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Le zôon de la femme grecque antique : un animal encombrant !

Aujourd’hui, on va aborder la femme de la Grèce antique dans ce qu’elle a de plus intime : son zôon !


Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Le zôon, c’est un animal. Mais quand les médecins, les penseurs et les comiques grecs l’associent à la femme, ils parlent en fait de son… utérus !


Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il s’agit d’une bestiole capricieuse et encombrante, qui explique tous les dérèglements de la gent féminine. Je vous explique !

Le zôon de la femme grecque antique : un animal tyrannique

La femme souffre de beaucoup de problèmes, les hommes grecs le disent. Elle maîtrise mal son caractère, elle manque de contrôle de soi, elle peut être hystérique. Elle a souvent une sexualité déréglée dans un sens excessif.


Mais ce n’est pas vraiment sa faute. Tout ça vient de son zôon. Comprenez : son appareil génital.


Son utérus.

« Les maladies appelées féminines : l’utérus est la cause de toutes ces maladies » (Soranos d’Éphèse, Maladies des femmes, 4, 57)

Cet organe est vraiment bizarre. Il a tout de l’animal. Platon le dit lui-même :

« Ce qu’on nomme la matrice ou utérus est, en elles, comme un zôon [animal] possédé du désir de faire des enfants. » (Platon, Timée, 91 c)

Les hommes de l’époque lui attribue deux bouches, une inférieure et une supérieure, un cou et des lèvres. L’organe communique et est doué d’une acuité olfactive exceptionnelle. Dans la pensée antique, il faut vraiment l’imaginer comme un animal errant dans la cavité corporelle, le ventre de la femme. Les médecins ne sont pas les seuls à en parler ainsi, comme on le voit avec Platon qui s’est emparé du sujet dans le Timée.


L’utérus a ses propres besoins. La femme n’a pas grande autorité sur lui. C’est à cause de lui qu’elle est plus lascive que le mâle et qu’elle souffre de toutes sortes de problèmes de santé et de comportement.

Les soucis causés par le zôon à la femme en Grèce antique

« Lorsque pendant longtemps et malgré la saison favorable, la matrice est demeurée stérile, elle s’irrite dangereusement ; elle s’agite en tous sens dans le corps, obstrue le passage de l’air, empêche l’inspiration, met ainsi le corps dans les pires angoisses et lui occasionne d’autres maladies de toutes sortes. » (Platon, Timée)

« Si [les femmes] ont des rapports avec les hommes, elles sont mieux portantes ; sinon, moins bien. C’est que la matrice, dans le coït, devient humide, non sèche ; or quand elle est sèche, elle se contracte violemment et plus qu’il ne convient ; et en se contractant violemment, elle fait souffrir le corps. »
(De la génération, 4, 3)

Le zôon commence à fonctionner de travers lorsque :

  • la femme n’a pas de rapports sexuels ;
  • la femme n’est pas enceinte.

Comment expliquer ça ?


Parce que le sperme masculin a la propriété d’humidifier l’utérus, donc de le guérir. Quand à la grossesse, elle l’arrime en bas du corps.


Lorsque la femme ne connaît aucune de ces deux situations, son zôon s’assèche et souffre. Pour la femme, c’est l’hystérie.
Les Grecs définissent cette pathologie comme une maladie du désir. Elle se caractérisent par :

  • un état général d’abattement ;
  • le silence (dents serrées) ;
  • un teint livide ;
  • une respiration haletante ;
  • une hébétude qui peut atteindre la quasi-perte de conscience.

La seule tension qui parcourt la femme est une envie de mort. Cela peut la mener jusqu’à la pendaison !

John William Godward (détail) ''Fleurs d'été'' (''Summer Flowers''), 1903, huile sur toile
La femme a vraiment beaucoup de soucis à l'époque grecque antique... Peinture de John William Godward (détail) ''Fleurs d'été'' (''Summer Flowers''), 1903, huile sur toile

Sauver la femme grecque par le sexe

Pour sauver la femme, deux solutions (mais l’une procède de l’autre) : le coït ou la grossesse !


Ce sont les recommandations faites par les médecins notamment aux jeunes veuves, aux jeunes mères et aux vierges, qu’il faut absolument amener au mariage.

« Voilà ce qu’il faut que fasse la veuve : le mieux est de devenir enceinte. Quant aux jeunes filles, on leur conseillera de se marier. »
(Maladies des femmes, 2, 127)

« Je recommande aux jeunes filles éprouvant des accidents pareils de se marier le plus tôt possible ; en effet, si elles deviennent enceintes, elles guérissent. »
(Maladies des jeunes filles, L.VIII, 468)

Les femmes elles-mêmes ont l’intuition de ce qui les garde en bonne santé. C’est bien pour ça qu’elles aiment le sexe ! Les auteurs comiques jouent sur ce motif et cette perception qu’ils ont de la femme en Grèce antique. D’ailleurs, Lysistraté, l’héroïne d’Aristophane, s’en inquiète. Elle essaie d’obtenir la paix entre Athènes et Sparte en ourdissant une grève du sexe internationale. Mais ses complices sauront-elles rester fermes face à la tentation ? L’une d’elles lui dit bien :

« Renoncer au zob, [non] Lisette chérie… Il n’y a rien qui vaille ça ! »

Alors Lysistratè de conclure :

« Ah ! le joli sexe que le nôtre, il ne pense toujours qu’à se faire boucher le petit coin ! »

Le zôon grec : une façon de différencier le désir sexuel féminin

Le concept de zôon permet de qualifier le désir de la femme. Pour les auteurs anciens, il n’a pas la même intensité, voire la même nature que celui de l’homme.


L’attirance physique masculine est décrite avec des verbes mélioratifs, comme philein (« aimer »). Cette terminologie l’anoblit en l’élevant vers des sphères presque intellectuelles ou spirituelles.


Pour la femme, les expressions sont très différentes :

  •  anathyan est utilisé pour décrire les chaleurs de la truie ;
  • dérivés de kaprios (« sanglier »), kapria désigne l’utérus de la truie, karaïte peut se traduire par « être en rut » et kapraô signifie « truie » ou « femme débauchée » ;
  • skuzaô, « être en chaleur », est un terme accolé aux chiennes et aux juments (chez Aristote) et aux femmes (chez Cratinos et Phrynichos).

Finalement, de l’utérus-zôon à la femme-animal, il n’y a qu’un pas, qu’un poète comme Sémonide d’Amorgos franchit allégrement. Dans les comédies, par exemple, la truie est une vieille femme libidineuse. Les comiques Phérécrate, Hermippos et Aristophane reprennent systématiquement ce terme. Le proverbe dit même que « le rut reprend la vieille ».

Etta Moten Barnett (Lysistrata) et Rex Ingram - Affiche promotionnelle pour Lysistrata - Belasco Théâtre de New York - 17 au 19 octobre 1946 - Crédits photo James J. Kriegsmann
Etta Moten Barnett (Lysistrata) et Rex Ingram - Affiche promotionnelle pour Lysistrata - Belasco Théâtre de New York - 17 au 19 octobre 1946 - Crédits photo James J. Kriegsmann

La peur du ventre féminin, une idée grecque ?

Décidément, l’homme et la femme sont différents. Si la femme a besoin de sexe pour ne pas devenir folle, l’homme, lui, ne doit pas en abuser, car cela le dessèche. Logique antique : il donne du sperme, donc il en perd.


On lit cela en sous-texte chez Aristophane qui évoque deux hommes maigrichons :

« Et voilà ces deux-là qui font l’amour comme deux mites ! »

Les femmes, elles, ont besoin de sexe et elles aiment ça. Le problème, c’est qu’elles sont excessives. On raconte qu’une hétaïre, Laïs, en serait morte. L’excès est un trait typiquement féminin, qui est encore plus accusé chez les vieilles.


Voilà alors que surgit la peur qu’éprouve l’homme envers la femme en Grèce antique, celle du ventre féminin qui l’épuise et l’appauvrit (et qui est autant faim de sexe que faim de nourriture). Dans L’Assemblée des femmes d’Aristophane, un jeune homme n’en peut plus de « faire l’amour jour et nuit à la vieille ».


Dans la même pièce, un peu plus loin, deux vieux discutent. Le monde est en train de changer depuis que les femmes ont pris le pouvoir. Que va-t-il leur arriver ?

« — Une chose à craindre pour les gens de notre âge, c’est qu’ayant pris les rênes du gouvernement, les femmes n’aillent ensuite nous contraindre à les baiser.
— Et si nous ne pouvons pas ?
— Elles ne nous donneront pas à manger.
— Eh ! bien, par Zeus, exécute-toi ; tu déjeuneras et baiseras tout ensemble. »

Le zôon d’Atalante en question

J’utilise toujours mes connaissances historiques dans mes écrits littéraires. Autant vous dire que je me suis régalée à faire intervenir ce fameux zôon dans mon roman Atalante.


Atalante, c’est une héroïne qui ne veut pas se marier et qui y est contrainte. Alors qu’elle se prépare pour l’hymen, sa nourrice essaie de l’amadouer.

Après l’interminable séance de coiffure, il y eut encore le maquillage, qui consista surtout pour sa vieille Baléria à masquer le hâle doré d’Atalante. Il fallait blanchir sa peau et effacer toutes les traces de ces journées de liberté passées en plein soleil, ces journées viriles qui ne seyaient pas à une femme. L’ombre du gynécée attendait la jeune fille. Elle l’épouvantait mieux que les grottes obscures de l’Hélicon et leurs féroces habitants. Comme elle commençait à trembler, non plus de fureur, mais de panique, sa nourrice posa ses mains sur ses épaules. Bougonne encore, plus affectueuse pourtant, elle marmonna en lui tapotant la joue, alors qu’elle se regardait dans le miroir :


« C’est pas l’Enfer qui t’attend, ma fille… Tu vas devenir femme, c’est mieux que de rester païs toute sa vie… Ça vaut rien de garder son hymen, le sang finit par rendre folles les femmes ; laisse ton mari passer là, va ! Sûr que toutes les grossièretés qui te montent à la bouche, ça te vient de la matrice. Elle se dessèche à rester vide, je te dis, et ça c’est bon ni pour le corps, ni pour la tête. Un homme, ça te débarrasse la femme de toute hystérie. Tu peux pas rester sous la main d’Artémis toute ta vie. »


Jamais Baléria ne s’était montrée si crue. Atalante avait du mal à en croire ses oreilles.


« C’est la nature pour la femme de désirer un homme. Sans ça, comment tu crois que viendraient les enfants ? Faut juste espérer qu’à force d’attendre, tu sois encore en état d’en faire. »

J’espère que cette exploration du zôon de la femme en Grèce antique vous aura distrait ! Si oui, inscrivez-vous à ma newsletter : on explore l’antiquité grecque dans toutes ses dimensions tous les dimanches. À bientôt !

Sources : BRULÉ, Pierre, Les Femmes grecques à l’époque classique, Hachette Littératures, 2001

Crédits image en-tête : Sculpture d’Albert-Ernest Carrier-Belleuse – Jeune femme à la coiffure ornée de fleurs et de rubans – Épreuve en terre cuite

L’ode aux femmes du poète grec Sémonide

Sémonide d’Amorgos, voilà un poète grec qui sait parler des femmes ! Vous allez vous en rendre compte avec l’un de ses textes les plus fameux : une ïambe des femmes qui compare la gent féminine à tout un florilège d’animaux dans ce qu’ils ont de plus charmant.


Apprécions ensemble ce joli morceau de misogynie antique !

La ïambe des femmes : qu’est-ce que c’est ?

Sémonide a écrit sa ïambe des femmes vers le milieu du VIIe siècle avant J.-C. Nous connaissons son texte grâce à Jean Stobée, un compilateur qui a vécu quasiment un millénaire plus tard, au Ve siècle de notre ère.


Jean Stobée a recopié le poème dans son chapitre « Sur le mariage », section « Blâme des femmes » (IV, 22). Tout un programme !


Ce texte est le premier de la littérature occidentale qui prend la femme pour unique sujet. C’est aussi le plus virulent de tous. Il commence ainsi :

« À l’origine, la divinité créa l’esprit sans tenir compte de la femme. »

Le ton est donné. Les femmes sont des êtres inférieurs, privés d’esprit, qui échappent au genre humain. C’est une autre espèce (ou une autre race, celle des femmes, donc).

Dans sa ïambe des femmes, Sémonide les étudie comme on le fait dans une perspective zoologique. En fonction de leurs tares, les femmes sont affiliées à un animal-blason qui les incarne.

Développons la liste des animaux-blasons identifiés par Sémonide.

Les animaux-blasons des différentes espèces de femmes

La femme-truie

Elle cumule les tares :

  • elle est vorace, autant de sexe que de nourriture ;
  • elle ne prend jamais de bain ;
  • elle est méchante, « dure et odieuse envers tous, amis ou ennemis ».

La femme-chienne

Aussi méchante que la femme-truie ! Et aussi débauchée qu’elle : sa sexualité effrénée est impossible à suivre pour un seul homme.

(Précisons quand même que la voracité des femmes de la Grèce antique en ce domaine n’est pas tout à fait leur faute : c’est celle de leur zôon, leur utérus, qui est lui-même un petit animal tyrannique.)

La femme-chienne « veut tout entendre et tout savoir, jetant des regards avides en tous lieux ». Elle est curieuse et envieuse, et donc éternellement insatisfaite. Non seulement elle écoute tout, mais elle parle à tort et à travers, même en présence de personnes extérieures au foyer : « il n’y a rien à faire pour l’empêcher d’aboyer », nous dit Sémonide d’Amorgos.

Chien sur une coupe athénienne à figures rouges - Ashmolean Museum
Chien sur une coupe athénienne à figures rouges - Ashmolean Museum

La femme-belette

Faut-il rappeler son indicible puanteur ? Comme la truie, la belette modélise la saleté des femmes. Cette « pauvre et misérable créature » est particulièrement abjecte, car elle dévore la viande crue, ce qui n’a rien de civilisé. On a vu dans le culte à Dionysos que l’acte de manger cru pouvait être perçu comme une spécificité féminine.


En plus, elle est lubrique au point d’en rendre malade son partenaire !

L’ânesse grise

Une incroyable paresseuse. Il faut la frapper pour la faire travailler, car elle ne « consent à tout faire qu’à contrecœur ». Pour autant, c’est une sacrée vorace, qui mange tout même quand on essaie de la corriger par la violence. Finalement, elle préfère voler pour se satisfaire plutôt que mettre la main à la pâte.


Vorace aussi sexuellement, l’ânesse « accepte pour l’amour n’importe quel compagnon ».

La femme-terre

Elle est complètement idiote. Par exemple, elle « ne se rend pas compte du froid et ne sait pas approcher son siège du feu » pour se réchauffer. Ce défaut la rend également incapable de différencier le bien du mal.


Par contre, pour manger et profiter du bien du mari, elle sait y faire : elle « mange nuit et jour au fond de la demeure, et mange au foyer », c’est-à-dire même dans la partie de la maison réservée aux invités.

La femme-mer

Elle aussi, elle n’est pas bien futée… mais dan un style hystérique. Elle est « insupportable à voir et à fréquenter,… si folle qu’on ne peut l’approcher ». Et méchante avec ça !

La femme-guenon

Pour commencer, elle n’a aucune conscience de son aspect. Comment peut-on être aussi stupide et négligée ? En plus, elle est malveillante : elle « se demande toute la journée comment elle peut faire tout le mal possible ». D’ailleurs, face à son mari, elle « trouve [toujours] quelque chose à lui reprocher et s’arme pour le combat ».

Femme grecque - Statue de Tanagra, IIIème siècle avant J.-C.
Femme grecque - Statue de Tanagra, IIIème siècle avant J.-C.

La femme-renard

Elle ne sait pas distinguer le bien du mal, affirme Sémonide d’Amorgos. Elle est donc incapable de vertu.

