Pendant longtemps, on a refusé de voir que les hommes grecs de l’antiquité épousaient parfois des enfants. Ça ne passe pas pour les mœurs d’aujourd’hui et il y avait une réticence à flétrir la belle réputation de cette civilisation dont on se sent si redevable en tellement de domaines.
Pourtant, les sources sont claires. Les filles sont jeunes à l’heure du mariage. Parfois très jeunes.
Voyons de plus près quel était l’âge des filles au mariage grec antique.
Un portrait de la nymphe en Grèce antique
À l’heure du mariage, l’épouse (la nymphe) est vierge : c’est une parthenos. Elle est jeune ; parfois, c’est une pais, c’est-à-dire une enfant.
Trois exemples, trois évocations :
- dans l’Odyssée, Homère dit de Nausikaa qu’elle est dans le « fût » de sa croissance ;
- Hésiode recommande à son frère d’épouser une parthenos pour qu’il puisse librement lui inculquer de sages principes ;
- la femme d’Ischomaque (dans l’Économique de Xénophon) a moins de 15 ans quand elle arrive dans sa maison (chapitre IV).
Cette nymphe est une mineure sans aucune autorité sur personne. Elle a été élevée dans des préconisations de sagesse et ne sait du monde que ce qu’on lui en a dit.
Nos frères sont plus heureux que nous, pauvres filles. Un garçon peut sortir avec ses camarades, et jouer avec eux… Mais nous, on nous confine ainsi qu’en un caveau, dans notre chambre sombre, en proie au triste ennui, et c’est à peine si pour nous le soleil luit.
(Anthologie Palatine, 5, 97)
Elle dépend complètement de son père. Rappelons que les pères avaient le droit d’exposer leurs enfants à la naissance, donc de les abandonner. Comme dans d’autres pays et à d’autres époques, les filles étaient plus souvent victimes de cette pratique (on peut comprendre pourquoi quand on connaît le système de la dot).
Une fille qu’on a choisi de garder doit donc doublement la vie à son père.
La nymphe grecque : une enfant dans sa tête
Certains textes permettent de plonger dans la tête des filles alors qu’elles vont se marier. C’est vertigineux.
Ainsi la vierge Hippé qui « aime encore ses osselets ». Ses parents demandent la protection d’Artémis « afin que le jour de son mariage puisse être celui de la maternité » (Anthologie Palatine).
Timaréta consacre à Artémis, « au moment de se marier, (…) ses tambourins, le ballon qu’elle aimait, la résille qui retenait ses cheveux ; et ses boucles, elle les a dédiées, comme il convenait, elle vierge, à la déesse vierge Artémis, avec ses vêtements de jeune fille… »
Ce fragment en dit long sur l’âge des filles dans le mariage grec. Lorsqu’elles se marient, les vierges dédient les objets symboliques de leur enfance à Artémis, la déesse qui patronne cet état sauvage, non domestiqué. Cela fait, le basculement peut avoir lieu : la fille devient une épouse soumise à une sexualité adulte et chargée de responsabilités de maîtresse de maison. Il n’y a pas d’adolescence pour la fille grecque.
C’est ce que nous dit la poétesse Erinna :
Ces traces de tes pas, jeune fille, sont empreintes en mon cœur, encore incandescentes. Tout ce dont nous avons joui jadis n’est plus que cendres désormais. Nos poupées occupaient tous nos soins, fillettes dans nos chambres, mimant les épousées, insoucieuses. (…) Mais, entrée au lit d’un homme, tu as tout oublié de ce que ta mère t’avait appris dans ton enfance, Baucis chérie : oui, l’oubli dans ton cœur est l’œuvre d’Aphrodite.
« Cœur tout nourri d’une insouciance douce », la fille arrive dans une « demeure où tout semble bizarre » pour elle. À commencer son époux et ce qu’il attend d’elle.
Il faut être devin pour trouver, sans l’avoir appris chez soi, comment en user au juste avec son compagnon de lit.
(Médée dans Euripide)
Ischomaque, l’« homme bon et bien » de l’Économique de Xénophon, dit d’ailleurs à propos de sa nouvelle épouse : « Quand elle s’est familiarisée avec moi, et qu’elle s’est assez apprivoisée pour causer…, j’ai pu commencer son éducation. »
On comprend donc que son épouse, qui avait moins de 15 ans, n’avait peut-être pas parlé pendant un certain temps après son arrivée chez lui.
(À lire aussi, d’ailleurs, cet article sur le mariage en Grèce antique et la façon dont il est censé civiliser la jeune épousée. Et si vous en voulez plus sur les préceptes de ce brave Ischomaque et la place qu’il donne à la femme dans l’antiquité grecque, c’est ici !)

Quelques recommandations pour l’âge des filles lors du mariage grec…
Les auteurs ne sont pas avares de préconisations. Généralement, eux-mêmes le disent : on marie les filles trop jeunes !
