Les dieux et les déesses entendent mieux les messages des mortels lorsqu’ils viennent de certaines bouches. En la matière, ils ont leurs préférences. C’est pourquoi les prêtres et les prêtresses de la Grèce antique sont choisis avec soin par la cité. La communication avec le divin doit être de qualité. Le dieu ou la déesse doit être satisfait !
En l’occurrence, pour les déesses vierges, des prêtresses vierges. En tout cas, autant que possible, car la prêtrise féminine est souvent un casse-tête pour les Grecs anciens !
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Pourquoi des vierges pour les déesses vierges ?
Les règles de dévolution des prêtrises
Les Grecs anciens se soucient beaucoup de la liturgie et ils savent que le divin est multiforme. Il y a des dieux et des déesses. Parmi ceux-là, des « vieux », des adultes, des jeunes gens et des jeunes filles… des vierges et des non-vierges.
Les Grecs font donc très attention aux règles de dévolution des sacerdoces, cité par cité et dieu par dieu (même s’il existe toujours des exceptions).
Ainsi, d’après le poète Hésiode, certes, les vieillards (les hommes en tout cas, parce que, dans les « vieilles » femmes dans l’antiquité grecque ne valent rien) prient mieux que les jeunes. Mais les déesses et les héroïnes préfèrent avoir des prêtresses femmes — vierges ou non.
Les sacerdoces doivent donc être distribués dans toutes les catégories de la société : parmi les jeunes, les adultes et les vieux et entre les hommes et les femmes.
Pour les déesses, aux vierges des vierges, aux adultes des adultes.
Les atouts et les limites de la virginité
La virginité permet d’éviter la souillure de l’acte sexuel. C’est aussi simple que ça.
La prêtresse vierge doit donc être en état de parthenos, c’est-à-dire qu’elle assume la fonction « jusqu’à ce qu’elle atteigne le moment du mariage », « jusqu’à ce qu’elle parvienne au moment des noces » ou encore « jusqu’à ce que vienne pour elle le moment d’être envoyée auprès d’un homme », etc. Les formules varient, mais l’idée est la même.
Toutefois, rien n’est si simple et il arrive que la virginité ne soit pas un si bon choix que ça en tant que critère de sélection. En effet, les prêtrises féminines posent aux hommes de l’époque bien des problèmes.
Pourquoi ? Parce que, comme chacun le sait, la femme n’écoute que ses plus bas instincts. Elle risque à tout moment de souiller ce qui l’entoure et de provoquer la colère divine !
(Ce n’est pas tout à fait sa faute, cependant : c’est celle de leur zôon, leur utérus, qui tyrannise la femme de la Grèce antique en lui infligeant des désirs charnels excessifs.)
Je vous propose 3 récits étiologiques qui expliquent les critères de choix des prêtresses dans divers sacerdoces. Ces histoires étaient racontées dans les cités concernées elles-mêmes : elles nous sont rapportées par Pausanias, un auteur-voyageur grec du IIe siècle de notre ère. Alors, virginité ou pas virginité ? Voyons ça tout de suite !
Komaithô, la prêtresse qui a offensé Artémis
Pausanias a trouvé cette histoire à Patras, où se trouvait un temple à Artémis Triklaria.
À l’origine, la desservante du sanctuaire était une parthenos, comme beaucoup de prêtresses de la Grèce antique honorant Artémis. Elle s’appelait Komaithô et, un jour, elle a fait une grosse bêtise…
« La prêtrise de la déesse était détenue par une parthenos, jusqu’à ce que vienne pour elle le temps d’être envoyée à un homme. Autrefois la prêtresse s’appelait Komaithô (« La Rousse »), une parthenos des plus belles qui avait un amoureux appelé Mélanippos (« Le Cheval Noir »), le meilleur et le plus beau des jeunes gens de son âge. Quand il parvint à faire partager son amour par la parthenos, il demanda la fille à son père. Il est fréquent que les gens âgés s’opposent à la jeunesse en toutes sortes de choses, et ils sont spécialement insensibles aux désirs des amoureux. L’histoire de Mélanippos, comme celles de beaucoup d’autres, prouve que l’amour est capable de briser les lois humaines et de profaner le culte rendu aux dieux, en effet, c’est dans le sanctuaire d’Artémis que leur ardeur érotique trouva son aboutissement, l’utilisant comme une chambre nuptiale.
