La religion minoenne est très mal connue, mais quelques traces archéologiques permettent d’en dessiner les contours. De la déesse aux serpents au saut du taureau en passant par le Zeus d’Europe, faisons un petit tour de ce qu’ont pu être les rites des Crétois de l’âge du bronze.
Pas de temple chez les Crétois !
Un premier constat : il n’y avait pas de temple bâti dans la civilisation minoenne. En tout cas, on n’en a retrouvé aucun.
Les Crétois pratiquaient des rituels dans différents espaces :
Les grottes sacrées
Des grottes ont été utilisées à des fins cultuelles du néolithique jusqu’à la fin de l’antiquité. On y a retrouvé de nombreuses offrandes : des statuettes, des armes et notamment des labrys (doubles haches).
Les sanctuaires palatiaux
Les archéologues ont identifié certains espaces des palais minoens comme des sanctuaires dans lesquels on faisait des offrandes aux dieux. C’est le cas d’une salle dans les sous-sols de Cnossos.
On pense que les Crétois ont également pu pratiquer les rites et les offrandes en plein air.
Mais quels dieux y honoraient-ils ?
Quels dieux dans la religion des Minoens ?
La déesse de la terre ou déesse aux serpents
L’emplacement d’un sanctuaire dans le sous-sol de Cnossos peut supposer un culte dédié à une divinité de la terre. Certaines traces indiquent qu’il existait une déesse de ce type, ou peut-être une déesse-mère. Toutefois, nous ne connaissons pas son nom.
S’agit-il de cette déesse aux serpents dont on a des représentations dans certains sanctuaires crétois ? Elle est associée à un félin, comme le montre la statuette ci-dessous. Cette association n’est pas évidente. Le félin est-il un chat, symbole de royauté ? Ou est-ce un léopard, comme dans les statuettes de la déesse-mère qu’on a retrouvées pour l’Anatolie néolithique ?
Les offrandes consacrées à cette divinité laisse en tout cas envisager une divinité domestique et bienfaisante. Le culte l’associait à un dieu subordonné qui était sans doute son fils.
Cette déesse avait aussi pour attribut le labrys (double hache), un objet souvent retrouvé au milieu des offrandes déposées dans les sanctuaires.
On se demande aussi si les Minoens pratiquaient des danses rituelles au cours desquelles ils entraient en transe. La déesse leur apparaissait alors, peut-être sur un arbre ou un pilier sacré.
Zeus
Dans la mythologie grecque, Zeus est lié à la Crète par sa naissance. C’est là que sa mère, Rhéa, l’aurait caché pour le soustraire à l’appétit de son père, Chronos (qui, comme on le sait, dévorait ses enfants). Zeus y aurait été nourri par des animaux.
Mais le Zeus crétois diffère sensiblement du Zeus grec. Il ressemble plutôt à une divinité de la végétation, qui meurt et renaît chaque année.
Quelle place pour le taureau dans la religion crétoise ?
Le taureau est très présent dans l’art minoen, mais quelle place avait-il dans la religion minoenne ? On s’interroge notamment sur les fresques de Cnossos qui représentent le « saut du taureau ». Les artistes de l’époque ont montré des jeunes gens, garçons et filles, bondissant ou s’apprêtant à bondir au-dessus d’un taureau.
Est-ce un acte rituel ? Les Crétois faisaient peut-être des joutes tauromachiques dans la cour des palais, suivies de sacrifices sanglants du taureau.
Bien sûr, quand on pense taureau crétois, on pense aussi au Minotaure ! Mais il est aussi insaisissable que le Zeus-taureau qui a enlevé Europe pour l’emmener en Crète afin qu’elle y accouche du futur roi Minos.
On peut imaginer un lien avec le taureau du Proche-Orient. L’animal est un attribut du dieu du Ciel (soit sous la forme de cornes sur la tête du dieu, soit comme monture de ce même dieu). Mais, en l’absence de tout autre élément, cela reste une simple hypothèse. Il n’y a aucune trace d’un culte de ce genre en Crète minoenne.
Les Crétois faisaient-ils des sacrifices humains ?
