Gare aux charmes d’Aphrodite…

Article mis à jour le 8 mai 2024

Un peu comme je l’ai fait la semaine dernière avec Artémis, interrogeons aujourd’hui Aphrodite, la déesse de l’amour.
D’où vient-elle ? Quelle sorte d’amour incarne-t-elle ? L’amour dispensé par Aphrodite est-il une récompense ou une punition ?
De plus, cet amour que les Grecs anciens incarnaient en la déesse est-il totalement libre ? Pour les hommes, peut-être. Mais pour les femmes grecques de l’époque ?
Allons inspecter la déesse… toute nue !

Qui est Aphrodite ?

La naissance d’Aphrodite est déjà toute une histoire. On ne peut pas expliquer simplement qui sont les parents d’Aphrodite, car il y a deux mythes autour de cette déesse.

  •  Pour Homère, c’est la fille de Zeus et de Dionè (une déesse fille d’Ouranos et de Gaia).
  • Pour Hésiode (dans sa Théogonie), elle est née de l’écume de la mer, fécondée par le sperme d’Ouranos après que Cronos ait tranché les organes sexuels de celui-ci (une sombre histoire de rivalité entre le père et le fils) et les ait jetés à la mer. C’est la « femme née des vagues » et l’une des premières déesses de tout le panthéon. C’est elle qu’on voit dans le célèbre tableau de Boticelli, Vénus sortie des eaux.

Dans cette deuxième version, Aphrodite a aussitôt été transportée par les Zéphyrs à Cythère, puis à Chypre, ses deux îles de prédilection. Elle y a été vêtue, couverte de bijoux et de parfums, puis conduite chez les dieux.
Dans son Banquet, Platon disserte sur cette double origine de la déesse pour développer une réflexion philosophique. Il y a deux Aphrodite :

  • la fille d’Ouranos, dite aussi Uranie, qui représente l’amour pur et noble ;
  • la fille de Dionè, dite aussi Pandémos, qui incarne l’amour vulgaire.

« Comment nier qu’il y ait deux Aphrodites ? L’une, qui est sans doute la plus ancienne et qui n’a pas de mère, c’est la fille d’Ouranos, celle que naturellement nous appelons la « Céleste ». L’autre, la plus jeune, qui est la fille de Zeus et de Dionè, c’est celle que nous appelons la « Vulgaire ». »

Aphrodite : un mari et des amants

Héphaïstos et Arès, l’époux et l’amant adultère…

Très naturellement, Aphrodite, la déesse de l’amour, collectionne les cœurs et enchaîne les relations (avec les hommes).


Son mari, d’abord. C’est Héphaïstos, le dieu boiteux. Une ironie. Il ne lui plaît pas trop, il n’est pas beau. Or, ce qui est avéré chez les Grecs anciens, c’est que la beauté est méliorative. Voilà donc Aphrodite partie se consoler avec le dieu le plus diablement viril du panthéon : Arès, le dieu de la guerre. Pas de chance, l’infidélité est découverte par le dieu Hélios qui avertit l’époux trahi. Celui-ci tend un piège aux amants. Aphrodite et Arès se retrouve prisonniers d’un filet aux mailles invisibles (personne ne peut rivaliser avec Héphaïstos en artisanat !). Tous les dieux de l’Olympe sont conviés par l’époux à constater son infortune. Humiliée, la déesse s’enfuit alors à Chypre.


De ses amours avec Arès, deux paires d’enfants naissent, dont certains auront une belle postérité :

  •  Éros (l’amour) et Antéros (l’amour en retour) ;
  • Deimos (la terreur) et Phobos (la crainte), qui resteront plutôt dans le sillage de leur père avec Eris, la Discorde.
Peinture représentant "Vénus et Amour" de Robert Lefèvre - Huile sur toile du Musée d'Art et d'Histoire de Gérard Baron, Bayeux
"Vénus et Amour" de Robert Lefèvre - Huile sur toile du Musée d'Art et d'Histoire de Gérard Baron, Bayeux - Crédits photo Marie Tétart

… et une flopée d’amants et de favoris

Qui sont, parmi les mortels et les autres dieux, les « bienheureux » qui reçurent l’amour de la plus belle des déesses ?

  •  Adonis, Hermès, Phaéton.
  • Le berger Anchise, qu’elle rencontre sur le Mont Ida et dont elle a Énée selon Homère (Iliade).
  • Dionysos ou Zeus (son père !), dont elle a Priape, un fils au sexe proéminent qu’elle rejette par crainte de la risée des autres dieux. Toujours ce culte du beau. 
  • Le vieux et laid Phaon, qui reçoit d’elle la jeunesse et la beauté.
  • Cinyras, lequel vit à ses dépens dans l’Iliade.

Notons aussi Boutès et Pâris. Ce ne sont pas des amants, mais des « chouchous », des favoris. Tout le monde connaît Pâris : comme il lui avait offert le prix de la plus belle déesse contre Héra et Athéna, Aphrodite lui offrit la plus belle femme du monde : Hélène. Et c’est ainsi que commença la Guerre de Troie (Stasinos de Chypre, Chants cypriens et Iliade).

