Explorer l’antiquité grecque par la lecture : un vrai plaisir pour les amoureux à la fois de littérature et d’histoire grecque ancienne. En suivant les aventures, les tours et les détours de héros et d’héroïnes de romans, on découvre une époque, des individus et des mœurs fascinants, bien loin de nous par certains aspects et terriblement familiers par d’autres.
Je vous invite à rentrer pleinement dans ce monde disparu avec Atalante, un roman en Grèce antique qui mêle le merveilleux de la mythologie, le cadre matériel de la civilisation mycénienne et les normes sociétales de l’âge classique. Un roman historique ? Non, certes pas. Mais un récit finement sourcé et très immersif qui plaira aux amateurs !
Atalante, entre mythologie et histoire grecques
Connaissez-vous Atalante, l’héroïne chasseresse aux pieds agiles qui fit partie des Argonautes et participa à la chasse du sanglier de Calydon ?
J’ai revisité dans un roman l’un des épisodes de sa mythologie : celui de la course contre les prétendants (dont Hippomène) et des trois pommes d’or.
La mythologie grecque est très riche. Elle déborde de héros et de héroïnes passionnants, bien au-delà des plus connus que sont Ulysse, Hercule ou Orphée. Ces héros ont des choses à nous dire, même aujourd’hui, à plus de 3 000 ans de distance. Leurs aventures sont aussi une belle occasion de découvrir plus finement la société grecque — ou plutôt les sociétés grecques.
Dans Atalante, par exemple, j’ai choisi de placer le récit dans un cadre monumental et matériel mycénien, notamment ses palais. C’est la civilisation qui a précédé la culture grecque archaïque. En revanche, pour tout ce qui concerne la société, et, notamment pour la place de la femme dans cette société, j’ai fouillé dans ce que nous savons des mœurs et des normes de l’âge classique (essentiellement le Ve siècle de Périclès).
À cet égard, l’Atalante mythologique est en rupture avec ce qu’était la vie des femmes en Grèce classique… Et c’est précisément ce qu’il m’a semblé intéressant de mettre en relief. 🙂
Atalante, un récit en Grèce antique à découvrir gratuitement
Le roman Atalante paraîtra en papier au printemps 2022, mais vous pouvez aussi le lire gratuitement en ligne sur ce blog. J’en poste un extrait régulièrement.
C’est un cadeau à mes lecteurs auquel je tiens beaucoup, car cela me permet de partager de nombreuses informations passionnantes sur cette période de l’histoire.
Pour lire le récit d’Atalante depuis le début, rendez-vous ici !
L’extrait qui suit décrit le mariage d’Atalante. C’est un moment du récit mythologique qui a généralement été escamoté par les auteurs antiques : à partir du moment où la vierge qui refusait de se marier rentre dans le rang, tout va bien, il n’y a plus rien à en dire ! Ce n’est pas mon avis. 🙂
Je vous souhaite une belle lecture de ce roman en Grèce antique, et une très belle découverte de cette héroïne !
Alors que sa fiancée se préparait avec les femmes dans la chambre à côté, Hippomène accomplissait les procédures formelles avec son père et son beau-père. Ils firent lire l’enguè, le contrat de mariage qui les engageait tous. Un scribe inscrivit dans l’argile toutes les formules d’usage, qui conserveraient à jamais le souvenir de cet instant. Le jeune homme battit des paupières lorsque l’esclave rangea le calame dans son écritoire. Son regard erra sur les tablettes recouvertes de symboles. Elles attestaient désormais de son autorité sur Atalante.
« Hippomène, je te remets ma fille Atalante pour que tu lui ensemences des enfants.
— Schœnée, ton nom et toute ta lignée seront perpétués dans les enfants que j’ensemencerai à Atalante. »
Ça y était enfin. L’ekdosis était achevé. Atalante lui avait été remise.
Il était l’époux d’Atalante. Elle était à lui. Cette prise de conscience lui donna le vertige. Schœnée la lui avait donnée sans même qu’elle fût présente. Quelque chose bourdonna à son oreille, quelque chose de dérangeant, mais il n’avait aucune envie de la déchiffrer. Atalante… Atalante était vraiment à lui !
« Je n’ai pas besoin de t’intimer l’ordre de bien traiter ma fille, déclara le prince en le prenant par les épaules et en l’amenant aux couchettes et aux tables du banquet. Je sais que tu prendras soin d’elle et que je n’aurai jamais à te reprendre ce que je viens de te donner.
