Coupe montrant l'oracle de Delphes. pythie-delphes-coupe Crédits-J. Laurentius-BPK Berlin-RMN

La pythie de Delphes, voix d’Apollon

Au pied du mont Parnasse, l’oracle de Delphes dispense la sagesse cachée du dieu Apollon. Elle est la voix oraculaire qui guide les héros, les rois et les simples mortels. De la conquête de Delphes par le dieu jusqu’à la disparition de la pythie sous les assauts chrétiens, penchons-nous sur le mythe et sur l’histoire.

Le mythe : Apollon et la bouche oraculaire

Le sanctuaire de Delphes, et aujourd’hui ses ruines, se situent à 550 mètres d’altitude au-dessus de la vallée du Pleistos, en Grèce.

D’après les mythes, avant sa construction par Apollon qui voulait y « bâtir un temple magnifique » (Hymne homérique à Apollon), il y avait déjà un oracle. Tantôt celui de Gaïa, la Terre, qui ne parlait guère. Tantôt celui de Thémis, qui l’aurait remis de bonne grâce à Apollon.

(J’ai écrit une nouvelle sur cet oracle pré-apollinien consacré à Thémis. Vous pouvez la télécharger gratuitement !)

Pour conquérir le site et y installer sa pythie, le dieu vient à bout de Pythô, un enfant de la Terre. Débarrassés du monstre, les lieux sont libres de l’accueillir. Apollon va chercher des desservants sur les mers. Ce seront des marins crétois, dont il déroutera le navire en se transformant en dauphin. C’est pourquoi, d’après cette version de l’Hymne homérique à Apollon, ce territoire change de nom. Il s’appelait auparavant Crisa. Il devient Delphes (du grec delphís, qui veut dire « dauphin »).

Les oracles obliques de la pythie

Apollon est dit Loxias, l’Oblique, c’est-à-dire que sa parole n’est pas toujours très claire. Zeus le veut ainsi : il ne sied pas au maître de l’Olympe qu’Apollon donne aux mortels la clé des mystères de leurs destinées. Les oracles sont donc cryptiques.

Les pythies délivrent la parole d’Apollon alors qu’elles sont en transe. Leurs propos sont confus. Ils sont interprétés par des prêtres lettrés qui les reformulent en vers. D’une prophétie nébuleuse à une interprétation poétique qui sera elle-même interprétée par le consultant, le risque d’erreur est grand !

Un exemple fameux de contresens : celui du roi Crésus. Hérodote évoque l’épisode. Le roi lydien hésitait à entrer en guerre contre les Perses. Il alla questionner la pythie. Celle-ci lui déclara que, s’il traversait l’Halys (un fleuve turc), il détruirait un grand royaume. Conforté par cette réponse, Crésus se lança à l’assaut du roi perse Cyrus.

Il perdit et un grand royaume fut détruit : le sien.

Par ailleurs, l’oracle de Delphes n’est pas toujours infaillible. En 480, la pythie conseilla aux Athéniens de ne pas s’opposer à Xerxès. Celui-ci fut pourtant vaincu à Salamine.

Cela n’empêcha pas le succès persistant de l’institution jusqu’à la période hellénistique, et même au-delà. Ce succès se comprend notamment par l’importance qu’ont eu les oracles de Delphes lors de la période de la colonisation par les Grecs. En effet, les cités demandaient fréquemment conseil à la pythie avant chacune de ces opérations : quel site choisir ? quelle divinité tutélaire associer au projet ? Le succès des colonisations qui ont essaimé partout dans le bassin méditerranéen est aussi celui de l’oracle.

La Pythie en bronze de la sculptrice Marcello. Hall de l'opéra Garnier. Crédits photo : Mussklprozz.
La Pythie en bronze de la sculptrice Marcello. Hall de l'opéra Garnier. Crédits photo : Mussklprozz.

L’oracle de Delphes : une femme ou une institution ?

L’organisation de l’institution oraculaire

Chaque époque a connu plusieurs pythies simultanées, qui se relayaient pour répondre aux questions des visiteurs venus à Delphes. Plus qu’un personnage unique, il s’agissait d’une véritable institution. La pythie pouvait être consultée pour des questions très diverses, depuis les préoccupations morales des simples particuliers jusqu’aux interrogations politiques et militaires des cités et des rois.

Nous connaissons le fonctionnement de l’oracle pour le Ier et le IIe siècles grâce au témoignage de Plutarque (46-125), qui a assumé la charge de prêtre du sanctuaire. À cette époque, l’oracle pouvait être consulté uniquement le septième jour de chaque mois. En hiver, il n’y avait pas de consultation.

Il existait alors différents types d’oracles :

  • la prédiction complète ;
  • l’interprétation des auspices ;
  • l’oracle binaire (la plus économique).

Dans ce dernier cas, la pythie répondait « oui » ou « non » à la question des consultants en plongeant la main dans un récipient rempli de haricots blancs (« oui ») et noirs (« non »).

Le déroulement de la prédiction

En revanche, la prédiction complète était épuisante pour les pythies.

Plutarque nous la décrit telle que, selon lui, elle se déroulait dans les premiers temps. Les premières pythies étaient alors des jeunes filles de quinze ans issues du peuple, nous dit-il. Puis elles ont été remplacées par des prêtresses plus âgées. (Je vous explique pourquoi dans cet article sur les prêtresses de la Grèce antique.)

Entièrement nue, la pythie prenait un bain purificateur dans les eaux de la source Kastalia. Elle buvait ensuite de l’eau sacrée et deux prêtres l’accompagnaient dans le temple.

Là, ils éclaboussaient d’eau froide une petite chèvre pour savoir si l’oracle pouvait avoir lieu. Si l’animal ne bronchait pas, le visiteur devait revenir un mois plus tard. En revanche, si la chèvre sursautait, cela voulait dire que la consultation pouvait avoir lieu. L’animal était alors tué et brûlé sur l’autel en offrande au dieu.

Ensuite, la pythie inhalait la fumée d’un feu de sapin auquel on ajoutait diverses substances plus ou moins hallucinogènes, comme l’encens, le laudanum et la jusquiame. Le but recherché : lui faire atteindre un état de conscience proche de la transe. Elle mâchait peut-être aussi des feuilles de laurier, la plante-attribut dApollon, dont l’huile possède des actions narcotiques.

Dès qu’elle était prête, les prêtres la conduisaient dans l’adyton du sanctuaire (l’espace réservé à la prédiction, dont on ne sait pas grand-chose). Ils l’asseyaient sur un trépied et la consultation pouvait commencer.

La pythie était remplacée par une autre lorsqu’elle était trop épuisée pour continuer.

Gravure de Jeanron montrant l'oracle de Delphes en transe.
Gravure de Jeanron montrant l'oracle de Delphes en transe.

La destruction de l’oracle par les chrétiens

En 362, l’empereur Julien envoie son médecin et ami Oribase à Delphes. Julien est le dernier empereur païen de l’empire romain.

Sa question à la pythie : combien de temps l’oracle de Delphes va-t-il survivre à un monde qui devient peu à peu chrétien ?

La réponse est un couperet :

« Dis au roi que la solide maison est tombée, Apollon n’a plus de refuge, le laurier sacré est flétri. Ses sources sont taries à jamais, le bruissement de l’eau est désormais muet. »

Le sanctuaire est détruit quelques années plus tard. Il était certes un lieu symbolique du paganisme triomphant d’autrefois et, à ce titre, il n’avait plus sa place dans le nouvel ordre chrétien. Mais c’était aussi un lieu emblématique de la philosophie antique. Dans le pronaos du temple (son vestibule), on pouvait ainsi lire trois maximes, dont « Connais-toi toi-même » (la plus ancienne, selon Platon) et « Rien à l’excès ».

Les ruines de Delphes ont été fouillées et mis au jour principalement par l’École française d’Athènes à partir de 1892.

Vous avez aimé cet article sur l’oracle de Delphes ? Je vous invite à découvrir la pythie avant sa conquête par Apollon dans ma nouvelle Le Dit de l’oracle. Elle est à télécharger gratuitement en cliquant sur la couverture ci-dessous. Bonne lecture !

Crédits image d’en-tête : Coupe montrant la consultation de l’oracle de Delphes – Crédits-J. Laurentius-BPK Berlin-RMN.

Sources : OLIPHANT, Margaret, Atlas du monde antique, Éditions Solar, 1993, Paris

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

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