Là où intervient Aphrodite, la déesse de l’amour

Quel est le pouvoir et d’Aphrodite dans la religion grecque antique ? L’amour, bien entendu. Mais comment l’exerce-t-elle et comment l’impose-t-elle ? Est-on libre de le refuser ? Pas vraiment…

L’amour et le désir, récompense et punition

L’Aphrodite céleste est celle de la création qui naît de l’amour. Pour moi, c’est cette Aphrodite-là qui est célébrée dans les vers suivants :

« Elle égare même la raison de Zeus (…), lui, le plus grand des dieux (…) ; même cet esprit si sage, elle l’abuse quand elle veut (…). Elle atteignit l’Ida aux mille sources, la montagne, mère des fauves ; derrière elle marchaient en la flattant les loups gris, les lions au poil fauve, les ours et les panthères rapides, insatiables de faons. À leur vue, elle se réjouit de tout son cœur et jeta le désir dans leurs poitrines ; alors, ils allèrent tous à la fois s’accoupler dans l’ombre des vallons. » (Hymne homérique à Aphrodite)

L’Aphrodite vulgaire, elle, est plus… terre-à-terre. Elle provoque les sourires. Elle crée le charme. Elle attise la volonté de séduire. Parfois, elle crée la tromperie si cela permet d’atteindre l’objet du désir.
Ses armes, ce sont donc l’amour et le désir. Elle les utilise volontiers pour se venger ou pour punir.

  •  Éos, l’Aurore, avait séduit Arès. Jalouse, Aphrodite inspire à sa rivale un amour impossible pour Orion, fils de Poséidon.
  • C’est elle aussi qui provoque la passion irrésistible de Pasiphaé pour le taureau blanc de Minos (cf lien).

L’amour pour les femmes, mais dans le mariage

Si Aphrodite est une épouse infidèle, elle n’incite pas les femmes grecques à l’adultère. Elle est plutôt le chantre du sexe dans le mariage, sous la domination de l’homme. La bonne épouse, c’est la jeune fille (parthenos) qui abandonne ses jouets d’enfants à Artémis pour devenir une femme dans le lit de son mari. À partir de la cérémonie du mariage, le gamos, elle passe sous la coupe d’Aphrodite.

« Les filles vont d’Artémis à Aphrodite », dit le rhéteur Libanios.

D’ailleurs, il existait des temples (mont Éryx, Corinthe) dans lesquels des jeunes filles offraient leur virginité à Aphrodite, la déesse de l’amour, en se prostituant. C’était des hiérodules. Ensuite, elles s’en retournaient à une vie normale d’épouse. L’écrivaine Christa Wolf l’a montré dans son roman sur l’héroïne Cassandre.

Plus tard, des esclaves furent attachées au temple et exercèrent cette prostitution en professionnelle du sexe. Pas de confusion entre la femme qui pratique le sexe en dehors du mariage et celle qui s’y plie dans le gynécée. Aphrodite ordonnance bien tout ce petit monde.


On voit particulièrement bien la fonction de gardienne du mariage de la déesse dans le mythe d’Atalante. Atalante ne voulait pas se marier. Elle essaya de noyer le poisson en disant qu’elle n’épouserait que celui qui la vaincrait à la course. Aphrodite l’y contraignit en aidant l’un de ses prétendants, Hippomène, à triompher d’elle. C’est le fameux épisode des pommes d’or.

D’autres pouvoirs d’Aphrodite

Aphrodite sait aussi calmer le vent et la mer. À Paphos, elle avait un temple où les marins venaient la consulter avant de prendre le large.

Aphrodite et ses semblables dans l’antiquité

D’autres déesses antiques ont été assimilées à l’Aphrodite grecque, et d’abord la Romaine Vénus.

Vénus

Vénus est une vieille divinité italique. À l’origine, c’était la déesse des champs et des jardins. Plus tard, elle est devenue celle de la beauté féminine. Tout cela se passait avant les débuts de l’influence grecque à Rome. Deux fêtes en son honneur existaient : les Veneralia et les Vinatia Priora, qui avaient lieu en avril.


De grands hommes romains se sont réclamés de Vénus. Le dictateur Sylla (138-78 avant J.-C.) la vénérait sous le nom de Venus Felix (la Bienheureuse). Il s’était donné le nom grec d’Epaphrodite.
César fit construire un monument en l’honneur de Venus Genitrix sur le Forum Iulium.Elle a aussi été la patronne de Pompéi sous le nom de Venus Pompeiana.


Or, la Vénus romaine ressemblait beaucoup à l’Aphrodite grecque. Et ça tombait bien. Dans l’Iliade, Aphrodite, la déesse de l’amour, n’est-elle pas la mère d’Énée, qui est, par tradition, l’ancêtre des premiers rois de Rome ? La boucle était bouclée. Vénus devint la mère d’Énée et la protectrice du peuple romain. Plusieurs familles patriciennes qui se flattaient de descendre d’Énée en profitèrent pour se réclamer aussi de la déesse.

Vitrail représentant Vénus - Fin du XVème siècle - Pièce provenant du 19 rue des Cuisiniers, Maison des Heuriers à Bayeux et exposée au Musée d'Art et d'Histoire Robert Baron de Bayeux
Vitrail représentant Vénus - Fin du XVème siècle - Pièce provenant du 19 rue des Cuisiniers, Maison des Heuriers à Bayeux et exposée au Musée d'Art et d'Histoire Robert Baron de Bayeux - Crédits photo Marie Tétart

Les divinités orientales

Aphrodite peut aussi être rapprochée de et a été assimilée à plusieurs divinités du Proche-Orient et d’Asie Mineure. Ce sont des déesses lunaires, associées à l’idée de fertilité et de fécondité. Il s’agit de :

  • Atargatis chez les Philistins ;
  • Mylitta chez les Babyloniens ;
  • Ishtar chez les Assyriens ;
  • Astarté chez les Sémites…
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Aphrodite sortant des eaux, statue sur les rives de Paphos. Crédits Yves Hardy

Cet article vous a plu ? Découvrez Aphrodite, la déesse de l’amour, dans l’épisode des pommes d’or, là où elle aide le héros Hippomène à conquérir Atalante la chasseresse ! C’est toute l’histoire de mon petit roman Atalante.
À bientôt pour de nouvelles incursions en mythologie grecque ! 🙂

Crédits image d’en-tête : dimitrisvetsikas1969

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

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