— Je t’en fais le serment, Schœnée.
— Hippomène a trop convoité ta fille pour prendre le risque que tu la lui reprennes », fit remarquer nonchalamment Athanasios, un frère de Mégarée.
Dans sa bouche toujours un peu moqueuse, ce n’était pas forcément flatteur, et le père d’Hippomène fronça les sourcils.
« Atalante n’est pas une femme ordinaire, déclara-t-il avec courtoisie, et je comprends son inclination. Je vais certes regretter d’avoir perdu un fils, mais je suis honoré d’avoir gagné une telle belle-fille, aux si belles qualités viriles. Elle aurait fait un homme de valeur si les dieux l’avaient pourvue de notre sexe.
— Sans doute », répondit Schœnée.
Il procéda aux rites d’ouverture du banquet en versant quelques gouttes de vin sur le sol de gypse, puis s’allongea sur une banquette qui dominait l’ensemble du mégaron depuis une petite estrade, devant le foyer central. Quatre grosses colonnes balisaient le puits de lumière qui illuminait le feu et ses viandes. Un esclave tournait régulièrement les broches pour faire dorer la chair ; un fumet grésillant embaumait la grande pièce. La vapeur lourde de graisse dérivait en nuages paresseux depuis cet âtre. Elle imprégnait les tissus chatoyants et se condensait sur les plaques d’or cousues sur les vêtements. Le métal précieux, solaire, reflétait les éclats des flammes et ceux des braseros, celui du jour aussi qui se faufilait depuis le haut. Ceintures, baudriers, colliers, bracelets, les invités s’étaient parés royalement pour célébrer cet hymen inespéré. Et puis il y avait les coupes et les vases en métal précieux, qui rutilaient entre les mains des banqueteurs et des esclaves.
Atalante, un roman en Grèce antique à découvrir en ligne
D’un geste large, Schœnée invita ses invités à le rejoindre.
« Mais tu sais ce que c’est, Mégarée, toi dont la femme a su peupler richement ta maisonnée d’une foule d’enfants, continua-t-il tandis que le père d’Hippomène s’installait sur la plus proche couchette, juste au pied de l’estrade. Une fille, ça mange, ça coûte et, crois-moi, lorsqu’elle a d’aussi belles qualités viriles, comme tu le dis, et qu’elle passe son temps dehors et à la chasse, elle manifeste la même voracité qu’un jeune homme dans la force de l’âge ! Il est bon que l’hymen la ramène à des activités respectables et qu’elle fasse ce pour quoi les dieux ont permis sa naissance.
— Les fils nés d’une telle union seront d’une grande valeur, déclara un autre homme en tendant sa coupe vers l’anax. Sans nul doute, ils feront de grands athlètes et de grands guerriers !
— Un seul me suffira, mais oui, je croirais volontiers en un tel oracle ! »
Tandis qu’on palabrait ainsi, un esclave vint remplir de vin la coupe d’Hippomène. Il la porta à ses lèvres en fronçant les sourcils. Il n’aimait pas entendre parler d’Atalante de cette manière ; et cela l’irritait aussi d’en être dérangé. Lorsqu’il avait vaincu, à l’issue de la course, et toutes les fois avant cela où il avait imaginé cet instant, il s’était senti rempli de gloire et de bonheur. Là, il n’éprouvait rien de tel. Il y avait une excitation, une espèce de fièvre même, mais elle était éparpillée dans un tourbillon nébuleux d’émotions contradictoires qu’il n’avait jamais envisagées. Il ne comprenait rien à ce qui lui arrivait.
Il mangea du bout des lèvres les belles viandes cuites à la broche et les légumes dégoulinant d’huile d’olive.
« As-tu encore eu beaucoup de départs pour l’outremer, Mégarée ? J’ai là une famille de paysans, un cadet de famille, sa femme et leurs enfants, qui m’ont demandé de rejoindre Onchestos pour prendre un bateau… »
Hippomène écouta d’une oreille distraite les discussions dériver sur cette sténochôria, ce manque de terres qui poussait les pauvres à embarquer à destination de n’importe quel autre rivage mieux pourvu. Devant lui, son frère Sergios, appelé désormais à régner sur Onchestos, riait au milieu de ses éphèbes. Il faisait feu de tout bois pour captiver son auditoire, comme à son habitude, aussi volubile et disert que son aîné se montrait réservé. Tout juste se taisait-il lorsque l’aède entonnait des chants qui contaient d’exceptionnels exploits de chasse et de bataille, ou d’aventureuses équipées dans les lointaines mers occidentales.
