Quels sont les rites du mariage dans l’antiquité grecque ?
Le mariage grec antique est un long chemin balisé d’actes empreints de sens. Sens sacré ; sens social. Dans cet article, nous allons les aborder en nous glissant plus particulièrement dans le regard de l’un des deux protagonistes principaux de l’événement : l’épouse. En effet, il s’agit pour elle d’un rite de passage essentiel qui l’amène du statut d’enfant à celui de femme.
Ensuite, je vous invite à lire un exemple de mariage vu par les yeux de la femme, celui de l’héroïne grecque Atalante.
(Je vous parle ailleurs des rituels religieux de la Grèce antique en général.)
Le mariage grec : un rite de passage pour la femme
Lors de son mariage, la femme change de vie. Jusqu’alors fille de Untel (on dit kourè-de en grec), elle devient l’épouse d’un autre Untel. (Je vous invite à lire cet article qui évoque les épithètes données aux femmes dans l’antiquité grecque par rapport à leur statut social et biologique.)
Elle quitte également la sphère d’Artémis, déesse vierge associée à l’enfance, pour rejoindre le giron d’Aphrodite, la divinité protectrice de l’amour, certes… mais surtout celle de la sexualité normée par le mariage. C’est la seule sexualité autorisée pour les femmes grecques honorables.
Tout se passe en trois actes :
- acte de séparation : la parthénos (vierge) quitte la maison de son père ;
- acte de transfert : le cortège nuptial la guide du foyer paternel à celui de son époux ;
- acte d’intégration : elle est introduite dans cette nouvelle maisonnée.
Il existe de nombreux rites dans le gamos (les noces en grec) et ils ont diverses fonctions. Mais le mariage en lui-même est un rite de passage pour la femme.
Les rites du mariage dans l’antiquité grecque
Ces rites sont très nombreux et variés, parfois folkloriques, parfois sacrés. Ils servent différentes finalités.
Les rites de passage d’âge
Les uns sont clairement des actes liés au passage d’âge de la fille. Ainsi, celle-ci offre une partie de sa chevelure à Artémis, la déesse protectrice de la jeunesse. Lorsqu’elle était enfant, elle les portait long et libre. Devenue femme mariée, donc adulte, elle les cachera sous une coiffure.
Les garçons font la même chose au moment de la puberté, en offrant leurs cheveux à Apollon.
Ce n’est pas tout. La parthenos offre aussi sa ceinture virginale (les sous-vêtements d’enfant). Elle abandonne aussi définitivement à la déesse ses tambourins, des instruments de musique avec lesquels elle participait aux chœurs religieux de jeunes filles vierges.
En se défaisant de tous ces objets, elle quitte un cercle cultuel, celui des parthenoi, pour un autre cercle, celui des femmes mariées, symbolisés par d‘autres objets : gril, tamis, clés et pots de la maison, dont elle prend rituellement possession à la fin de la cérémonie du gamos, dans la maison de son nouvel époux.
Les rites de purification
D’autres sont des actes de purification comme on en rencontre souvent dans la religion grecque antique. Les femmes y sont en effet porteuses d’une souillure associée au sang des menstrues. Il faut les en débarrasser à certains moments-clés de leur vie et le mariage en fait partie. On accomplit donc des rituels de purification en utilisant l’eau d’une source ou d’une fontaine réputée efficace pour débarrasser la nymphe de ses souillures. Cette eau doit avoir une vertu propitiatoire. Il faut se concilier les faveurs des Nymphes (les divinités, cette fois).
Cette cérémonie est souvent représentée sur des loutrophores. Les loutrophores sont des amphores qui, à Athènes, servent au transport de l’eau du bain nuptial. Elles ont un long col allongé. Tout un cortège accompagne cette eau de la source jusqu’au domicile de la vierge. Des porteuses de torches encadre le cortège, un jeune garçon de la famille joue de la flûte. Le loutrophore est porté par une petite fille.La nymphe marche à l’arrière du groupe, la tête baissée.