La cavale à la longue crinière

La « fière cavale à la longue crinière » est belle, certes. Mais elle tellement préoccupée de son corps que cela engendre de multiples défauts dans son caractère. Ainsi, elle joue de son corps pour emprisonner son mari et en faire ce qu’elle veut.


Bien sûr, elle est paresseuse. Elle arrive toujours à faire travailler les autres à sa place.


Enfin, elle est sale. Elle ne se préoccupe même pas de jeter les ordures au-dehors !

La détresse des époux grecs dans l’antiquité

Paresse, goinfrerie, intempérance… « Celui qui vit avec une femme… ne chassera pas de sitôt de chez lui la Famine, compagne odieuse, terrible divinité ».


La victime mise en exergue par ce florilège animalier, c’est l’époux. Il est vraiment malheureux. Hélas pour lui, ce malheur est à la fois privé et public : bavarde et impudique, l’épouse arrive forcément à montrer à tous l’infortune de son mari. Il peut bien se taire et rester « coi », ses voisins savent tout et « aiment à le voir se fourvoyer ».


Le pire pour l’homme grec marié, c’est l’impact de sa femme sur l’hospitalité qu’il souhaite offrir à ses hôtes. « Là où se trouve une femme, on ne peut même pas réserver bon accueil à l’hôte qui se présente ».


Ce n’est pas très étonnant. L’hospitalité est un processus réflexif, élaboré dans le cadre de la cité. Or, la femme est bestiale, incivilisée et finalement incivile. Comment pourrait-elle y comprendre quoi que ce soit ?


D’où la conclusion de Sémonide : « C’est là le plus grand mal que Zeus a créé, les femmes… ».

Un contre-exemple de femme parfaite dans la Grèce antique : l’abeille ?

La femme-abeille seule mérite l’attention.

« Bienheureux celui qui l’a reçue, car seule elle échappe au blâme ; sa fortune prospère et grandit grâce à elle et elle vieillit aux côtés de son mari qui l’aime et qu’elle aime, après lui avoir donné une belle et louable descendance ; elle se distingue parmi toutes les femmes et une grâce divine l’entoure… Ce genre de femmes est le meilleur et le plus avisé dont Zeus ait fait don aux hommes. »

Contrairement à toutes les autres, explique Sémonide d’Amorgos, elle n’est pas dépendante des « travaux d’Aphrodite » (donc de sexe). « Il ne lui plaît pas de rester assise en compagnie des femmes quand elles parlent d’amour ».

L’image idéale de la femme-abeille permet de penser l’oïkos (la maison) comme une ruche. On a ainsi une formidable armée de travailleuses (les esclaves) dirigées et inspirées par une reine avisée (l’épouse). Celle-ci gère correctement les richesses et, comme elle n’a pas l’appétit insatiable des autres modèles d’épouses, elle contribue à la prospérité de la maison de son époux.

(Je vous en dis plus ici sur cette place idéale théorique de la femme grecque dans l’antiquité.)

De plus, la femme-abeille possède ce qu’on appelle la charis. C’est un don divin qui la rend aimable et lui permet d’attirer les regards.

« L’union d’un homme et d’une femme… ne peut que conduire à l’amour, ne serait-ce que par la « grâce » (charis) qui l’accompagne. La « grâce », […] c’est ce mot dont se servaient les anciens pour décrire le consentement de la femme au désir amoureux de l’homme ; ce sentiment divin et sacré qui précède l’union totale. Ainsi Pindare dit qu’Héra conçut Héphaïstos « sans amour et sans grâce » ». (Plutarque, Dialogue sur l’amour)

Tout cela est merveilleux, mais la femme-abeille est moins appréciée pour elle-même que pour ce qu’elle apporte : enfants, travail et sollicitude.

Bijou abeille minoen retrouvé au palais de Malia, en Crète - Musée d'Heraklion
Bijou abeille minoen retrouvé au palais de Malia, en Crète - Musée d'Heraklion

Les Grecs anciens : des affreux misogynes ?

On peut supposer que le poète puise dans un savoir partagé qui va de soi à son époque. En gros, dans des clichés du moment qui sont suffisamment acceptés par la société pour qu’il puisse les décrire et faire partager son savoir.


Toutefois, son propos vise aussi l’amusement. Je pense donc qu’il faut l’aborder avec nuances. Oui, la société grecque de l’époque est sans aucun doute misogyne. Mais les portraits de femmes que dresse Sémonide montre aussi, finalement, qu’il existe des femmes, et pas mal de femmes, qui ne rentrent pas dans le moule idéal conceptualisé par le poète (et qui correspond sans aucun doute à un idéal partagé par les hommes). Que ces femmes ont des façons d’être qui leur sont propres. Elles ne se taisent pas toujours (la femme-chienne). Elles ne sont pas toujours victimes : parfois elles retournent ou détournent le système de domination (la cavale). Elles aiment le plaisir charnel. Finalement, c’est presque le modèle de la femme-abeille, loué par Sémonide, qui apparaît le plus triste pour nous !


Alors gardons-nous d’être radicalement pessimiste quant à ce texte épouvantablement machiste : il ne dit pas tout.

Un peu de Sémonide d’Amorgos sous ma plume

C’est un joli pied-de-nez de réutiliser les formules au vitriol de Sémonide quand on écrit des romans centrés sur des portraits de femme.


C’est ce que j’ai fait dans mon roman Atalante. Voyez plutôt !

La main de son père l’arrêta sur le seuil. D’un tenant, elle recouvrait toute l’épaule de la jeune fille.


« Ma païs, dit-il à voix plus basse, calmée, affectueuse. C’est que j’aimais trop ta mère, ma tendre Clyménè, pour la répudier de n’avoir su me donner d’héritier mâle. Je l’aurais dû, je le sais. Tout homme finit par aimer son alochos, et moi j’ai aimé la mienne plus qu’il ne l’aurait fallu, trop pour mon propre bien. Voilà tout ce que je te souhaite de connaître avec ton époux. »


Atalante ne répondit rien. Elle ne lui jeta pas au visage les ombres de toutes ces petites sœurs exposées après elle, jusqu’à la dernière, parce qu’elles n’avaient pas eu la grâce de naître dotées de l’attribut désiré, et le cœur déchiré de sa tendre alochos à voir périr grossesse après grossesse le fruit de son ventre. Le fils n’était jamais venu.


Elle siffla. Son père marmonna tandis qu’une chienne fuselée, à la robe beige, sortait des écuries qui jouxtaient la cour. Elle trottina vers elle, en louvoyant entre les barriques de vins, les jonchées de menthe et les grands sacs en toile de jute qui regorgeaient de fenouil et de graines de sésame. Sa queue allait et venait joyeusement, sa langue pendante se réjouissait dans la gueule grande ouverte. Elle s’approcha de sa maîtresse. Atalante lui caressa affectueusement la nuque.


« Une vraie femme-chienne, grommela Schœnée, sans cesse à aboyer, jamais contente, même lorsqu’on emploie tout à son bonheur, insociable et sauvage. Cigale, tu ne connais pas ta chance, toi dont la femelle a été dépourvue de voix par les dieux ! »


Atalante tourna les talons.

Ça vous a amusé (ou indigné) de découvrir le fabuleux bestiaire de Sémonide d’Amorgos ? Alors inscrivez-vous à ma newsletter : on fait escale tous les dimanches dans l’antiquité grecque, et je vous promets que le voyage est haut en couleur. À bientôt !

Sources : BRULÉ, Pierre, Les Femmes grecques à l’époque classique, Hachette Littératures, 2001

Bacchantes avec Dionysos !

Plongeons dans les bacchanales avec le dieu Dionysos !


Aujourd’hui, le terme évoque des festivités plus que licencieuses. Dans les mythes grecs, il est même question de meurtres. Mais dans la réalité de la Grèce antique, qu’est-ce que c’était ?


Les bacchanales sont un culte à Dionysos très particulier pour plusieurs raisons : leurs modes opératoires, leurs lieux de célébration, leurs victimes sacrificielles… et leurs participants. En effet, ici, ce sont les femmes qui célèbrent la divinité.


Je vous explique tout !

Le déroulement des bacchanales

Se vêtir : devenir une ménade

Tout se passe hors de la cité. C’est déjà une singularité.


Les épouses quittent la maison et la communauté. Elles s’engagent dans un long chemin en dehors du territoire civique.

Elles sont à pied, pieds nus s’il vous plaît. Elles portent une couronne de lierre sur leurs cheveux dénoués, une longue tunique plissée, une ceinture de laine brute et une nébride sur les épaules (c’est-à-dire une peau tannée de faon ou de chevreau, qui est nouée par les pattes sur leur poitrine).


À leur main, un thyrse. C’est un long bâton fait de la tige d’une grande ombellifère, orné de rubans et surmonté d’une pomme de pin (il existe différentes variantes avec d’autres végétaux). Elles portent aussi les instruments du rituel : des tambourins et des torches. Elles vont avoir besoin de ces dernières, car leur chemin les mène jusqu’à la nuit dans la montagne. Et ce n’est que le début.


Bref, les bacchantes, ou ménades, sont méconnaissables. Cette vêture est nécessaire : elle les rapproche du dieu, de Dionysos. C’est son costume rituel. C’est aussi celui des bacchants, c’est-à-dire des hommes qui veulent participer à la célébration. S’ils veulent intégrer les bacchanales, ils doivent devenir des femmes.

Marcher : quitter la cité

D’ordinaire, les épouses sont confinées dans leur maison. Lors des bacchanales, elles s’immergent dans l’âpreté du monde sauvage. Elles marchent longtemps pour rejoindre le domaine du dieu, en-dehors de la maison et de la cité. C’est un symbole : Dionysos est le dieu qui fait sortir de soi-même.


Pour donner un exemple du chemin que peuvent parcourir les célébrantes, le thiase de Delphes monte jusqu’au sommet du Parnasse, soit à 2 500 mètres d’altitude environ. (Le thiase est l’ensemble des participantes au culte.)

La Bacchante de Frédéric Leighton
La Bacchante de Frédéric Leighton

S’enthousiasmer : sortir de soi-même

Une fois parvenues dans la montagne, les ménades commencent le culte à Dionysos. Il consiste d’abord en danses extatiques et fête de nuit. Malgré la fatigue provoquée par la marche, les femmes grecques dansent pendant très longtemps.


Le but de cette danse : atteindre un détachement du réel. Chacune y parvient différemment, ou en tout cas s’y essaient. Les peintures montrent celles qui y réussissent. Elles ont la nuque brisée, le dos cambré, les cheveux épars, les yeux révulsés. Ployées en arrière, elles balancent vaguement les bras dans une attitude convulsive.


En tout cas, c’est ce que font les épouses. Les jeunes filles non mariées, elles, rythment la danse de leurs aînées en poussant le cri rituel, l’évoé (ou évohé) et en agitant le thyrse. Elles n’en sont qu’à un stade préparatoire. Ces pratiques peuvent rappeler celles du vaudou où l’apprentissage par l’observation de celles qui savent permet de s’initier aux rites.

« Dans beaucoup de villes grecques, tous les deux ans, se tiennent des baccheia de femmes, et il est de règle que les parthenoi portent le thyrse et s’associent aux manifestations de la possession en acclamant par l’évoé et en honorant le dieu ; quant aux femmes (mariées), elles sacrifient au dieu en corps, font les bacchantes et par des chants divers célèbrent la venue de Dionysos, en imitant les Ménades dont l’histoire fait les compagnes du dieu. » (Diodore de Sicile)

Ménades - Céramique du Musée de Boulogne-sur-Mer - Crédits photo Marie Tétart

Courir et traquer : sacrifier au dieu

La dernière étape du culte est le sacrifice, comme pour tous les autres cultes rendus aux dieux. Mais celui de Dionysos revêt une forme toute particulière.


Les femmes sont parvenues au paroxysme de l’expérience extatique. Elles ont perdu le sens des limites entre soi et les autres, entre soi et le monde.


Leur danse délirante se transforme en poursuite. C’est un équivalent sauvage de la pratique sacrificielle habituelle. Le thiase des fidèles poursuit un jeune animal, un faon ou un chevreau. C’est parfois un acolyte qui l’a lâché dans la nature. Les femmes le traquent : c’est ce qu’on appelle la « chasse d’Aphrodite ». Elles cernent la bête, l’une d’elles la couvre de son corps, puis les autres arrivent. Là, c’est le « déchirement », la forme rituelle du sacrifice bacchique : l’animal est lacéré et écartelé à mains nues, comme l’a été Dionysos dans le mythe lorsqu’il s’est retrouvé entre les mains des Titans. Sa chair et son sang sont ingérés crus.

« Ah ! qu’il est doux dans les montagnes, au sortir de la course des thiases, de se laisser choir sur le sol, avec pour vêtement la sainte nébride, de chasser le bouc pour l’immoler, délices de la chair crue, vers les montagnes de Phrygie, de Lydie. C’est le Bruyant qui mène la danse. De lait ruisselle le sol, il ruisselle de vin, il ruisselle du nectar des abeilles… » (Euripide, Les Bacchantes)

(Le Bruyant est l’un des surnoms de Dionysos.)

Le sens du culte à Dionysos : la volonté du dieu

La folie

Les célébrations à Dionysos transforment les femmes grecques en « folles ». C’est le sens premier du mot « ménades ». Cette folie est une imitation de celle du dieu, qui a été frappé de démence par Héra. La déesse était furieuse de l’existence de cet enfant illégitime de son époux Zeus.


Chaque étape des bacchanales suit un processus d’identification au dieu. La prise d’habit en est le premier acte.


Attention, on ne parle pas de n’importe quelle « folie » vulgaire. Cette folie apportée par Dionysos est pleine de sens. Elle vise la dépossession de soi. L’extase est littérale : ektasis signifie « déplacement » ou « égarement ».


En sortant d’elle-même, la fidèle (ou le fidèle dans le cas des bacchants) laisse toute la place à la parousie de Dionysos.

D’abord, elle est sereine, lavée par la fatigue de la marche. Puis, peu à peu, le rituel la mène vers la transe et l’enthousiasme. Elle devient entheos, « ayant le dieu en soi », « possédée » ou encore « inspirée ».

Les Trois Bacchantes - Sculpture du IIe siècle av. J.-C. - Louvre
Les Trois Bacchantes - Sculpture du IIe siècle av. J.-C. - Louvre

Le plaisir

Dans Lysistratè d’Aristophane, celle-ci convoque ses amies pour organiser une grève du sexe. Le but : forcer les hommes à faire la paix (nous sommes dans la période de la guerre du Péloponnèse qui oppose Sparte et Athènes).


Les amies de Lysistratè sont en retard. Celle-ci commente :

« Ah ! Si on les avait invitées à un baccheion, ou bien chez Pan, chez Aphrodite…, il n’y aurait plus moyen de se faufiler entre les tambourins. »

Bien sûr, c’est un homme, Aristophane, qui raconte l’histoire. On peut toutefois supposer qu’il s’appuie sur une réalité : les épouses aiment s’adonner à ce culte. L’idée de plaisir y est associée.


En fait, le ménadisme s’oppose radicalement au travail domestique dans l’oikos (la maison).

  •  L’oikos ou l’intérieur, la chasteté, la tempérance et le travail. C’est le domaine d’Athéna.
  • L’extérieur, l’amour, la danse et la musique. C’est le domaine de Dionysos (et d’Aphrodite).

Dionysos ne veut pas que ses fidèles, les femmes grecques, placent la vertu si haut qu’elles restent cloîtrées chez elle à tisser et à refuser le ménadisme. Ce serait le rejeter ; et le dieu ne supporte pas le rejet. Plus philosophiquement, refuser la folie offerte par Dionysos est un signe d’orgueil. La sagesse ne peut pas puiser sa force dans la seule raison. Il faut vivre, car l’existence est courte.