Sergios en était friand, comme tous les nobles. Soucieux sans doute de plaire aux princes, l’artiste à la cithare ne manqua pas de narrer en grec épique le fabuleux exploit d’Hippomène, qui avait vaincu la divine Atalante aux pieds rapides1 ! Alors, tous les invités acclamèrent le héros en levant haut leur coupe de vin coupé d’eau.
Puis il y eut encore des concours de danse, des remises de cadeaux aux vainqueurs, d’autres services de viandes, de poissons et de légumes, d’autres récitations, d’autres louanges, d’autres flatteries… Le temps n’en finissait pas de s’étirer, comme les fils de lin sur le métier à tisser de sa mère, là-bas, à Onchestos.
Atalante, un roman en Grèce antique et mythologique
Au fond de la pièce, juste derrière lui, se tenait le trône de Schœnée. De part et d’autre, des griffons peints à la fresque se faisaient face, chacun d’eux était doublé d’un lion rampant. Encore au-delà, deux entrées vers d’autres pièces, chambres, salles de bains, bureaux, magasins… Un jour, songea Hippomène, il siégerait là, il dirigerait ce palais et cette cité si son beau-père mourait avant qu’un petit-fils eût atteint l’âge de régner. Un petit-fils… Un fils qu’il aurait fait naître de la matrice d’Atalante… Pourquoi cette possibilité lui paraissait-elle toujours aussi inaccessible alors qu’elle était désormais son épouse ?
Peut-être était-il davantage comme ce joueur de lyre, peint là-bas sur un autre mur, assis sur un gros rocher et qui regardait s’envoler un bel oiseau blanc. Dans la pénombre, Hippomène voyait sa main qui se levait. Les rais de lumière tombés du toit, dans lesquels s’effilochaient des voiles de poussière, auréolaient ses doigts fins, tendus en vain, suspendus dans un geste inutile. Il n’atteindrait jamais l’oiseau.
Il se secoua. Pourquoi était-il si sombre tout à coup ? Il avait vaincu. Aphrodite l’avait secouru, elle lui avait donné Atalante. Tout se passait exactement comme il l’avait souhaité.
Ses yeux revinrent à la porte qui fermait la chambre d’Atalante. Revinrent — oui, il s’en rendit compte alors, cela faisait bien dix fois qu’il scrutait le battant, redoutant et attendant ardemment l’entrée de la jeune épousée et le début du gamos. Qu’ils terminent enfin les rites et qu’il puisse se retrouver seul avec elle ! Soutenir son regard, la laisser parler, la désarmer, il en était capable… ils se connaissaient si bien. Alors, elle se livrerait à lui. Et après… après…
Il l’avait tant attendue, et pourtant son cœur s’emballa lorsque la porte s’ouvrit. Dans un grand bruissement d’étoffes, de cliquetis de métal, de raclement des pieds de banquettes sur le sol de gypse, tous les hommes se levèrent. Hippomène fut peut-être le dernier à se retrouver debout ; ses jambes flageolaient. Ce n’était pas encore Atalante, c’était sa mère, ses sœurs, ses cousines qui paraissaient, une à une, les bras chargés de fleurs et de fruits.
« Bénie soit l’épousée ! »
« Que les dieux bénissent l’épousée ! »
« Zeus Téléios, Héra Téléia, posez vos yeux sur Atalante, la kourè-de-Schœnée, l’épousée d’Hippomène ! »
Les bénédictions et les félicitations étourdirent le jeune homme. Il espéra qu’il n’en paraissait rien. Il ne bougea pas, raide sur ses jambes, tandis qu’on posait les mains sur ses épaules et que les deux parties se mêlaient, hommes et femmes, pour accueillir sa femme avec honneur.
Elle entra enfin, suivie de ses ombres, ses esclaves et Baléria, sa nourrice. Il fut à la fois soulagé et affreusement déçu : elle était voilée. Tout transparent qu’il fût, ce voile ravissait ses traits à son regard. Il faisait trop sombre pour intercepter davantage qu’un modelé de ses joues, le contour délicat d’une oreille et la pente douce de sa nuque.