On le verra dans l’extrait que je propose plus loin.
Les rites de transfert de la femme
Les rites du mariage dans l’antiquité grecque, ce sont aussi des rites de transfert. Celui-ci se matérialise par toute une série d’étapes symboliques.
Le repas
Le repas qui a lieu chez le père de la mariée rassemble les deux familles. C’est un moment de rapprochement et d’échange mutuel. Hommes et femmes sont installés à des tables différentes. La marié, strictement voilée, ne rejoint les convives qu’à la fin du repas. Elle prend place parmi les femmes.
Le dévoilement de l’épouse
Le dévoilement est accompagné d’une remise de cadeaux par l’époux. C’est un système de don-contre-don : épouse contre cadeaux. Le marié doit rendre en biens ce qu’il a reçu, notamment par rapport à la dot.
Le cortège nuptial
Le cortège nuptial guide la femme mariée d’une maison à l’autre.
C’est la partie publique de la cérémonie. Elle est importante pour que chacun, dans la cité, sache le statut des enfants à naître de ce nouveau couple.
Comme le repas se termine tard, la procession se fait à la lueur des torches nuptiales. (Des « noces sans flambeaux » désignent des mariages clandestins.)
Les époux sont transportés dans un char conduit par un proche du marié (le parochos). Un héraut les précède. Ils sont suivis par la famille de la mariée, puis les parents, les amis et des enfants couronnés de myrte. On joue de la musique, on crie et on danse tout au long du parcours. Garçons et filles font des chœurs.
L’arrivée chez l’époux
Les parents du marié attendent devant leur maison. Ils accueillent les époux à leur descente du char.
Une tradition résonne encore dans nos imaginaires, celle du mari qui porte sa femme pour lui faire franchir le seuil de la maison sans qu’elle le touche. En effet, la nymphe est l’objet d’interdits. Elle ne doit pas toucher le seuil, voire le sol jusqu’à ce qu’elle soit dans le lit conjugal. Mais elle prend possession des objets symboliques de son nouvel état : pots, gril, tamis pour la farine, clefs. Ils indiquent quelle est désormais sa place dans la société grecque.
Les époux se rendent ensuite dans le thalamos, la chambre nuptiale. La porte est gardée par un ami de l’époux.
Les dons du lendemain
Le lendemain a lieu un dernier cortège. La famille de la nymphe apporte des cadeaux. La procession est dirigée par un jeune garçon habillé de blanc, qui tient un flambeau. Viennent ensuite une canéphore et d’autres filles qui portent les cadeaux : vases, vêtements, peignes, parures, ports à parfums, cosmétiques, chaussures, coffrets…
Les rites propitiatoires de fécondité
Les rites du mariage dans l’antiquité grecque sont enfin liées à la fécondité de la femme. En effet, la parthenos que nous venons de quitter, la toute jeune fille, parfois presque une enfant, a désormais la mission majeure de donner des enfants, et surtout des fils à son époux. C’est l’un des objectifs majeurs du mariage dans l’antiquité grecque.
Artémis, puisse par ta volonté le jour de son mariage être aussi celui de la maternité (Anthologie palatine, VI, 276)
Pour favoriser cette fertilité, le gamos comprend donc de multiples petits gestes propitiatoire.
À un moment quelconque, probablement avant le repas, on sacrifie à de multiples divinités : Artémis, Peithô, Aphrodite, Zeus Téléios et Héra Téléia. D’autres divinités sont parfois invoquées. À Athènes, par exemple :
- les Tritopatores, qui personnifient la lignée des ancêtres et interviennent dans la réussite génésique du mariage ;
- la Nymphe, une espèce de Jeune Mariée divinisée.
La musique accompagne les vœux, les libations, les épithalames et les hymnes.
Le banquet est constitué de plats traditionnels. On y trouve des mets réputés favorables à la fécondité, les katachusmata, comme les gâteaux de sésame. Un jeune garçon circule entre les tables pour donner des pains aux convives.