L’histoire suivante, rapportée par Antoninus Liberalis, illustre la leçon du culte à Dionysos :

« Minyas, fils d’Orchoménos, eut comme filles Leukippè, Arsippè et Alkathoè qui devinrent absurdement laborieuses. Elles n’eurent que reproches pour les autres femmes qui désertaient la ville pour faire-les-bacchantes dans les montagnes. (…)


« … jusqu’au jour où Dionysos, sous l’apparence d’une jeune fille, les exhorta à ne pas manquer ses rites ou ses mystères. Mais elles n’y prêtaient pas attention. Irrité de cette attitude, Dionysos se métamorphose non plus en fille, mais en taureau, en lion et en léopard et, du montant des métiers à tisser, il coula en son honneur du nectar et du lait.


« Devant ces prodiges, les filles furent saisies d’épouvante. Sans perdre un instant, elles mirent toutes les trois des sorts dans un vase qu’elles secouèrent ; c’est le sort de Leukippè qui en tomba ; celle-ci fit le vœu d’offrir une victime au dieu et, avec l’aide de ses sœurs, elle mit en pièces Hippasos, son propre enfant. » (Antoninus Liberalis)

Dans une autre version, Leukippè et ses sœurs déchirent Hippasos « comme s’il était un faon », puis elles s’en vont, « faisant-les-bacchantes dans les montagnes, broutant le lierre, le liseron et le laurier ».

Leukippè tue son fils comme le font les bacchantes de l’agneau ou du faon au terme de la course d’Aphrodite.

Dionysos rend celles (et ceux) qui lui résistent folles au sens strict du terme.

Bacchante aux Vignes de Jean-Baptiste Carpeaux - Musée de Boulogne-sur-Mer - Crédits photo Marie Tétart
Bacchante aux Vignes de Jean-Baptiste Carpeaux - Musée de Boulogne-sur-Mer - Crédits photo Marie Tétart

Les bacchanales : une transgression ?

Des rites ordinaires « féminisés »

Si les bacchanales ont l’air de jurer avec tous les autres rites rendus aux dieux, en réalité, elles répondent en partie aux codes habituelles. Les pratiques sont juste « féminisées ». Pour les hommes grecs de l’époque antique, « féminisées », ça veut dire « sauvages ». Cela correspond à une vision de la femme comme une race à part, parfois plus proche de l’animal que de l’homme !

Là où les célébrations masculines sont civilisées, celles des femmes qui font les ménades prennent place hors de la cité tout en reproduisant un schéma traditionnel.

  • La chasse est l’équivalent de la procession.
  • La mise à mort et le repas carné sont les équivalents du sacrifice et du banquet civique.

Même la sociabilité féminine créée dans le thiase est l’équivalent du lien civique construit par les rites masculins. La différence : ici, la sociabilité est provoquée par une abolition des distances entre les protagonistes, alors que les rituels ordinaires impliquent une forte mise à distance entre le célébrant, l’animal sacrifié et le dieu. Les ménades, elles, plongent les mains dans le faon ou le chevreau, qui est lui-même une incarnation de Dionysos.


Des histoires racontaient que la sauvagerie avait poussé des ménades thraces à s’entre-dévorer. Une exagération qui montre le caractère non civilisé de ces rites féminins, en tout cas pour les hommes grecs.

Groupe bacchique de Claude Michel Clodion : bacchante, satyre et satyre enfant - MET (New York)
Une vision fantasmée de la bacchante avec ce groupe bacchique montrant un satyre, une ménade et un enfant satyre (MET, New York)

Après le culte à Dionysos, le retour au foyer

Il n’est pas question de passer tout son temps à faire la folle sur la montagne. Lorsqu’elles vont se « ménadiser », les femmes grecques n’oublient pas qu’elles sont dans l’espace de l’idéel, et non celui du réel.

Le culte au dieu Dionysos n’est pas une contestation de la position subalterne de la femme. Les époux grecs ne l’auraient pas toléré. S’ils laissent partir leurs épouses, c’est parce que les bacchanales sont temporaires, localisées et ritualisées. Elles finissent par s’achever, et alors les femmes rentrent à la maison et retrouvent les tâches du quotidien.

Pour plus de détails sur l’expérience religieuse des hommes et des femmes dans la Grèce antique, je vous invite à lire cet article sur la religion grecque antique

Descriptions littéraires des bacchanales

Les Bacchantes d’Euripide

Même si cette pièce de théâtre est une œuvre de fiction et qu’elle a été écrite par un homme, elle devait convaincre son public. Il est certain que l’auditoire y reconnaissait des éléments qui faisaient sens pour lui et lui rappelaient l’expérience étrange, collective et individuelle, du ménadisme.

Dans cette tragédie, le roi de Thèbes Penthée, sa mère et le reste de la famille ont rejeté Dionysos. Celui-ci a usé de sa puissance pour ensorceler les femmes de la cité et les emmener dans la montagne. Ce sont les ménades mythologiques, celles qui instituent le rite.

Penthée a envoyé un berger pour espionner les bacchantes pendant le culte à Dionysos :

« Ta mère, se dressant au milieu des bacchantes, lança le signal rituel, la clameur du réveil… Secouant le profond sommeil de leurs paupières, merveilles de pudeur, toutes de se dresser, toutes, les jeunes et les vieilles, et les vierges ignorantes du joug. D’abord, elles laissèrent le flot de leurs cheveux couler sur les épaules ; puis l’on en vit qui remontaient leur peau de faon dont les liens s’étaient relâchés, ceignant ses nébrides tachetées avec des serpents qui les léchaient à la joue ; et d’autres, dans leurs bras, prenaient de petits faons ou bien des louveteaux, à ses farouches nourrissons tendant leurs seins gonflés du lait de leur maternité nouvelle — jeunes mères ayant délaissé leur enfant. Toutes parent leur front de couronnes de lierre, ou de feuilles de chêne oud es fleurs de smilax. Et l’une de son thyrse ayant frappé la roche, un flot frais d’eau limpide à l’instant en jaillit ; l’autre de son narthex ayant fouillé la terre, le dieu en fit sortir une source de vin. Celles qui ressentaient la soif du blanc breuvage, grattant du bout des doigts le sol, en recueillaient du lait en abondance. Du thyrse orné de lierre s’égouttait un doux miel…


« Elles, à l’heure marquée, agitent leurs thyrses pour la bacchanale. C’est Iacchos que d’une voix unanime, c’est le fils de Zeus, le Bruyant, qu’elles invoquent. Toute la montage participe à leur transe et les fauves ; rien ne reste immobile à leur élan. »

(Les bergers espions sont découverts par les bacchantes.)

« Nous pûmes, nous du moins, par la fuite échapper aux bacchantes, qui nous auraient écartelés. Mais, tombant sur nos bœufs qui broutaient la prairie, sans nul fer en main. Pour lors, vous auriez vu une vache laitière, toute mugissante, saisie par l’une d’elles de ses deux bras écartés ; d’autres mettre en lambeaux des génisses ; vous auriez vu partout des côtes et des sabots fourchus lacérés de haut en bas et les lambeaux accrochés aux sapins, dégouttant de sang. Des taureaux furieux et la corne en arrêt, l’instant d’après, gisaient, terrassés, mille mains de femmes s’abattant sur eux et lacérant toute la chair qui les couvrait…


« Et, comme un vol d’oiseaux qui prend l’essor, elles s’élancent vers les plaines…, comme une horde hostile…elles dévastent tout, emportent les enfants. Rien de ce qu’elles chargent sur leurs épaules, sans y être attaché y tient, sans tomber sur le sol noir ; non, pas même l’airain, ni le fer. Le feu même, à leurs cheveux mêlés, ne les consume point. Les gens des bourgs, exaspérés par ce pillage, prennent les armes et courent sus aux bacchantes.Ô prince ! on vit alors un prodige effrayant. Le fer des javelots ne faisait point saigner leur chairs : elles, pourtant, rien qu’en lançant leurs thyrses, couvraient leurs ennemis de blessures. Ces femmes faisaient fuir les hommes devant elles, preuve qu’un dieu les assistait ! Puis on les vit retourner au lieu même où commença leur course, aux sources que le dieu avait créées pour elles ; elles lavaient leurs mains sanglantes, leurs serpents léchaient toute trace du sang dégouttant de leurs joues.


« Cette divinité, quelle qu’elle soit, mon maître, accueillez-la dans cette cité. Certes, il est grand et on dit que c’est lui, comme je l’apprends, qui donne aux mortels la vigne qui chasse les chagrins. »

Penthée tué par les Ménades - Kylix attique à figures rouges attribuée à Dourix - 480 avant J.-C. - Kimbell Art Museum
Penthée tué par les Ménades - Kylix attique à figures rouges attribuée à Dourix - 480 avant J.-C. - Kimbell Art Museum

Ma plume trempée dans les bacchanales !

Je trouve le culte à Dionysos fascinant et émouvant dans son rapport à la nature, à la joie terrestre et à la simplicité. Le dieu demande à ses fidèles de goûter à la vie et au monde qui l’entoure. Il se distingue aussi de ses collègues divins par l’identité de ses fidèles : Dionysos parle aux déshérités que sont les femmes, les esclaves et les étrangers. Ces derniers seront toujours plus présents dans les thiases au fil du temps.

J’ai écrit deux nouvelles qui évoquent ces bacchanales. L’une est mythique, elle raconte la folie de Dionysos et la façon dont il s’en libère par la danse et le déchirement. La seconde prend place dans un temps historique, celui de l’empire romain : on y célébrait aussi le dieu sous la figure de Bacchus.


Je vous en offre deux extraits.

La parousie de Dionysos

Extrait de ma nouvelle Le Cœur d’Ariane. Dans ce récit, je retrace la rencontre d’Ariane, la princesse crétoise, avec le dieu et la façon dont ils inventent ensemble les bacchanales, la danse, la transe et le déchirement.

« Il a gardé ma main ; tout à coup, le voici qui s’élance en direction des bois en m’entraînant derrière lui.


« Évohé ! Évohé ! crie-t-il, soudain exalté. À nous les chairs tendres des biches qui vont remplir nos abîmes ! À nous la sève des arbres et des fleurs, le jus des fruits et l’onde claire des ruisseaux ! À nous la folle cavalcade qui brise les membres et rompt les esprits fous ! »


Il court entre les arbres sans me lâcher. Je ne sais comment mes pieds le suivent sans trébucher alors que les écorces et les feuilles défilent autour de moi. La nuit s’agite à son cri, elle chante : bruissements, glapissements, hululements, miaulements et nasillements. La tête me tourne. Lorsqu’il s’arrête sans crier gare, je me cogne à son dos.


Nous avons jailli dans une clairière. Séléné, décidément notre complice, éclaire le spectacle étrange d’un chevrette qui broute l’herbe préservée du soleil du jour par les ombrages des chênes verts. La petite femelle est toute seule.


Iacchos bondit en mugissant si soudainement qu’il me fait sursauter. Il m’a lâchée et je ne peux que le regarder tandis qu’il se rue sur l’animal, les doigts tendus comme des griffes, et se met à la lacérer à mains nues.


Mon cœur, je crois, cesse de battre. À ce spectacle épouvantable, un autre s’impose, le tien, Astérios, lorsque je t’ai surpris, toute petite fille, le mufle plongé dans la poitrine d’une jeune fille ouverte sur ses entrailles. Tu te gorgeais de chair fraîche, fou furieux comme cet homme qui fourre son menton dans la fourrure ensanglantée pour déchirer un morceau de viande.


Ô déesse ! Pourquoi faut-il qu’en cet instant, la faim rugisse dans mon ventre ?


Iacchos vient à moi et tend ses doigts écarlates. Au clair de lune, ils sont moins rouges que noirs. Je les prends. Avec un sourire d’enfant, le jeune homme m’attire vers le cadavre, il m’agenouille près de lui, il arrache un morceau palpitant à la carcasse et l’amène à ma bouche. Il ne me force en rien, ce fou, c’est moi qui dois être devenue démente de vouloir y goûter, d’y enfoncer les dents comme toi autrefois dans la chair de tes victimes. »

Le culte à Dionysos chez les Romains

Extrait de ma nouvelle La Nuit des Saturnales. Dans ce texte, Bacchus (le Dionysos romain) détourne les Saturnales pour plonger une patricienne romaine dans une ektasis libératoire.

« Cornélia suivait la danse. Non, elle était la danse. Ses pieds allaient tout seuls. Ses bras se balançaient, ils propageaient la cadence venue des mains qui serraient les siennes, comme si elle était elle-même le prolongement du corps de tous les autres. Dans son ventre, des tambours vibraient, dans sa tête, des cordes émettaient des sons paroxystiques, comme des cris de plaisir ou de douleur. Elle entendait des chants fiévreux, qui la suivaient et qui s’amplifiaient à chacun de ses pas. De plus en plus de monde dans son sillage ! Lorsqu’elle tournait la tête, par hasard, prise par le vertige, elle voyait une longue file de silhouettes qui la suivaient en virevoltant. Elle, elle était presque en tête de proue, juste derrière une silhouette en tenue rouge et à la chevelure de nuit.


Ses pieds dansaient. Ils frappaient le pavé. Ils butaient contre la pierre, ils s’égratignaient, ils la torturaient, mais elle ne pouvait pas tomber ni s’arrêter : elle était la danse !


Ses pieds dansaient. Ils frappaient la boue. Ils s’enfonçaient dans le lit du chemin. Ils déchiraient le bas de sa stola lorsqu’elle marchait sur le tissu. Mais non, elle ne tombait toujours pas, et même si cela faisait mal : elle était la danse !


Ses pieds dansaient. Ils frappaient l’herbe, ils frappaient la mousse. Ils ne savaient plus où ils allaient, car les yeux ne voyaient pas au travers de l’obscurité. Mais ce n’était pas grave, car ses pieds étaient sûrs même lorsque le reste du corps flanchait. Elle était la danse !


Et lorsque la tunique rouge la lâcha et qu’elle se retrouva sans ancre dans les ténèbres, elle tourbillonna encore. Les cris autour d’elle la portaient. Ses pieds meurtris pleuraient de souffrance, mais elle se sentait le cœur plein de joie. Les étoiles dansaient dans le ciel, comme elle. Les frondaisons des arbres divaguaient à l’orée de sa vue. Ils lui chuchotaient des mots doux. Ils l’appelaient par son prénom, mais elle ne l’entendait pas. Ce n’était pas vraiment elle, ce prénom. Parce qu’elle, elle était juste la danse. »

Toutes mes nouvelles sont disponibles en e-book pour mes mécènes de niveau Médée.

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Sources : BRULÉ, Pierre, Les Femmes grecques à l’époque classique, Hachette Littératures, 2001

Crédits image d’en-tête : La Bacchante de Mary Cassatt

Des prêtresses vierges pour les déesses grecques ?

Les dieux et les déesses entendent mieux les messages des mortels lorsqu’ils viennent de certaines bouches. En la matière, ils ont leurs préférences. C’est pourquoi les prêtres et les prêtresses de la Grèce antique sont choisis avec soin par la cité. La communication avec le divin doit être de qualité. Le dieu ou la déesse doit être satisfait !


En l’occurrence, pour les déesses vierges, des prêtresses vierges. En tout cas, autant que possible, car la prêtrise féminine est souvent un casse-tête pour les Grecs anciens !

(À lire aussi : cet article sur la religion grecque antique.)

Pourquoi des vierges pour les déesses vierges ?

Les règles de dévolution des prêtrises

Les Grecs anciens se soucient beaucoup de la liturgie et ils savent que le divin est multiforme. Il y a des dieux et des déesses. Parmi ceux-là, des « vieux », des adultes, des jeunes gens et des jeunes filles… des vierges et des non-vierges.


Les Grecs font donc très attention aux règles de dévolution des sacerdoces, cité par cité et dieu par dieu (même s’il existe toujours des exceptions).


Ainsi, d’après le poète Hésiode, certes, les vieillards (les hommes en tout cas, parce que, dans les « vieilles » femmes dans l’antiquité grecque ne valent rien) prient mieux que les jeunes. Mais les déesses et les héroïnes préfèrent avoir des prêtresses femmes — vierges ou non.


Les sacerdoces doivent donc être distribués dans toutes les catégories de la société : parmi les jeunes, les adultes et les vieux et entre les hommes et les femmes.


Pour les déesses, aux vierges des vierges, aux adultes des adultes.

Les atouts et les limites de la virginité

La virginité permet d’éviter la souillure de l’acte sexuel. C’est aussi simple que ça.

La prêtresse vierge doit donc être en état de parthenos, c’est-à-dire qu’elle assume la fonction « jusqu’à ce qu’elle atteigne le moment du mariage », « jusqu’à ce qu’elle parvienne au moment des noces » ou encore « jusqu’à ce que vienne pour elle le moment d’être envoyée auprès d’un homme », etc. Les formules varient, mais l’idée est la même.

Toutefois, rien n’est si simple et il arrive que la virginité ne soit pas un si bon choix que ça en tant que critère de sélection. En effet, les prêtrises féminines posent aux hommes de l’époque bien des problèmes.

Pourquoi ? Parce que, comme chacun le sait, la femme n’écoute que ses plus bas instincts. Elle risque à tout moment de souiller ce qui l’entoure et de provoquer la colère divine !

(Ce n’est pas tout à fait sa faute, cependant : c’est celle de leur zôon, leur utérus, qui tyrannise la femme de la Grèce antique en lui infligeant des désirs charnels excessifs.)

Je vous propose 3 récits étiologiques qui expliquent les critères de choix des prêtresses dans divers sacerdoces. Ces histoires étaient racontées dans les cités concernées elles-mêmes : elles nous sont rapportées par Pausanias, un auteur-voyageur grec du IIe siècle de notre ère. Alors, virginité ou pas virginité ? Voyons ça tout de suite !

Komaithô, la prêtresse qui a offensé Artémis

Pausanias a trouvé cette histoire à Patras, où se trouvait un temple à Artémis Triklaria.


À l’origine, la desservante du sanctuaire était une parthenos, comme beaucoup de prêtresses de la Grèce antique honorant Artémis. Elle s’appelait Komaithô et, un jour, elle a fait une grosse bêtise

« La prêtrise de la déesse était détenue par une parthenos, jusqu’à ce que vienne pour elle le temps d’être envoyée à un homme. Autrefois la prêtresse s’appelait Komaithô (« La Rousse »), une parthenos des plus belles qui avait un amoureux appelé Mélanippos (« Le Cheval Noir »), le meilleur et le plus beau des jeunes gens de son âge. Quand il parvint à faire partager son amour par la parthenos, il demanda la fille à son père. Il est fréquent que les gens âgés s’opposent à la jeunesse en toutes sortes de choses, et ils sont spécialement insensibles aux désirs des amoureux. L’histoire de Mélanippos, comme celles de beaucoup d’autres, prouve que l’amour est capable de briser les lois humaines et de profaner le culte rendu aux dieux, en effet, c’est dans le sanctuaire d’Artémis que leur ardeur érotique trouva son aboutissement, l’utilisant comme une chambre nuptiale.


« Alors la colère d’Artémis commença à détruire les habitants. La terre ne portait plus de fruit, et d’étranges maladies survirent, d’un caractère inconnu. Quand ils firent appel à l’oracle de Delphes, la Pythie accusa Mélanippos et Komaithô. L’oracle ordonna qu’ils dussent être sacrifiés à Artémis, et que chaque année on devait sacrifier à la déesse la plus belle parthenos et le plus beau pais. » (VI, 19,1)

Un grand classique. L’acte sexuel accompli dans le sanctuaire souille le lieu et la divinité. Les conséquences sont toujours les mêmes : la déesse est furieuse, elle envoie un fléau, les habitants consultent un oracle pour savoir comment se sortir du pétrin. L’oracle révèle la volonté divine : celle-ci est satisfaite par la mise en place d’un nouveau rituel. Ici, c’est l’immolation du plus beau couple de la jeunesse. Artémis ne badine pas avec la pureté.


Heureusement, plus tard, un certain Eurypylos institue un nouveau rituel de la jeunesse qui apaise la déesse.

La prêtresse vierge victime de la libido masculine

La seconde histoire de Pausanias qui évoque les prêtresses de la Grèce antique nous emmène en Arcadie. Autrefois, la prêtresse d’Artémis Hymnia était toujours une « fille vierge » (korè parthenos). Malheureusement, dans les mythes grecs, la virginité a du mal à vaincre la libido des garçons.


Un jour, un dénommé Aristocratès s’amourache de la prêtresse et se met à la poursuivre de ses ardeurs. Elle tente de lui résister, mais…

« Il lui fait subir les derniers outrages près de la statue d’Artémis. Quand l’attentat vient à être connu de tous, les Arcadiens lapident le coupable et prennent soin de modifier la loi. Ils choisiront dorénavant non plus une parthenos, mais une femme (gynè) ayant eu suffisamment de relations avec les hommes » (VIII, 5, 12)

Très intéressant ! Finalement, la virginité compte moins que la chasteté aux yeux du divin : tant que la prêtresse n’a pas de relations sexuelles, c’est le principal. Or, une « vieille » n’est plus censée connaître d’hommes à partir d’un certain âge, n’est-ce pas ? C’était en tout cas la conviction des Grecs anciens, qui y voyaient une véritable perversion.

Lécythe attique à figures blanches montrant une libation à Artémis - 460-450 av. J.-C. - Louvre
Lécythe attique à figures blanches montrant une libation à Artémis - 460-450 av. J.-C. - Louvre

La pythie de Delphes amoureuse

La pythie de Delphes est une prêtresse d’Apollon. Elle déroge quelque peu à la règle qui veut qu’un prêtre serve un dieu et une prêtresse une déesse. Quoiqu’il en soit, elle aussi doit respecter un impératif de chasteté, car elle ne doit pas souiller sa fonction.


D’après les habitants de Delphes, nous dit Pausanias, autrefois, c’était une parthenos. Puis, un jour, un jeune Thessalien nommé Échékratès est tombé amoureux d’elle. Catastrophe ! Pour se prémunir de la souillure, les Delphiens décidèrent de changer les règles. Désormais, la pythie serait une « femme âgée de cinquante ans » qui s’habillerait en vierge.


Plusieurs sources indiquent effectivement que la pythie est une « vieille », veuve, trop âgée pour se remarier ou qui a renoncé à toute vie sexuelle.

La morale ? Quand la vierge fait défaut, on prend une femme « ayant eu suffisamment de rapports avec un homme ». Parce que, passé un certain âge, point trop n’en faut. Notons au passage à quel point ces histoires montrent la catégorisation de la femme en fonction de son époux. Il y a un avant, un pendant et un après l’homme.

Une pythie « vieille », c’est le choix que j’ai fait pour l’héroïne de ma nouvelle, Le Dit de l’oracle, à demander gratuitement en ebook ici !

Des prêtresses de la Grèce antique aux vierges dans les processions religieuses

Ces règles fondamentales de pureté, de chasteté et de virginité se retrouvent aussi dans d’autres circonstances. Dans les processions religieuses, par exemple.


Dans de nombreuses fêtes, les vierges sont placées en tête des processions. On les appelle souvent des canéphores, car elles portent des corbeilles sur leurs têtes, comme les Caryatides de l’Érechthéion sur l’Acropole d’Athènes. Ces corbeilles contiennent des objets sacrés, comme des rubans ou les couteaux du sacrifice. Seules des mains pures peuvent les toucher.


Ces vierges sont des parthenoi choisies parmi les plus belles. Ce sont les filles de citoyens — et des citoyens importants. Elles sont pubères donc, finalement, bonnes « à être envoyée à un homme ». Et ça tombe bien : leur public, ce sont les hommes de tout âge de la cité, les citoyens. Finalement, la procession des parthenoi, c’est aussi le défilé des filles à marier.

Cet article sur les prêtresses de la Grèce antique et leur rapport à la virginité vous a plu ? Alors je vous invite à un voyage dans la mythologie et l’antiquité gréco-romaines. On fait escale tous les dimanches grâce à ma newsletter. Abonnez-vous !

Sources : BRULÉ, Pierre, Les Femmes grecques à l’époque classique, Hachette Littératures, 2001

Crédits image d’en-tête : Prêtresses de Diane d’Adrien Badedji

Les déesses grecques : la femme antique dans tous ses états

Chez les Immortels, comme les appelle Homère, les femmes ne sont pas des subalternes. Elles occupent des positions fortes qu’elles défendent bec et ongles ! D’ailleurs, le taux de femmes présentes dans le panthéon grec est le plus important de toutes les religions polythéistes, même si leur représentation baisse entre le milieu du IIe millénaire av. J.-C. et l’époque classique.


La société grecque est pourtant plutôt misogyne. Or, les déesses grecques sont des femmes dans tous les sens du terme. Sexuellement, biologiquement et socialement.


Voyons tout cela avec les six plus importantes déesses de l’Olympe !

Les déesses vierges de la Grèce antique

Honneur aux vierges Athéna, Artémis et Hestia. Ces déesses sont aussi pures qu’indomptables et farouches. Toutefois, elles sont très différentes les unes des autres dans leur essence, leurs attributs et leurs domaines d’intervention.

Athéna

Athéna est la déesse du savoir-faire technique, mais aussi de la protection de l’enfance et de la jeunesse. C’est également, on le sait, celle de l’efficacité guerrière. Aucune communauté combattante ne peut l’oublier lorsque le combat approche, ni après la victoire. Elle est ainsi très présente dans les rangs des Achéens de l’Iliade. La virginité farouche d’Athéna est proche de l’andréia (virilité) masculine.


Athéna est aussi une déesse politique : elle est la divinité éminente de nombreuses cités, dont Athènes.

Artémis

Artémis aussi protège l’enfance et la jeunesse. C’est elle que les jeunes filles honorent avant leur mariage et la perte de leur virginité. De manière étonnante, cette vierge est la déesse protectrice des femmes enceintes, des accouchées et des nourrissons.


Or, le monde de l’enfance est souvent lié à un état farouche situé hors de la civilisation. Artémis est donc aussi la déesse qui règne dans la nature et sur les animaux sauvages. Elle est également une divinité éminente de la chasse :

« Elle se plaît à l’arc, au massacre des fauves sur les montagnes ; elle aime aussi les phorminx, les danses, les chants aigus des femmes et la cité des hommes justes. » (Hymne homérique à Aphrodite, 16-7)

Artémis est plus rarement une divinité politique.


J’ai écrit un article entier sur Artémis, à lire ici.

Artémis - Peinture de Guillaume Seignac
Artémis - Peinture de Guillaume Seignac

Hestia

Hestia, sœur de Zeus, est une divinité « spécialisée ».


C’est la déesse de la maison, et même du cœur de la maison : du foyer. D’ailleurs, on appelle hestia la pièce centrale de l’habitation.


Comme la cité est une métaphore de la maison, Hestia est aussi la protectrice des institutions, des bâtiments et des hommes qui sont au cœur et à la tête de la communauté politique.


Hestia peut être vue comme un « équivalent » de Vesta dans la religion romaine.

Une virginité absolue

Ces trois déesses grecques sont fières de leur virginité. Artémis la revendique auprès de Zeus, son père :

« Accorde, ô mon père ! accorde à ta fille de rester toujours vierge » (Callimaque, Hymne à Artémis)

Elles se caractérisent par une virginité éternelle constitutive d’elles-mêmes. Quand il s’agit de la défendre, elles sont jalouses et même cruelles. Certains hommes ont perdu la vue… ou la vie en ayant violé leur intimité, comme Actéon lorsqu’il surprend Artémis nue au bain.


Cette virginité est absolue même dans le monde des rêves. Ainsi, rêver de coït avec l’une de ses déesses est signe d’une mort prochaine. (Alors que faire l’amour en rêve avec un dieu ou une autre déesse, « s’ils y prennent plaisir, annonce des secours de la part des supérieurs », selon Artémidore d’Éphèse.)

« Artémis, Athéna et Hestia, il est néfaste de s’unir, même si l’on y prend plaisir : ce songe prédit en effet pour qui l’a vu la mort dans peu de temps : car ce sont là nobles déesses, et nous avons appris en tradition que ceux qui ont mis la main sur elles ont subi de terribles châtiments. » (Artémidore)

Vierges parmi les hommes, parmi les bêtes sauvages ou au cœur de la maison, les trois déesses incarnent peut-être un souci de protection de la communauté civique. Après tout, la virginité de la fille n’est-elle pas une image en miroir de l’inviolabilité de la cité ?

Les déesses amante, épouse et mère de la mythologie grecque

La plupart des déesses ont une vie sexuelle bien remplie : les muses, les nymphes, la Mère des dieux Rhéa… Etc. Celles qui comptent le plus, à cet égard, ce sont Aphrodite, Héra et Déméter.

Aphrodite

« Si Aphrodite ne peut les persuader [Athéna, Artémis et Hestia] ou les séduire, nul autre ne peut jamais — dieu bienheureux ou mortel — lui échapper. »

« Kypris éveille le doux désir au cœur des Dieux et plie sous sa loi les races d’hommes mortels, les oiseaux de Zeus, toutes les bêtes que la terre nourrit en grand nombre aussi bien que la mer : tous pensent aux travaux de Cythérée couronnée. » (Hymne homérique à Aphrodite)

Parmi les déesses grecques, Aphrodite est celle qui attise l’amour. Elle est belle : beauté du corps et sourires, et aussi vêtements, parfums et parures sur lesquels les textes anciens insistent.

Mais elle est plus que cela. Elle est la force qui rapproche les êtres et unit leurs sexes. Contrairement à Éros, qui a le pouvoir de faire se lever le désir, elle dépasse les catégories du féminin et du masculin pour embraser toute la vie. Sa loi s’applique à tous : hommes et femmes, dieux et déesses, animaux et le cosmos tout entier.

« Le Ciel sacré sent le désir de pénétrer la Terre, un désir prend la Terre de jouir du coït : la pluie descend du Ciel époux comme un baiser vers la Terre, et la voilà qui enfante des troupeaux qui vont paissant pour les mortels et le fruit de vie de Déméter, cependant que la frondaison printanière s’achève sous la rosée de l’hymen — et, de tout cela, la cause première, c’est moi. [Aphrodite] » (Eschyle, Danaïdes)

Bien sûr, Aphrodite est aussi épouse, celle du dieu Héphaïstos (qu’elle trompe abondamment avec d’autres hommes, notamment Arès — il faut lire L’Odyssée pour en être convaincu). Elle préside aussi au mariage des jeunes filles dans l’antiquité classique et favorise la maternité via le sexe dans le mariage. D’ailleurs, on la dit parfois mère d’Éros.

Mais Aphrodite est avant tout l’Amante et deux déesses incarnent mieux qu’elle l’Épouse et la Mère.

Pour plus d’informations sur la déesse Aphrodite, lisez cet article !

L'Aphrodite de Menophantos - Musée national romain, Palazzo Massimo alle Terme
L'Aphrodite de Menophantos - Musée national romain, Palazzo Massimo alle Terme

Héra

Héra est l’Épouse par excellence. Elle est la sœur et surtout la femme de Zeus : elle arrive en troisième position après Métis (la mère d’Athéna) et Thémis, la déesse de la Justice, mais c’est elle qui reste aux côtés du maître de l’Olympe.


Certains récits racontent comment ce couple divin qui se chamaille et se déchire autour des infidélités de l’époux s’est autrefois aimé. C’était avant la chute de Kronos, quand ils étaient tout jeunes. De leur union naquirent alors plusieurs enfants : Héphaïstos, Arès et les déesses grecques Eileithyia et Hébé.