« Est-ce bien elle, la tueuse de sangliers ? » murmura quelqu’un dans son dos.
Hippomène n’eut pas besoin de se retourner pour reconnaître la voix gouailleuse de son frère Sergios.
Un roman en Grèce antique qui raconte la vie des femmes
Ensuite, tout s’enchaîna dans un tourbillon de gestes et de déclarations solennelles : les sacrifices, les libations de lait et de vin aux dieux du gamos, Artémis, Peithô et Aphrodite, Zeus Téléios et Héra Téléia, les multiples ex-voto de Schœnée qui voulait les remercier royalement d’avoir fait céder sa fille. Hippomène s’entendit implorer les êtres supérieurs (« Puisse mon enfant premier-né être un garçon ! ») presque machinalement. Les parfums de fleurs et d’encens, les odeurs lourdes des viandes et du sang, les effluves grasses des huiles, la musique qui ne cessait pas, et là-dessus le renversement des couleurs dans les lumières qui vacillaient, tout l’étourdissait. Et puis il y avait ces mains d’Atalante, bizarrement tordues l’une sur l’autre, la seule partie d’elle qu’il pouvait interpréter. Il n’eut pas le temps de lui glisser un mot avant que les femmes entraînent la jeune épousée vers leur table, à part de celles des hommes ; et que lui aurait-il dit ? C’était dérangeant, cette pierre dans son ventre, ce soulagement lâche de voir s’éloigner une confrontation à laquelle il ne pouvait pas se soustraire. Il continua à la regarder à la dérobée tandis qu’on lui servait tout un florilège de katachusmata réputés favorables à la fertilité : des gâteaux de sésame, des dattes, des noix, des figues sèches. Elle n’en mangea qu’un seul, celui que lui présenta Béronikè. Elle le glissa sous son voile et mit un temps fou à le terminer. Lorsqu’un jeune garçon, qui passait entre les banquettes pour distribuer des pains, lui en tendit un, elle eut un geste de dénégation.
Enfin, le repas s’acheva. Hippomène n’avait plus faim depuis longtemps. Il se leva avec son père, entraînant à sa suite Schœnée et les autres hommes, et se dirigea vers la table des femmes. D’un claquement de doigts, Mégarée fit venir à lui plusieurs esclaves. Ces derniers portaient une foule de présents, de coffres, de statuettes, de robes, de bijoux… Hippomène se figea aux pieds d’Atalante lorsque le premier cadeau fut déposé devant eux.
C’était un magnifique cratère qui servait à mélanger l’eau et le vin. Le pied élégamment resserré et tressé dans l’argile, le vernis noir, tout frais, le style racé, mêlant réalisme et figuratif, indiquaient assez l’origine de la superbe céramique : c’était le style des artisans d’Onchestos. Un dessin ornait la vaste panse, sous l’embouchure. C’était la scène de son triomphe. Cet objet de grand prix était une surprise pour lui autant que pour elle.
Sous la lumière d’un brasero, le voile avait pris des teintes ambrées. Elle le releva enfin et Hippomène retrouva les traits adorés de sa vierge. Regarde-moi, adjura-t-il en son for intérieur. Même pour me transpercer. Mais elle n’en fit rien. Elle l’ignora avec ostentation. Juste à côté d’Hippomène, Schœnée devint orage et Mégarée se raidit. On murmura derrière eux, peut-être même toussa-t-on de manière un peu trop empressée dans l’entourage de Sergios.
Atalante n’en avait cure. Ses yeux étaient rivés sur le dessin finement ciselé. Un grand arbre. La femme et l’homme, de part et d’autre. Lui debout, altier, l’observant d’en haut, elle agenouillée, les mains sur le fruit, vaincue. Des pommes d’or. L’artisan s’était trompé, il avait dessiné des pommes. Était-ce important ? Dans les branches de l’arbre, la déesse Aphrodite couvait du regard les deux amants qu’elle avait unis.
Le visage de la jeune femme n’exprima rien du tout. Dans le vaste silence, elle déclara :
« Le tesson seul a l’éternité. C’est de cela que se souviendront les générations futures lorsqu’ils évoqueront Atalante. »
J’espère que cet extrait de roman en Grèce antique vous a plu et vous a donné envie d’en découvrir davantage ! La suite des aventures de cette héroïne grecque est juste ici.
Vous pouvez également retrouver Atalante en version papier chez votre libraire préféré.
À bientôt !