« Alors la colère d’Artémis commença à détruire les habitants. La terre ne portait plus de fruit, et d’étranges maladies survirent, d’un caractère inconnu. Quand ils firent appel à l’oracle de Delphes, la Pythie accusa Mélanippos et Komaithô. L’oracle ordonna qu’ils dussent être sacrifiés à Artémis, et que chaque année on devait sacrifier à la déesse la plus belle parthenos et le plus beau pais. » (VI, 19,1)
Un grand classique. L’acte sexuel accompli dans le sanctuaire souille le lieu et la divinité. Les conséquences sont toujours les mêmes : la déesse est furieuse, elle envoie un fléau, les habitants consultent un oracle pour savoir comment se sortir du pétrin. L’oracle révèle la volonté divine : celle-ci est satisfaite par la mise en place d’un nouveau rituel. Ici, c’est l’immolation du plus beau couple de la jeunesse. Artémis ne badine pas avec la pureté.
Heureusement, plus tard, un certain Eurypylos institue un nouveau rituel de la jeunesse qui apaise la déesse.
La prêtresse vierge victime de la libido masculine
La seconde histoire de Pausanias qui évoque les prêtresses de la Grèce antique nous emmène en Arcadie. Autrefois, la prêtresse d’Artémis Hymnia était toujours une « fille vierge » (korè parthenos). Malheureusement, dans les mythes grecs, la virginité a du mal à vaincre la libido des garçons.
Un jour, un dénommé Aristocratès s’amourache de la prêtresse et se met à la poursuivre de ses ardeurs. Elle tente de lui résister, mais…
« Il lui fait subir les derniers outrages près de la statue d’Artémis. Quand l’attentat vient à être connu de tous, les Arcadiens lapident le coupable et prennent soin de modifier la loi. Ils choisiront dorénavant non plus une parthenos, mais une femme (gynè) ayant eu suffisamment de relations avec les hommes » (VIII, 5, 12)
Très intéressant ! Finalement, la virginité compte moins que la chasteté aux yeux du divin : tant que la prêtresse n’a pas de relations sexuelles, c’est le principal. Or, une « vieille » n’est plus censée connaître d’hommes à partir d’un certain âge, n’est-ce pas ? C’était en tout cas la conviction des Grecs anciens, qui y voyaient une véritable perversion.
La pythie de Delphes amoureuse
La pythie de Delphes est une prêtresse d’Apollon. Elle déroge quelque peu à la règle qui veut qu’un prêtre serve un dieu et une prêtresse une déesse. Quoiqu’il en soit, elle aussi doit respecter un impératif de chasteté, car elle ne doit pas souiller sa fonction.
D’après les habitants de Delphes, nous dit Pausanias, autrefois, c’était une parthenos. Puis, un jour, un jeune Thessalien nommé Échékratès est tombé amoureux d’elle. Catastrophe ! Pour se prémunir de la souillure, les Delphiens décidèrent de changer les règles. Désormais, la pythie serait une « femme âgée de cinquante ans » qui s’habillerait en vierge.
Plusieurs sources indiquent effectivement que la pythie est une « vieille », veuve, trop âgée pour se remarier ou qui a renoncé à toute vie sexuelle.
La morale ? Quand la vierge fait défaut, on prend une femme « ayant eu suffisamment de rapports avec un homme ». Parce que, passé un certain âge, point trop n’en faut. Notons au passage à quel point ces histoires montrent la catégorisation de la femme en fonction de son époux. Il y a un avant, un pendant et un après l’homme.
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Des prêtresses de la Grèce antique aux vierges dans les processions religieuses
Ces règles fondamentales de pureté, de chasteté et de virginité se retrouvent aussi dans d’autres circonstances. Dans les processions religieuses, par exemple.
Dans de nombreuses fêtes, les vierges sont placées en tête des processions. On les appelle souvent des canéphores, car elles portent des corbeilles sur leurs têtes, comme les Caryatides de l’Érechthéion sur l’Acropole d’Athènes. Ces corbeilles contiennent des objets sacrés, comme des rubans ou les couteaux du sacrifice. Seules des mains pures peuvent les toucher.
Ces vierges sont des parthenoi choisies parmi les plus belles. Ce sont les filles de citoyens — et des citoyens importants. Elles sont pubères donc, finalement, bonnes « à être envoyée à un homme ». Et ça tombe bien : leur public, ce sont les hommes de tout âge de la cité, les citoyens. Finalement, la procession des parthenoi, c’est aussi le défilé des filles à marier.
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Sources : BRULÉ, Pierre, Les Femmes grecques à l’époque classique, Hachette Littératures, 2001
Crédits image d’en-tête : Prêtresses de Diane d’Adrien Badedji
À PROPOS DE L'AUTEURE
Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.
Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.
Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.