Les auteurs anciens aiment narrer leurs noces. Elles ont parfois lieu au sommet de l’Ida et parfois dans le jardin des Hespérides. En tout cas, leur copulation est un modèle. C’est le hieros gamos, le coït divin, le mariage sacré. Les Grecs mettent en exergue ce motif, car il est synonyme autant de plaisir que de fécondité.


D’ailleurs, on commémore cet événement dans de nombreux endroits de la Grèce ancienne. Héra est alors représentée par une statue parée en nymphe. Cette statue est conduite en procession comme une jeune mariée à la maison de son époux et au lit nuptial. La maison en question, pour Héra, c’est le sanctuaire.


Hélas, l’harmonie disparaît vite au sein du couple divin. Zeus va papillonner ailleurs et Héra devient l’épouse acariâtre et jalouse. Elle est alors la pire ennemie des maîtresses et des bâtards de son époux. En témoigne Héraklès (« Gloire d’Héra »), qui lui doit ses douze travaux.


Héra est en tout cas la protectrice des femmes et de l’institution du mariage.

Comme Athéna, elle est parfois la déesse omnipotente et souveraine de certaines cités comme Argos et Samos. C’est une déesse très importante, qui a peut-être même été plus vénérée que Zeus dans les époques les plus anciennes de la Grèce. Dans L’Iliade, on voit à quel point elle tient la dragée haute à son frère et époux.

Déméter

La figure de la Mère

Déméter est la deuxième née de Kronos et Rhéa.

« Rhéa subit la loi de Kronos et lui donna de glorieux enfants, Hestia, Déméter, Héra aux brodequins d’or ; et le puissant Hadès, qui établit sa demeure sous la terre, dieu impitoyable ; et le retentissant ébranleur du sol ; et le prudent Zeus, le père des dieux et des hommes » (Hésiode)

Plusieurs dieux et déesses grecques participent au développement de la vie et à la croissance des richesses et des ressources. Mais aucune entité divine ne le fait aussi bien que Déméter. Dans l’imaginaire grec, elle est la Mère féconde et fécondante.


Gaïa, par exemple, la « Terre aux larges flancs », est une gigantesque matrice productrice d’une quantité d’enfants. Il arrive même qu’elle les fasse toute seule. Mais elle n’est pas attachée à sa progéniture comme Déméter. Le lien qui unit celle-ci à sa fille, Koré, est absolument indestructible, dans un sens comme dans l’autre. Elles sont tellement liées que les Grecs les appellent souvent les « Deux Déesses ».

Déméter et Perséphone dans une œuvre art déco de Louis-Théophile Hingre
Déméter et Perséphone dans une œuvre art déco de Louis-Théophile Hingre

Koré, la Jeune Fille

Koré est le prototype de la Jeune Fille. C’est même le sens de son nom. Elle est la fille de Déméter et de Zeus.


Tant qu’elle se trouve auprès de sa mère, elle remplit toutes les caractéristiques de ce statut. On la voit, enfant, cueillir des fleurs dans une prairie avec des amies (dont les vierges Athéna et Artémis, dont elle est symboliquement proche à cette étape de sa vie).


Mais voilà qu’elle est enlevée par son oncle Hadès, qui la cache dans son royaume souterrain. Déméter, sa mère, la cherche partout. Sa colère est inextinguible et elle frappe aussi bien les dieux que les hommes. La terre devient stérile : c’est son châtiment.


Zeus, qui sait ce qui s’est passé, ordonne à son frère de rendre Koré à sa mère, mais il est trop tard. Koré a mangé un pépin de grenade : elle est désormais liée au dieu des Enfers. Rappelons que l’ingestion de divers aliments, dont les pépins de grenade, fait parti des rites du mariage dans l’antiquité grecque.


Koré est donc symboliquement liée à Hadès. Désormais, elle s’appelle Perséphone. Comme une nymphe, elle cesse d’être une kourè pour devenir une adulte et une épouse.


Toutefois, dans le cas de Koré/Perséphone, cette métamorphose est cyclique. Déméter réclame toujours sa fille. Un compromis est trouvé :

  • au printemps et jusqu’à l’automne, Koré retrouve sa mère, la fécondité revient et le monde revit ;
  • en hiver, Perséphone est la souveraine des Enfers et l’épouse d’Hadès.

Ce mythe illustre l’opposition entre virginité et fertilité. Il montre aussi la puissance de la figure de la mère en Déméter par opposition avec la figure de Jeune Fille de Koré.

Une déesse tutélaire de la vieillesse ?

Avec ces six (voire sept) déesses grecques, nous avons abordé tous les âges et tous les statuts sociaux et physiologiques de la femme grecque… sauf un.

Dans la religion grecque antique, il n’existe pas de déesse-vieille qui illustre le dernier âge de la vie d’une femme.

Pourtant, de nombreux récits louent les qualités du vieillard. L’exemple le plus ancien de ce profil est Nestor dans L’Iliade.

« Aux jeunes, les actions ; aux adultes, les volontés pesées ; aux vieux, les prières » (Hésiode)

La vieillesse apporte aux hommes la sagesse, la qualité du conseil, la supériorité de l’expérience et une vie débarrassée de la vaine recherche des plaisirs. D’ailleurs, les magistrats des cités sont souvent des citoyens âgés.

Même physiquement, le vieillard est loué. On le trouve beau, tout comme on glorifie la joliesse du corps enfantin. Dans la procession des Panathénées d’Athènes défilent les Thallophores, les plus beaux vieillards de la cité. Ils portent des rameaux d’olivier.

Au contraire, la vieillesse féminine est repoussante. Les personnages féminins des comédies grecs sont grotesques et débauchés. Dans cet article sur l’image de la femme grecque dans l’antiquité, vous verrez un exemple de leur perversion sexuelle. Vouloir faire l’amour alors qu’on est vieille ! Quel scandale !

Une exception à ce tableau : l’Héra de Stymphale, dans le Péloponnèse. La déesse y est dite à la fois Pais (Enfant), Téléia (Épouse accomplie) et Chèra (Vide, sous-entendu d’homme, donc veuve).

Là, Héra dit toute la femme dans ses trois âges. Une singularité qui montre que rien n’est totalement figé et uniforme dans ce monde grec haut en couleurs.

Héra Campana - Musée du Louvre - 100-150 ap. J.-C., Italie - Crédits photo : Tony Querrec
Héra Campana - Musée du Louvre - 100-150 ap. J.-C., Italie - Crédits photo : Tony Querrec

Quelques déesses grecques sous ma plume

Les déesses de la mythologie grecque, je les connais bien. Je les ai mises en valeur dans plusieurs de mes romans et nouvelles. Voici quelques lignes qui les évoquent !

Artémis

Dans mon roman Atalante :

« Les voix finirent par s’assourdir. Le bruit de ses pas sur le sol, celui des nébrides d’Atalante, plus feutré, qui le suivait, donnèrent une intensité nouvelle au silence qui régnait dans le sanctuaire. Entre les colonnades, tout au bout de l’édifice, la statue de la déesse dominait l’autel où lui étaient consacrées ses offrandes. Ce n’était pas une grande statue ; il s’agissait d’un vieux xoanon en bois. La représentation était toutefois assez élaborée. Debout près d’un lévrier dont elle caressait la tête de la main gauche, elle levait le bras droit pour saisir une flèche dans son carquois. Sa tête était relevée, ses yeux se perdaient dans les ténèbres qui tapissaient le plafond. Hippomène s’arrêta devant elle et la regarda. Des sentiments troubles le remuaient. Il aurait dû éprouver de la gratitude ; il ne ressentait que de la rancune. C’était la Chasseresse qui retenait Atalante dans ses rets, c’était elle qui l’empêchait de devenir une femme. Elle la maintenait dans cet entre-deux nébuleux entre enfance et âge adulte, qui ne durait pour les jeunes filles que le temps d’un soupir, entre l’offrande des osselets sur son autel et le passage dans la couche de l’époux. Atalante ne jouait plus aux osselets depuis longtemps. Dans un monde parfait, il l’aurait débarrassée de sa virginité des années plus tôt.


« Puis il se souvint du rêve, de la longue silhouette athlétique dressée au-dessus de lui, des yeux farouches qui le dévisageaient. Artémis l’avait prévenu : mais il n’avait pas voulu l’écouter. »

Aphrodite

Dans mon roman Atalante :

« Les rituels de purification avaient duré longtemps. Il y avait trop d’enjeux en ce jour, plus que dans toutes les autres demandes qu’il avait pu faire auprès d’Aphrodite, et la belle à la ceinture d’or était susceptible. Lavé, rasé, huilé de près, Hippomène se présenta devant l’agalma, la statue divine, une merveille d’or qui étincelait au milieu des marbres chamarrés du sanctuaire niché dans le palais de son père Mégarée, prince d’Onchestos. Bien campé sur ses jambes, il leva la main droite et présenta sa paume à la déesse.


« Aphrodite d’Or ! Je me présente à toi humblement, ô ma protectrice. Tu me connais, moi Hippomène, fils de Mégarée d’illustre lignée, anax d’Onchestos la Sacrée. Tu sais ma dévotion, maintes fois témoignée par des présents de statues, de fleurs, d’encens, d’or et des marbres les plus beaux du Pentélique. Auras-tu la générosité illustre de m’aider encore ? Demain va se jouer l’événement qui décidera de ma destinée. Mon bonheur ou mon malheur… À qui d’autre pourrais-je demander l’intercession, ô ma divine, toi dont la ceinture fait naître l’amour et le désir partout autour de toi ? Sache qu’aucun de mes témoignages passés de piété n’atteindra ce que je t’offrirai à l’avenir si tu m’accordes demain ce que je souhaite et chéris plus que tout au monde. Mes largesses seront sans limite, jusqu’à ma mort, glorieuse Argynnís ! Et je promets de t’amener celles de ma parthenos, qui se refuse encore à honorer tes charmes pour leur préférer Artémis, la déesse farouche des sombres halliers… si tu me fais la grâce d’en faire mon alochos. »

À lire aussi, cet article qui évoque les rêves fastes ou néfastes dans lesquels apparaissent les déesses grecques Artémis et Aphrodite.

roman en Grèce antique Atalante de Marie Tétart couverture de la nouvelle par Amaryan / Anouck Faure

Déméter

Dans ma nouvelle Hadès :

« Tandis que les nouveaux alliés se congratulent et échafaudent des plans, Hadès se tient à l’écart, songeur. S’éloignant des autres pour le rejoindre, Déméter le taquine. Elle a encore le teint coloré par la chaleur intense de la rivière mais, chez elle, ce ne ne sont déjà plus que de ravissantes touches roses, aussi fraîches que celles des pétales de fleurs.


« Mon frère ? Quand effaceras-tu ce pli sévère d’entre tes yeux ? »


Elle s’approche de lui, mutine, et touche son front du bout des doigts. Caresse évanescente, qui brûle Hadès davantage que la chaleur du Tartare. Il reste muet.


« Tu risques de le garder à jamais, continue-t-elle, rieuse, et tu vas vieillir, vieillir, vieillir ! jusqu’à paraître notre aïeul à tous ! Tu vas devenir sinistre et lugubre, Hadès. Quel dommage de ruiner ainsi ta jolie figure ! »


Hadès est confus tandis que sa sœur s’éloigne. Sa jolie figure ! Est-ce un appel ? se demande-t-il. Sa sœur est le printemps, le printemps éternel. Pourrait-il goûter à cette saison-là ? Hadès est tenté, il ressent même un vertige douloureux à cette idée. Le plaisir immédiat, le plaisir facile, insouciant tandis qu’ils guerroient contre leur père. Le plaisir, la joie, le bonheur au milieu des décombres.


Non, conclut-il à regret. Il ne saurait y avoir un tel hiatus. Déméter créée la profusion à partir de rien, mais lui pense au prix à payer pour toutes choses. D’ailleurs, le cuir de ses mains est encore strié de cloques nées au contact du métal ardent.


Plus tard, la nuit tombée sur le monde, Déméter va l’attendre dans les parfums des lavandes et des myrtes. Hadès l’observe de loin, toute ruisselante de lumière dans l’éclat de la lune. Mais il ne la rejoint pas. »

Ces récits mythologiques sont disponibles dans leur intégralité : chez votre libraire pour Atalante et en e-book pour Hadès.

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Sources :

BRULÉ, Pierre, Les Femmes grecques à l’époque classique, Hachette Littératures, 2001

 

Crédits image d’en-tête :

Statue d’Athéna de Carl Kundmann – Parlement de Vienne, Autriche – Crédits photo : Yaïr Haklai

La « race des femmes » : un concept antique sympathique

La « race » des femmes : nous serons plus d’une, aujourd’hui, à nous scandaliser d’une telle expression. Pourtant, c’est ainsi qu’est représentée la gent féminine dans une certaine tradition littéraire antique.


Je vous propose de faire un focus sur cinq auteurs grecs anciens et sur la vision qu’ils développent de la femme dans l’antiquité grecque. Héritée de la poésie épique et lyrique, l’idée d’une « race » des femmes (génos gunaikôn) est à considérer avec philosophie : nous sommes alors dans une autre époque !

Hésiode : la femme source de malheurs

Dans Les Travaux et les Jours d’Hésiode (VIIIe siècle av. J.-C.), le poète évoque Pandore, la première femme. Cette apparition de la femme parmi les hommes donne le ton d’une représentation négative qui va se développer sous bien d’autres plumes dans les siècles suivants.


Pandore signifie « don de tous les dieux ». C’est Zeus qui l’offre aux hommes au terme de sa lutte avec Prométhée. Ce contexte n’est pas anodin, car la fin de ce conflit consacre aussi la fin de la commensalité des hommes et des dieux. Désormais, ils vivront séparés. Le statut de l’humanité se précise. Elle prend place entre le dieu et la bête.


La femme arrive dans ces conditions. Elle est très belle et bien parée. Tous les dieux y ont veillé : son allure est importante. Mais cette beauté est de surface, car…

« dans son sein, le Messager, tueur d’Argos, crée des mensonges, mots trompeurs, cœur artificieux, ainsi que le veut Zeus aux lourds grondements. » (Hésiode, Les Travaux et les Jours)

C’est Pandore, la première femme, qui ouvre la boîte contenant tous les maux de l’humanité.

Sémonide : la femme bestiale

J’ai déjà parlé de Sémonide, un homme charmant qui a développé une intéressante comparaison entre l’animal et la femme pour expliquer les tares de celle-ci.

Au VIIe siècle av. J.-C., le poète Sémonide d’Amorgos trace dix portraits de défauts féminins associés à une origine animale. Extrait :

« Parmi les femmes, celle-ci, née d’une truie au poil hérissé, n’a aucun ordre dans sa maison ; chez elle tout roule pêle-mêle dans la poussière et dans l’ordure ; elle ne se lave point, porte des vêtements malpropres et s’engraisse, assise sur son fumier. (…)

« Cette autre, née d’une chienne, est le vivant portrait de sa mère ; elle veut tout entendre, tout savoir ; tournant les yeux de tout côté, errant partout, elle aboie, même quand elle ne voit personne. (…) Elle ne cesse de crier sans motif. (…)

« Celle qui est formée de la cendre ou d’un âne habitué aux mauvais traitements ne cède, quand il faut travailler, qu’à la nécessité et aux menaces ; cachée dans un coin, elle mange bien avant la nuit, elle mange tout le jour, elle mange jusqu’au soir ; pour le doux commerce de Vénus, elle prend le premier homme qui se présente à elle. (…)

« Cette autre est née du singe, et c’est le plus vilain présent que Jupiter ait fait aux hommes ; elle est horriblement laide et, quand elle se promène dans la rue, elle fait rire tout le monde : sa tête remue à peine sur son cou trop court ; chez elle rien de charnu ; elle n’a que la peau sur les os. »

La femme de l’antiquité grecque est aussi comparée à une cavale (jument), à une belette lubrique… etc.

Bien plus tard, à la fin du Ve siècle av. J.-C., l’Athénien Aristophane reprend les travers bestiaux développés par Sémonide dans ses comédies Lysistrata et L’Assemblée des femmes. Les héroïnes y sont gloutonnes et manifestent un fort appétit sexuel, même dans leur grand âge !

«  LE JEUNE HOMME
Quelle est celle qu’il me faudra d’abord enfoncer pour être quitte ?
LA TROISIÈME VIEILLE
Tu ne le sais pas ? Viens ici !
LE JEUNE HOMME
Que celle-là me relâche.
LA DEUXIÈME VIEILLE
Viens plutôt ici, chez moi.
LE JEUNE HOMME
Si celle-ci me relâche.
LA TROISIÈME VIEILLE
Mais je ne te relâcherai pas, par Zeus !
LA DEUXIÈME VIEILLE
Ni moi, certes. »

Cette tradition littéraire héritée de Sémonide et d’Hésiode fait de la femme un être d’outrance. Aristophane l’utilise comme un élément comique en axant surtout son propos sur la voracité sexuelle de la femme en Grèce antique.

Scène de banquet - Vase grec à figures rouges du VIe siècle ap. J.-C.
Scène de banquet - Vase grec à figures rouges du VIe siècle ap. J.-C.

Aristote : la femme physiquement inférieure

En Grèce, notamment classique, à Athènes par exemple, les femmes sont exclues de la vie politique. Ce sont d’éternelles mineures qui vivent sous l’autorité d’un tuteur, traditionnellement leur père puis leur époux. (C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les œuvres d’Aristophane font rire : elles présentent un monde à l’envers, celui de la gynécocratie).

Cette infériorité sociale peut trouver sa justification dans l’infériorité physiologique que des écrits scientifiques attribuent aux femmes. C’est le cas d’Aristote :

« Chez tous les animaux, les parties supérieures et antérieures des mâles sont plus fortes, plus vigoureuses et mieux armées, tandis que pour les femelles ce sont celles qu’on peut appeler postérieures et inférieures. Cela est vrai pour l’être humain et pour tous les animaux terrestres vivipares. Et la femelle a les tendons moins forts et les articulations moins solides, elle a le poil plus fin chez tous les animaux qui ont des poils, et chez ceux qui n’ont pas de poils cela est vrai de leur analogue. Et les femelles ont la chair plus molle que les mâles, leurs genoux plus enclins à s’entrechoquer et leurs jambes plus fines. Leurs pieds sont plus délicats chez les animaux qui en possèdent. »

Cette vision physiologique de la femme fixe sa nature. Elle impose des canons auxquels les femmes ne peuvent pas déroger sans que cela soit perçu comme subversif. (C’est d’ailleurs pour ces raisons physiologiques qu’on considère que la place de la femme dans l’antiquité grecque est à la maison !)

Hippocrate et Diodore de Sicile : quand la femme de l’antiquité grecque… devient un homme

La femme a donc des caractéristiques physiques claires. On ne peut pas la confondre avec un homme. D’ailleurs, lorsque les femmes se travestissent dans L’Assemblée des femmes d’Aristophane, le public rit parce que ça ne marche pas. Tout le monde se rend compte de la supercherie : une femme ne peut pas se faire passer pour un homme, elle est trop différente de lui !


Aussi, quand il y a confusion des genres, rien ne va plus. C’est ce que montre l’histoire de Phaéthuse rapportée par le médecin Hippocrate (vers 460-377) :

« Phaéthuse, la femme de charge de Pythéas, avait eu des enfants auparavant ; mais, son mari s’étant enfui, les règles se supprimèrent pendant longtemps ; à la suite, douleurs et rougeurs aux articulations ; cela étant ainsi, le corps prit l’apparence virile, cette femme devint velue partout, il lui poussa de la barbe, la voix contracta de la rudesse ; et, malgré tout ce que nous pûmes faire pour rappeler les règles, elles ne vinrent pas ; cette femme mourut au bout d’un temps qui ne fut pas très long. » (Hippocrate, Épidémies)

Plusieurs constatation :

  • Phaéthuse n’a pas eu de relations sexuelles pendant trop longtemps : c’est ce qui provoque la suppression des règles, et donc la métamorphose. Les femmes aurait donc besoin d’avoir des relations sexuelles pour rester des femmes (ce qui va dans le sens d’une représentation de la femme avide de sexe léguée par Sémonide).
  • Les règles sont constitutives de la nature féminine. Une femme qui n’en a plus n’est plus vraiment une femme. Dans une société qui réfute aux « vieilles » femmes (à partir de quarante ans) toute vie sexuelle légitime, on comprend la logique. C’est ainsi que, n’ayant plus de règles alors qu’elle devrait en avoir, Phaéthuse cesse d’être une femme et devient donc un homme. Des attributs masculins apparaissent, notamment des poils.

Au Ier siècle av. J.-C., l’historien Diodore de Sicile raconte une histoire à l’issue plus heureuse. Cependant, comme la première, elle montre qu’on ne saurait confondre homme et femme dans l’antiquité grecque.

« Plus tard, une inflammation se déclara chez elle autour du sexe ; il lui vint ensuite de fortes douleurs et on appela des médecins en nombre. Personne parmi eux ne voulait s’engager à la traiter, mais un apothicaire s’engagea à la guérir. Il incisa la tumeur dont il sortit un sexe masculin : des testicules et un pénis qui n’était pas percé. Tout le monde fut stupéfait du prodige et l’apothicaire entreprit de remédier aux autres déficiences de la nature. (…)


« Quant à Kallô, laissant les navettes à tisser et le travail féminin de la laine, elle prit le costume et toutes les autres habitudes d’un homme et changea son nom en celui de Kallôn par l’addition de la seule lettre « n » à la fin de son ancien nom. Certains disent aussi qu’avant de devenir un homme elle avait été prêtresse de Déméter et qu’on lui intenta un procès d’impiété pour avoir vu ce qu’il est interdit aux hommes de voir. » (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, Fragments).

Cette fois, Kallô se métamorphose complètement. Elle devient homme y compris socialement, puisqu’on l’accuse d’avoir assisté à des rites réservés aux femmes. Preuve, s’il en est besoin, que les deux genres ne sauraient définitivement pas se confondre en Grèce antique.

Femmes grecques - Le Nouveau Bracelet, peinture d'Henryk Semiradsky
Femmes grecques - Le Nouveau Bracelet, peinture d'Henryk Semiradsky

Atalante : une femme « virile » reste une femme

Dans mon roman Atalante, j’ai réinterprété le mythe d’une héroïne qui est dite « virile » sous la plume des auteurs anciens. Toutefois, même si les poètes lui ont accordé le droit de chasser et de lutter contre les hommes dans sa jeunesse, cette exception à la règle du genre est éphémère. Atalante appartient à la « race des femmes » et elle doit rentrer dans le rang en se mariant à la fin du mythe !


Je me suis amusée à mettre dans la bouche de son père, le roi Schœnée, des mots qui auraient pu être prononcés par Sémonide, ce grand pourfendeur de femme dans l’antiquité grecque. Je vous les livre !

« Ma pais, dit-il à voix plus basse, calmée, affectueuse. C’est que j’aimais trop ta mère, ma tendre Clyménè, pour la répudier de n’avoir su me donner d’héritier mâle. Je l’aurais dû, je le sais. Tout homme finit par aimer son alochos, et moi j’ai aimé la mienne plus qu’il ne l’aurait fallu, trop pour mon propre bien. Voilà tout ce que je te souhaite de connaître avec ton époux. »

Atalante ne répondit rien. Elle ne lui jeta pas au visage les ombres de toutes ces petites sœurs exposées après elle, jusqu’à la dernière, parce qu’elles n’avaient pas eu la grâce de naître dotées de l’attribut désiré, et le cœur déchiré de sa tendre alochos à voir périr grossesse après grossesse le fruit de son ventre. Le fils n’était jamais venu.

Elle siffla. Son père marmonna, tandis qu’un grand chien fuselé, à la robe beige, sortait des écuries qui jouxtaient la cour. Il vint en trottinant, louvoyant entre les barriques de vins, les jonchées de menthe et les grands sacs en toile de jute qui regorgeaient de fenouil et de graines de sésame. Sa queue allait et venait joyeusement, sa langue pendante se réjouissait dans la gueule grande ouverte. Il s’approcha de sa maîtresse. Atalante lui caressa affectueusement la nuque.

« Une vraie femme-chienne, grommela Schœnée, toujours à aboyer, jamais contente, même lorsqu’on emploie tout à son bonheur, insociable et sauvage. Cigale, tu ne connais pas ta chance, toi dont la femelle a été dépourvue de voix par les dieux ! »

Atalante tourna les talons. »

Vous pouvez commander mon roman Atalante dans toutes les librairies.

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Sources :
ARISTOPHANE, Les Cavaliers – L’Assemblée des femmes, traduction Marc-Jean ALFONSI, Flammarion, 2019, Paris

Crédits image d’en-tête : Pandore s’apprêtant à ouvrir la boîte – Peinture de Lawrence Alma-Tameda

D’Auguste à Hadrien : les hauts et les bas de l’empire romain

Après la République, le Haut Empire romain nous a laissé le portrait d’empereurs aussi divers que hauts en couleur. Faisons le tour des individus qui se sont succédés à la tête de Rome de la fin du Ie siècle av. J.-C. jusqu’au début du IIe ap. et voyons comment ils ont marqué Rome et le monde de leur empreinte !

Les Julio-Claudiens au pouvoir

Tous les empereurs de la dynastie julio-claudienne descendent, directement ou indirectement, de deux vieilles familles patriciennes :

  • la gens Julia (celles de Jules César) ;
  • la gens Claudia.

Auguste : l’empereur bien sous tous rapports

Sous son règne, l’empire s’étend :

  • provinces de Galatie (25 av. J.-C.) et de Judée (6 ap. J.-C.) en Asie Mineure et en Orient ;
  • province de Mésie et de Pannonie dans les Balkans ;
  • au nord de l’empire, l’armée avance jusqu’à la limite du Rhin.

À la mort d’Auguste, en 14 ap. J.-C., les frontières sont sûres et le gouvernement impérial stable et efficace. Auguste a réussi à laisser de lui une image incroyablement positive qui incarne les valeurs romaines : vertu, clémence, piété. Le Sénat décide même de le faire figurer parmi les dieux de la cité. Des tablettes de bronze sont dressées à l’extérieur de son mausolée. Elles glorifient sa res gestae, c’est-à-dire tout ce qu’il a fait pour Rome.


L’Autel de la Paix (Ara Pacis) d’Auguste célèbre lui aussi l’œuvre de pacificateur de l’empereur. Il a été inauguré en 9 av. J.-C. Il est orné d’une frise qui représente divers aspects du nouvel âge né avec Auguste. Les bas-reliefs montrent, entre autres, une procession sacrificielle et les membres de la famille impériale.

Tibère : ça commence à se gâter à Rome

Tibère est le fils adoptif d’Auguste. Il a été choisi car c’est un administrateur sérieux et un bon général : c’était le meilleur candidat du moment parmi les membres de la famille d’Auguste. Son règne commence donc sous de bons auspices.


Sous ce second règne de ce qu’on appellera un jour le Haut Empire romain, l’empire s’agrandit en Asie Mineure des provinces de Cappadoce et de Commagène. La situation est plus difficile dans le nord. La lutte contre les Germains est si coûteuse qu’on finit par ramener la frontière impériale au Rhin.


Malheureusement, Tibère provoque le mécontentement des nobles à cause de sa trop grande confiance en un homme : le préfet du prétoire Séjan. Celui-ci se comporte de manière tyrannique avec les aristocrates. Il s’ensuit des conflits avec le Sénat, des procès, des meurtres, des conspirations…


Tibère est finalement contraint d’assainir la situation en faisant exécuter Séjan. Les dernières années de son règne sont assombries par sa rigueur.


Tout cela, plus le caractère renfermé et l’allure hautaine de Tibère ternissent son image. D’ailleurs, l’empereur finit par s’isoler à Capri. Les mauvaises langues s’en donnent alors à cœur joie en l’accusant rétrospectivement de débauche sexuelle (ce qui était probablement sans fondement).


Lorsqu’il meurt en 37, Rome est en joie, ce qui donne une idée de sa popularité.

Buste de l'empereur romain Tibère - Louvre- Crédits photo : Hervé Lewandowski
Buste de l'empereur romain Tibère - Louvre- Crédits photo : Hervé Lewandowski

Caligula : rien ne va plus au sommet de l’Empire

Caligula s’appelle de son vrai nom Caius César. Son surnom signifie « Petit Brodequin » et fait référence à sa façon inhabituelle de se chausser.


Le règne commence bien, mais il dégénère rapidement en tyrannie. Caligula était peut-être atteint d’une maladie mentale. Cela expliquerait sa violence, sa cruauté et son comportement incohérent. Il fait beaucoup de caprices dont les conséquences peuvent être terribles pour son entourage. Il finit par causer de tels désordres qu’il est assassiné par sa garde prétorienne en 41.

Claude : répit à la tête de l’État romain

La garde prétorienne remplace Caligula par Claude, un neveu de Tibère.


Claude ne fait pas bonne impression au premier abord car il souffre de tics nerveux. Son apparence physique ne correspond pas non plus aux canons romains de l’époque. Toutefois, c’est un homme très instruit et il sera un bon empereur, efficace et compétent.


On lui doit le port d’Ostie et la conquête de la Britannia. Il étend la citoyenneté romaine. Il fait aussi percer des routes à travers les Alpes et le long du Rhin.


Hélas pour lui (et probablement pour l’Empire), Claude est empoisonné en 64 par sa quatrième épouse, Agrippine. Pas de justice pour les bons empereurs.

Néron : un artiste sur le trône

C’est sans doute l’empereur du Haut Empire romain qui a le plus marqué l’imaginaire !


Agrippine a assassiné Claude pour le mettre sur le trône. Néron est son fils d’un premier lit et il a été adopté par Claude.


Néron est d’abord un bon empereur, apprécié de tous. Toutefois, sa popularité est « abîmée » par les meurtres de sa mère, de son épouse et de son beau-frère. (On… peut le comprendre.) Par ailleurs, ses prestations de poète et son goût pour les cochers de cirque lui valent le mépris des aristocrates.


Des auteurs font de lui l’auteur du grand incendie qui dévaste Rome en 64. Il faut dire qu’il en profite pour récupérer des terrains, créer un lac artificiel et bâtir sa Maison Dorée (Domus Aurea). Le Colisée est plus tard érigé à cet endroit.


Néron persécute les chrétiens en les accusant d’être à l’origine du même incendie.


Dans le même temps, les provinces d’Espagne, de Gaule, de Palestine et d’Afrique se révoltent.


Finalement, Néron est déclaré « ennemi public » par le Sénat. Il se suicide en 68. D’après la légende, il aurait prononcé ces derniers mots : « Qualis artifex perea ! » (« Quel artiste périt avec moi ! »).


C’est le dernier empereur de la dynastie julio-claudienne.

Généalogie des Julio-Claudiens - Crédits image : Atlas du monde antique de Margaret Oliphant, Éditions Solar, 1992, Paris
Généalogie des Julio-Claudiens - Crédits image : Atlas du monde antique de Margaret Oliphant, Éditions Solar, 1992, Paris

La dynastie des Flaviens

68 : l’année des quatre empereurs

Suite à la mort de Néron, l’année 68 est marquée par une violence crise de succession.