Par exemple, Platon et Aristote recommandent que les nymphes aient entre 16 et 20 ans.
Pourquoi ce souci ? Pour Aristote, c’est une question de santé. Les grossesses précoces abîment les mères et donnent des enfants débiles (c’est ce qu’on obtient aussi lorsque les parents sont trop âgés, précise-t-il).
Pour appuyer son argument, il rapporte dans Les Politiques la réponse faite à la cité de Trézène (nord-ouest du Péloponnèse) par un oracle. Les citoyens s’inquiétaient de la forte mortalité des enfants en bas âge et de leurs mères. L’oracle répondit : « Ne labourez pas une jeune jachère. » Aristote ajoute : « Car elle ne donnerait plus de fruits ».
(À propos de l’emploi du verbe « labourer » dans ce contexte, je vous invite à lire cet article sur le vocabulaire de l’amour charnel en Grèce antique.)
Aristote considère aussi que c’est une question psychologique (ou morale ?). Pour lui, une fille déflorée trop jeune développe un trop grand penchant pour le coït. On aurait pu croire l’inverse !
… mais des cités qui marient toujours les très jeunes filles
Les cités et les familles ne respectent pas ces recommandations. Si elles le faisaient, les philosophes ne nous auraient rien dit de l’âge des filles.
Quelques exemples permettent de voir que les filles peuvent être mariées jeunes, voire très jeunes. Il existe en effet des réglementations de cités en ce domaine. Parfois, la communauté se substitue aux maisons pour marier les filles. Elle le fait notamment pour gérer les orphelins.
Après une guerre, la cité des Thasiens décide de prendre financièrement en charge les orphelins. Elle offre donc un équipement guerrier aux garçons et une dot aux filles. À quel âge ? 14 ans. On sait donc que les filles peuvent être mariées à partir de cet âge.
Autre problème épineux : les épiclères. Ce sont des filles orphelines qui n’ont pas de frères et qui se retrouvent donc avec un héritage entier à transmettre (normalement, l’héritage va aux garçons). Si le père n’a pas fait de testament dans lequel il donne sa fille à untel, comment gérer la situation ? La fille est l’objet de toutes les convoitises.
C’est donc la cité qui s’en occupe. Elle choisit parmi les parents de la nymphe qui ont revendiqué sa main. À Athènes, on décide que l’âge des filles pour le mariage grec sera fixé à 14 ans (et plus). À Gortyne, en Crète, ce sera à partir de 12 ans.
Précisons au passage que les Grecs ne calculaient pas l’âge comme nous. Ils ajoutaient une unité au quantième. (Comme lorsqu’ils disent que les jeux d’Olympie reviennent toutes les cinquièmes années, soit tous les 4 ans).
Donc, quand ils écrivent 14 ans, il faut comprendre 13 ans. 12 ans, c’est 11 ans pour nous.
L’homme grec peut donc épouser une fille qui n’a pas fait sa puberté (ménarché). Les médecins grecs fixent généralement celle-ci à la quatorzième année, soit environ 13 ans. On sait que de tels mariages existaient aussi à Rome.
Est-ce une norme pour autant ? Non. Mais c’est une possibilité qui ne choque pas les hommes de la Grèce antique et à laquelle ils ont recours pour satisfaire des intérêts privés (alliances, argent, pouvoir politique) ou collectifs (stabilité de la cité). À nous, aujourd’hui, d’accepter que cela ait pu exister, même si cela choque notre époque.
L’évocation des nymphes dans Atalante
Pour finir, je vous offre un petit extrait de mon roman Atalante, qui évoque ces nymphes alors que le cortège l’emmène vers la chambre nuptiale. Bonne lecture !
Là, elle ne ressentait rien d’autre qu’une fatigue asservissante. Elle se demanda si les bœufs et les agneaux qu’on envoyait à l’abattage ressentaient cela. Cette procession qui l’avait menée jusqu’à la chambre nuptiale, pleine des flamboiements de torches, du parfum des myrtes dont étaient couronnés les enfants, de la musique, des danses saccadées des vierges coiffées de hyacinthes, des cris (« Hymen ! Hymènai ! »), du chant en chœur des garçons et des filles… c’était la livraison d’une proie à un prédateur. Atalante se souvenait du regard des fillettes qui avaient passé cette épreuve avant elle, bien des années plus tôt. Sous les tiares et les diadèmes, les iris roulaient comme des brebis affolées par le surgissement du loup. Tant de couleurs, de lumières, de cris, et au bras un homme alors que la veille encore on jouait à la balle : fallait-il vraiment imposer cela à une fille de douze ans ?
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Sources : BRULÉ, Pierre, Les Femmes grecques à l’époque classique, Hachette Littératures, 2001
Crédits image d’en-tête : Jeunes filles grecques ramassant des coquillages sur la plage, Frédéric Lord Leighton, Musée Jacquemart
À PROPOS DE L'AUTEURE
Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.
Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.