en ont une). C’est leur meilleure garantie de trouver une maison et un époux, voire de se remarier si elles sont veuves ou séparées. Or, le mariage donne à la fois un statut et un toit à une femme.

Sans maison, sans oïkos, une femme est en danger. Les veuves ne peuvent compter que sur leurs enfants, si elles en ont, pour s’occuper d’elles. Si elles n’en ont pas, leur situation dépend de leur âge, de leur état « reproducteur »… et de leur dot.

Dans l’antiquité grecque, on juge que la place d’une femme est à la maison.

Mariage grec -Amphore à figures rouges du VIe siècle av. J.-C. - Musée Crozatier
Un mariage ? Amphore à figures rouges du VIe siècle av. J.-C. - Musée Crozatier

La dot d’Atalante en question ?

Dans mon roman Atalante, j’évoque les présents offerts à la fois par le père du marié et par celui de la mariée. Nous ne sommes pas à l’époque classique, la dot caractéristique du mariage grec antique n’existe pas encore en tant que tel, mais déjà il y a déjà un système de don et contre-don qui garantit une équité dans l’échange et la construction d’un lien entre les deux familles concernées.


Je vous propose un petit extrait montrant l’importance des dons faits de part et d’autre, et qui consiste ici en matières sonnantes et trébuchantes (affiliées aux dons « invisibles », en tout cas mobiles de l’époque classique).

Ils s’en retournaient à la cité. La foule amassée sur le chemin du cortège lui jetait des fleurs. Son nom résonnait avec joie autour d’elle. C’était étrange que son asservissement provoquât une telle liesse. Dans cette presse, tout le monde avançait au ralenti en battant le pavé. Lorsque, enfin, ils passèrent la porte monumentale du palais, le soleil était haut dans le ciel. Les princes et les grands de la cité ruisselaient de sueur sous leurs beaux atours. La cour était encombrée de chars, de caisses, d’amphores, de mobilier orné de pièces d’ivoire sculptées représentant hommes et animaux, de statuettes de guerriers et de divinités, bref d’un monceau de présents venus d’Onchestos pour honorer la mariée et son père. Dans la deuxième cour, Schœnée avait fait préparer tout autant de biens, et même davantage, à destination de Mégarée. Puisque celui-ci lui donnait son fils aîné, il fallait compenser avec encore plus de faste. Atalante jeta un regard vide à tout ce déballage d’or, de parfums et de soieries.

Cet article sur la dot dans le mariage grec antique vous a intéressé ? Je vous offre encore plus de contenus dans ma newsletter hebdomadaire. Abonnez-vous !

Sources : BRULÉ, Pierre, Les Femmes grecques à l’époque classique, Hachette Littératures, 2001

Crédits image d’en-tête : Le Mariage d’Hercule et de Mégara, Nicolas Poussin, Louvre – Photo RMN

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *