Mythiques chasseresses !

Le portrait de la chasseresse dans la mythologie est-il courant ? La déesse Artémis a-t-elle des correspondances dans d’autres aires du monde ? Je vous propose de découvrir quelques portraits de déesses et d’héroïnes issues des aires culturelles grecque, romaine et indienne : Artémis, bien sûr, ainsi que Diane et l’Étrusque Artames ; la déesse indienne Durga ; et enfin la chasseresse Atalante.

L’Artémis grecque et la Diane romaine

Impossible de commencer cet exposé des chasseresses célèbres de la mythologie sans évoquer Artémis / Diane ! Elle est l’archétype même du profil dans la religion romaine et la religion grecque antique.

Artémis

Fille de Zeus et Léto et sœur jumelle d’Apollon, Artémis a des vertus « viriles » aux yeux des Grecs. Elle est grande et imposante, selon l’Hymne homérique à Apollon Pythique, ce qui n’ôte rien à sa beauté, comme on s’en doute, car on sait que les Grecs aimaient les physiques athlétiques. Callimaque nous la décrit comme une reine au beau visage dans son Hymne à Artémis.

D’après Pausanias, Artémis chasse pour la première fois en Attique. Elle a été bien pourvue par les dieux :

  • Héphaïstos et les Cyclopes lui ont fabriqué son arc et des flèches ;
  • Pan lui a donné des chiens « plus rapides que le vent » (Callimaque toujours).

Artémis vit dans les montagnes et les forêts. Elle chasse des chevreuils, des biches et des cerfs, mais aussi des lions et des panthères.

Diane

 

La Diane romaine a hérité de nombre de ses traits. Aux ides d’août, on lui consacre une fête : on récompense alors les chiens et on accorde une trêve aux animaux sauvages.

Diane de Versailles, copie romaine d'un original grec du IVe siècle av. J.-C., musée du Louvre.

Artames

 

Artémis / Diane a son pendant aussi chez les Étrusques : elle est alors Artames, la déesse de la chasse.

Atalante, la tueuse de sangliers

 

Toujours dans les mythes grecs antiques, il y a Atalante ! Si vous avez lu d’autres articles de ce blog, vous savez déjà que j’aime beaucoup cette chasseresse de la mythologie grecque. Je vous en parle un peu plus bas.


Dans certaines versions, Atalante a été abandonnée dans la forêt par son père Iasos, le roi du Péloponnèse, parce qu’il voulait un fils. Elle est recueillie par une ourse qui l’allaite (fameux topos qu’on retrouve aussi dans la légende de Romulus et Rémus), puis par des chasseurs. Le ton est donné : Atalante sera une chasseresse émérite. Elle participe d’ailleurs à des quête célèbres, comme la chasse au sanglier de Calydon, aux côtés de Thésée, Méléagre, Pélée, Castor et Pollux, etc. Comme c’est elle qui porte le premier coup, Méléagre lui offre ensuite la hure de l’animal.

Durga, la tueuse de buffles

 

Dans la mythologie de l’Inde, on trouve aussi un personnage de déesse chasseresse, en tout cas qui s’en rapproche. Il s’agit de Durga, l’épouse de Shiva. Dans le Saura-Purana, VIII, 14-22, on la décrit comme

« la grande Mâyâ, l’impétueuse, qui tient un taureau en laisse, porte une pique et pratique l’abstinence ».

Étrange parallèle avec la vierge Artémis pour cette déesse qu’on appelle aussi Parvati, la Chaste Épouse !


Elle protège les tribus qui vivent de la chasse et se nourrit elle-même de viande crue. Les Kolis et les Cabaras lui offrent du sang et des boissons enivrantes. D’autres tribus lui sacrifient des chèvres ou accomplissent le suicide rituel en son honneur.

Statue de Durga, temple de Prambanan dans le centre de Java en Indonésie. Crédits photo : Gunawan Kartapranata / CC BY-SA 4.0

Même si ç’aurait été tentant de parler ici d’autres figures mythologiques de femmes fortes et indépendantes, comme les Valkyries ou les Amazones, je ne les ai pas retenues ici, car ces dernières sont toujours décrites comme des guerrières, et non comme des chasseresses. Mais j’aurais sûrement l’occasion d’en parler plus tard. 😉 De même, l’Épona celte est une divinité vierge, comme Artémis, mais cette déesse des chevaux est plutôt une protectrice des voyageurs.

Mon Atalante, illustre chasseresse de la mythologie grecque

 

Le portrait d’Atalante m’a particulièrement fascinée lorsque je l’ai découverte. J’ai eu l’envie de revisiter une partie des récits qui la mettent en scène. La matière grecque se prête particulièrement bien à ce genre d’exercice littéraire. 🙂


C’est ainsi qu’est née mon petit roman Atalante. Vous en trouverez un extrait juste après Si vous souhaitez reprendre ce récit à partir du début, je vous invite à cliquer ci-dessous. Le roman est à lire en ligne, entièrement et gratuitement.

Un cri bref résonna. Hippomène se jeta en avant. Pas un regard ni à droite ni à gauche. Rivé sur la sente fragile qui se faufilait entre les grands arbres. Passé l’orée de la clairière, on pénétrait dans un royaume d’ombres et de fraîcheur, transpercé çà et là par les écorces blanches des peupliers. D’un coup, sa peau se hérissa. La transpiration qui l’empesait sous la brûlante torpeur du jour se mua en longues rigoles glacées. Les frondaisons des chênes laissaient filtrer une lumière verte diffuse, dans laquelle voltigeaient à l’occasion des myriades de poussière d’or. Hippomène en était ébloui. Il se laissa gifler par quelques branches basses. Ses pieds nus frappaient le sol avec régularité, sans déraper sur les jonchées d’épines tombées des hauts résineux. Il évita adroitement quelques creux du terrain, des racines qui couraient d’un fût à l’autre en dressant des obstacles traîtres, des broussailles desséchées par le soleil dans quelques rares trouées de lumière. Son œil exercé remarqua instinctivement des troncs tailladés par des griffures d’ours ou des bois de cerfs.


Le souffle de ses rivaux l’accompagnait, puissant et quasiment charnel. Il les sentait sur son corps comme des aiguillons à sa volonté. Il n’était pas le premier ; d’autres l’avaient devancé, il talonnait l’orgueilleux Polychronios. Du reste, il était impossible de se doubler sur cette piste, à moins de vouloir échouer dans une ravine ou dans un fourré de ronces.


Un choc sourd retentit dans son dos, presque immédiatement suivi d’un court borborygme, puis d’un froissement, comme celui de l’étoffe ou de la feuille qui tombe sur le sol. Le cœur d’Hippomène bondit dans sa poitrine. Elle l’avait donc fait ! Il n’avait pas de peine à imaginer sa chasseresse campée sur ses jambes, le bras et la corde bien droits, le regard fixé sur sa proie, tout son corps tendu dans un même élan de vie et de mort. Au bout de la flèche, toutefois, pas un sanglier, pas un lion ni un loup. Un homme. Était-ce différent pour Atalante ? N’était-ce simplement qu’une autre forme de proie, ou plutôt une autre forme de prédateur qu’elle savourait de traquer dans un transgressif renversement de situation ? Sans ralentir, porté par la peur, l’excitation, un violent désir de vaincre, Hippomène se représenta les dos nus, vulnérables et offerts. De face, lorsqu’il présentait le torse, un homme était viril et puissant, mais voilà que tout s’était inversé, cul par-dessus tête. Le monde marchait à l’envers et une femme chassait et abattait les hommes qui la convoitaient.


Et, parmi eux, lui, Hippomène. Son dos nu était une cible pour son Atalante.


Une latence. Le parcours louvoyait entre les arbres et les troncs, les fourrés denses, les longues branches qui s’entremêlaient parfois au travers du chemin constituaient autant d’obstacles pour la chasseuse. On courait encore derrière lui. Devant, le sol s’éclaira de plus en plus tandis que la ramée s’effilochait. Des tombereaux de lumière vinrent s’écraser sur les silhouettes qui couraient en avant. Le sol s’élevait, ils grimpaient, ils montaient à l’assaut de l’Helicon. L’horizon s’arrêtait à la masse de la montagne, qui tranchait sur le ciel céruléen par ses teintes brutes de gris, de bruns et de noirs. Hippomène devinait la suite. Le parcours allait s’infléchir vers le nord en s’engageant sur un chemin de chèvre qui prenait de l’altitude en direction d’un promontoire donnant vue sur le lac de Copaïs. Il le connaissait bien.


À cet instant, un trait le rasa. Ce fut davantage un sifflement dans l’air, un souffle indistinct qui chuinta, plaintif, en lui arrachant un vif frémissement. L’avait-elle raté, elle, la chasseresse à la main sûre ? Surtout, l’avait-elle visé ? Ses pensées se bousculèrent avant d’être balayées lorsque, à quelques pas devant lui, une silhouette se tordit dans l’éclat aveuglant du soleil. Polychronios, le fat Polychronos, s’affaissa devant lui, le flanc troué. Hippomène eut tout juste le réflexe de faire un pas de côté pour l’éviter. En le doublant, il entendit un grognement :


« La chienne ! ».

Statue d'Atalante datée de 1839. Photo issue de https://archive.org/details/sculpturesfromac00acadrich/page/110/mode/2up?view=theater

L’échine d’Hippomène était glacée, mais il ne se laissa pas distraire. Il franchit le pas qui passait de l’ombre à la lumière et dévala une pente qui tombait toute raide entre des pins nains torturés et de gigantesques bouquets de bruyères. Sous ses pas, la terre était sèche et dure comme la pierre. Les alentours, passés la forêt, n’étaient plus que paysages racornis par la chaleur : de longues bandes suppliantes de cistes, de myrtes et de romarin qui rampaient au pied de chênes verts et d’arbousiers. Au loin, derrière la masse de l’Helicon, le ciel surplombait un bout du lac de Copaïs, minuscule, cerné de vasières qui noyaient ses berges dans une eau trouble. Hippomène perçut un grondement, un trouble dans cette écume de la terre qui agonisait sous le soleil : un sanglier, probablement, qui fouissait entre les arbustes pour dégager des fruits et des racines.


En avalant à longues foulées le sentier qui louvoyait dans le maquis, le jeune homme repéra les deux prétendants qui avaient pris de l’avance sur lui. Leurs corps nus brillaient dans l’éclat du soleil. Dans ce creux du relief, ils étaient des cibles admirablement faciles — tout comme lui. Hippomène ne se retourna pas, mais il savait qu’Atalante les talonnait. Il la voyait : elle allait s’arrêter à la lisière de la forêt, elle allait tendre son arc, elle allait calmement ajuster son tir, pour les tirer les uns après les autres comme des lapins.


Devant le jeune homme, juste avant un virage au-delà duquel la sente disparaissait, se dressait un grand poteau de trois coudées de haut qu’il n’avait jamais vu. Il devina un repère matérialisant le milieu du parcours. L’un de ses rivaux y était presque ; il volait littéralement, bondissant au-dessus des cistes et des bruyères pour couper court aux méandres du chemin. Son bras se tendait vers la borne lorsque l’air vibra. Hippomène distingua à peine le trait. Soudain, l’homme quitta sa trajectoire, brutalement, et disparut dans les bleus et les gris de la lavande et du romarin.


Un nœud amer obstrua la gorge d’Hippomène. Il déglutit et inspira profondément pour retrouver son souffle.


Il atteignit un creux, la cuvette la plus profonde du vallon, et perdit de vue et la borne, et le concurrent qui le distançait encore. Dans son dos, il n’entendait plus rien, hormis le chant entêtant des cigales. Leurs stridulations ne lui avaient jamais semblé si entêtantes : il aurait pu être seul au monde avec ces milliers de spectatrices indifférentes. Pourtant, elle le suivait, et elle allait le rattraper, il en était certain. Il força l’allure.


Une pente rude à remonter, encore, puis le poteau se dressa devant lui. Plus aucune trace de l’homme qui le précédait. Avait-il passé le virage ou gisait-il là, quelque part, endormi à jamais au milieu des immortelles ? Un empennage à moitié dissimulé par les bractées violettes d’un grand banc de lavandes attira son regard. En jetant un œil, il vit un corps livide, tombé à plat ventre entre les troncs noueux des arbustes. Les fleurs exhalèrent un long sursaut parfumé lorsque le jeune homme tenta de se redresser sur les coudes. La flèche était fichée à la frontière de la cuisse et de la fesse. Georgios, car c’était lui, retomba en pestant dans le bouquet enivrant.


Hippomène n’en vit pas plus. Il atteignait enfin le poteau. Il le contourna et emprunta sans faiblir le sentier qui remontait en laissant le maquis sur sa droite.


Elle ne les tuait pas. La cuisse ; le flanc… Elle aurait pu leur percer le cœur ou la gorge. Cela lui redonnait un peu de cœur. Alors, tandis qu’il courait le long du chemin escarpé, il osa jeter un coup d’œil derrière lui.


Par Poséidon ! elle était déjà au poteau ! Elle avait une main posée sur le bois et de l’autre tenait lâchement son arc contre sa cuisse. De longues mèches avaient glissé de son bonnet jusque sur ses épaules halées. Son sein nu était paisible, en apparence du moins. Il ne trahissait pas la fatigue qui heurtait le souffle d’Hippomène et amollissait les muscles de ses cuisses et de ses mollets.


De sa position immobile, Atalante dardait sur lui un regard d’une incroyable férocité.

Atalante et Hippomène par Guido Reni, vers 1610. Huile sur toile, musée Capodimonte de Naples.

Pour connaître la suite de cette course fabuleuse qui met aux prises Atalante et Hippomène, je vous donne rendez-vous dans l’article suivant ! On y parlera aussi de la symbolique de la pomme dans la Grèce mythologique.

Le roman Atalante est également disponible en version papier intégrale en librairie !

En attendant, je vous invite à découvrir un autre récit qui emprunte à la mythologie grecque : Le Dit de l’oracle, une nouvelle mettant en scène le célèbre personnage de la pythie de Delphes. C’est un ebook entièrement gratuit.

À bientôt !

Sources : COMTE, Fernand, Larousse des Mythologies du monde, Larousse, 2004

À PROPOS DE L'AUTEURE

Je suis Marie, passionnée d'antiquité et de mythologie grecque depuis l'enfance. J'ai acquis un gros bagage dans ce domaine grâce à mes lectures, innombrables, sur le sujet : ma bibliothèque compte plusieurs centaines d'ouvrages, sources antiques et essais historiques traitant de nombreux aspects de ces périodes anciennes.

Je suis également diplômée d'histoire ancienne et médiévale (Maîtrise, Paris IV Sorbonne). J'ai notamment travaillé sur l'antiquité tardive, le Bas Empire romain et la romanisation des peuples germaniques.

Je suis l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, dont Atalante, qui réinterprètent et revisitent la mythologie grecque et l'antiquité.

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