Le Minotaure - Illustration d'Alan Lee

Que nous dit le taureau sur la Crète antique ?

Si l’on en croit le mythe du Minotaure, le taureau avait une place importante dans la vie minoenne. Mais de quelle façon ? Pourquoi cet animal est-il si souvent représenté dans l’art ? Et quelle signification donner à la légende du monstre mi-homme, mi-taureau ? Faisons un petit point ensemble sur le taureau crétois et ce qu’il pouvait signifier.

Le Minotaure : quelle symbolique pour la Crète antique ?

Le mythe du Minotaure

Le mythe raconte que Pasiphaé, l’épouse du roi Minos, s’était prise de passion pour un taureau blanc envoyé par Poséidon. De ces amours contre-nature naquit un être mi-homme, mi-taureau : le Minotaure.

Minos enferma la créature dans un labyrinthe construit par Dédale et le fit ensuite nourrir de victimes sacrificielles. Ces victimes étaient des Athéniens, sept garçons et sept jeunes filles envoyés périodiquement depuis le continent sur l’île de Crète. Il y eut ainsi plusieurs tributs avant que le prince Thésée mit fin au massacre. Pour cela, il se présenta lui-même en tant que victime du dernier contingent. La fille du roi Minos, Ariane, l’aida en lui donnant une pelote de fil afin qu’il retrouvât son chemin dans le labyrinthe après avoir tué le Minotaure.


J’ai raconté l’histoire du Minotaure en détail dans cet article.

La réalité derrière le Minotaure

Le mythe pourrait évoquer la domination qu’exercèrent un temps les Crétois sur la Grèce continentale, et notamment sur Athènes. Dans ce cas, il raconterait aussi leur émancipation via Thésée, le héros libérateur.


L’hypothèse est séduisante, mais rien ne vient l’étayer, même si on sait que la civilisation minoenne était puissante et dominait probablement l’Égée .


Par ailleurs, les Minoens n’ont jamais représenté de créatures mythologiques telles que le Minotaure (ou, en tout cas, ils ne nous en ont pas laissé). Ils ont plutôt peint, gravé, sculpté l’image de véritables taureaux.


On peut donc se demander si le mythe ne fait pas plutôt référence à un cérémonial primitif qui n’a pas laissé d’autres traces.

Le taureau crétois : un animal sacré ?

Le saut du taureau

Le taureau est très présent dans l’art minoen, au point qu’on a pu le penser comme un emblème du roi Minos.


L’une des scènes les plus représentées dans les peintures, les sceaux, les bronzes et les ivoires est celle du saut du taureau.


On la voit sur une fresque très connue retrouvée à Cnossos. Un garçon s’apprête à effectuer un saut périlleux au-dessus d’un taureau. À droite, une jeune fille tend les bras pour le recevoir ; à gauche, une autre fille va imiter le garçon dans son saut.


Cet exercice physique est-il un rite religieux, à l’issue duquel le taureau va être sacrifié ? L’hypothèse est séduisante, même si aucun autre élément archéologique ne l’étaye.

Cnossos - Fresque au taureau
Palais de Cnossos, Crète - Fresque au taureau

Du dieu du Ciel à Zeus

On n’a retrouvé aucune trace avéré d’un culte du taureau chez les Minoens.


En revanche, cet animal a sa place dans le panthéon du Proche-Orient. Le dieu du Ciel est souvent représenté, soit sur un taureau, soit portant lui-même des cornes de taureau.


Est-il possible que la Crète ait emprunté cet aspect religieux du taureau à ses voisins orientaux ?


On pourrait se laisser convaincre en considérant le mythe de Zeus et d’Europe comme un récit symbolique. Zeus s’est métamorphosé en taureau pour séduire Europe, une princesse phénicienne qui vivait à Tyr. Il l’a ensuite transportée en Crète où elle a accouché de trois fils, dont le futur roi Minos.


L’histoire est belle mais, comme pour le saut du taureau, on en est réduit à l’hypothèse.

Le taureau dans mes écrits minoens !

Bref, à ce jour, nous n’avons aucune certitude sur la place qu’avait précisément le taureau dans la culture minoenne.


Rien n’empêche toutefois aux artistes de jouer avec la symbolique du taureau crétois dans la fiction et ils s’en donnent à cœur joie depuis 3 000 ans. Je me suis prêtée au jeu, moi aussi, avec mes nouvelles Le Cœur du monstre et Le Cœur d’Ariane, qui réinterprètent les mythes du Minotaure et de sa sœur. Voici un petit extrait qui évoque l’accouplement monstrueux de Pasiphaé avec le taureau blanc et l’aventure de Zeus et Europe :

Le Minotaure - Gravure de Michael Ayrton
Le Minotaure - Gravure de Michael Ayrton

Mais les femmes, elles, chuchotaient autre chose. Depuis la naissance de la chose et la mort de sa reine, Minos passait ses nuits en imploration dans le sanctuaire palatial voué à Poséidon. Il avait sacrifié le taureau blanc sorti des eaux. Il n’amenait plus aucune femme à sa couche, comme il le faisait autrefois, même du temps de Pasiphaé — hélas… Le roi était contrit et inquiet de la naissance du monstre. On me jetait des regards haineux lorsque je passais dans les couloirs en tenant ta petite main dans la mienne.


Le récit voulu par le roi s’implantait peu à peu. Il fallait faire vite, car on avait tôt murmuré. Les esclaves se souvenaient du taureau blanc. Ils se souvenaient des tempêtes des saisons passées, de leur violence inimaginable qui avait envoyé par le fond des navires du roi et fait déferler sur les côtes des vagues plus hautes que les murs des palais et des grandes résidences. Maintenant, ce monstre ? Et puis, Minos et le taureau, c’était une longue histoire. Sa mère, Europe, n’avait-elle pas été séduite par un taureau ? N’était-ce pas de ce taureau qu’était né le roi, plutôt que du roi de Crète Astérion que la princesse Europe avait ensuite épousé ? Certes, l’animal, c’était Zeus métamorphosé, mais quand même…


Non, ce n’était pas la faute de Minos ! Il avait bien dit que la reine avait été corrompue. D’où pouvait donc venir cet être hideux à tête de veau ? Pas d’un homme aussi beau que le roi à la lignée divine ! Pasiphaé avait engendré la créature à partir de la semence d’une bête… Poséidon avait enflammé ses sens pour la faire copuler avec un animal féroce — avec ce taureau blanc que le roi avait refusé au dieu. Tout se tenait, tout s’expliquait bien mieux.

Ça vous a plu ? Ces deux nouvelles qui réutilisent la symbolique du taureau crétois sont disponibles en ebook pour tous mes abonnés Patreon niveau Médée. 🙂

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Sources : OLIPHANT, Margaret, L’Atlas du monde antique, Éditions Solar, 1993, Paris

Crédits image d’en-tête : Le Minotaure d’Alan Lee

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

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