  • C’est d’abord Galba, gouverneur d’Espagne, qui est reconnu empereur. Il est assassiné par les prétoriens.
  • Ces derniers le remplacent par Othon, gouverneur de Lusitanie (Portugal actuel).
  • Vitellius, appuyé par l’armée du Rhin, vainc Othon.
  • Finalement, soutenu par l’armée d’Orient, Vespasien bat Vitellius sur le champ de bataille.

Vespasien : une nouvelle dynastie à Rome

Vespasien est reconnu à la tête de l’État au terme de la folle année de 69. C’est le premier empereur du Haut Empire romain qui ne soit pas noble.


Il introduit plusieurs nouveautés dans le fonctionnement de l’Empire. Il renouvelle le Sénat en y faisant entrer des Italiens et des représentants des provinces. Il fonde aussi de nouvelles colonies pour les soldats.


Vespasien est également le premier empereur à établir une succession fondée sur l’hérédité pure, en désignant son fils Titus comme successeur.

Titus et Domitien : une dynastie qui fait flop

Titus et Domitien sont les deux fils de Vespasien. Ils vont se succéder : Titus de 79 à 81, puis Domitien jusqu’en 96.


Le règne de Domitien se caractérise par une certaine tyrannie. Il est assassiné en 96, ce qui met fin à la dynastie des Flaviens.

Les premiers Antonins s’installent

À la mort de Domitien en 96, le Sénat veut un empereur qui ne fera pas de vagues. Il choisit Nerva, un vieil homme effacé qui n’a pas d’enfants. Nerva adopte et associe à son règne un homme qui va marquer l’Empire : Trajan.

Trajan : un Auguste +++

Trajan succède à Nerva en 98.
Il semble avoir possédé toutes les qualités augustéennes qui font un bon empereur, le côté militaire en plus.


C’est d’abord un général populaire. Il est le chef de l’armée du Rhin lorsque Nerva le choisit. Sous son règne, l’empire atteint sa plus grande expansion.

  •  En 106, il conquiert deux nouvelles régions qui vont devenir des provinces : la Dacie (Roumanie actuelle) et l’Arabie (ancien royaume vassal des Nabatéens).
  • En 114-115, il vainc les Parthes et annexe l’Arménie, l’Assyrie et la Mésopotamie. Toutefois, suite à des révoltes, ces provinces sont perdues deux ans plus tard.
Buste de l'empereur romain Trajan - Crédits photo : Mary Harrsch
Buste de l'empereur romain Trajan - Crédits photo : Mary Harrsch

Trajan est aussi un bon administrateur, ferme, éclairé et soucieux de son empire. Le butin issu des guerres est utilisé pour financer des constructions : nouveaux thermes, forum de Trajan dessiné par Apollodore de Damas… mais aussi des routes et des ponts en Italie et dans les provinces. Ces travaux permettent aussi d’occuper les légions et écarte les risques représentés par une armée de métier inactive !


Trajan prend des mesures pour améliorer la condition des pauvres, comme le système des alimenta qui pourvoit à l’entretien des fils de famille sans ressources.


L’empereur veille à ce que l’administration des provinces soit à la hauteur de ses exigences. Il choisit et surveille les gouverneurs et fait condamner des hommes corrompus. Il charge des individus de confiance, choisis pour leur intégrité, des finances publiques. (Ce sont les curateurs, une fonction qu’on retrouve tout au long du Haut Empire romain.)


L’un de ces hommes est connu : il s’agit de Pline le Jeune. Il est envoyé en Bithynie comme legatus en 111. Sa correspondance avec Trajan montre l’attention que l’empereur porte aux affaires municipales et provinciales, ainsi que l’équité dont il fait preuve dans la gestion de l’empire.


Né en Espagne, Trajan est le premier empereur issu d’une province romaine, et non d’Italie. Cela n’empêche pas le Sénat de le plébisciter. En 114, il le proclame Optimus Princeps (le meilleur des princes), en reconnaissance de ses actes qui ont restauré l’image impériale ternie par ses prédécesseurs.

Hadrien : l’empereur lettré et voyageur

Lorsque Trajan meurt, en 117, Hadrien lui succède. C’est un parent éloigné né lui aussi en Espagne.


Hadrien est un pacificateur. Il met fin aux troubles en Judée, Égypte et Cyrénaïque. Il conclut aussi la paix avec les Parthes.

Toutefois, en 132-135 a lieu une deuxième révolte juive (la première avait eu lieu sous Vespasien et Titus). Elle est conduite par Bar-Kokhba. Elle prend fin avec la destruction de Jérusalem.


Hadrien, c’est aussi un empereur nomade. Il fait de nombreux voyages dans l’Empire, inspectant les armées et créant des fortifications (limes) en Afrique et au nord de la Bretagne (Angleterre). Cette dernière est connue : il s’agit du fameux mur d’Hadrien.


Sous le règne d’Hadrien, une grande partie de l’armée est recrutée dans les provinces. Elles sont moins mobiles. Lorsqu’il y a des troubles, on envoie des détachements plutôt que des légions entières pour rétablir l’ordre.


Hadrien se distingue aussi par son goût des lettres et des arts. Il est très attiré par la culture grecque et par l’architecture. Il fait construire un temple dédié à Vénus et à la Ville divinisée à Rome. Il fait aussi rebâtir le premier Panthéon, qui a été détruit par un incendie.


Son mausolée est aujourd’hui devenu le château Saint-Ange.


Hadrien meurt en 138.

L’Urbs sous le Haut Empire romain

Rome s’était enrichie de nombreux temples et de bâtiments publics sous la République. Pendant le Haut Empire, elle s’embellit encore.


Auguste recourt énormément au marbre dans ses constructions. D’ailleurs, à la fin de sa vie, il déclare qu’il a trouvé une cité de brique au début de son règne et qu’il laisse derrière lui une cité de marbre.


On peut décompter d’autres changements très importants dans la physionomie de la Ville :

  • la construction des aqueducs, qui améliore l’alimentation en eau ;
  • le développement des égouts construits par les rois étrusques ;
  • l’édification de nombreux bâtiments de loisirs, comme un cirque immense pour les courses et le Colisée pour les jeux ;
  • l’érection d’innombrables statues et colonnes, sans compter un nouveau type de monuments qui va avoir une grande fortune : les arcs de triomphe, élevés pour célébrer les victoires de Rome.

Rome est une ville dont les empereurs achètent la paix sociale par le pain et les jeux, ce qui explique la construction d’édifices comme le Colisée. Pour la même raison, pendant toute la période, les empereurs maintiennent les distributions gratuites de blé. La leur enlever aurait certainement concouru à provoquer de graves désordres !

Plan de la Rome impériale - Crédits image : Atlas du monde antique de Margaret Oliphant, Éditions Solar, 1992, Paris
Plan de la Rome impériale - Crédits image : Atlas du monde antique de Margaret Oliphant, Éditions Solar, 1992, Paris
Plan de la Rome impériale (légende) - Crédits image : Atlas du monde antique de Margaret Oliphant, Éditions Solar, 1992, Paris

Mes balades littéraires dans la Rome antique

J’ai écrit plusieurs textes qui prennent place dans l’Empire romain du Ier et du IIe siècles. L’un de ces textes emmène le lecteur sous le règne de Néron et évoque aussi les troubles de l’époque de Tibère dus au personnage tyrannique du préfet du prétoire Séjan (La Nuit des Saturnales). L’autre, plus horrifique, plonge dans l’univers des gladiateurs dans la Carthage d’Hadrien (Le Lion). Ces deux nouvelles sont disponibles en ebook à tous mes mécènes Médée.


Je vous invite aussi à une balade irrévérencieuse dans les rues de l’Urbs du Haut Empire romain avec mon feuilleton interactif des Nuits Romaines !

Pour encore plus d’immersion dans les périodes anciennes, pensez à vous inscrire à ma newsletter ici. À bientôt !

Sources : OLIPHANT, Margaret, Atlas du monde antique, Éditions Solar, 1992, Paris

Crédits image d’en-tête : l’Ara Pacis d’Auguste imaginé en peinture sur le site romaculta.com

La religion romaine : tout est sous contrôle !

Comme en Grèce antique, la religion romaine est là pour garantir de bonnes relations avec les dieux. C’est capital, car de leur bonne volonté dépend tout : météo et récoltes, victoire dans la guerre, catastrophes en tout genre… Certaines divinités assurent aussi, au plus bas niveau, la protection de chaque foyer.


C’est pourquoi les rites sont particulièrement encadrés. Chez les Romains, tout est sous contrôle !

De l’importance d’avoir beaucoup de dieux

Les Romains vénèrent beaucoup de dieux. On pourrait dire que plus il y en a, mieux c’est. Chaque dimension de la vie et du monde doit être incarnée par une déité. C’est la raison pour laquelle les Romains n’hésitent pas à acculturer les divinités venues d’ailleurs en leur faisant passer le filtre de leur censure.

Les divinités romaines majeures

Les dieux les plus importants sont ceux de la triade capitoline :

  • Jupiter, roi des dieux ;
  • Junon, son épouse, protectrice des matrones ;
  • Minerve, patronne des artisans et déesse de l’intelligence (le génie romain).

Mars est également un dieu majeur. C’est le dieu de la guerre. Il a aussi été vénéré un temps par les paysans en tant que dieu des champs.


Vesta est la protectrice de Rome.

Les dieux domestiques des Romains

Les Romains ont des cultes domestiques à trois dieux ou groupements de divinités :

  • Vesta, déesse du foyer (elle est en fait la déesse du grand foyer collectif qu’est l’État romain et celle de chaque foyer romain) ;
  • les Lares, esprits des ancêtres, qui assurent l’abondance dans la maison et le domaine familial ;
  • les Pénates, dieux protecteurs du foyer et du garde-manger.

Les idées abstraites divinisées

À l’exemple des Grecs, les Romains ont des déités qui sont en fait des concepts comme :

  • Concordia, la concorde ;
  • Honor et Virtus, l’honneur et la vertu ;
  • Fortuna, la bonne fortune ;
  • etc.

Les dieux d’ailleurs importés à Rome

Comme je l’ai dit plus haut, la religion romaine adopte volontiers les dieux et les cultes d’autres peuples.

Cybèle et Dionysos

L’un des premiers exemples de cette assimilation est l’introduction à Rome de Cybèle, la Grande Mère des Phrygiens, en 204 av. J.-C. Toutefois, ses rites orgiaques ont été sévèrement réglementés par le Sénat.


Le dieu Dionsysos, devenu Bacchus, a subi le même type d’acculturation.

Mithra

Autre exemple d’adoption réussie : celle de Mithra, le dieu perse de la Lumière et de la Vérité. Ennemi irréductible d’Ahriman, le représentant des forces du mal, Mithra était très populaire dans les armées romaines car il symbolisait le guerrier et l’invaincu. Ce sont donc les soldats qui l’ont introduit en Italie.


Sous sa forme romaine, le mithraïsme est devenu une religion à mystères. Ses adeptes étaient initiés, les rites étaient secrets. C’est pourquoi on ne les connaît pas très bien.


On sait tout de même qu’ils impliquaient quelquefois une tauroctonie, un sacrifice du taureau. Le sang du taureau était perçu comme un élément qui régénérait la création. Mithra est aussi un dieu de la vie.


Les temples de Mithra (mithrae) étaient des grottes naturelles ou des cryptes demi-souterraines qui étaient censées rappeler l’antre dans lequel le dieu avait égorgé le taureau mythique.

Statue de Mithra sacrifiant le taureau - Musée du Vatican
Statue de Mithra sacrifiant le taureau - Musée du Vatican

Isis et Sérapis

Rome a également accueilli des divinités égyptiennes comme Isis et Sérapis. Elles avaient leurs sanctuaires à Rome.

Les cultes religieux dans la Rome antique

Les cultes publics romains

Les cultes publics sont assurés par des prêtres élus qui sont membres de l’aristocratie. Ils veillent à la bonne exécution des rites et organisent les fêtes religieuses.


Le collège suprême des pontifes compte environ quinze membres. Il est dirigé par le grand pontife (pontifex maximus), qui est responsable du maintien des traditions.


Les vestales sont des prêtresses du culte de Vesta. Elles ont un rôle important : elles entretiennent le feu sacré symbolisant l’État romain. Elles doivent rester vierges.


Les augures étudient les présages avant chaque acte public.

Les cultes domestiques romains

Les cultes domestiques à Vesta, aux Lares et aux Pénates sont célébrés dans la chapelle ancestrale de la famille (le lararium ou laraire). Cette chapelle se trouve habituellement dans l’atrium, au centre de chaque demeure romaine.


On a retrouvé un exemple de laraire dans la maison des Vettii à Pompéi. L’image ci-dessous montre le genius du maître de maison, le paterfamilias, entouré de deux lares, l’un tenant une corne et l’autre un sceau rituel. En-dessous d’eux se trouve un serpent qui vient accepter l’offrande faite par le genius.

Fresque du lararium de la maison des Vettii de Pompéi - Crédits image : blog grupobonadea
Fresque du lararium de la maison des Vettii de Pompéi - Crédits image : blog grupobonadea

Un exemple de reconstitution de la religion romaine ?

Toujours soucieuse de réalisme historique, autant que faire se peut ! j’ai utilisé des éléments religieux romains dans l’une de mes nouvelles, La Nuit des Saturnales. Ce récit s’inscrit dans l’une des fêtes religieuses les plus importantes des Romains, les Saturnales. La scène qui suit fait vivre le quotidien romain au cœur de la maison. Bonne lecture !

Cornélia gravit les quelques marches qui menaient à la porte de sa domus. Fait curieux, le lourd battant était entrebâillé. Elle le poussa et entra, suivie de Mákis.


Lorsque le jeune homme le referma derrière eux, ils furent plongés dans la pénombre et le silence. Les bruits de la rue moururent. Il ne resta que le son cristallin de l’eau venu de l’atrium, en face d’eux. Cornélia s’y dirigea.


Personne. Pas un esclave à l’ouvrage, ils étaient donc tous restés à la fête. Pas un client précoce venu quémander quelque service à Servius Iunius Silanus ou à son épouse. La maison était déserte.


Non. En entrant dans l’atrium, Cornélia entendit des pas venus d’en face, du tablinum. Elle avança sur l’allée de gravillons blancs, au milieu des massifs de roses. Dans l’encadrement de l’entrée menant au tablinum, une silhouette apparut.


Servius Iunius se dressa là, les bras croisés sur la poitrine. Il ne portait pas les vestiges d’une nuit de débauche, mais une impeccable tunique laticlave bordée de deux bandes pourpres verticales. Cornélia sut alors qu’il était rentré depuis longtemps et que, s’il n’avait pas pu remettre sa toge plissée, faute de l’aide d’un serviteur, il avait longuement pris le temps de faire sa toilette.


Il l’attendait.


« Mákis, dit-elle en posant la main sur l’avant-bras de son esclave. Va te reposer. Je n’ai plus besoin de toi pour l’instant.


— Tu es sûre, Maîtresse ? demanda le jeune homme.


— Oui. Ne t’inquiète pas pour moi. »


Il hocha la tête, s’inclina devant Servius Iunius et se retira.


Cornélia se dirigea vers son époux. Sans dire un mot, elle passa près de lui pour pénétrer dans le tablinum. Là se trouvaient la chapelle des dieux Pénates, les coffres qui contenaient les masques des ancêtres de la gens Iunius, les rayonnages qui supportaient les archives familiales et les livres de compte. En les regardant, Cornélia songea qu’il s’agissait là de presque toute sa vie.


« D’où viens-tu ? » demanda Servius.


Il s’avança vers elle et l’observa des pieds à la tête. Cornélia admira son impassibilité ; elle savait trop de quoi elle avait l’air, avec sa stola déchirée, ses pieds nus et ses cheveux détachés.