Certains éléments ont suggéré cette hypothèse aux archéologues. Par exemple, en 1979, on a retrouvé trois squelettes, dont l’un avait été égorgé, dans un édifice d’Arkhanès, près de Cnossos. En 1980, à Cnossos cette fois, des ossements d’enfants portant des marques de blessure par couteau ont été mis au jour.
Toutefois, rien d’autre ne vient corroborer à ce jour la possibilité de sacrifices humains.
La religion des Minoens : une reconstitution littéraire
J’ai eu le plaisir d’écrire deux nouvelles dans lesquelles j’ai réinterprété le mythe du Minotaure et d’Ariane. J’en ai profité pour proposer une reconstitution libre de ce qu’ont pu être les rites de la déesse au serpent (danse sacrée et sacrifice du taureau). Je vous propose de la découvrir dans cet extrait.
J’ai senti ces yeux de feu de Thésée sur ma nuque, lorsque j’ai dansé lors des cérémonies.
C’était après le saut du taureau, lors duquel le prince s’est illustré, comme Androgée dix-huit ans plus tôt. Des femmes choisies, fidèles de la déesse au serpent, ont commencé à esquisser les gestes sacrés en évoluant autour du pilier sacré. Nous étions dans la grande cour. Le soleil achevait de se consumer à l’ouest, ses éclats tardifs jetaient des lueurs orangées sur les fresques et les gravures délicates des murs du palais. J’ai dessiné les premières arabesques sur les dalles. Mes pas étaient légers, eux qui supportaient mon cœur pesant.
La religion minoenne avec Ariane
Comme neuf ans plus tôt, j’ai très vite succombé aux effets de la transe. Mes pieds m’ont entraînée de plus en plus vite dans les glissements chaloupés du serpent. Mes bras ont tourné au-dessus de ma tête, ils suivaient le mouvement. Je n’étais plus libre de mon corps, plus libre de diriger mon visage et mes regards. Le son des tambours et de la flûte obsédait ma chair. Les fresques se sont animées, sont devenues des hommes et des femmes rieurs et des animaux dévorants — ou bien l’inverse ? Depuis les portiques ouverts sur les profondeurs du palais ont émergé des ombres épaisses aux allures humaines.
Dans cette transe, pourtant, je suis restée lucide. J’entrevoyais à chaque révolution de mon corps la silhouette de notre père assis sur son trône. À ses côtés, Thésée. C’était lui, ce tison brûlant sur ma nuque.
J’ai aperçu le taureau promis au sacrifice, traîné par la longe jusqu’à l’autel. Son meuglement, son désespoir, ont résonné dans nos murs. On allumait les flambeaux — du crépuscule, voici qu’on plongeait dans ce qui ressemblait au Tartare. Pensée impie, ai-je songé, mais je n’ai pu m’en défaire.
Bientôt, la déesse m’est apparue sur son pilier. Elle était revêtue d’ombres. Elle a susurré des mots que je n’ai pas compris. Mais les images, elles, m’ont assaillie. Tout à coup, les flambeaux se sont éteints pour nous plonger dans les ténèbres. Tout à coup, j’ai vu le carnage et sa lueur était celle du vermeil qui court dans les veines des mortels. Les corps des hommes projetés contre les fresques dans des danses ensanglantées. Ceux des femmes étendues sur les sols au milieu des mares écarlates. Et, au cœur de tout, la source de la violence, toi, Astérios, mon frère…
Transpercé d’une lance en bronze. J’ai senti la douleur dans mon corps et je me suis cambrée en hurlant. Les mélopées se sont élevées autour de moi. En ouvrant les yeux, j’ai vu le roi Minos qui faisait glisser la lame du couteau sacrificiel sur la chair du taureau.
Tu t’es affaissé sur le sol, comme l’animal. En moi, la rage, le chagrin, le désespoir se sont tus.
Mes deux nouvelles, Le Cœur du Monstre et Le Cœur d’Ariane, sont disponibles en ebook à mes mécènes de niveau Médée.
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Sources : OLIPHANT, Margaret, L’Atlas du monde antique, Éditions Solar, 1993, Paris
Crédits image d’en-tête : Face avant du sarcophage d’Ayia Triadha – Musée archéologique d’Héraklion, Crète
À PROPOS DE L'AUTEURE
Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.
Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.
Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.