Une fois qu’elle est arrivée chez l’époux, avant la nuit de noces, l’épouse consomme rituellement des katachusmata : des dattes, des gâteaux, des figues sèches, des noix. Certains de ces mets ont des vertus fécondantes, mais aussi cathartiques.
L’épouse avale un pépin de grenade, un fruit hautement symbolique, juste avant la nuit de noces.
Des rites nombreux, variés, à la symbolique diverse, qui métamorphosent en un seul jour une enfant en une épouse destinée à devenir mère dans la foulée !
Voilà comment se déroule ce jour, l’un des plus beaux de la vie d’une femme selon le poète Hipponax :
« Les deux jours les plus doux pour une femme sont le jour de son mariage et celui de ses funérailles. »
Les rites du mariage grec antique : l’exemple d’Atalante
Je vous propose de découvrir ces rites de manière plus vivante avec l’exemple de l’héroïne grecque Atalante.
Dans la mythologie, Atalante est contrainte au mariage lorsqu’elle perd la course contre son prétendant Hippomène.
L’extrait qui suit prend place pendant l’un des rites du mariage dans l’antiquité grecque : la procession du loutrophore vers le palais du prince Schœnée, le père d’Atalante. Je vous en souhaite bonne lecture !
Ils s’en retournaient à la cité. La foule amassée sur le chemin du cortège lui jetait des fleurs. Son nom résonnait avec joie autour d’elle. C’était étrange que son asservissement provoquât une telle liesse.
Dans cette presse, tout le monde avançait au ralenti en battant le pavé. Lorsque, enfin, ils passèrent la porte monumentale du palais, le soleil était haut dans le ciel. Les princes et les grands de la cité ruisselaient de sueur sous leurs beaux atours. La cour était encombrée de chars, de caisses, d’amphores, de mobilier orné de pièces d’ivoire sculptées représentant hommes et animaux, de statuettes de guerriers et de divinités, bref d’un monceau de présents venus d’Onchestos pour honorer la mariée et son père. Dans la deuxième cour, Schœnée avait fait préparer tout autant de biens, et même davantage, à destination de Mégarée. Puisque celui-ci lui donnait son fils aîné, il fallait compenser avec encore plus de faste. Atalante jeta un regard vide à tout ce déballage d’or, de parfums et de soieries. Elle rentrait au palais ; quand en ressortirait-elle ? La nuit venue, elle serait mariée. Les reproches de son père, ses hauts cris lorsqu’elle s’en allait chasser dans la montagne giboyeuse, lui revinrent en tête. Il n’aurait plus à lui asséner continuellement que ce n’était pas un lieu fait pour les femmes. Que c’était à l’ombre du mégaron qu’elle devait jouer son rôle. À son père, elle pouvait imposer un genre de vie que tous désapprouvaient : c’était l’anax. Mais à Hippomène ? Il serait humilié, moqué et déconsidéré si elle jouait encore sa partie sur le terrain des hommes : le dehors. S’en rendait-il compte, l’inconséquent ? Elle tenait sa réputation entre ses mains. Personne ne lui pardonnerait de ternir la réputation d’un homme comme lui, même pas son père et surtout pas Mégarée et tous ceux d’Onchestos. D’ailleurs, alors qu’elle observait enfin les visages, debout dans l’ombre de sa porte, elle sentait flotter une inquiétude sous la liesse. Les hommes prenaient place pour la cérémonie du contrat ; en tant que future épousée, elle n’y avait aucune place. Elle allait devoir les attendre dans sa chambre. Cela constituerait un entraînement adéquat à sa nouvelle vie : attendre… Attendre son époux, attendre l’homme.
Vous en saurez plus sur mon roman Atalante ici.
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Crédits image d’en-tête : Capri23auto
Sources :
Brûlé, Pierre, Les Femmes grecques à l’époque classique, Hachette Littérature, 2001
À PROPOS DE L'AUTEURE
Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.
Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.
Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.