« Cela fait des heures que je t’attends, reprit-il. Tu n’as pas passé la soirée chez ton amie, comme tu me l’avais dit, et tu n’as pas dormi ici non plus. Je te le redemande, Cornélia : d’où viens-tu ? »

Ma nouvelle La Nuit des Saturnales est disponible en ebook à tous mes mécènes de niveau Médée. 🙂

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Sources : OLIPHANT, Margaret, Atlas du monde antique, Éditions Solar, 1992, Paris

Crédits image en-tête : Triade Capitoline avec Jupiter, Junon et Minerve, Musée civique archéologique, Creative Commons Attribution ©Sailko

La religion minoenne : des serpents, des félins… et des taureaux ?

La religion minoenne est très mal connue, mais quelques traces archéologiques permettent d’en dessiner les contours. De la déesse aux serpents au saut du taureau en passant par le Zeus d’Europe, faisons un petit tour de ce qu’ont pu être les rites des Crétois de l’âge du bronze.

Pas de temple chez les Crétois !

Un premier constat : il n’y avait pas de temple bâti dans la civilisation minoenne. En tout cas, on n’en a retrouvé aucun.
Les Crétois pratiquaient des rituels dans différents espaces :

Les grottes sacrées

Des grottes ont été utilisées à des fins cultuelles du néolithique jusqu’à la fin de l’antiquité. On y a retrouvé de nombreuses offrandes : des statuettes, des armes et notamment des labrys (doubles haches).

Les sanctuaires palatiaux

Les archéologues ont identifié certains espaces des palais minoens comme des sanctuaires dans lesquels on faisait des offrandes aux dieux. C’est le cas d’une salle dans les sous-sols de Cnossos.

On pense que les Crétois ont également pu pratiquer les rites et les offrandes en plein air.

Mais quels dieux y honoraient-ils ?

Quels dieux dans la religion des Minoens ?

La déesse de la terre ou déesse aux serpents

L’emplacement d’un sanctuaire dans le sous-sol de Cnossos peut supposer un culte dédié à une divinité de la terre. Certaines traces indiquent qu’il existait une déesse de ce type, ou peut-être une déesse-mère. Toutefois, nous ne connaissons pas son nom.

S’agit-il de cette déesse aux serpents dont on a des représentations dans certains sanctuaires crétois ? Elle est associée à un félin, comme le montre la statuette ci-dessous. Cette association n’est pas évidente. Le félin est-il un chat, symbole de royauté ? Ou est-ce un léopard, comme dans les statuettes de la déesse-mère qu’on a retrouvées pour l’Anatolie néolithique ?

Les offrandes consacrées à cette divinité laisse en tout cas envisager une divinité domestique et bienfaisante. Le culte l’associait à un dieu subordonné qui était sans doute son fils.

Cette déesse avait aussi pour attribut le labrys (double hache), un objet souvent retrouvé au milieu des offrandes déposées dans les sanctuaires.

On se demande aussi si les Minoens pratiquaient des danses rituelles au cours desquelles ils entraient en transe. La déesse leur apparaissait alors, peut-être sur un arbre ou un pilier sacré.

Déesse aux serpents de Cnossos - Musée archéologique d'Héraklion, Crète
Déesse aux serpents de Cnossos - Musée archéologique d'Héraklion, Crète

Zeus

Dans la mythologie grecque, Zeus est lié à la Crète par sa naissance. C’est là que sa mère, Rhéa, l’aurait caché pour le soustraire à l’appétit de son père, Chronos (qui, comme on le sait, dévorait ses enfants). Zeus y aurait été nourri par des animaux.


Mais le Zeus crétois diffère sensiblement du Zeus grec. Il ressemble plutôt à une divinité de la végétation, qui meurt et renaît chaque année.

Quelle place pour le taureau dans la religion crétoise ?

Le taureau est très présent dans l’art minoen, mais quelle place avait-il dans la religion minoenne ? On s’interroge notamment sur les fresques de Cnossos qui représentent le « saut du taureau ». Les artistes de l’époque ont montré des jeunes gens, garçons et filles, bondissant ou s’apprêtant à bondir au-dessus d’un taureau.


Est-ce un acte rituel ? Les Crétois faisaient peut-être des joutes tauromachiques dans la cour des palais, suivies de sacrifices sanglants du taureau.


Bien sûr, quand on pense taureau crétois, on pense aussi au Minotaure ! Mais il est aussi insaisissable que le Zeus-taureau qui a enlevé Europe pour l’emmener en Crète afin qu’elle y accouche du futur roi Minos.

On peut imaginer un lien avec le taureau du Proche-Orient. L’animal est un attribut du dieu du Ciel (soit sous la forme de cornes sur la tête du dieu, soit comme monture de ce même dieu). Mais, en l’absence de tout autre élément, cela reste une simple hypothèse. Il n’y a aucune trace d’un culte de ce genre en Crète minoenne.

Les Crétois faisaient-ils des sacrifices humains ?

Certains éléments ont suggéré cette hypothèse aux archéologues. Par exemple, en 1979, on a retrouvé trois squelettes, dont l’un avait été égorgé, dans un édifice d’Arkhanès, près de Cnossos. En 1980, à Cnossos cette fois, des ossements d’enfants portant des marques de blessure par couteau ont été mis au jour.


Toutefois, rien d’autre ne vient corroborer à ce jour la possibilité de sacrifices humains.

La religion des Minoens : une reconstitution littéraire

J’ai eu le plaisir d’écrire deux nouvelles dans lesquelles j’ai réinterprété le mythe du Minotaure et d’Ariane. J’en ai profité pour proposer une reconstitution libre de ce qu’ont pu être les rites de la déesse au serpent (danse sacrée et sacrifice du taureau). Je vous propose de la découvrir dans cet extrait.

J’ai senti ces yeux de feu de Thésée sur ma nuque, lorsque j’ai dansé lors des cérémonies.

C’était après le saut du taureau, lors duquel le prince s’est illustré, comme Androgée dix-huit ans plus tôt. Des femmes choisies, fidèles de la déesse au serpent, ont commencé à esquisser les gestes sacrés en évoluant autour du pilier sacré. Nous étions dans la grande cour. Le soleil achevait de se consumer à l’ouest, ses éclats tardifs jetaient des lueurs orangées sur les fresques et les gravures délicates des murs du palais. J’ai dessiné les premières arabesques sur les dalles. Mes pas étaient légers, eux qui supportaient mon cœur pesant.

La religion minoenne avec Ariane

Comme neuf ans plus tôt, j’ai très vite succombé aux effets de la transe. Mes pieds m’ont entraînée de plus en plus vite dans les glissements chaloupés du serpent. Mes bras ont tourné au-dessus de ma tête, ils suivaient le mouvement. Je n’étais plus libre de mon corps, plus libre de diriger mon visage et mes regards. Le son des tambours et de la flûte obsédait ma chair. Les fresques se sont animées, sont devenues des hommes et des femmes rieurs et des animaux dévorants — ou bien l’inverse ? Depuis les portiques ouverts sur les profondeurs du palais ont émergé des ombres épaisses aux allures humaines.

Dans cette transe, pourtant, je suis restée lucide. J’entrevoyais à chaque révolution de mon corps la silhouette de notre père assis sur son trône. À ses côtés, Thésée. C’était lui, ce tison brûlant sur ma nuque.

J’ai aperçu le taureau promis au sacrifice, traîné par la longe jusqu’à l’autel. Son meuglement, son désespoir, ont résonné dans nos murs. On allumait les flambeaux — du crépuscule, voici qu’on plongeait dans ce qui ressemblait au Tartare. Pensée impie, ai-je songé, mais je n’ai pu m’en défaire.

Bientôt, la déesse m’est apparue sur son pilier. Elle était revêtue d’ombres. Elle a susurré des mots que je n’ai pas compris. Mais les images, elles, m’ont assaillie. Tout à coup, les flambeaux se sont éteints pour nous plonger dans les ténèbres. Tout à coup, j’ai vu le carnage et sa lueur était celle du vermeil qui court dans les veines des mortels. Les corps des hommes projetés contre les fresques dans des danses ensanglantées. Ceux des femmes étendues sur les sols au milieu des mares écarlates. Et, au cœur de tout, la source de la violence, toi, Astérios, mon frère…

Transpercé d’une lance en bronze. J’ai senti la douleur dans mon corps et je me suis cambrée en hurlant. Les mélopées se sont élevées autour de moi. En ouvrant les yeux, j’ai vu le roi Minos qui faisait glisser la lame du couteau sacrificiel sur la chair du taureau.

Tu t’es affaissé sur le sol, comme l’animal. En moi, la rage, le chagrin, le désespoir se sont tus.

Mes deux nouvelles, Le Cœur du Monstre et Le Cœur d’Ariane, sont disponibles en ebook à mes mécènes de niveau Médée.

Cet article sur la religion minoenne vous a plu ? Je vous propose de plonger plus intensément dans l’antiquité et la mythologie gréco-romaine en vous abonnant à ma newsletter. Chaque dimanche, je vous envoie un billet qui vous fait voyager dans le temps ! À bientôt !

Sources : OLIPHANT, Margaret, L’Atlas du monde antique, Éditions Solar, 1993, Paris

Crédits image d’en-tête : Face avant du sarcophage d’Ayia Triadha – Musée archéologique d’Héraklion, Crète

Que nous dit le taureau sur la Crète antique ?

Si l’on en croit le mythe du Minotaure, le taureau avait une place importante dans la vie minoenne. Mais de quelle façon ? Pourquoi cet animal est-il si souvent représenté dans l’art ? Et quelle signification donner à la légende du monstre mi-homme, mi-taureau ? Faisons un petit point ensemble sur le taureau crétois et ce qu’il pouvait signifier.

Le Minotaure : quelle symbolique pour la Crète antique ?

Le mythe du Minotaure

Le mythe raconte que Pasiphaé, l’épouse du roi Minos, s’était prise de passion pour un taureau blanc envoyé par Poséidon. De ces amours contre-nature naquit un être mi-homme, mi-taureau : le Minotaure.

Minos enferma la créature dans un labyrinthe construit par Dédale et le fit ensuite nourrir de victimes sacrificielles. Ces victimes étaient des Athéniens, sept garçons et sept jeunes filles envoyés périodiquement depuis le continent sur l’île de Crète. Il y eut ainsi plusieurs tributs avant que le prince Thésée mit fin au massacre. Pour cela, il se présenta lui-même en tant que victime du dernier contingent. La fille du roi Minos, Ariane, l’aida en lui donnant une pelote de fil afin qu’il retrouvât son chemin dans le labyrinthe après avoir tué le Minotaure.


J’ai raconté l’histoire du Minotaure en détail dans cet article.

La réalité derrière le Minotaure

Le mythe pourrait évoquer la domination qu’exercèrent un temps les Crétois sur la Grèce continentale, et notamment sur Athènes. Dans ce cas, il raconterait aussi leur émancipation via Thésée, le héros libérateur.


L’hypothèse est séduisante, mais rien ne vient l’étayer, même si on sait que la civilisation minoenne était puissante et dominait probablement l’Égée .


Par ailleurs, les Minoens n’ont jamais représenté de créatures mythologiques telles que le Minotaure (ou, en tout cas, ils ne nous en ont pas laissé). Ils ont plutôt peint, gravé, sculpté l’image de véritables taureaux.


On peut donc se demander si le mythe ne fait pas plutôt référence à un cérémonial primitif qui n’a pas laissé d’autres traces.

Le taureau crétois : un animal sacré ?

Le saut du taureau

Le taureau est très présent dans l’art minoen, au point qu’on a pu le penser comme un emblème du roi Minos.


L’une des scènes les plus représentées dans les peintures, les sceaux, les bronzes et les ivoires est celle du saut du taureau.


On la voit sur une fresque très connue retrouvée à Cnossos. Un garçon s’apprête à effectuer un saut périlleux au-dessus d’un taureau. À droite, une jeune fille tend les bras pour le recevoir ; à gauche, une autre fille va imiter le garçon dans son saut.


Cet exercice physique est-il un rite religieux, à l’issue duquel le taureau va être sacrifié ? L’hypothèse est séduisante, même si aucun autre élément archéologique ne l’étaye.

Cnossos - Fresque au taureau
Palais de Cnossos, Crète - Fresque au taureau

Du dieu du Ciel à Zeus

On n’a retrouvé aucune trace avéré d’un culte du taureau chez les Minoens.


En revanche, cet animal a sa place dans le panthéon du Proche-Orient. Le dieu du Ciel est souvent représenté, soit sur un taureau, soit portant lui-même des cornes de taureau.


Est-il possible que la Crète ait emprunté cet aspect religieux du taureau à ses voisins orientaux ?


On pourrait se laisser convaincre en considérant le mythe de Zeus et d’Europe comme un récit symbolique. Zeus s’est métamorphosé en taureau pour séduire Europe, une princesse phénicienne qui vivait à Tyr. Il l’a ensuite transportée en Crète où elle a accouché de trois fils, dont le futur roi Minos.


L’histoire est belle mais, comme pour le saut du taureau, on en est réduit à l’hypothèse.

Le taureau dans mes écrits minoens !

Bref, à ce jour, nous n’avons aucune certitude sur la place qu’avait précisément le taureau dans la culture minoenne.


Rien n’empêche toutefois aux artistes de jouer avec la symbolique du taureau crétois dans la fiction et ils s’en donnent à cœur joie depuis 3 000 ans. Je me suis prêtée au jeu, moi aussi, avec mes nouvelles Le Cœur du monstre et Le Cœur d’Ariane, qui réinterprètent les mythes du Minotaure et de sa sœur. Voici un petit extrait qui évoque l’accouplement monstrueux de Pasiphaé avec le taureau blanc et l’aventure de Zeus et Europe :

Le Minotaure - Gravure de Michael Ayrton
Le Minotaure - Gravure de Michael Ayrton

Mais les femmes, elles, chuchotaient autre chose. Depuis la naissance de la chose et la mort de sa reine, Minos passait ses nuits en imploration dans le sanctuaire palatial voué à Poséidon. Il avait sacrifié le taureau blanc sorti des eaux. Il n’amenait plus aucune femme à sa couche, comme il le faisait autrefois, même du temps de Pasiphaé — hélas… Le roi était contrit et inquiet de la naissance du monstre. On me jetait des regards haineux lorsque je passais dans les couloirs en tenant ta petite main dans la mienne.


Le récit voulu par le roi s’implantait peu à peu. Il fallait faire vite, car on avait tôt murmuré. Les esclaves se souvenaient du taureau blanc. Ils se souvenaient des tempêtes des saisons passées, de leur violence inimaginable qui avait envoyé par le fond des navires du roi et fait déferler sur les côtes des vagues plus hautes que les murs des palais et des grandes résidences. Maintenant, ce monstre ? Et puis, Minos et le taureau, c’était une longue histoire. Sa mère, Europe, n’avait-elle pas été séduite par un taureau ? N’était-ce pas de ce taureau qu’était né le roi, plutôt que du roi de Crète Astérion que la princesse Europe avait ensuite épousé ? Certes, l’animal, c’était Zeus métamorphosé, mais quand même…


Non, ce n’était pas la faute de Minos ! Il avait bien dit que la reine avait été corrompue. D’où pouvait donc venir cet être hideux à tête de veau ? Pas d’un homme aussi beau que le roi à la lignée divine ! Pasiphaé avait engendré la créature à partir de la semence d’une bête… Poséidon avait enflammé ses sens pour la faire copuler avec un animal féroce — avec ce taureau blanc que le roi avait refusé au dieu. Tout se tenait, tout s’expliquait bien mieux.

Ça vous a plu ? Ces deux nouvelles qui réutilisent la symbolique du taureau crétois sont disponibles en ebook pour tous mes abonnés Patreon niveau Médée. 🙂

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Sources : OLIPHANT, Margaret, L’Atlas du monde antique, Éditions Solar, 1993, Paris

Crédits image d’en-tête : Le Minotaure d’Alan Lee